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Macette
Mathurin REGNIER, "Satire XIII : Macette ou l'Hypocrisie déconcertée", Les Satires et oeuvres du sieur Régnier, revues et augmentées de nouveau, 1613,
- (Les Satires et autres oeuvres du sieur Régnier : augmenté de diverses pièces ci-devant non imprimées, Rouen, L. Billaine, 1667, p. 96-105)
Cette satire établit pour tout le XVIIe siècle le stéréotype de la dévotion hypocrite, que Molière reprend dans Le Tartuffe.
- La fameuse Macette à la cour si connue,
- Qui s'est aux lieux d'honneur en crédit maintenue,
- Et qui, depuis dix ans jusqu'en ses derniers jours,
- A soutenu le prix en l'escrime d'amours ;
- Lasse enfin de servir au peuple de quintaine,
- N'étant passe-volant, soldat, ni capitaine,
- Depuis les plus chétifs jusques aux plus fendants,
- Qu'elle n'ait déconfit et mis dessus les dents ;
- Lasse, dis-je, et non soûle, enfin s'est retirée,
- Et n'a plus d'autre objet que la voûte éthérée.
- Elle qui n'eut, avant que pleurer son délit,
- Autre ciel pour objet que le ciel de son lit,
- A changé de courage, et, confite en détresse,
- Imite avec ses pleurs la sainte pécheresse ;
- Donnant des saintes lois à son affection,
- Elle a mis son amour à la dévotion.
- Sans art elle s'habille; et, simple en contenance.
- Son teint mortifié prêche la continence.
- Clergesse elle fait jà la leçon aux prêcheurs :
- Elle lit saint Bernard, la Guide des Pécheurs,
- Les Méditations de la mère Thérèse;
- Sait que c'est qu'hypostase avecque syndérèse ;
- Jour et nuit elle va de couvent en couvent ;
- Visite les saints lieux, se confesse souvent,
- A des cas réservés grandes intelligences ;
- Sait du nom de Jésus toutes les indulgences ;
- Que valent chapelets, grains bénits enfilés,
- Et l'ordre du cordon des pères Récollets.
- Loin du monde elle fait sa demeure et son gîte,
- Son œil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite.
- Enfin , c'est un exemple, en ce siècle tortu,
- D'amour, de charité , d'honneur et de vertu.
- Pour béate partout le peuple la renomme ;
- Et la gazette même a déjà dit à Rome,
- La voyant aimer Dieu, et la chair maîtriser,
- Qu'on n'attend que sa mort pour la canoniser.
- Moi-même, qui ne croîs de léger aux merveilles,
- Qui reproche souvent mes yeux et mes oreilles,
- La voyant si changée en un temps si subit,
- Je crus qu'elle l'était d'âme comme d'habit ;
- Que Dieu la retirait d'une faute si grande ;
- Et disais à part moi : Mal vit qui ne s'amende.
- Jà déjà tout dévot, contrit et pénitent,
- J'étais jà son exemple, ému d'en faire autant:
- Quand, par arrêt du ciel, qui hait l'hypocrisie,
- Au logis d'une fille, où j'ai ma fantaisie,
- Cette vieille chouette , à pas lents et posés ,
- La parole modeste, et les yeux composés,
- Entra par révérence; et, resserrant la bouche,
- Timide en son respect, semblait Sainte Nitouche,
- D un Ave Maria, lui donnant le bon jour,
- Et de propos communs , bien éloignés d'amour,
- Entretenait la belle, en qui j'ai la pensée
- D'un doux imaginer si doucement blessée,
- Qu'aimant j^t bien aimés, en nos doux passe-temps ,
- Nous rendons en amour jaloux les plus contents.
- Enfin, comme en caquet ce vieux sexe fourmille
- De propos en propos, et de fil en aiguille,
- Se laissant emporter au flux de ses discours
- Je pense qu'il fallait que le mal eût son cours.
- Feignant de m'en aller, d'aguet je me recule,
- Pour voir à quelle fin tendait son préambule ;
- Moi qui, voyant son port si plein de sainteté,
- Pour mourir , d'aucun mal ne me fusse douté.
- Enfin , me tapissant au recoin d'une porte,
- J'entendis son propos, qui fut de cette sorte :
- Ma fille, Dieu vous garde et vous veuille bénir !
- Si je vous veux du mal, qu'il me puisse advenir!
- Qu'eussiez-vous tout le bien dont le ciel vous est chiche !
