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Myrtil et Mélicerte


Nicolas-Armand-Martial GUERIN D'ESTRICHE, Myrtil et Mélicerte, pastorale héroïque, Paris, P. Trabouillet, 1699


MYRTIL
ET
MELICERTE,
PASTORALE HÉROÏQUE,
A PARIS,
chez PIERRE TRABOUILLET, au
Palais, dans la Galerie des Prisonniers,
à l’Image S. Hubert.
M. DC. XCIX.
AVEC PRIVILEGE DU ROI.


A SON A. S.

MADAME LA PRINCESSE
DE CONTI
DOUAIRIÈRE

MADAME,

Que je serais heureux, si j’avais assez de force et de délicatesse dans mes productions, pour apprendre au public tout ce que vous doit ma reconnaissance ! Votre Altesse Sérénissime a eu tant de bontés pour loi, qu’il me serait difficile de les exprimer, et j’en fus accablé avant que d’en pouvoir remarquer l’étendue. Lorsque j’eus l’honneur de vous lire Mélicerte, vous daignâtes me rassurer, vous me donnâtes des applaudissements et dès ce même moment vous m’honorâtes de votre protection. Jamais la joie n’avait trouvé plus de sensibilité dans mon âme, et je m’estimais trop heureux de n’avoir pas déplu à la Princesse la plus délicate et la plus éclairée. Cependant, MADAME, Votre Altesse Sérénissime voulut mettre le comble à ses bontés, après avoir entendu lire Mélicerte : elle en parla à Monseigneur si favorablement qu’elle eut l’honneur de paraître devant lui à Fontainebleau : elle en prit le parti, et la décision avantageuse qu’elle en fit ferma la bouche à mes Critiques. Je ne puis oublier ici l’accueil favorable que vous fîtes aux deux Contes de Fées que j’eus l’honneur de vous procurer à Fontainebleau, et la bonté avec laquelle vous receviez les petits Vers que j’offrais quelquefois à Votre Altesse Sérénissime. Je sais, MADAME, que l’on ne devrait exposer à vos yeux que de ces compositions sublimes et hors du commun : Mais si mes expressions n’ont pas été relevées, du moins leur simplicité doit-elle faire connaître le respect du Poète. La grâce que je demande à Votre A. S. c’est de me permettre de donner au public les Vers qu’elle a daignés recevoir. Il est de mon devoir de le faire, et de ma gloire de me dire, MADAME, avec tout le respect possible,

De Votre A. S.
Le très humble, très obéissant et très respectueux serviteur,
GUERIN


REMERCIEMENT DE
l’Auteur à Son Altesse Sérénissime Madame la Princesse de Conti :

Sur la grâce qu’elle lui fit d’entendre
la lecture de Mélicerte.

Heureux amusements d’une Muse naissante,
Osiez-vous espérer un si rare bonheur ?
Muse, cet excès d’honneur
Surpasse de loin votre attente.
Et comment pourriez-vous être reconnaissante ?
Je le sais, vous avez du coeur :
Vous voudriez avec ardeur,
Reconnaître la faveur
D’une Princesse bienfaisante :
Mais pour de tels efforts vous êtes impuissante :
Soyons justes, n’ayons jamais de vanité.
Quoi, vous flatteriez-vous de louer la Princesse ?
Vous parleriez de sa bonté,
De sa générosité,
De son esprit, de sa délicatesse ;
Mais ce serait à vous trop de témérité,
Vous avez pour cela, Muse trop de faiblesse,
Retournons à nos chalumeaux,
Chantons sous les tendres ormeaux
Les Plaisirs d’un Berger aimé de sa Bergère.
Mais renonçons à des sujets trop hauts ;
Entreprenons ce que nous pouvons faire :
En voulez-vous suivre mon sentiment ?
Montrez-lui votre jugement,
Et votre reconnaissance,
En gardant là-dessus un modeste silence.
Vous voulez cependant faire un remerciement.
Eh bien donc dites-lui respectueusement,
Le destin ne m’est plus sévère ;
Il m’en a coûté des soupirs,
Pour me le rendre moins contraire,
Mais si ma Pastorale au gré de mes désirs,
A le bonheur de ne vous pas déplaire,
Le destin met le comble à mes plus doux plaisirs.


LETTRE DE L’AUTEUR
A SON A. S.

MADAME LA PRINCESSE
DE CONTI.

MADAME,

Pardonnez à l’ardeur d’une jeune Muse : Les applaudissements qu’elle a reçus de Votre Altesse Sérénissime lui ont donné du courage. Elle est fière d ‘avoir occupé pendant quelques moments l’attention d’une Princesse telle que vous. Après ce glorieux avantage, elle traite avec dédain ses autres compagnes, j’ai beau lui dire qu’elle doit être modeste, et qu’elle ne doit pas abuser de vos bontés. Elle dit pour ses raisons, MADAME, que vous êtes une Princesse si bienfaisante, que vous voudrez bien encor lui pardonner cette importunité : Elle a même donné à ses discours un tour si naturel et si vraisemblable, que je me suis laissé persuader : La grâce que vous m’avez faite semble en quelque façon autoriser ma hardiesse ; ce n’est cependant qu’en tremblant que j’ose vous parler encor des Bergers de la Vallée de Tempé : ils supplient tous Votre Altesse Sérénissime de les honorer de sa protection : ils quitteront avec joie leurs petits Hameaux, pour venir à Fontainebleau, si Monseigneur le souhaite, et qu’il daigne les écouter ; mais comme ils y veulent paraître avec les agréments qui leur sont nécessaires, si l’on leur fait cette faveur, Ils vous demandent en grâce, MADAME, de prier Monseigneur de leur donner au plus tôt un ordre, pour se préparer à cet honneur : Ils ont dans la tête d’agréables projets de Fêtes champêtres, qu’ils ne pourraient exécuter, s’ils n’étaient avertis quelque temps auparavant. Celui qui vous adresse leurs prières, ne saurait vous exprimer, MADAME, et le zèle, et la reconnaissance qu’ils ont pour la Princesse du monde la plus spirituelle, et la plus accomplie.


REMERCIEMENT DE
l’Auteur à Son Altesse Sérénissime Madame la Princesse de Conti.

Sur la bonté qu’elle a eue de faire jouer Mélicerte à Fontainebleau, et de recevoir favorablement ses deux Contes de Fée.

Contre une grande-mère Fée,
Une bergère aimable faite au tour,
Disputa longtemps l’autre jour,
Et la dispute avait l’une et l’autre échauffée.
La jeune disait hautement,
Qu’à votre bonté sans égale,
Les Bergers de Tempé devaient assurément
Le succès de leur Pastorale,
Que cela mettrait du moins un compliment ;
Qu’entreprends-tu folle jeunesse ?
Continua la Fée, et quel aveuglement ?
Toi la remercier ! connais mieux ta faiblesse :
Mes Contes, tu le sais, ont pendant quelque temps
Occupé ma grande Princesse ;
Je veux lui témoigner, dans l’ardeur qui me presse,
Que s’ils lui font plaisirs tous mes voeux sont contents.
Pour mettre fin à leurs querelles,
Je leur fis concevoir, que jusqu’à ce moment
Ne vous ayant donné que quelques bagatelles,
Elles devaient penser plus sérieusement
A faire choix de matières plus belles.
C’est en vain que vous vous flattez,
Leur dis-je, il faut se rendre un peu plus de justice.
Songez à mériter les charmantes bontés
De votre illustre Protectrice.
Ce discours sérieux fit un prompt changement.
L’une et l’autre en ce moment
S’adoucit et reprit sa douceur ordinaire.
Oui, dirent-elles galamment,
Nous suivrons toutes deux cet avis salutaire.
Entre mille projets fameux,
Il n’en est qu’un capable de nous plaire,
Et la Princesse seule est l’illustre matière
Qui peut fournir de ces sujets pompeux.


