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Loret, La Muse historique, Lettre XLVI du samedi 19 novembre 1661
Lettre XLVI, du samedi 19 novembre 1661, « Crue ».
-Loret parle de la représentation des Fâcheux.
- Les Fâcheux, ce nouveau Poème,
- Qui par sa gentillesse extrême
- Charma si fort, ces jours passés,
- À la Cour tous les mieux sensés,
- Dans Paris, maintenant se joue :
- Et, certes, tout le monde avoue
- Qu’entre les Pièces d’à présent,
- On ne voit rien de si plaisant ;
- Celle-ci, sans doute, est si belle,
- Que l’on dit beaucoup de bien d’elle,
- Et, selon les beaux jugements,
- Elle a quantité d’agréments :
- Elle paraît assez pudique,
- Et, pourtant, elle est si publique,
- Que bien des Gens vont sans mentir,
- Avec elle se divertir ;
- Afin de la voir avec joie,
- On ne plaint argent, ni monnaie,
- Car sans distinction d’humains,
- Elle en reçoit de toutes mains :
- Elle fait, toutefois, la grâce
- À plusieurs Messieurs du Parnasse,
- En contentant leurs appétits,
- De leur faire plaisir, gratis.
- Outre qu’elle est belle, elle est bonne,
- Car à ses Amants elle donne
- (Outre ses naturels appas)
- Non collations, ni repas,
- Mais Ballet, Violons, Musique,
- Afin d’avoir grande pratique ;
- Et pour rendre encor plus de Gens
- À la visiter diligents,
- Comme elle est fine entre les fines,
- Elle fait jouer des machines.
- Mais pour ne plus, en ce moment
- Parler allégoriquement,
- Le sieur Molière [Molier],dont cette Pièce
- Est la Fille, et non pas la Nièce,
- A quantité d’admirateurs ;
- Ses Camarades, les Acteurs,
- Ayant des Personnages drôles,
- Y font, des mieux, valoir leurs Rôles,
- Et les Femmes, mêmement, car
- L’agréable Nymphe Béjart [Bejar]
- Quittant sa pompeuse Coquille,
- Y joue en admirable Fille.
- La Brie a des charmes vainqueurs
- Qui plaisent à très bien des cœurs.
- La Du Parc, cette belle Actrice,
- Avec son port d’Impératrice,
- Soit en récitant, ou dansant,
- N’a rien qui ne soit ravissant ;
- Et comme sa taille et sa tête
- Lui font mainte et mainte conquête,
- Mille soupirants sont témoins
- Que ses beaux pas n’en font pas moins.
- Enfin, pour abréger matière,
- Cette Pièce assez singulière,
- Et d’un air assez jovial,
- Se fait voir au Palais Royal,
- Non pas par la Troupe Royale,
- Mais par la Troupe Joviale
- De Monsieur le Duc d’Orléans,
- Qui les a colloqués céans.
(Texte saisi par David Chataignier à partir du Tome III (années 1659-62) de l'édition de Ch.-L. Livet de 1878, Paris, Daffis éditeur).
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