- L'ayant je n'en serais plus pauvre, ni plus riche:
- Car n'étant plus du monde, au bien je ne prétends;
- Ou bien si j'en désire, en l'autre je l'attends ;
- D'autre chose ici-bas le bon Dieu je ne prie.
- A propos, savez-vous ? on dit qu'on vous marie.
- Je sais bien votre cas : un homme grand ,adroit.
- Riche, et Dieu sait s'il a tout ce qu'il vous faudrait.
- 11 vous aime si fort! Aussi pourquoi, ma fille,
- Ne vous aimerait-il ? Vous êtes si gentille,
- Si mignonne et si belle, et d'un regard si doux,
- Que la beauté plus grande est laide auprès de vous.
- Mais tout ne répond pas au trait de ce visage,
- Plus vermeil qu'une rose, et plus beau qu'un rivage.
- Vous devriez, étant belle, avoir de beaux habits,
- Eclater de satin , de perles, de rubis.
- Le grand regret que j'ai! non pas,à Dieu ne plaise,
- Que j'en ai de vous voir belle et bien à votre aise:
- Mais pour moi je voudrais que vous eussiez au moins
- Ce qui peut en amour satisfaire à vos soins ;
- Que ceci lût de soie et non pas d'étamine.
- Ma foi les beaux habits servent bien à la mine.
- On a beau s'agencer, et faire les doux yeux ,
- Quand on est bien parée, on en est toujours mieux:
- Mais, sans avoir du bien, que sert la renommée ?
- C est une vanité confusément semée
- Dans l'esprit des humains , un mal d'opinion,
- Un faux germe, avorté dans notre affection ;
- Ces vieux contes d'honneur dont on repaît les dames
- Ne sont que des appâts pour les débiles âmes ,
- Qui, sans choix de raison, ont le cerveau perclus.
- L'honneur est un vieux saint que l'on ne chôme plus.
- Il ne sert plus de rien, sinon d'un peu d'excuse,
- Et de sot entretien pour ceux-là qu'on amuse ,
- Ou d'honnête refus , quand on ne veut aimer.
- Il est bon en discours pour se faire estimer :
- Mais au fond c'est abus, sans excepter personne.
- La sage se sait vendre, où la sotte se donne.
- Ma fille, c'est par-là qu'il vous en faut avoir.
- Nos biens, comme nos maux, sont en notre pouvoir.
- Fille qui sait son monde a saison opportune.
- Chacun est artisan de sa bonne fortune.
- Le malheur, par conduite, au bonheur cédera.
- Aidez-vous seulement, et Dieu vous aidera.
- Combien, pour avoir mis leur honneur en sequestre,
- Ont-elles en velours échangé leur Limestre,
- Et dans les plus hauts rangs élevé leurs maris !
- Ma fille, c'est ainsi que l'on vit à Paris ;
- Et la veuve, aussi bien comme la mariée :
- Celle est chaste, sans plus, qui n'en est point priée.
- Toutes? au fait d'amour, se chaussent en un point:
- Jeanne que vous voyez dont on ne parle point,
- Qui fait si doucement la simple et la discrète,
- Elle n'est pas plus sage,ains elle est plus secrète;
- Elle a plus de respect, non moins de passion,
- Et cache ses amours sous sa discrétion.
- Moi-même, croiriez-vous, pour être plus âgée,
- Que ma part, comme on dit, en fût déjà mangée ?
- Non, ma foi ; je me sens et dedans et dehors ,
- Et mon bas peut encore user deux ou trois corps.
- Mais chaque âge a son temps. Selon le drap la robe.
- Ce qu'un temps on a trop, en l'autre on le dérobe.
- Étant jeune , j'ai su bien user des plaisirs:
- Ores j'ai d'autres soins en semblables désirs.
- Je veux passer mon temps et couvrir le mystère.
- On trouve bien la cour dedans un monastère ;
- Et, après maint essai, enfin j'ai reconnu
- Qu'un homme comme un autre est un moine tout nu.
- Puis outre le saint vœu , qui sert de couverture ,
- Ils sont trop obligés au secret de nature,
- Et savent, plus discrets, apporter en aimant,
- Avecque moins d'éclat, plus de contentement.
- C'est pourquoi, déguisant les bouillons de mon âme,
- D'un long habit de cendre enveloppant ma flamme,
- Je cache mon dessein aux plaisirs adonné.
- Le péché que l'on cache est demi-pardonné.
- La faute seulement ne gît en la défense.
- Le scandale, l'opprobre, est cause de l'offense.