PREFACE

Je ne veux point ici me parer d’un vain titre de gloire. Je suis tout le premier à me rendre justice, et si mon Ouvrage a eu le bonheur de ne pas déplaire à mes Auditeurs, c’est à la mémoire de son premier Auteur que j’en dois tout le succès.
Monsieur de Molière avait commencé Mélicerte : lecteur avide des moindres productions de ce grand homme, je me suis étonné cent fois de ce qu’il n’avait pas donné la dernière main à un Ouvrage dont l’heureux commencement nous promettait une suite aussi parfaite. J’admirais les couleurs avec lesquelles il peignait tous ses caractères et Mélicerte me parut avoir toute l’innocence et toute la pureté que demande la Pastorale. Je fis une sérieuse attention à la grâce de ses expressions, et ce fut dans ces moments que je formai le dessein de la continuer. Ce ne fut pas sans réflexions, et je n’entrepris point la chose en jeune homme : je reconnus la grandeur du péril où je m’exposais, et je n’osai qu’en tremblant hasarder sur le papier une première ébauche. Je sortais de mes études, j’étais jeune, sans lumière, et sans expérience, peu savant dans les règles de l’art, le désir de me distinguer, et quelque peu de naturel, furent les guides de mon génie.
On me blâmera peut-être d’avoir mis en Vers irréguliers ce que Monsieur de Molière avait fait en grands Vers ; je ne l’eusse jamais fait sans les avis de personnes éclairées que je consultai là-dessus, et qui me firent connaître que les Vers libres étant les plus enjoués, étaient plus dans le goût de la Pastorale.
Il était de mon intérêt de faire un Prologue qui m’excusât dans l’esprit de mes Auditeurs, et qui leur fit connaître le respect et la vénération que j’ai toujours eus pour Monsieur de Molière. J’avouerai en tremblant que le troisième Acte est mon ouvrage, et que je l’ai travaillé sans avoir trouvé dans ses papiers ni le moindre fragment, ni la moindre idée. Heureux s’il m’eût laissé quelque projet à exécuter. Tout ce que je pus conjecturer ce fut qu’il avait tiré Mélicerte de l’Histoire de Timarète et de Sésostris, qui est dans Cyrus. Je la lus avec attache, et là-dessus, je traçai mon sujet. J’aurais pu fournir à la carrière, et l’Histoire me donnait cinq Actes complets : mais je m’examinai moi-même, et je connus qu’il valait mieux me rendre supportable dans un seul Acte, que fatigant dans deux autres. J’avoue de bonne foi ma faiblesse. Je ne prétends point défendre ce qui part de ma plume. Je l’expose à la critique et à la délicatesse de mes censeurs. Je ne me pique point d’un entêtement ridicule, mon esprit est encore à former, et je puis dire ici avec Perse :

Nec fonte labra prolui caballino
Nec in bicipiti somniasse Parnasso
Memini, ut repente sic Poeta prodirem.

J’ai mêlé dans les Actes quelques Intermèdes qui m’ont paru convenir au sujet. S’ils ont fait du plaisir, c’est à la grâce et à l’agrément des personnes qui les ont exécutés que j’en suis redevable. J’ai la même obligation aux Acteurs qui m’ont bien voulu faire l’honneur de jouer dans ma Pièce, ils s’y sont tous portés avec chaleur ; ils sont entrés dans les caractères qu’ils représentaient ; ils se sont tous ressouvenus de Monsieur de Molière, et ils n’ont rien oublié pour soutenir un ouvrage commencé par un homme, qui a fait l’honneur de leur Théâtre, et dont la mémoire leur est si chère.


ACTEURS DU PROLOGUE

APOLLON
MELPOMÈNE, Muse de la Tragédie
THALIE, Muse de la Comédie.

La Scène est sur le Mont Parnasse.


[1]

PROLOGUE

SCÈNE PREMIÈRE
MELPOMÈNE, THALIE

MELPOMÈNE

Nous voulons d’un zèle semblable
Former un sujet agréable,
Et je soutiens que pour le mieux
Ce doit être un sujet tragique,
Rien n’est plus beau qu’un noble sérieux.

THALIE

Et je vous soutiens, moi, qu’il doit être comique.
Qui l’emportera de nous deux ?

MELPOMÈNE

Vraiment, vous avez bonne grâce,
D’oser avecque moi faire comparaison :
Pour moi, j’admire votre audace,
Et votre peu de raison.

THALIE

Voyons donc, s’il vous plaît, quel est ce haut partage
Qui me met au-dessous de vous ?
Je crois pour moi que l’avantage
Est assez égal entre nous.

[2]

MELPOMÈNE

Egal ! ah point du tout ; la seule Mélpomène
Elève des Auteurs fameux,
Dont les Vers grands et pompeux
Sont les nobles enfants de la seconde veine.

THALIE

Et c’est donc là ce qui vous rend si vaine ?
Il est vrai, tous les jours je vous dois admirer.
Je l’avoue, et veux bien le dire ;
Mais demeurant d’accord que vous faites pleurer,
Convenez avec moi que je sais faire rire.

MELPOMÈNE

Vous avez ce talent, ma soeur ;
Mais c’est une chose facile
De faire rire l ‘auditeur.

THALIE

Et je le soutiens, moi, c’est le plus difficile.
A des sujets touchants on le voit compatir.
On peut facilement exciter la tendresse ;
Mais il faut travailler avec délicatesse
Lorsque l’on veut le divertir.

MELPOMÈNE

Apollon qui paraît peut de notre dispute
Décider en un seul moment.
En voulez-vous subir le jugement ?

THALIE

Oui, je consens qu’ainsi la chose s’exécute.

MELPOMÈNE

C’est assez, vous allez avoir contentement.

[3]

SCÈNE II
APOLLON, MELPOMÈNE, THALIE

MELPOMÈNE

Nous attendions au sortir du Parnasse
Que vous vinssiez dans ces beaux lieux.
Apollon, faites-nous la grâce
De nous écouter toutes deux.
Depuis longtemps j’avais en tête
De former un sujet avec quelque agrément
Qui pût donner naissance à quelque fête.
Ma soeur loua mon sentiment
Quand cependant, dans l’ardeur qui me presse,
Je prétends en venir à l’exécution,
Ella a la même intention.
Apollon, faites-lui connaître sa faiblesse,
Et quelle est sa présomption :
Je ne puis souffrir de partage.
Une de nous doit l’emporter,
Et si ma soeur travaille à cet ouvrage,
Je ne veux point lui disputer,
Elle en aura tout l’avantage.
Apollon, décidez, et sans aucun effort,
Thalie y souscrira sans peine.

APOLLON

Vous le voulez, Melpomène,
Apprenez que vous avez tort.

[4]

THALIE, en la raillant.

Eh bien, ma soeur, est-ce folie,
D’oser avecque vous comparaison.

APOLLON

Point de fierté, belle Thalie,
Vous n’avez pas plus de raison.
Ces manière chez vous devraient être bannies,
Et ne devez-vous pas être toujours unies ?

MELPOMÈNE

C’est l’unique sujet de mes ressentiments,
Et c’est là ce qui met mon esprit à la gêne.
Pour quelques traits plaisants que produira sa veine,
On oubliera soudain mes nobles sentiments.

THALIE

Ma soeur, sans prétendre médire,
Ni vous imputer des défauts,
N’est-il pas vrai que nous entendons dire,
Voilà des Vers qui sont fort beaux !
Mais nous aimerions mieux rire.

APOLLON

Votre intérêt est le nôtre ;
Sans vouloir ici vous fâcher,
Vous n’avez ni l’une ni l’autre,
A parler entre nous, rien à vous reprocher.

MELPOMÈNE

Si ma soeur était plus sage,
Nous traiterions certain petit ouvrage....
Mais non, elle a peu de solidité.

THALIE

Si vous vouliez, nous pourrions faire ensemble
Certain sujet de qui la nouveauté...
Mais non pour cela ce me semble,
Vous avez trop de gravité.

[5]

APOLLON

Eh bien, voyons, Melpomène et Thalie,
N’est-il point quelque moyen,
De joindre au sérieux quelque peu de folie ?
Cela serait assez bien.

MELPOMÈNE

J’ai fait choix d’un sujet où Molière a fait naître
Les Grâces et l’enjouement
Qu’exige le style champêtre,
Et ceux qui sauront s’y connaître
Y trouveront de l’agrément,
C’est...

APOLLON

Quoi, dites donc promptement.

MELPOMÈNE

Une Pastorale Héroïque.

APOLLON

Oh tant pis, là-dessus je crains le jugement
De l’auditeur satirique/
On ne veut présentement
Que ce qui réveille, et qui pique :
C’est s’exposer à des dangers,
Que de remettre sur la Scène
Des Bergères et des Bergers :
Cela me fait trembler, ma chère Melpomène.
On ne veut plus voir sous l’ormeau
L’agréable Berger Tityre,
Chanter sur son chalumeau,
Et conter aux Echos son amoureux martyre :
Nous ne sommes plus au temps
De Théocrite et de Virgile.
Pour rendre enfin les spectateurs contents
A leur goût formez votre style,
On ne chante plus d’Amarille.

[6]

MELPOMÈNE

Vous faites là trop de difficultés,
On a trop de délicatesse
Pour ne pas goûter une Pièce,
Où peut-être on pourra trouver quelques beautés.
D’un sujet engageant je ne crains point la perte,
Pour vous tirer de votre erreur,
C’est Myrtil et Mélicerte.

THALIE, étonnée.

Ah Dieux ! vous me volez, ma soeur,
C’est là votre sujet ? ma surprise est extrême.
Je voulais travailler au même.

APOLLON

Travaillez-y toutes deux.
Dans cette sorte de Poème,
On peut fort bien mêler comique et sérieux.
Cela n’en sera que mieux ;
Ecoutez-moi l’une et l’autre,
Je vais parler de bonne foi.
Les grands Vers feront votre emploi,
Les enjoués feront le vôtre.
Voilà, sans doute, un grand dessein,
Et cette idée est très parfaite.
Mais avez-vous quelqu’un en main
Qui puisse exécuter...

THALIE

Je connais un Poète
Qui de son savoir n’est pas vain.
Il est capable d’entreprendre,
Si je lui conseille, un dessein si hardi.

APOLLON

C’est-à-dire, à vous entendre,
Que c’est un petit étourdi,
Qui suit le feu de sa jeunesse.

