Content-Type: text/html; charset=UTF-8

Nos demandes inconsidérées


"Hélas, que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu'il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l'importuner par nos souhaits aveugles, et nos demandes inconsidérées! "
Don Juan ou le Festin de pierre, IV, 4

La soumission docile à ce qu'impose le Ciel est un principe vanté par La Mothe le Vayer dans son "petit traité" "Des adversités" (Opuscules et petits traités, 1643) :

Il faut opposer à tout cela, au lieu de murmurer contre le Ciel, une constante résolution d'acquiescer à ses saintes ordonnances. [...] Respectons la Providence divine, que les Anciens nommaient Fatalité ou Destinée, et sans offenser notre franc arbitre, cherchons notre principal soulagement dans la nécessité de vouloir librement ce qui ne peut être évité.
(éd. des Oeuvres de 1756, II, 2, p. 378)

L'idée avait déjà été formulée dans l'essai "Des prières" (I, 56) de Montaigne :

J'avoy présentement en la pensée, d'où nous venoit cett'erreur, de recourir à Dieu en tous nos desseins et entreprises, et l'appeller à toute sorte de besoin, et en quelque lieu que nostre foiblesse veut de l'aide, sans considérer si l'occasion est juste ou ìnjuste, et d'invoquer son nom et sa puissance, en quelque estat et action que nous soyons, si vicieuse qu'elle soit. Il est bien nostre seul et unique protecteur, et peut toutes choses à nous aider : mais encore qu'il daigne nous honorer de cette douce alliance paternelle, il est pourtant autant juste comme il est bon, et comme il est puissant : et si use bien plus souvent de sa justice, que de son pouvoir, et nous favorise selon la raison d'icelle, non selon nos demandes.
[...]
Sa justice et sa puissance sont inséparables. Pour néant implorons-nous sa force en une mauvaise cause. Il faut avoir l'ame nette, au moins en ce moment auquel nous le prions, et deschargée de passions vicieuses : autrement nous luy présentons nous-mesmes les verges de quoy nous chastier.
(éd. de 1652, p. 226)

Les sollicitations importunes de la divinité sont également condamnées dans le roman Tarsis et Zélie (1665) de Le Vayer de Boutigny :

— Or, ajouta-t-il, comme nous ne pouvons avoir de meilleur recours qu’aux Dieux dans les choses où la faiblesse des hommes ne peut rien, je viens, ô mon frère, implorer votre assistance, ou plutôt celle de Jupiter, et lui demander quelque lumière dans mon aveuglement et quelque certitude dans des doutes qui me sont plus cruels que la mort.
— Tarsis, lui répliqua Timothée, les Dieux ont en effet toujours agréable que nous ayons recours à eux et que, par le secours que nous leur demandons, nous rendions hommage à leur toute-puissance et leur fassions un aveu de notre faiblesse. Mais s’ils trouvent bon que nous priions, ils ne veulent pas de même que nous les interrogions si souvent, que nous leur demandions pour un rien des choses extraordinaires et des miracles, ni que, par une téméraire curiosité, nous tentions si légèrement leur pouvoir. Savez-vous, Tarsis, ce que vous demandez à Jupiter, quand vous lui demandez un oracle ? Vous voulez qu’il dérègle le cours ordinaire de la nature, qu’il révèle aux mortels ce qui, par les ordres du destin, leur devait être inconnu, qu’il donne l’esprit d’un Dieu à un homme, et qu’il lui fasse pénétrer dans l’avenir, par un privilège qu’il ne communique pas toujours aux Dieux mêmes. Ce n’est que dans les grandes extrémités qu’il est permis de souhaiter ainsi des miracles, et ce ne doit être que pour des actions grandes, importantes, où il s’agit de la vie des princes, du bouleversement d’un royaume, du malheur ou de la félicité des peuples. Mais quoi ! parce que vous êtes amoureux et que vous êtes en peine deux jours d’une simple fille, vous pensez qu’il faille que l’esprit de Jupiter descende en terre, comme s’il n’avait point de plus importante occupation ! Certes, s’il fallait qu’il vînt ainsi répondre à tous les désir des particuliers, il faudrait qu’il fît état de ne plus habiter les cieux et qu’il se vînt encore une fois établir en terre.
(éd. de 1720, p. 341)

Dans sa fable de "L'Homme et la puce" (Livre VIII, 1678), La Fontaine effectue le même constat.




Sommaire | Index | Accès rédacteurs