- Pourvu qu'on ne le sache, il n'importe comment.
- Qui peut dire que non, ne pèche nullement.
- Puis la bonté du ciel nos offenses surpasse.
- Pourvu qu'on se confesse, on a toujours sa grâce.
- Il donne quelque chose à notre passion ;
- Et qui, jeune, n'a pas grande dévotion,
- Il faut que, pour le monde, à la feindre il s'exerce.
- C'est entre les dévots un étrange commerce,
- Un trafic par lequel, au joli temps qui court,
- Toute affaire fâcheuse est facile à la cour.
- Je sais bien que votre âge,encore jeune et tendre,
- Ne peut,ainsi que moi,ces mystères comprendre :
- Mais vous devriez,ma fille, en l'âge où je vous vois,
- Être riche, contente, avoir fort bien de quoi ;
- Et, pompeuse en habits, fine, accorte et rusée ,
- Reluire de joyaux , ainsi qu'une épousée.
- Il faut faire vertu de la nécessité.
- Qui sait vivre ici-bas n'a jamais pauvreté.
- Puisqu'elle vous défend des dorures l'usage ,
- Il faut que les brillants soient en votre visage ;
- Que votre bonne grâce en acquière pour vous.
- Se voir du bien,ma fille,il n'est rien de si doux.
- S'enrichir de bonne heure est une grau d sagesse.
- Tout chemin d'acquérir se ferme à la vieillesse,
- A qui ne reste rien , avec la pauvreté,
- Qu'un regret épineux d'avoir jadis été.
- Où, lorsqu'on a du bien , il n'est si décrépite,
- Qui ne trouve, en donnant, couvercle à sa marmite.
- Non, non, faites l'amour, et vendez aux amants
- Vos accueils, vos baisers et vos embrasements.
- C'est gloire,et non pas honte,en cette douce peine,
- Des acquêts de son lit accroître son domaine.
- Vendez ces doux regards, ces attraits, ces appas :
- Vous-même vendez-vous, mais ne vous livrez pas.
- Conservez-vous l'esprit; gardez votre franchise ;
- Prenez tout, s'il se peut; ne soyez jamais prise.
- Celle qui par amour s'engage en ces malheurs,
- Pour un petit plaisir, a cent mille douleurs.
- Puis un homme au déduit ne Vous peut satisfaire ;
- Et:quand, plus vigoureux,il le pourrait bien faire,
- Il faut tondre sur tout, et changer à l'instant.
- L'envie en est bien moindre,et le gain plus comptant.
- Surtout soyez de vous la maîtresse et la dame.
- Faites, s'il est possible, un miroir de votre âme,
- Qui reçoit tous objets, et tout content les perd ;
- Fuyez ce qui vous nuit, aimez ce qui vous sert.
- Faites profit de tout, et même de vos pertes.
- A prendre sagement ayez les mains ouvertes ;
- Ne faites, s'il se peut, jamais présent ni don ,
- Si ce n'est d'un chabot pour avoir un gardon.
- Parfois on peut donner pour les galants attraire.
- A ces petits présents je ne suis pas contraire ,
- Pourvu que ce ne soit que pour les amorcer.
- Les fines, en donnant, se doivent efforcer
- A faire que l'esprit, et que la gentillesse1
- Fasse estimer les dons, et non pas la richesse.
- Pour vous, estimez plus qui plus vous donnera.
- Vous gouvernant ainsi, Dieu vous assistera.
- Au reste, n'épargnez ni Gaultier, ni Garguille.
- Qui se trouvera pris, je vous prie qu'on 1 étrille.
- 11 n'est que d'en avoir : le bien est toujours bien.
- Et ne vous doit chaloir ni de qui, ni combien :
- Prenez à toutes mains, ma fille, et vous souvienne
- Que le gain a bon goût, de quelque endroit qu'il tienne.
- Estimez vos amants selon le revenu:
- Qui donnera le plus, qu'il soit le mieux venu.
- Laissez la mise à part ; prenez garde à la somme.
- Riche vilain vaut mieux que pauvre gentilhomme.
- Je ne juge, pour moi, les gens sur ce qu'ils sont,
- Mais selon le profit et le bien qu'ils me font.
- Quand l'argent est mêlé,l'on ne peut reconnaît»
- Celui du serviteur d'avec celui du maître.
- L'argent d'un cordon-bleu n'est pas d'autre façon
- Que celui d'un fripier, ou d'un aide à maçon.