[7]

MELPOMÈNE

Il voudrait achever la pièce ?
Un tel dessein pour lui me fait trembler de peur :
Travaillez après un Auteur,
Que tout le Parnasse renomme !
Vous avez raison, ma soeur,
C’est là l’action d’un jeune homme.

THALIE

Ma soeur, ne raillez pas tant,
Je vous garantis moi qu’il est plus excusable,
Qu’un vieux Auteur qui serait raisonnable,
Et qui voudrait en faire autant.
Apollon, faisons-lui la grâce toute entière :
Il est jeune, il est vrai : prévenons l’auditeur :
Disons-lui que ce jeune Auteur,
Borne tous ses voeux à lui plaire,
Et qu’il en fait tout son bonheur.

APOLLON

Pour moi, je ne veux point me mêler de l’affaire.
Je tiens le premier rang dans le sacré vallon ;
Mais le public peut dans cette matière
Avoir meilleur goût qu’Apollon.

THALIE

Il faut lui donner du courage :
C’est un auteur naissant qu’il faut favoriser.

APOLLON

Ne m’en pressez pas davantage,
Et laissons au Public le soin de l’excuser.

Fin du prologue.

[8]

PERSONNAGES.

AMASIS, Roi d’Egypte
MYRTIL, Amant de Mélicerte.
MÉLICERTE, Jeune Bergère, Amante de Myrtil.
LYCARSIS, Pâtre, cru père de Myrtil.
CORINNE, Confidente de Mélicerte.
MOPSE, Berger, cru Oncle de Mélicerte.
MÉNALQUE, Amant de Daphné.
TYRÈNE, Amant d'Éroxène.
DAPHNÉ, Nymphe.
ÉROXÈNE, Nymphe.
NICANDRE, Berger.
SILVANDRE, Satyre.
CLORIS, Driade.
Troupe de Bergers de la vallée de Tempé.
Troupe d’Egyptiens de la suite d’Amasis.

La Scène est en Thessalie, dans la Vallée de Tempé.

[9]

MYRTIL
ET

MELICERTE,

PASTORALE HÉROÏQUE,

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.
MÉNALQUE, TYRÈNE, DAPHNÉ, EROXÈNE.

TYRÈNE à Eroxène.

Dans les jours précieux de la saison nouvelle
N’est-il pas temps de s’enflammer ?
Eroxène, il n’est point de Berger plus fidèle,
Ni qui sache mieux aimer.

[10]

MÉNALQUE à Daphné.

J’ai beau dire en tous lieux, c’est à Daphné la belle,
A qui je veux faire ma cour.
C’est en vain que je dis plus de cent fois le jour,
Qu’on ne voit point aux hameaux d’alentour
D’Amant mieux fait, plus digne d’elle.
Lorsque tu fais ainsi la fière et la cruelle,
J’enrage de son peu d’amour,
Et de te voir si jeune et si belle :
Là, là, nous aurons notre tour.

TYRÈNE

De grâce, apprenez-moi, trop cruelle Eroxène,
Quand vous voudrez finir ma peine ?

EROXÈNE

Quand vous ne serez plus un Amant langoureux.

MÉNALQUE

Elle a raison. Pour moi, je suis toujours joyeux.
N’est-il pas vrai, Daphné, que mon amour fait rire ?
Tu m’aimes bien aussi, j’en suis très sûr.

DAPHNÉ

Qui toi ?

MÉNALQUE

Oui da moi, pourquoi non ? je te jure ma foi
Que je suis fait d’un air à charmer une belle.
La Bergère la plus cruelle
Ne saurait contre moi tenir un seul moment.

DAPHNÉ

C’est mentir bien impunément.

MÉNALQUE

En vain tu fais la railleuse,
Examinons toues mes qualités :
J’ai d’abord une humeur joyeuse,
Qui ferait après moi courir mille beautés,
Dans l’humide cristal qui baigne ce rivage
Je me mirais l’autre jour.

[11]

J’y regardais mes yeux perçants et pleins d’amour :
Ma taille m’y parut avoir de l’avantage,
Et je me trouvai fait au tour.
Sans faire vanité de mon mérite extrême,
Je te puis assurer ici,
Qu’il n’est point dans Tempé de Nymphe qui ne m’aime :
Ergo, tu dois m’aimer aussi.
Pour moi, je t’aime à la folie,
Non pourtant à perdre l’esprit.
Plus de cent fois je te l’ai dit,
Lorsque je te vois si jolie,
Par ma foi tu me fais envie.

DAPHNÉ

Quoi tout de bon ?

MÉNALQUE

Oui tout de bon :
Mais si tu veux toujours faire ainsi la cruelle,
Tu banniras je crois au plus tôt la raison,
Que l’on trouvait dans ma cervelle.
Ce serait grand dommage au moins !
Ça, dites-nous un peu, la belle,
Est-ce que nous perdrons nos soins ?

DAPHNÉ

Cela se pourrait bien.

MÉNALQUE

Tu me parais sincère.

DAPHNÉ

Je dis toujours la vérité.

MÉNALQUE

Quoi nous ne pourrons point vous plaire ?
Notre amour sera rebuté ?

TYRÈNE

Parlez, aimable Eroxène,
Aurez-vous tant de cruauté

[12]

Pour votre fidèle Tyrène ?

EROXÈNE

Pour Ménalque, Daphné, quel est ton sentiment ?

DAPHNÉ

C’est un fol.

MÉNALQUE

Grand merci, doux est le compliment.

EROXÈNE

Tyrène aime trop tendrement.

MÉNALQUE

Le grand défaut !

TYRÈNE

Je vous entends, cruelle.
Ce mot seul en dit assez ;
Vous ne reverrez plus un Berger trop fidèle,
Ménalque, allons mourir, nos plaisirs sont passés.

MÉNALQUE

Mourir ? peste quelle folie !
Adieu donc, la Nymphe jolie ;
Vous posséder, c’est un doux bien ;
Mais de perdre pour vous la vie,
Par ma foi je n’en ferai rien.

SCÈNE II.
EROXÈNE, DAPHNÉ.

DAPHNÉ

Je respire, m’en voilà quitte ;
Mais c’est avoir trop de sévérité.
Erxène, Tyrène a beaucoup de mérite.
D’ou vient que son amour est de toi rebuté ?

[13]

EROXÈNE

Pourquoi Ménalque et toute sa tendresse
N’ont-ils pu fléchir ta rigueur ?

DAPHNÉ

Je ne prétends donner mon coeur
Qu’à quelque Amant, dont la sagesse
Lui fasse goûter son bonheur.

EROXÈNE

En bonne foi, Daphné, dis-le-moi, je te prie,
Ton coeur est-il à donner ?

DAPHNÉ

A donner ! et je suis jolie ;
Fi, cela ne pourrait jamais se pardonner.
Mais toi ma chère Eroxène,
Vois-tu donc tout autre Berger
Avec le même oeil que Tyrène ?
Il est certains moments où la plus inhumaine
Se laisse bientôt engager.

EROXÈNE

A ton avis, crois-tu que je sois insensible ?

DAPHNÉ

Toi sans amour ? cela n’est pas possible.
Parlons ici de bonne foi :
Chère compagne, nomme-moi,
L’heureux choix qu’amour t’a fait faire.

EROXÈNE

J’y consens de très grand coeur ;
Mais, à ton tour, du tien ne me fais pas mystère.

DAPHNÉ

Cela s’entend.

EROXÈNE

L’objet de ma plus tendre ardeur
Qui possède tout mon coeur,
Et qui si tendrement m’engage,
Est... je ne l’ose dire.

[14]

DAPHNÉ

Ah que de badinage !
Tu n’as pas là-dessus raison.
Chère Eroxène, à notre âge
Doit-on faire cette façon ?
Tiens, vois si ce Portrait te paraît agréable,
Il est d’Athis ce peintre inimitable,
Et je trouve pour moi qu’il ressemble si fort,
Tes yeux le connaîtront d'abord.

EROXÈNE

Je vais te contenter par une même voie,
Et te payer de pareille monnaie.
Athis, ce Peintre si fameux,
Y renferma les traits de l'objet de mes vœux,
Mais avec cette grâce extrême,
Et ces yeux qui font que je l’aime.

DAPHNÉ regardant la boîte de son Portrait.

La boîte que je tiens ici
Ressemble fort à celle-ci.

EROXÈNE regardant les deux.

Il est vrai, l'une à l'autre entièrement ressemble,
Il les aura fait faire ensemble.

DAPHNÉ

Voyons si cet amas des plus vives couleurs
Fera connaître aux yeux le secret de nos coeurs.

EROXÈNE

Voyons si ce brillant ouvrage
Les fera reconnaître au défaut du langage.

DAPHNÉ ouvrant son Portrair.

Mais ici tu te brouilles bien:
Au lieu de ton portrait, tu m'as rendu le mien.

EROXÈNE

Je ne sais pas comment j’ai fait la chose.

DAPHNÉ prenant le portrait d’Eroxène.

Donne, de cette erreur ta rêverie est cause.

[15]

EROXÈNE ouvrant son Portrait.

Nous rions toutes deux, je crois.
Tu fais de ces Portraits même chose que moi.

