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On me viendra couper la gorge


"[...]de pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles."
L'Avare, I, 4

En août 1665, l'assassinat crapuleux, à leur domicile, du lieutenant de police Tardieu et de sa femme avait marqué l'opinion publique, au point de faire l'objet du récit de deux gazetiers (1) (2), ainsi que d'une chanson populaire publiée sous forme de "placard" (3).

Boileau y fait allusion dans sa satire VIII, publiée en 1669 (4).

On en trouve la trace également dans la correspondance de Guy Patin (Lettre du 27 août 1665), ainsi que dans les Mémoires de Bussy-Rabutin, à l'année 1665 (éd. de 1731, p. 327)


(1) Lettre du 30 août 1665, par Mayolas :

Le jour de Saint Barthélémy,
Pendant que j’étais endormi,
Deux frères, d’humeur carnassière,
Par une tragique manière,
Terrassèrent d’un coup mortel
Notre Lieutenant Criminel.
Ces Gens, se voyant sans ressource,
Furent lui demander sa bourse,
Et, n’en pouvant avoir raison,
Le tuèrent dans sa maison.
La Lieutenante Criminelle
N’évita pas leur main cruelle,
Et tous deux, au même moment,
Trépassèrent subitement.
Il exerçait bien son Office,
Rendait à tous bonne justice,
Et les méchants savait ranger ;
Il était fort bon ménager,
Faisait très modique dépense,
Amassait beaucoup de finance,
Et je crois que ses Héritiers
Profiteront de maints deniers.
L’un et l’autre rendirent l’Âme
Ainsi que Thisbé et Pyrame.
Je souhaite que devant DIEU
Soit l’Épouse et l’Époux Tardieu.

Quatre jours après, les coupables
De ces actes épouvantables
Furent punis bien rudement
Et, sans doute, fort justement.

(2) Lettre du 30 août 1665, par Robinet :

Avant que fermer l’Écritoire,
Narrons la pitoyable Histoire
Dont Gens de Ville et Gens de Cour
Font leur entretien en ce Jour.
LUNDI, pour les Défunts funeste,
Deux FRÈRES, jouant de leur reste
Pour être riches ou roués,
Après s’être au Diable voués
(Car à DIEU cela ne peut être),
Suivant la Loi d’un si bon Maître,
Viennent, par l’ordre du DESTIN,
Chez TARDIEU heurter le matin.
Son Épouse, qui d’ordinaire,
Faute de Suisse ou de Cerbère,
Gardait, et non pas sans raison,
La Porte de cette Maison,
La vient ouvrir à ces deux Drôles,
Prêts à jouer d’étranges rôles.
Ayant refermé l’huis sur eux,
Sans s’amuser à songer creux,
Il lui disent en trois Paroles :
« Avez-vous cinquante Pistoles
» À nous prêter dans le besoin ?
» Nous vous les rendrons avec soin ;
» Il les faut pour un Mariage.
» Ça, donnez, sans plus de langage. »
La Dame, interdite à ces mots,
Qui peu lui semblaient à propos,
En reculant paraît rétive,
Et leur répond par négative ;
Mais les deux Frères Mendiants,
Sur ce refus, en maugréant,
D’un Instrument à plomb et poudre,
Aussi meurtrier que la Foudre,
Lui donnent, au même moment,
Droit dans le Chef, sans compliment.
D’un Coup Madame Tardieu tombe
Et n’est plus qu’un sujet de Tombe.
Monsieur Tardieu venant au bruit,
D’un coup tout semblable il la suit ;
Mais, comme toutefois il crie,
Avant qu’éprouver leur furie,
Trois ou quatre fois « Au Voleur »,
Et que les Armes, par malheur,
Avertissent le Voisinage
Que léans on fait du Carnage,
Nos Gens sur le Fait sont surpris,
Et c’est-à-dire qu’ils sont pris,
Comme on l’a dit, s’ils ne s’envolent.
Ces deux Assassins se désolent
De voir leur dessein avorté
Et plus encor, en vérité,
De prévoir que sur une Roue
Ils s’en vont faire laide moue.
Ils ne cherchaient pas celle-là ;
Hélas ! pourtant les y voilà ;
Oui, tout Paris les y contemple.
Ah ! profitez de cet Exemple,
Maudits Larrons, qui ne voulez
Que Biens mal acquis et volés.
Mais vous, qui brûlez d’avarice,
Venez voir à quel Précipice
Conduit l’Argent que vous aimez
Et dont vos Cœurs sont si charmés.
Mais, ô Muse Historiographe,
Ajoutons trois mots d’Épitaphe.