- Que le plus et le moins y mette différence ,
- Et tienne seulement la partie en souffrance,
- Que vous rétablirez du jour au lendemain ;
- Et toujours retenez le bon bout à la main :
- De crainte que le temps ne détruise l'affaire,
- Il faut suivre de près le bien que l'on diffère,
- Et ne le différer qu'en tant que l'on le peut
- Aisément rétablir aussitôt qu'on le veut.
- Tous ces beaux suffisants dont la cour est semée
- Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée.
- Ils sont beaux, bien peignés, belle barbe au mouton :
- Mais quand il faut payer, au diantre le teston ;
- Fit faisant des mourants, et de l'âme saisie,
- Ils croient qu'on leur doit pour rien la courtoisie.
- Mais c'est pour leur beau nez. Le puits n'est pas commun :
- Si j'en avais un cent, ils n'en auraient pas un.
- Et ce poète crotté,avec sa mine austère,
- Vous diriez à le voir que c'est un secrétaire.
- Il va mélancolique, et les yeux abaissés,
- Comme un sire qui plaint ses parents trépasses.
- Mais Dieu sait, c'est un homme aussi bien que les autres.
- Jamais on ne lui voit aux mains des patenôtres.
- Il hante en mauvais lieux : gardez-vous de cela ;
- Non, si j'étais de vous, je le planterais-!à.
- Et bien, il parle livre; il aie mot pour rire:
- Mais au reste, après tout, c'est un homme à satire.
- Vous croiriez à le voir qu'il vous dût adorer.
- Gardez, il ne faut rien pour vous déshonorer.
- Ces hommes médisants ont le feu sous la lèvre ;
- Ils sont matelineurs, prompts à prendre la chèvre,
- Et tournent leurs humeurs en bizarres façons ;
- Puis, ils ne donnent rien, si ce n'est des chansons.
- Mais non, ma fille, non: qui veut vivre à son aise,
- Il ne faut simplement un ami qui vous plaise,
- Mais qui puisse au plaisir joindre l'utilité.
- En amours, autrement, c'est imbécillité.
- Qui le fait à crédit n'a pas grande ressource :
- On y fait des amis, mais peu d'argent en bourse.
- Prenez-moi ces abbés , ces fils de financiers ,
- Dont, depuis cinquante ans, les pères usuriers,
- Volant à toutes mains, ont nus en leur famille
- Plus d'argent que le roi n'en a dans la Bastille.
- C'est là que votre main peut faire de beaux coups.
- Je sais de ces gens-là qui languissent pour vous :
- Car étant ainsi jeune , en vos beautés parfaites ,
- Vous ne pouvez savoir tous les coups que vous faites ;
- Et les traits de vos yeux haut et bas élancés,
- Belle, ne voient pas tous ceux que vous blessez.
- Tel s'en vient plaindre à moi, qui n'ose le vous dire:
- Et tel vous rit de jour, qui toute nuit soupire,
- Et se plaint de son mal, d'autant plus véhément,
- Que vos yeux sans dessein le font innocemment.
- En amour l'innocence est un savant mystère ,
- Pourvu que ce ne soit une innocence austère,
- Mais qui sache,par art,donnant vie et trépas,
- Feindre avecque douceur qu'elle ne le sait pas.
- Il faut aider ainsi la beauté naturelle.
- L'innocence autrement est vertu criminelle ,
- Avec elle il nous faut et blesser et guérir.
- Et parmi les plaisirs faire vivre et mourir.
- Formez-vous des desseins dignes de vos mérites.
- Toutes basses amours sont pour vous trop petites.
- Ayez dessein aux dieux: pour de moindres beautés,
- Ils ont laissé jadis les cieux déshabités.
- Durant tous ces discours, Dieu sait l'impatience !
- Mais comme elle a toujours l'œil à la défiance,
- Tournant deçà delà vers la porte où j'étais ,
- Elle vit en sursaut comme je l'écoutais.
- Elle trousse bagage ; et faisant la gentille:
- Je vous verrai demain; adieu, bon soir, ma fille.
- Ha ! vieille, dis-je lors, qu'en mon cœur je maudis,
- Est-ce là le chemin pour gagner paradis?
- Dieu te doit pour guerdon de tes œuvres si saintes,
- Que soient avant ta mort tes prunelles éteintes ;
- Ta maison découverte, et sans feu tout l'hiver,
- Avecque tes voisins jour et nuit étriver ;
- Et traîner, sans confort, triste et désespérée,
- Une pauvre vieillesse, et toujours altérée !
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