DAPHNÉ

T’aurait-il plu, ne veux-tu pas le rendre ?

EROXÈNE regardant ensemble leurs portraits.

Voici le vrai moyen de ne plus se méprendre.

DAPHNÉ

Ciel ! quel est mon étonnement !
Myrtil à mes regards s'offre dans cet ouvrage,
Et mes yeux l’ont trouvé charmant.

EROXÈNE

De Myrtil dans ces traits je rencontre l'image,
Et je l’aime aussi tendrement.

DAPHNÉ

Quoique nous soyons Rivales,
Veux-tu suivre mes avis ?
Nos beautés sont assez égales.
Allons-nous déclarer ensemble à Lycarsis,
Du tendre amour que nous donne son fils.

EROXÈNE

J'ai peine à concevoir, tant ma surprise est forte,
Comme il est né d'un père de la sorte,
Tout brille en lui, tout enchantelses yeux,
Et pour moi je croirais qu’il sort du sang des Dieux :
Mais je consens à tout, allons trouver ce père,
Allons-lui de nos cœurs découvrir le mystère
Et que Myrtil entre nous deux,
Décide, par son choix, ce combat de nos vœux.

DAPHNÉ

Soit. Je le vois avec Mopse et Nicandre ;
Ils pourront le quitter, cachons-nous pour attendre.

[16]

SCÈNE III.
LYCARSIS, MOPSE, NICANDRE.

NICANDRE

Dis-nous donc ta nouvelle.

LYCARSIS

Oh, pour la bien conter,
Il ne faut rien précipiter.

MOPSE

Que de sottes façons, et que de badinage,
Ménalque en fait-il davantage,
Quand on le veut faire chanter.

LYCARSIS

Je me veux mettre un peu sur l'homme d'importance
Jouir pendant un moment
Et vous donner un peu d’impatience.

NICANDRE

Veux-tu nous fatiguer tous deux?

MOPSE

Prends-tu quelque plaisir à te rendre fâcheux?

NICANDRE

Veux-tu nous mettre en colère ?

LYCARSIS

Priez-moi donc tous deux de la bonne manière,
Et dites-moi quel don vous me ferez,
Pour obtenir ce que vous désirez.

[17]

MOPSE

Crois-moi, laissons-le là, Nicandre,
C’est le faire enrager que de ne le pas entendre.

NICANDRE

Voilà pour tes sottes façons.

LYCARSIS

Je vais vous la dire.

MOPSE

Chansons.

LYCARSIS

Vous ne voulez donc pas apprendre ma nouvelle ?

NICANDRE

Non.

LYCARSIS

Ecoutez.

MOPSE

Bagatelle.

LYCARSIS

Ne vous tourmentez pas, eh bien,
Je ne dirai donc mot, et vous n’apprendrez rien.

MOPSE

Soit.

LYCARSIS

Vous ne saurez donc pas qu’avec magnificence,
Ce Roi qui voit le Nil sous son obéissance,
Ce fameux Amasis, de sa haute présence
Doit venir honorer l’agréable Tempé.
Et qu’à le voir je fus tout occupé,
Hier qu’il vint à Larisse
À peu près sur le haut du jour.
Qu’à l’aise je l’y vis avec toute sa Cour !
Qu’il n’est rien que n’éblouisse
Un spectacle si pompeux.
Je regardais de tous mes yeux.

[18]

Nos forêts vont jouir de sa vue
Et l’on parle sur sa venue.

NICANDRE

Nous ne voulons rien savoir.

LYCARSIS

Je vis cent choses-là ravissantes à voir.
Ce ne sont que Seigneurs, qui des pieds à la tête,
Sont parés, comme au jour de Fête :
Ils surprennent la vue, et nos prés au Printemps,
Sont beaucoup moins éclatants.
Pour le Prince entre tous, sans peine on le remarque :
On voit en lui ce grand je ne sais quoi,
Qui fait distinguer un Monarque,
Et fait juger d’abord que c'est un maître Roi.
Sa grâce est, sans mentir, à nulle autre seconde,
Ce qu’il fait charme tout le monde.
On voit que de toutes parts,
Toute sa Cour s'empresse à chercher ses regards.
Ce sont autour de lui confusions plaisantes,
Et l'on dirait de mouches reluisantes,
Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel.
Rien n’est si beau sous le Ciel,
Et la Fête de Pan parmi nous si chérie,
Auprès de ce spectacle est une gueuserie ;
Mais puisque vous parlez si bien,
Ma foi, je ne vous dirai rien.

NICANDRE

Nous ne voulons aucunement t’entendre.

LYCARSIS

Et moi rien du tout vous apprendre.

[19]

SCÈNE IV.

ÉROXÈNE, DAPHNÉ, LYCARSIS

LYCARSIS

C'est ainsi qu’on punit les gens,
Quand ils font les impertinents.

DAPHNÉ.

Le Ciel tienne, Pasteur, vos brebis toujours saines.

ÉROXÈNE.

Cérès enrichisse vos plaines.

LYCARSIS.

Et que Pan favorable à vos voeux les plus doux
Vous donne au plus tôt un époux ?

DAPHNÉ.

Ah! Lycarsis, nos vœux à même but aspirent.

ÉROXÈNE.

C'est pour le même objet que nos deux cœurs soupirent.

DAPHNÉ.

Celui qui cause nos langueurs,
A pris chez vous le trait dont il blesse nos cœurs.

ÉROXÈNE.

Et nous venons chercher votre alliance.

LYCARSIS.

Nymphes...

DAPHNÉ.
Pour ce bien seul nous poussons des soupirs.

ÉROXÈNE.

Qui de nous deux aura la préférence ?

[20]

DAPHNÉ.

Contenterez-vous nos désirs ?

LYCARSIS.

Oui-da.

ÉROXÈNE.

C'est librement expliquer sa pensée.

LYCARSIS.

Oh ! non.

DAPHNÉ.

La bienséance y semble un peu blessée.

LYCARSIS.

Pourquoi ?

EROXÈNE.

Mais tel est notre feu,
Qu’il faut vous en faire un aveu.

LYCARSIS.

Je...

DAPHNÉ.

Cette liberté nous peut être permise,
Et du choix de nos cœurs la beauté l'autorise.

LYCARSIS.

C'est m’offenser que me parler ainsi.

ÉROXÈNE.

N'affectez point de modestie ici.

DAPHNÉ.

Notre bonheur est en votre puissance.

ÉROXÈNE.

Vous êtes seul notre unique espérance.

DAPHNÉ.

Trouverons-nous en vous quelques difficultés?

ÉROXÈNE.

Nos vœux seront-ils rejetés ?

LYCARSIS.

Non, j'ai l’âme fort peu cruelle.
Je tiens de feu ma femme, et je me sens comme elle

[21]

Pour le prochain beaucoup d'humanité,
Et je ne suis point homme à garder de fierté,
Surtout pour deux beautés aimables,
Qui me disent des mots qui sont si doucereux ;
Oui, Nymphes, nous serons traitables,
Et quand vous le voudrez je remplirai vos voeux.

DAPHNÉ.

Accordez donc, Myrtil, à notre amoureux zèle.

ÉROXÈNE.

Et qu’il règle notre querelle.

LYCARSIS.

Myrtil !

DAPHNÉ.

C’est lui que nous voulons.

ÉROXÈNE.

De qui pensez-vous donc qu'ici nous vous parlons?

LYCARSIS.

Je ne sais, mais il n'est pas dans un âge
Qui soit encor fort propre au mariage.

DAPHNÉ.

Il peut briller à d'autres yeux,
Il est d’un âge où l’on sait plaire,
Et peut-être quelque Bergère,
Pourrait nous enlever un bien si précieux,

ÉROXÈNE.

Comme par ses heureux talents,
Son grand esprit et son mérite extrême,
Il semble devancer le temps,
Notre amour veut faire de même.

LYCARSIS.

Sans doute il surprend quelquefois.
Et cet Athénien qui fut chez moi vingt mois,
S’étant mis dans la fantaisie,
De lui remplir l'esprit de sa philosophie,

[22]

L’a rendu tellement profond
Sur de certaines matières
Et donné tant de lumières,
Que tout grand que je suis, souvent il me confond.
Mais avec tout cela ce n'est encore qu'enfance,
Tout ce qu’il fait est mêlé d'innocence.

DAPHNÉ.

Il n'est point tant enfant, qu'à le voir chaque jour,
Je ne lui croie un peu d'amour :
Et plus d'une aventure à mes yeux s'est offerte,
Où j'ai connu qu'il aimait Mélicerte.

LYCARSIS.

Belles Nymphes, c’est un abus,
Et je n’y vois nulle apparence.
Pour elle passe encor : les filles là-dessus
Ont, comme vous savez, assez d’expérience ;
Mais lui, c’est un jeune éventé,
Le jeu l'occupe tout, je pense,
Et le plaisir de se voir ajusté,
Ainsi que les Bergers de haute qualité.

DAPHNÉ.

Enfin, par le nœud d'hyménée :
Avec une pareille ardeur,
Nous prétendons l’unir à notre destinée,
Et nous assurer son cœur.

LYCARSIS.

