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Leur gloire est un flambeau


"Vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né, ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage, au contraire, l'éclat n'en rejaillit sur vous qu'à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions. "
Don Juan ou le Festin de pierre, IV, 4

L'idée, qui recoupe celles selon lesquelles "la naissance n'est rien où la vertu n'est pas" et "la noblesse, de soi, est bonne", est énoncée à plusieurs reprises par La Mothe le Vayer

On la retrouve également dans la satire V de Boileau, publiée en 1666 (4)

Elle trouve son origine dans la satire VIII de Juvénal (5)

Elle est combattue dans les Nouvelles Oeuvres (1672) de René Le Pays (6)


(1)

Quoiqu'on ne dispute, absolument parlant, aucun des privilèges que peuvent prétendre ceux qui succèdent aussi bien au mérite qu'au nom et à la gloire de leurs devanciers, il ne laisse pas d'y avoir de la difficulté à l'égard de beaucoup d'autres qui ont dégénéré, et qui ne font paraître aucune vertu héréditaire qu'on soit obligé de respecter. Car l'opinion de plusieurs est que la réputation des parents s'étend si puissamment sur leurs descendants que, comme la lumière du soleil éclaire les lieux les plus ténébreux, cette même réputation peut illustrer des personnes qui mèneraient une vie très obscure s'ils n'étaient illuminés par ceux qui leur ont donné l'être.
(éd. des Oeuvres de 1756, II, 2, p. 404-405)

Je pense qu'on peut dire de la noblesse, selon notre dernier propos, qu'elle est comme une lumière qui éclaire et fait paraître davantage le bien et le mal de ceux qui la possèdent. [...] Si un noble est sans vertu, ses défauts paraissent au double et son infamie croît autant à proportion de son sang que de son vice.
(ibid.)

(2)

Mais il n'arrive pas toujours que ceux qui ont cette puissante recommandation du sang possèdent le mérite personnel absolument requis pour se la conserver. Souvent au contraire l'on remarque qu'ils en sont tellement dépourvus que les vertus de leurs ancêtres ne servent qu'à mieux faire reconnaître les défauts qu'ils ont, et combien ils sont dissemblables à ceux dont ils se contentent de porter les armes et le nom.
(éd. des Oeuvres de 1756, VII, 2, p. 61)

(3)

Une noblesse acquise par la vertu des prédécesseurs ne perd-elle pas son lustre et ses droits dans l'obscurité et le peu de mérite d'une lignée fainéante et vicieuse ?
(éd. des Oeuvres de 1756, V, 2, p. 291-292)

(4)

Mais fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,
Ce long amas d'aïeux, que vous diffamez tous,
Sont autant de témoins qui parlent contre vous,
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie,
Ne sert plus que de jour à votre ignominie.
En vain tout fier d'un sang que vous déshonorez,
Vous dormez à l'abri de ces noms révérés.
En vain vous vous couvrez des vertus de vos pères,
Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères.
(Satires de Monsieur D***, 1666, p. 43-44)

(5)

Sed venale pecus Corythæ, posteritas et
Hirpini, si rara jugo victoria sedit.
Nil ibi majorum respectus, gratia nulla
Umbrarum : dominos pretiis mutare jubentur
Exiguis; trito ducunt epirhedia collo
Segnipedes, dignique molam versare Nepotis.
Ergo ut miremur te, non tua, primum aliquid da,
Quod possim titulis incidere præter honores
Quos damus illis et dedimus, quibus omnia debes.
[...]
Si frangis virgas sociorum in sanguine, si te
Delectant hebetes lasso lictore secures:
Incipit ipsorum contra te stare parentum
Nobilitas, claramque facem præferre pudendis
Omne animi vitium tanto conspectius in se
Crimen habet, quanto major, qui peccat, habetur.

Mais on vend celui [le cheval] de Coritte et le coursier d’Hirpin, s’il emporte rarement la victoire quand il traîne le chariot. On ne respecte point la générosité de ses ancêtres, on ne rend point d’honneur aux ombres des chevaux. Ceux qui sont paresseux, à qui on fait changer de maître à bon marché, sont mis à la charrette, et sont jugés dignes de tourner la meule de Népos. Afin donc que nous ayons de l’admiration pour toi, et non pas pour tes ancêtres, fais nous voir quelque chose d’abord que nous puissions ajouter à tes titres, outre les honneurs que nous rendons, et que nous avons rendus à ceux à qui tu dois toutes choses.
[...]
Si tu fais rougir tes verges du sang des alliés, si tes haches émoussées à force d’avoir lassé les bras de ton licteur, te sont agréables de la sorte ; la noblesse de tes pères commence à s’élever contre toi, et je t’assure qu’elle éclaire ton infamie du flambeau de leur gloire. Tout vice de l’esprit rend les fautes d’autant plus remarquables, que celui qui les commet a plus de qualité.
(Les satyres de Juvénal en latin et en français, de la traduction de M[onsieur].D[e].M[arolles].A[bbé].D[e].V[illeloin]., Paris, G. de Luyne, 1653, p. 215 et p. 223)

(6)

Je sais bien que la noblesse, dont on se pique tant, a passé pour une chimère dans l'esprit de quelques philosophes, de quelques empereurs et de quelques autres grands hommes. Je sais bien que, si l'on eût reproché à Démosthène d'être fils d'un coutelier, à Socrate d'un tailleur de pierre, et à Marius d'un muletier, à Pertinax d'être issu d'un charbonnier, à Justin d'un bouvier, et à Probus d'un paysan, tous ces grands hommes s'en seraient moqués. Ils auraient répondu qu'ils ne tiraient leur noblesse que de leur vertu et de leur vaillance, et que la Nature étant commune à tout le monde, tout honnête homme était véritablement noble. Mais enfin, quand même il serait vrai que ce serait une erreur, il serait présentement honteux d'en être désabusé. Ce serait entreprendre une raillerie bien dangereuse que de vouloir aujourd'hui se moquer des gentilshommes de France et des trente-deux quartiers qu'allègue si fièrement la noblesse d'Allemagne. En effet, si l'on estime les pierres précieuses par le rocher dont elles ont été arrachées, et les plantes par la souche qui les a produites, les hommes ne doivent-ils pas être considérés par les parents dont ils ont tiré leur naissance ? La noblesse n'étant qu'une marque de la vertu, n'y a-t-il pas de gloire à un homme vertueux de faire connaître que sa vertu n'est point empruntée et qu'elle lui est héréditaire.
(éd. A. de Bersaucourt, Paris, 1924, p. 93-94)




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