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Lire dans les yeux


« J'ai mes secrets aussi bien que notre astrologue, dont la princesse Aristione est entêtée; s'il a la science de lire dans les astres la fortune des hommes, j'ai celle de lire dans les yeux le nom des personnes qu'on aime. Tenez-vous un peu, et ouvrez les yeux. »
Les Amants magnifiques, acte I, scène 1.

Se superposent ici un lieu commun mondain nourri par une interrogation sur la lecture de la physionomie et des allusions à une science occulte.

Les yeux sont en effet, depuis au moins la Fisionomia dell’huomo (1586) de Giambattista Della Porta (1), dont les thèses sont diffusées dans les milieux mondains par Marin Cureau de la Chambre dans Les Caractères des passions (1640-1662) ou dans L’Art de connaître les hommes (1669) (2), le lieu où se révèle l’âme, apte à susciter une sorte de « divination », exposée par exemple chez Nicolas Faret, dans L’Honnête homme, ou l'art de plaire à la cour (1630) (3) ou chez Antoine Gombaud de Méré (4).

Se développent en parallèle des procédés occultes de lecture du sort dans les traits du visage, telle la métoposcopie ou art de lire les lignes du front, inventée par Jérôme Cardan (Métoposcopie, 1550) et critiquée par Cureau dans L’Art de connaître les hommes (6). Ces pseudo-sciences sont condamnées par La Mothe le Vayer (voir Le Mariage forcé, II, 6: "Une bonne physionomie").

Voir aussi : L’Amour médecin, III, 6: "Les traits de son visage"


(1)
Le discours des yeux devait suivre ci-devant après le Traité des sourcils, et leur place y était désignée: mais parce qu'on les tient pour les plus nobles parties du Corps, et qu'en eux la puissance de la Physionomie consiste principalement. […] C'est le dire des plus prudents personnages, que comme le visage est l'image de l'Ame, de même les yeux indiquent quel est le visage. D'autres ont appelé les yeux, Les Poètes de l'Ame, parce que par les yeux elle se fait voir dehors. Comme dit Polémon: Les yeux rendent les secrets du cœur manifestes, d'autant que les signes qu'on voit dans les teux, sont les images des affections du cœur.
(éd. Rault, Rouen, 1665, livre III, p. 402-403)

(2)

Celui-là n’avait pas raison, qui se plaignait autrefois, de ce que la Nature n’avait pas mis une fenêtre au devant du Cœur, pour voir les pensées et les desseins des Hommes. […] Car elle n’a pas seulement donné à l’homme la voix et la langue pour être les interprètes de ses pensées ; Mais dans la défiance qu’elle a eue qu’il en pouvait abuser, elle a fait encore parler son front et ses yeux pour les démentir quand elles ne seraient pas fidèles. En un mot, elle a répandu toute son âme au dehors, et il n’est point de fenêtre pour voir ses mouvements, ses inclinations et ses habitudes, puisqu’elles paraissent sur le visage, et qu’elles y sont écrites en caractères si visibles et si manifestes.
(t. I, p. 1-2)

(3)

Et certes on peut dire que c’est le visage qui domine au maintien extérieur, puisque c’est lui qui prie, qui menace, qui flatte, et qui témoigne nos joies et nos tristesses, et dans lequel on lit nos pensées, devant que notre langue ait eu le temps de les exprimer. Les yeux surtout font bien cet office de la parole ; et c’est par eux que notre âme s’écoule bien souvent hors de nous, et qu’elle se montre toute nue à ceux qui la veillent pour lui dérober son secret.
(p. 237)

(4)

Il faut observer tout ce qui se passe dans le cœur et dans l’esprit des personnes qu’on entretient, et s’accoutumer de bonne heure à connaître les sentiments et les pensées par des signes presque imperceptibles. […] C’est une science qui s’apprend comme une langue étrangère, où d’abord on ne comprend que peu de chose. Mais quand on l’aime et qu’on s’étudie, on y fait incontinent quelque progrès.
Cet art semble avoir un peu de sorcellerie ; Car il instruit à être devin, et c’est par là qu’on découvre un grand nombre de choses qu’on ne verrait jamais autrement, et qui peuvent beaucoup servir. »
(« Discours de la Conversation », éd. 1687, p. 60)

(5)

Que le même principe sur lequel la Chiromance est appuyée, sert encore de fondement à la Métoposcopie : Car toutes les promesses de cette Science sont fondées sur l’Empire et sur la direction que les Planètes ont sur certaines parties du visage, comme elles en ont sur celles de la Main.
(t. II, Lettre II, « Sur les principes de la métoposcopie », p. 250-251)




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