J’en suis ravi plus qu'on ne saurait croire.
Je suis un pauvre Pâtre, et ce m'est trop de gloire,
Que deux Nymphes d'un rang le plus haut du pays,
Se veuillent faire un époux de mon fils.
Puisqu'il vous plaît qu'ainsi la chose s'exécute,
Il règlera votre dispute,
Et celle qu'à l'écart laissera cet arrêt,
Pourra m'épouser, s'il lui plaît.

[23]

Enfin, c’est à peu près de même,
Nous sommes même sang et ma tendresse extrême
Fera...

ÉROXÈNE.

Vos qualités ont ébloui nos yeux.
Vous avez beaucoup de sagesse,
Myrtil a pour lui la jeunesse.

LYCARSIS.

Et c’est ce qui vous plaît le mieux ?
On aime un printemps agréable,
Mais l’Hiver est insupportable.
N’est-il pas vrai ? toujours dans la froide saison,
Nous trouvons des Nymphes cruelles,
Et les tendres faveurs des belles
Ne sont jamais pour un barbon :
Mais j’aperçois Myrtil. Il tient en ce moment
Des fleurs qu’il veut apparemment
Présenter à quelque Bergère.
Voilà son plaisir ordinaire,
Et c’est là, que je crois, tout son attachement.

SCÈNE V.

MYRTIL, ÉROXÈNE, DAPHNÉ, LYCARSIS.

MYRTIL tenant un bouquet.

Brillant amas de nos prairies,
Aimables et jeunes fleurs,
Ne vous offensez pas si je vous ai cueillies ;
Mais redoublez l’éclat de vos couleurs :

[24]

Ne regrettez point votre perte,
Votre bonheur fera mille jaloux ;
Et vous le trouverez trop doux,
Quand vous serez auprès de Mélicerte :
Elle vous tiendra dans sa main,
Et de vous mettre auprès de son beau sein
Elle vous fera la grâce ;
Est-il un destin plus charmant ?
Et qui des Rois hélas ! dans cet heureux moment,
Ne voudrait être en votre place?

LYCARSIS.

Holà, quittons ce vain amusement,
Parlons ici plus sérieusement,
Ces deux Nymphes, Myrtil, à la fois te prétendent,
Et pour époux te demandent.
Je dois t'engager à leurs vœux,
Par le saint noeud de l’hyménée ;
C’est à toi dans cette journée
A choisir une des deux.

MYRTIL.

Ces Nymphes....

LYCARSIS.

Oui, des deux tu peux en choisir une;
Vois, Myrtil, quelle est ta fortune.

MYRTIL.

Ce choix qui m'est offert peut-il m'être un bonheur,
S'il n'est pas le choix de mon cœur?

LYCARSIS.

Enfin, que sans se confondre,
On songe à leur bien répondre.
Ah ! vraiment, le beau garçon,
Vous nous donnez d’une bonne raison.

[25]

ÉROXÈNE.

Malgré cette fierté si naturelle aux belles,
Et qui règne parmi nous,
Deux Nymphes, cher Myrtil, viennent s'offrir à vous,
Et veulent vous lier de chaînes éternelles.

MYRTIL.

Ce choix qui me comble d’honneur,
Nymphes, s'oppose à votre attente,
Et semble prescrire à mon coeur
De ne répondre pas à la gloire éclatante,
Dont prétendaient m’honorer vos bontés,
Le moyen de choisir de deux jeunes beautés,
Dont l’une et l’autre est toute aimable,
Et sur qui l’amour favorable
Versa de rares qualités?
Rejeter l'une ou l'autre est un crime effroyable;
L’une par mon refus se croirait misérable,
De voir mépriser ses beaux yeux,
Et les refuser toutes deux,
Est l’avis le plus raisonnable.

DAPHNÉ.

Puisque nous voulons bien entendre,
Et souscrire à votre Arrêt,
Myrtil, décidez, s’il vous plaît.
Ces raisons ne font rien à vouloir s'en défendre.

MYRTIL.

Eh bien, si ces raisons ne vous satisfont pas,
Celle-ci le fera, je gage.
Je brûle pour d’autres appas,
Et je sens bien qu'un cœur, qu'un bel objet engage,
S’il aime bien, ne s’éblouira pas,
Du plus brillant avantage.

[26]

LYCARSIS.

Eh, comment donc? Qui l'eût pu présumer?
Et savez-vous, morveux, ce que c'est que d'aimer?

MYRTIL.

Sans savoir ce que c'est, mon père,
Mon tendre cœur a su le faire.

LYCARSIS.

Mais cet amour est de moi condamné.
A peine vous êtes né,
Et vous voulez déjà plaire.

MYRTIL.

Vous ne deviez donc pas, en me donnant le jour,
Me faire un cœur propre à l’amour.

LYCARSIS.

Mais ce cœur que j'ai fait, me doit obéissance.

MYRTIL.

Oui, lorsqu’il est en sa puissance.

LYCARSIS.

Mais il ne fallait point se laisser enflammer ;
Car enfin, sans l’aveu d’un père,
Ce coeur ne devait point aimer.

MYRTIL.

Que n'empêchiez-vous donc que l'on pût le charmer,
Et que l’on sût trop lui plaire.

LYCARSIS.

Eh bien, coquin, je vous défends
Que votre amour continue.

MYRTIL.

Vous y perdrez votre temps ;
La défense, j'ai peur, sera trop tard venue.

LYCARSIS.

Quoi, les pères n'ont pas des droits supérieurs?

MYRTIL.

Les Dieux qui sont maîtres de notre vie

[27]

Ne forcent jamais les cœurs.

LYCARSIS.

Les Dieux... Paix, petit sot, cette Philosophie
Me...

DAPHNÉ.

Sans courroux, je vous prie
Peut-on savoir de vous cet objet si charmant,
Pour qui, Mytril, votre jeune âme
Ressent une si belle flamme,
Et dont vous êtes Amant ?

MYRTIL.

Mélicerte, Madame, elle en peut faire d'autres.

ÉROXÈNE.

Vous comparez ses qualités aux nôtres?
Vous avez le goût bon vraiment !
Répond-elle à votre tendresse ?
Ah ! je n’en doute point, on est tendre Maîtresse,
Lorsque l’on fait un tel Amant.
Il est vrai, pour tout agrément
Elle a l’éclat de la jeunesse :
Le choix d'elle et de nous est assez inégal.

MYRTIL.

Au nom des Dieux, n'en dites point de mal,
Excusez un amour extrêm,
Et ne me jetez point dans l’embarras fatal
De laisser outrager la Bergère que j’aime.
Tournez plutôt contre moi-même
Toute la fureur de vos traits.
Elle n'a point de part au crime que je fais,
Epargnez son innoncence.
C’est de moi seul que vient toute l’offense.
Il est vrai d'elle à vous, je sais la différence;
Mais enfin, malgré soi, l’on se trouve enchaîné ;
L’amour vient sans qu’on y pense
Et je sens bien enfin que le Ciel m'a donné

[28]

Pour vous tout le respect, Nymphes, imaginable :
Pour elle tout l'amour, dont une âme est capable.
Vers elle, malgré moi, je me sens entraîné.
Si vous eussiez pu les premières
Assujettir ce coeur à vos divins appas,
Vous eussiez été les dernières,
Et pour d’autres attraits je ne brûlerais pas.
Je vois à la rougeur qui vient de vous saisir,
Que ces discours trop sincères
Ne vous ont pas fait de plaisir ;
Si vous parlez, j’ appréhende d'entendre
Ce qui peut le blesser par l'endroit le plus tendre :
Et pour me dérober à de semblables coups,
Il vaut bien mieux prendre congé de vous.

LYCARSIS.

Veux-tu donc revenir, traître ?
Ne vous effrayez point de tous ces vains transports,
Qu’il vient de faire paraître,
On verra lequel est le maître,
Vous l'aurez pour époux, j'en réponds corps pour corps.

Fin du premier Acte

[29]

PREMIER INTERMÈDE

Myrtil entre sur le Théâtre avec une Troupe de jeunes Bergers, et de jeunes Bergères.

MYRTIL aux Bergers.

Charmants Bergers, agréable jeunesse,
Vous dont l’empressement prévient tous mes désirs,
Vous connaissez l’objet de ma tendresse,
Unissez-vous pour ses plaisirs :
Pour divertir cette aimable Bergère,
Voyez Bergers ce que vous pourrez faire.
que vos tendres chansons expriment mes soupirs.
Je ne saurais ici l’attendre :
Il est certaines gens, que je viens de quitter,
Qui peut-être avec vous pourraient bien me surprendre,
Et pour raison je veux les éviter ;
Je vous quitte à regret ; mais vous devez m’entendre,
Et je vous laisse ensemble concerter.

Après que Myrtil s’est retiré trois jeunes Bergers, et trois jeunes Bergères dansent au son d’un Air champêtre : Après cet Air Hylas et Doris viennent chanter ces paroles.

DORIS

Célébrons les attraits vainqueurs,
D’une Bergère aussi tendre que belle.

[30]

HYLAS

Chantons les constantes ardeurs
De son Berger fidèle.

DORIS

Unis sous les mêmes chaînes..