ÉPITAPHE.

Ci-gît un très Grand Magistrat,
Que redoutait tout Scélérat,
Homme de Bien, bon Économe,
S’il en était dans le Royaume ;
Qui, n’étant superbe ni vain,
Foulait aux pieds l’éclat mondain,
N’ayant, quoi qu’il fût à son aise,
Cheval, ni Carrosse, ni Chaise.
Il fit de son célèbre Emploi
Les Fonctions en bonne foi,
Jusques même après sa vie.
En dépit de la noire Envie,
Ce que je dis est très certain,
Car, par un Tragique Destin,
Sur la Roue il fit rendre l’Âme
À ceux qui finirent sa Trame.
Madame sa chère Moitié,
Très digne de son Amitié,
Pour être en ses mœurs si semblable
Qu’il paraissait indubitable
Que l’un pour l’autre ils furent faits,
Ainsi qu’Originaux parfaits,
Gît en la même Sépulture ;
Et, par une même Aventure
Étant morts en même moment,
On ne fit qu’un Enterrement.
Ainsi la Fortune bien sage,
Ayant connu le bon ménage
Qu’ils avaient fait de leurs Trésors,
A permis que pour les deux Corps
On n’ait rien fait qu’un seul Service.
Pour leur être toujours propice,
Pour retrancher encor les frais
Et leur épargner des Regrets,
Par une Lésine plénière,
Il n’aurait fallu qu’une Bière,
Mais pour ce point fort prudemment
On les a amis séparément,
De crainte qu’il leur prît envie
De s’entrepicoter [sic.] comme pendant leur vie.

Puisqu’il faut justement dater,
Cette Lettre, à bien supputer,
Fût, je vous proteste, rimée
Deux jours avant qu’être imprimée.

(3) LA PRISE DE DEUX MAUDITS SCÉLÉRATS ET MEURTRIERS, LESQUELS ONT TUÉ ET ASSASSINÉ MONSIEUR LE LIEUTENANT-CRIMINEL ET SA FEMME, DANS LEUR MAISON, EN PLEIN MIDI.

Sur le chant : ADIEU NYMPHES DES BOIS.

Grand Dieu, Roi de humains,
Auteur du genre humain,
Faut-il que je récite
Un sujet étonnant,
Barbare et trop sanglant ?
Or entendez la suite.

Jour Saint Barthélémy,
Un des fidèle ami [sic.]
De Jésus-Christ aimable,
Un jour de grand renom,
Et partout ce saint nom
Est fort recommandable,

Deux perfide inhumain [sic.],
Ce jour, pour le certain,
D’une rage animée,
Sans craindre Jésus-Christ,
Ont commis grand délit :
Ô cruelle pensée !

Furent diligemment
Heurter fort hardiment
À la porte fermée
Du Lieutenant Criminel,
Sujet par trop cruel,
La chose est assurée.

Sitôt étant entré [sic.],
Sans propos ni narré,
Ont poignardé Madame ;
Sans cause ni sujet,
Commettant ce mal fait,
Lui ont fait rendre l’âme.

Aussitôt à Monsieur,
Lieutenant, plein d’honneur,
Criminel de la Ville,
L’entendant s’écrier,
Lui ont fait endurer
Une mort très horrible.

D’un pistolet chargé,
Comme des enragé [sic.],
Lui ont dedans la tête,
Donné comme inhumain,
À dix heures au matin,
D’une rage parfaite.

L’on réduit au tombeau,
Couché sur le carreau
(Grand Dieu quelle arrogance !)
Sans crainte d’être pris ;
Mais Jésus a permis
Qu’ils sont pris d’assurance.

Ce crime est odieux
Et demande aux Cieux
Un rigoureux supplice,
Et pour s’être attaqué,
Ayant ainsi choqué
Messieurs de la Justice.

Prions l’Éternel,
Jésus-Christ l’immortel,
La sainte Vierge Mère,
Afin qu’au firmament
Tous deux soient jouissants
De l’Éternelle gloire.

S. l . n. d., placard in-fol.

(4)

Mais j'ai des biens en foule, et je m'en puis passer.
- On n'en peut trop avoir ; et pour en amasser
Il ne faut épargner ni crime, ni parjure ;
Il faut souffrir la faim et coucher sur la dure ; [...]
Parmi les tas de blés vivre de seigle et d'orge ;
De peur de perdre un liard souffrir qu'on vous égorge.
(éd. de 1669, p. 54)




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