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Lettre de Mlle Desjardins à Monsieur de ...


A Monsieur de…

Il ne tient pas à moi, Monsieur, que je ne m’acquitte de la promesse que je vous fis hier, de vous donner quelqu’une des fleurs du Parnasse, pour les agréables parfums que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer. J’ai dès ce matin conjuré le chœur des Muses, de m’inspirer quelque petite action de grâce, digne du présent que j’ai reçu de vous. Mais, grand Dieu, qu’il est difficile dans le siècle où nous sommes, d’obtenir une audience de ces Demoiselles ! A peine ai-je commencé d’ouvrir la bouche, que j’ai entendu une voix qui m’a dit intérieurement :

Retire-toi d’ici de grâce :
Les héros et les demi-dieux
Occupent assez le Parnasse :
Laisse-nous en repos, mortel audacieux.

[Séquences de prose mêlée de vers (8 et 12, sans régularité), où Mlle Desjardin raconte son entretien avec chacune des Muses du Parnasse, qui lui refuse son aide : les vers correspondent aux paroles des Muses, soit directes, soit rapportées]

Et pour dernier malheur la charmante Thalie,
De qui la veine si jolie,
Calme si doucement l’ennui,
A certain favori qu’on appelle Molière,
Qui possède aujourd’hui sa faveur tout entière :
La Muse ne fait plus d’ouvrages que pour lui.

J’ai donc été contrainte de m’en revenir, toute confuse de n’avoir pu trouver les Muses favorables. Mais, Monsieur, en récompense, c’est dans la plus sincère prose du monde, que je vous proteste que ma reconnaissance ne finira qu’avec votre générosité, et je prétends dire par là, qu’elles seront immortelles toutes deux. Souvenez-vous, de grâce, que la prose est le langage du cœur, et que c’est de cette manière qu’on publie d’ordinaire les vérités aussi constantes que celle que je vous dis, en vous assurant que je suis,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissante servante,
Desjardins.
(Recueil de poésies de Mlle Desjardins, 1662, p. 95-99)




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