HYLAS

Ils forment les mêmes désirs.

Ensemble.

Et si l’amour leur cause quelques peines,
Ils savent profiter de ses plus doux plaisirs.

SECONDE ENTRÉE

De trois jeunes Bergers, et trois jeunes Bergères.

Après cette Entrée Hylas chante ces paroles.

Il est un temps
Quand on est belle,
Il est un temps,
Pour les Amants.
La saison nouvelle
Revient tous les ans ;
Mais heureux le Printemps
Qui produit un Berger fidèle.

[31]

Entrée d’un Berger et d’une Bergère.

Entrée d’une Bergère seule.

Après ces Entrées Hylas et Doris chantent ensemble.

Que notre ardeur soit extrême :
Imitons ces Amants heureux.

DORIS

Myrtil est constant dans ses feux.

HYLAS

Je serai de même.
Mélicerte répond à l’ardeur de ses voeux.

DORIS

J’aimerai comme elle aime.

Ensemble.

Que notre ardeur soit extrême,
Imitons ces Amants heureux.

Ce premier Intermède finit par une Entrée générale des Bergers et des Bergères.

[32]

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.
MÉLICERTE, CORINNE.

MÉLICERTE.

Ah, Corinne, tu viens de l'apprendre de Stelle,
Et Lycarsis en a dit la nouvelle !

CORINNE.

Oui, vous l’avez deviné.

MÉLICERTE.

Et que les qualités dont Myrtil est orné
Dans le coeur d’Éroxène et celui de Daphné,
Inspirent une ardeur si grande,
Qu’elles en ont fait la demande.

CORINNE.

Oui.

MÉLICERTE.

Que dans ce débat elles ont le dessein,
Eprises toutes deux d’une même tendresse ;
Malgré toute sa jeunesse,
De s’unir à son destin ?
Ah, que tes mots ont peine à sortir de ta bouche.

CORINNE.

Mais quoi, que voulez-vous, c'est là la vérité,
Et vous redites tout, comme je l'ai conté.

MÉLICERTE.

Pour peu que mon souci te touche,

[33]

Corinne, encore un coup, dis-moi la vérité,
De quel oeil Lycarsis reçoit-il cette affaire ?

CORINNE.

Comme un honneur qui doit beaucoup lui plaire.

MÉLICERTE.

Eh quoi tu sais mon ardeur,
Tu sais que ce discours m’accable,
Et loin de m’être pitoyable ;
Avec ce mot, hélas! tu me perces le cœur.

CORINNE.

Comment?

MÉLICERTE.

Ah quelle indifférence !
Ne crains-tu point de me désespérer,
Quand tu me dis avec tant d’assurance
Qu’on pourra bien les préférer ?

CORINNE.

Je vous réponds et dis ce que je pense.

MÉLICERTE.

Mais dis, quels sentiments Myrtil a-t-il fait voir ?

CORINNE.

Je ne sais.

MÉLICERTE.

Et c'est là ce qu'il fallait savoir,
Cruelle.

CORINNE.

En vérité, je ne sais comment faire,
Puisque c’est toujours vous déplaire,
Que de dire la vérité.

MÉLICERTE.

Va-t-en, laisse-moi seule en cette solitude
Déplorer de mon sort la triste cruauté.
Mon coeur de transports agité,
Cherche à s’abandonner à son inquiétude.

[34]

SCÈNE II.

MÉLICERTE seule.
Vous le sentez, mon cœur, ce que c'est que d'aimer,
Bélise, avant sa destinée,
Prenait soin de m’en informer,
Lorsque sur le bord du Pénée,
Ma fille, disait-elle, l’amour aux jeunes cœurs
N'offre que choses agréables :
Mais hélas ! souviens-toi que ces fausses douceurs,
Ne sont jamais sans troubles effroyables.
C’est un serpent caché dessous les fleurs,
Qui cause des maux redoutables,
Veux-tu passer tes jours en paix ?
Fuis l’amour, évite ses traits :
Belles leçons, si je les avais crues:
Quand Myrtil s’offrait à ma vue,
Mais ce Berger me rendait-il des soins,
Parait-il mon troupeau des plus belles guirlandes,
Vous ne pouviez, mon coeur, refuser des offrandes,
Il eût fallu vous y plaire un peu moins.
Pour ne point voir la cruelle disgrâce,
Dont en ce jour le destin nous menace,
Enfin vous y voilà réduit.

Ah, mon cœur! ah, mon cœur! je vous l'avais bien dit :
Mais cachons, s'il se peut, le chagrin qui m’inspire,
Voici...

[35]

SCÈNE III.

MYRTIL, MÉLICERTE.

MYRTIL tenant un bouquet dans sa main.

J'ai ce matin surpris Flore et Zéphire,
Qui tous les deux mêlaient à la beauté des fleurs
L’éclat des plus vives couleurs.
Zéphire en parfumait le sein de la Déesse,
Et Flore répondait par des transports si doux.
Ah ! Zéphire, ai-je dit, dans l’ardeur qui me presse
Que je serais heureux si j’étais comme vous ?
Je cherche de même à plaire,
Je brûle des mêmes ardeurs,
Et je vous demande des fleurs
Pour mon adorable Bergère.
Sans davantage consulter,
Et sans me le faire redire
Il a daigné me contenter ;
Et c’est de la part de Zéphire
Que j’ose vous les présenter.
Je sais bien que selon votre rare mérite
L’offrande paraîtra petite ;
Mais vous savez aussi que les divinités
Qui regardent le cœur et non pas les richesses
Donnent aux seules volontés
Le prix des plus grandes largesses.
Mais, Ciel, quel funeste chagrin
Vous tient dans un morne silence,
Serait dans vos beaux yeux répandu ce matin ?

[36]

Vous redoublez ma peine et mon impatience.
Dans votre troupeau ce matin
Apercevez-vous quelque perte ?
De grâce répondez, ma chère Mélicerte,
Qu'est-ce donc?

MÉLICERTE.

Ce n'est rien.

MYRTIL.

Ce n'est rien, dites-vous?
Et vos beaux yeux couverts de larmes,
Peuvent-ils me cacher qu’ils ressentent les coups,
De quelques secrètes alarmes ?
Ah, ne me faites point un secret dont je meurs,
De grâce épargnez ma tendresse,
En vain vous me cachez la douleur qui vous presse,
Expliquez-moi ce que disent ces pleurs.

MÉLICERTE.

Rien ne me servirait de vous le faire entendre.

MYRTIL.

Devez-vous rien avoir que je ne doive apprendre,
Et n’est-ce pas aujourd'hui
Offenser une ardeur sincère
Que de m’en faire un mystère,
Et me voler la part de votre ennui?
Ah, ne le cachez point à l'ardeur qui m'inspire.

MÉLICERTE.

Hé bien, Myrtil, il faut donc vous le dire.
J'ai su que par un choix plein de gloire pour vous,
Et qui cause seul ma tristesse
Éroxène et Daphné vous veulent pour époux :
Je ne veux point ici vous cacher ma faiblesse :
Mon coeur, je vous l’avoue, aurait été jaloux,
De voir à leur juste tendresse
Obtenir un bonheur si doux.

[37]

J’accusais ma destinée,
Je me plaignais de sa barbare loi,
De voir en cette journée
Préférer ces Nymphes à moi.

MYRTIL.

Et vous pouvez l'avoir cette injuste tristesse ?
Vous pouvez soupçonner mon coeur,
D’avoir assez de faiblesse,
Pour consentir à leur bonheur ?
Qui moi, j’accepterais une autre main offerte !
Moi, qui vous aime, hélas ! si tendrement :
Hé que vous ai-je fait, cruelle Mélicerte,
Pour faire de mes yeux un pareil jugement ?
Quoi, vous pouvez avoir là-dessus quelque crainte ?
Ciel ! faut-il me voir en ce jour,
Avec une si tendre amour,
Souffrir une si dure atteinte !
Que me sert-il d'aimer comme je fais, hélas !
Si votre coeur ne me croit pas.

MÉLICERTE.

Je pourrais moins, Myrtil, redouter ces Rivales,
Si les choses étaient égales ;
Mais leur rang et leurs biens me font désespérer
De pouvoir...

MYRTIL.

Vos attraits vous feront préférer.
Je vous aime, il suffit, et dans votre personne,
Je vois rang, biens, trésors, États, Sceptres, Couronne,
Et du plus grand des Rois m'offrît-on le pouvoir,
J’accepterais plutôt le bien de vous avoir.
Mon amour est sincère et pure,
Croyez-en les serments que m’en fait mon coeur,
C’est pour lui, Mélicerte, une sensible injure,
Que de douter de son ardeur.

[37]

MÉLICERTE.

Auprès de ses Nymphes si belles,
Vos voeux ne sont point ébranlés,
Et vous m’aimez cent fois plus qu'elles.
Je vous croirai, Myrtil, puisque vous le voulez.
Oui, je crois votre coeur sincère,
Du tendre amour il suit les lois ;
Mais Myrtil, c’est à votre père
De faire là-dessus un choix.
Ainsi qu'à vous je ne lui suis pas chère,
Pour préférer à tout une simple bergère.

MYRTIL.

