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Mayolas, Lettre en vers à S. A. Madame la Duchesse de Nemours du 21 juin 1665
- Le ROI, dont la magnificence
- Égale la haute puissance,
- Désirant agréablement
- Donner un divertissement
- À la REINE, que son coeur aime
- Aussi tendrement que lui-même,
- Choisissant le plus bel endroit,
- Dit qu’à Versailles on irait.
- Au bout de la plus longue allée,
- De feuillages épais voilée,
- Près du parterre aimable et beau,
- Devant la porte du Château,
- Il fit élever un Théâtre,
- Suivi de maint Amphithéâtre,
- Embelli de cent agréments,
- Paré de divers ornements,
- D’Architectures, de portiques,
- De perspectives magnifiques :
- Des espaliers avec des fleurs
- De toutes sortes de couleurs,
- Dans des vases de porcelaine,
- Pour mieux faire éclater la Scène.
- Les plus grands Seigneurs de la Cour,
- Avec les Dames, tour à tour,
- Dans le petit Parc se trouvèrent,
- Et quelque temps s’y promenèrent.
- L’importune et grande chaleur
- Cédant la place à la fraîcheur,
- Ainsi que Phébus aux étoiles,
- La nuit tendit ses sombres voiles,
- Mais, pour chasser l’obscurité,
- Des lumières en quantité
- (Dont quatre mille était le nombre),
- Dissipèrent tout à fait l’ombre.
- Le ROI, brillant comme un Soleil,
- De même que lui sans pareil,
- En habit plein de pierreries,
- De galants et de broderies,
- D’un air qui n’eut jamais d’égal,
- Avec la REINE ouvrit le Bal.
- En une semblable justesse,
- Ils dansaient avec tant d’adresse
- Que leurs mouvements et leurs pas
- Semblaient être faits au compas.
- Ensuite, MONSIEUR et MADAME,
- Animés d’une égale flamme,
- Secondèrent Sa MAJESTE
- Avec beaucoup d’agilité,
- Et tous les Seigneurs et les Belles,
- Tachant d’imiter ces Modèles,
- En un superbe vêtement,
- Dansèrent aussi galamment.
- Après le Bal, la Comédie
- Divertit bien la Compagnie,
- Ouvrage parfait et chéri,
- Intitulé le FAVORI,
- Composé de la main savante
- De cette Personne charmante, [Mademois. Desjardins.]
- Qui dans un beau corps féminin
- Enferme un esprit masculin.
- La Pièce était entrecoupée
- De mainte joviale Entrée
- De Ballet, d’un habile Auteur [Le Sr Molière.]
- Qui représente et qui compose
- Egalement bien Vers et Prose.
- Pendant ces divertissements,
- Si doux, si gais et si galants,
- On ouït de l’aimable HILAIRE
- La voix mélancolique et claire,
- Qui flattait l’oreille et le cœur
- Du plus délicat Auditeur ;
- Les instruments et la musique,
- Dont le Maître scientifique [Le Sr Lulli]
- Compose des airs ravissants,
- Répondait à ses doux accents,
- De VIGARANI les Machines,
- Paraissaient des pièces divines,
- Et cet excellent Ingénieur
- Eut de la gloire et du bonheur
- D’avoir suivi, par son adresse,
- Avec tant de délicatesse,
- Les ordres et le beau dessein
- De notre puissant SOUVERAIN.
- Après ces choses surprenantes,
- Pompeuses et divertissantes,
- Qui ravissaient l’oeil et l’esprit,
- Tous ayant fort bon appétit,
- Le ROI, de sa main agréable
- Mena la REINE incomparable
- Dans le labyrinthe du bois,
- Où quatre Tables, à la fois
- Parurent, en des formes rondes,
- Pour ces Personnes sans secondes ; [Le Roi, La Reine, Monsieur, Madame.]
- Et l’on les sut si bien ranger
- Que chacun voulut les manger.
- Par l’éclat de quatre rangées
- De brillants lustres éclairées
- On se distinguait, je vous dis,
- À minuit comme en plain midi.
- On y servit tant de viandes,
- Et si rares et si friandes,
- Qu’à la Table même des Dieux
- On n’eût pu jamais être mieux,
- Tant pour les ragoûts agréables
- Que pour les liqueurs délectables,
- Dont la grande profusion
- Passe toute description ;
- Si je voulais ici la mettre,
- J’en remplirais toute ma lettre.
- Les Pages du ROI proprement
- Les servaient, et fort promptement.
- Au même temps, à la même heure,
- Dans cette Royale demeure,
- Trois autres Tables pour Seigneurs
- Ducs, Maréchaux et Gouverneurs,
- De quarante couverts chacune,
- Dans cette Régale commune,
- Furent servies amplement
- Et toutes magnifiquement.
- Violons, Hautbois et Musique,
- Pendant ce Festin Angélique,
- Ajoutant le comble charmant
- A ce grand divertissement,
- Avec le grand jour attirèrent,
- Ou, pour mieux dire, réveillèrent
- Les Rossignols du fonds des bois,
- Qui mêlaient leur chant à leurs voix.
- La grâce et la galanterie,
- L’abondance avec l’industrie,
- Firent connaître, sur ma foi,
- Que tout était digne d’un ROI.
- Après cette Fête si gaie,
- On fut à Saint-Germain-en-Laye
- Pour prendre, sans doute, à propos,
- Du sommeil, l’aimable repos ;
- Et le Père de la Lumière
- S’étant caché dans la Rivière,
- Soit par dépit ou par raison,
- Parut lors sur notre horizon.
(Extrait fourni par Luke Arnason)
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