Non, belle Mélicerte, il n'est père, ni Dieux,
Maîtresse de mon coeur aussi bien que vous l’êtes,
Qui me puissent forcer à quitter vos beaux yeux,

MÉLICERTE.

Ah! Myrtil, prenez garde à ce qu'ici vous faites,
Epargnez à mon tendre cœur,
Un espoir si plein de douceur.
Si votre amour cessait comme un éclair qui passe,
Jugez, Myrtil, de ma disgrâce,
Et quelle serait ma douleur.

MYRTIL.

Que vous me faites tort par de telles alarmes :
Connaissez mieux le pouvoir de vos charmes,
Et sans que des serments j’emprunte le secours,
Mélicerte croira que j’aime pour toujours.
Recevez-en la foi que je vous donne,
Mon tendre coeur à l’amour s’abandonne;
J’en jure par vos beaux yeux,
Et crois dire bien plus, qu’en attestant les Dieux,
Souffrez que plein de ma tendresse,
Et de mon ravissement,
Je jure à ma belle Maîtresse
De l’aimer éternellement.

[39]

Et que sur cette main j’en signe le serment.

MÉLICERTE.

Ah! Myrtil, levez-vous de peur qu'on ne vous voie.

MYRTIL aux genoux de Mélicerte, et lui baisant les mains.

Est-il rien.... Mais, ô Ciel, on vient troubler ma joie.

SCÈNE IV.

LYCARSIS, MYRTIL, MÉLICERTE.

LYCARSIS.

Ne vous contraignez pas pour moi.

MÉLICERTE à part.

Quel sort fâcheux !

LYCARSIS.

Peste, mon petit fils, vous avez le coeur tendre.
Que vous en savez long ! de grâce, qui des deux
A l’autre en a pu tant apprendre ?
Eh sont-ce là vos petits jeux ?
Pour vous, dites-moi, je vous prie,
Ce vieux Savant, qu'Athènes exila,
Vous a-t-il donc dans sa Philosophie
Appris toutes ces choses-là ?
Et vous qui lui donnez de si douce manière
Votre main à baiser, la gentille Bergère,
L'honneur vous apprend-il, par ces belles douceurs,
A débaucher ainsi les jeunes cœurs?

[40]

MYRTIL.

Ah, quittez de ces mots l'outrageante bassesse,
Et finissez un discours qui la blesse.

LYCARSIS.

Je veux lui parler moi. Toutes ces amitiés...

MYRTIL.

À du respect pour vous la naissance m'engage,
Mais je ne puis souffrir un si sensible outrage,
Ni que vous la maltraitiez.
De grâce, ayez moins d’injustice,
Ou si, contre mes tendres vœux,
Vous lui dites encor le moindre mot fâcheux,
Je vais avec ce fer me chercher un supplice,
Et par mon sang versé lui marquer promptement
Le désaveu de votre emportement.

MÉLICERTE.

Non, non, ne croyez pas qu'avec art je l'enflamme,
Je puis vous assurer, s’il me veut quelque bien,
Que je ne l'y force en rien,
Et ne suis pas pour séduire son âme.
Ce n'est pas cependant que je veuille cacher
L’ardeur dont je n’ai pu ni voulu me défendre,
Ce Berger a su me toucher,
Il est aimable, et je suis tendre.
Je l'aime autant qu'on peut aimer :
Mais cela ne doit point du tout vous alarmer.
Je vous promets d'éviter sa présence,
De ne point m’opposer à son obéissance,
De faire place au choix où vous vous résoudrez,
Et ne le voir que quand vous le voudrez.
Adieu...

[41]

SCÈNE V.

LYCARSIS, MYRTIL.

MYRTIL

Votre âme est satisfaite ?
Mais apprenez qu’en vain vous vous réjouissez,
Et que malgré sa retraite,
Vous n’êtes pas encore où vous pensez,
Avec vos soins, avec votre puissance,
Vous ne gagnerez rien sur ma persévérance.

LYCARSIS

A quel orgueil vous vois-je aller ?
Qu’est-ce donc que je viens d’entendre ?
Ah ! je saurai bien vous apprendre,
Si c’est ainsi, fripon, que l’on me doit parler.

MYRTIL

Oui, j'ai tort, il est vrai, mon discours n'est pas sage ;
Mais mon Père, au nom des Dieux, excusez les transports de l’âge ;
Ayez pitié des pleurs qui coulent de mes yeux ;
Pour rentrer au devoir, je change de langage,
Le jour est un présent que j'ai reçu de vous ;
Mais, mon cher Père, hélas ! dans cette conjoncture
Vous pouvez m’en faire un plus doux,
Et ne vous point servir des droits de la nature.
Mélicerte fait mon bonheur.

[42]

L’aimer est ma plus forte envie,
Que d’un peu de pitié votre âme soit saisie ;
De grâce laissez-moi son coeur
Ou bien arrachez-moi la vie.

LYCARSIS à part

A sa douleur il me fait prendre part.
Ciel ! quels transports, quels discours pour son âge !
Qui l'aurait jamais cru de ce petit pendard?
Je sens que son amour m'engage.

MYRTIL

Voulez-vous me voir mourir?
Vous n'avez qu'à parler, je suis prêt d'obéir.

LYCARSIS à part

Il vient de m'arracher des larmes,

MYRTIL se jetant aux pieds de Lycarsis

Que si dans votre cœur un reste d'amitié,
Emeut un peu votre pitié,
Accordez, je vous supplie,
Cette naissante beauté
A mon amoureuse envie,
Et j’obtiendrai de vous bien plus que la clarté.

LYCARSIS

Oui, je sens que pour toi la pitié me convie.
Lève-toi.

MYRTIL

Serez-vous sensible à mes soupirs?

LYCARSIS

Oui.

MYRTIL

J'obtiendrai de vous l'objet de mes désirs.

LYCARSIS

Oui.

MYRTIL

Vous ferez que son oncle l'oblige
À me donner la main?

[43]

LYCARSIS

Oui, lève-toi, te dis-je.

MYRTIL

Que je baise vos mains après tant de bonté !

LYCARSIS regardant Myrtil.

Ah, que pour ses enfants un père a de faiblesse!

MYRTIL

Vous êtes le meilleur qui jamais ait été.

LYCARSIS

Peut-on manauer de tendresse,
Quand des mouvements si doux,
Nous font ressouvenir que cela sort de nous?
Etrange effet de la nature !
Je vais voir Mopse, et lui faire ouverture
De l'amour que sa Nièce, et toi, vous vous portez.

MYRTIL

Quelle bonne nouvelle à dire à Mélicerte !
Qu’elle sera sensible à vos bontés !
Je n'accepterais pas une Couronne offerte,
Pour le plaisir que j'ai de courir lui porter,
Ce merveilleux succès qui doit la contenter.

SCÈNE VI.

TYRÈNE, MÉNALQUE, MYRTIL.

TYRÈNE

Ah! Myrtil, vous avez des charmes,
Dont le naissant éclat fatal à nos ardeurs,
Prépare à nos tendres coeurs,
De tristes sujets de larmes.

[44]

MÉNALQUE

De larmes ? bon pour toi, mais pour moi, je m’en ris.
Que Daphné soit douce, ou cruelle,
Qu’à ce jeune Berger elle donne le prix
Que méritait mon coeur tendre et fidèle,
Pour moi, je m’en soucie autant que de cela ;
Elle ne m’aime pas, je la planterai là,
Et j’en rirai même avec elle.
Vouloir être Amant constant,
Je tiens que c’est pure sottise,
Quand une belle vous méprise,
Berger, il en faut faire autant.
Ecoute-moi. Jadis défunt mon père
Aima bien jadis feu ma mère,
Il brûlait pour ses doux appas,
Et ma mère ne l’aimait pas.
Que fit mon père ? Il fit en homme sage,
Il fit semblant de s’engager ailleurs,
Il disait de ma mère et la peste, et la arge.
Oh c’était là le vrai moyen,
De changer son humeur sauvage ;
Aussi s’aperçut-elle bien
Qu’elle ne tenait plus rien.
Alors elle devint moins farouche et cruelle.
Mon père, pour se mieux venger,
Tout exprès fit devant elle
Sa cour à quelque autre belle,
(Ce qui la fit bien enrager)
A la fin ma défunte mère
Eut l’amour que pour elle avait défunt mon père,
Et l’hymen les ayant unis...
Elle fut grosse, et mit au monde un fils.
Vois là-dessus ce que doit faire

[45]

Un Amant qui se voit des belles rebuté.
Les femmes n’ont ma foi pas plus de cruauté
Qu’en eut à la fin ma mère ;
Mais parlons ici d’autre affaire.
Myrtil, tu vois comme il est maltraité,
Ne plains-tu pas ce misérable ?
Il est quasi désespéré.
De mépris sa Nymphe l’accable ;
Vois comme il est défiguré.
Ce n’est plus ce Berger allègre,
Qui faisait l’âme des repas,
Il est tout pâle, il est tout maigre,
Vive l’amour quand il est gras.

TYRÈNE

Peut-on savoir, Myrtil, vers qui de ces deux belles
Pourra tourner le choix de votre coeur ?

MYRTIL

Quittez ces frayeurs mortelles.
Je ne troublerai point votre amoureuse ardeur.
Pour Mélicerte je soupire,
Et c’est cet objet tout charmant
Qui fait le bonheur où j’aspire.

TYRÈNE
Est-il bien vrai, Myrtil ? ah quel ravissement !
Vous n’aimez point mon aimable Eroxène.

MYRTIL
Non, trop malheureux Tyrène,
Croyez que je vous parle ici sincèrement.

[46]

SCÈNE VII.

TYRÈNE, MÉNALQUE, MYRTIL, CORINNE.

CORINNE

Savez-vous en quel lieu Mélicerte est cachée?

MYRTIL

Et pourquoi ? de quel soin votre esprit agité...

CORINNE

En diligence elle est partout cherchée,
Et nous allons perdre cette beauté.
Amasis s’est pour elle en ces lieux transporté,
On dit même qu'il la marie.

MYRTIL.

Ô Ciel, expliquez-moi ce discours, je vous prie.

CORINNE

Ce sont des incidents grands et mystérieux:
Ce Roi vient pour elle en ces lieux;
Car autrefois feu Bélise sa mère,
Dont on croyait Mopse le frère...
Mais en causant ici je ne la cherche pas,
Et je me fais attendre à ce que j’imagine.
Tantôt je reviendrai vous tirer d’embarras
Adieu, jusqu’au revoir.

MYRTIL

Eh, Corinne, Corinne.

[47]

SCÈNE VII.

TYRÈNE, MÉNALQUE, SYLVANDRE

TYRÈNE
Allons, Berger, suivons aussi leurs pas.

SYLVANDRE chantant derrière le Théâtre.

Quand une belle est inconstante,
Amants, consolez-vous.

MÉNALQUE

C’est Sylvandre qui chante.

TYRÈNE

Oui, c’est lui-même ; il vient à nous.

SYLVANDRE ivre.

Bonjour, Bergers.

MÉNALQUE

L’agréable Sylvandre
Nous faisait plaisir à l’entendre.
Jamais triste, toujours content,
Toujours dansant, toujours chantant.

SYLVANDRE

Toujours buvant, amis, c’est le plus nécessaire,
Bacchus fait mon plus doux destin.
Il chante les deux vers suivants.

Avant que de chanter une belle Bergère
Je veux toujours chanter le vin.

Il boit après avoir chanté.

[48]

MÉNALQUE

Mais à propos, Sylvandre le volage,
Aujourd’hui, sans Cloris, peut chanter dans ces bois.

SYLVANDRE

J’aime deux belles à la fois :
Cloris pour sa douce vois,
Une autre pour son beau visage.
L’inconstance est mon partage,
Et mes plaisirs en sont plus doux.

TYRÈNE

Sylvandre sait-il, comme nous,
Qu’Amasis est dans ce Bocage ?

SYLVANDRE

Qu’il s’y tienne.

TYRÈNE

Comment ? quelle extrême froideur ?

SYLVANDRE

Je ne puis l’y voir de bon coeur.
J’aimais secrètement la jeune Mélicerte,
Il la marie...

MÉNALQUE

Eh bien ?

SYLVANDRE

Il peut la marier.

Il chante les deux vers suivants.

Je saurai réparer ma perte,
C’est une ingrate, et je veux l’oublier.

Il boit après avoir chanté.

MÉNALQUE

C’est le parti que nous avons à prendre :
Mais c’est trop s’arrêter ; jusqu’au revoir, Sylvandre.

Fin du second Acte.

[49]

SECOND INTERMÈDE

SYLVANDRE, CLORIS

SYLVANDRE

Viens de venger, Dieu de la treille.
Cloris surprend Sylvandre en buvant.

CLORIS

C’est donc ainsi que tu penses à moi ?

SYLVANDRE

Tu m’y surprends, Cloris ; mais tiens, de bonne foi ;
Je disais à ma bouteille
Mille douceurs qui n’étaient que pour toi.

CLORIS

Tu n’as de l’amour que pour elle,
Et je sais que Bacchus fait ton plus doux destin.

SYLVANDRE

Pour s’enivrer soir et matin,
On n’en est pas moins fidèle,
Et les yeux d’un Amant animé par le vin,
Font trouver quelquefois la Maîtresse plus belle.

CLORIS

Quand nous chantons ensemble dans ces bois,
Ne me trouves-tu pas charmante ?
Dis, Sylvandre ?

SYLVANDRE

Oui da, et ta voix est engageante ;
Mais un Satyre quelquefois
N’est pas toujours d’humeur si patiente,
Pour se contenter de la voix.

[50]

CLORIS

Les plaisirs les plus doux deviendront ton partage,
Si tu veux vivre sous ma loi ;
Mais pour avoir cet avantage,
Il faut aussi n’aimer que moi.

SYLVANDRE

J’aime tout de bon, Cloris, tu me peux croire,
Et je te donne ici ma foi,
Que quand je ne pourrai plus boire,
Je reviendrai toujours à toi.

CLORIS

Je ne veux point de ce partage.
Si c’est ainsi, n’en parlons plus,
Ou si tu veux m’aimer, il faut quitter Bacchus.

SYLVANDRE

Quitter Bacchus ? ah quel langage ?
Tiens, ma pauvre Cloris, je connais mon humeur,
Je n’aurais jamais ce courage.

CLORIS s’en allant.

Va, je saurai garder mon coeur.

SYLVANDRE

Et moi le mien. S’il a quelque tendresse,
C’est pour l’aimable Dieu du vin.
Il boit.
Lorsque je perds une Maîtresse,
C’est ainsi que j’ai du chagrin,
Jouissons d’un repos tranquille.
Amour, toi qui brillais autrefois dans mes yeux,
C’est à Bacchus d’y trouver un asile.
C’est au sommell de régner en ces lieux.

Sylvandre accablé de vin et de sommeil se couche sur un lit de gazon. Pendant qu’il dort sept autres Satyres entrent sur la Scène.

[51]

ENTRÉE DE SATYRES

UN SATYREchante en tourmentant Sylvandre.

Pour voir la Fête qu’on prépare
Sylvandre est si peu curieux ?
Nos Bergers forment des jeux,
Chaque Bergère se pare.
Allons, Sylvandre, ouvre les yeux.

Sylvandre à demi-endormi, croyant que c’est une Bergère qui le caresse, dit au Satyre.

SYLVANDRE

Laisse-moi là, Cloris, va je ne suis plus tendre.

LE SATYRE, le tourmentant toujours.

Connais ton aveuglement.

Le Satyre réveillant avec violence Sylvandre, et Sylvandre l’apercevant, il chante.

Quels difformes attraits, Cloris, quel changement ?.

LE SATYRE

Reprends ta raison, Sylvandre.

SYLVANDRE

Et comment la reprendre ?
Quand l’amour dans un coeur a glissé son poison,
Et que Bacchus vient me surprendre,
Tu veux me parler de raison,
Et comment la reprendre ?

Ils chantent ensemble en se versant du vin l’un à l’autre.

[52]

Coulons tranquillement le reste de nos jours,
Faisons-nous une douce vie :
C’est être sages toujours,
De faire choix d’une heureuse folie.

Les deux Satyres versent du vin aux autres qui dansent une Entrée grotesque, et deux entre autres plus animés des fureurs du vin, expriment par leurs pas tous ce que cette passion peut produire sur nous.

LE SATYRE

Pour voir les jeux que l’on apprête,
Marchons sans différer.

SYLVANDRE

Oui, je suis assez gai pour danser à la Fête
Que nos Bergers vont célébrer.

[53]

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.
LYCARSIS, MOPSE.

MOPSE

Nul ne peut nous entendre, et nous voilà tous deux :
Il n’est plus question de garder le silence.
Ça, quel est donc ce secret d’importance ?

LYCARSIS

A force de jouer à mille petits jeux,
Myrtil, et ta charmante Nièce,
Ressentent de l’amour les plus aimables feux :
Tu sais qu’il l’appelait sa petite Maîtresse,
Elle l’appelait Myrtil son petit amoureux,
Avec plaisir il se voyaient tous deux,
Ils badinaient alors, ce n’était que jeunesse,
L’amour s’est mêlé de leurs jeux,
Et ce n’est plus un badinage !
Myrtil soupire tout de bon ;
Ma foi, sans faire de façon,
Mopse, crois-moi, faisons ce mariage.
Les voilà tous les deux dans leur belle saison,
Ils feront, que je pense, un bon petit ménage.

[54]

MOPSE

Tu n’y penses pas, Lycarsis,
Et tu n’es pas là-dessus raisonnable.
Il est vrai, j’en conviens, Myrtil est très aimable ;
Mais ma Nièce ne peut être unie à ton fils.

LYCARSIS

Et par quelle raison ? feu Bélise sa mère
N’était pas plus noble que nous.
Elle était simple Bergère,
Et toi qui fus jadis son frère,
Toi, Berger, nous le sommes tous.

MOPSE

Mais si cette aimable Nièce,
Qu’à Myrtil je ne veux, ni ne puis accorder
Etait une grande Princesse,
Que dirait Lycarsis ?




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