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Les spectacles et la vie de cour dans les Continuateurs de Loret en 1666


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre du 3 janvier 1666, par Robinet.

-La marquise de Rambouillet, protectrice de nombreux poètes, est passée entre les mains de la mort :

La PARQUE pleine d’injustice,
Nous ravit, Dimanche, ARTÉNICE ;
C’est ainsi que l’on appelait
La MARQUISE de RAMBOUILLET,
Dont l’Âme, belle et délicate,
Sans que nullement on la flatte,
Et pareillement le beau Corps
Firent de ravissants accords,
Et dont presque en sa Cendre encore
La charmante Idée on adore.
Elle eut pour ses Adorateurs
Tous nos plus célèbres Auteurs :
Les CHAPELAINS et les MALHERBES,
Qui de lui plaire étaient superbes,
Les BALZACS et les VAUGELAS,
Dont toujours elle fit grand cas,
Les VOITURES, les BENSÉRADES ;
Et l’on voyait sur ses Estrades
Encor ces deux Esprits charmants,
À savoir les deux Tallemant, [Le Sieur Tallemant des Reaux, et l’Aumônier du Roi,]
Dont l’un, Savant en Paragraphe, [Docteur en Droit Civil et Canon.]
A composé son ÉPITAPHE,
Qui pourra servir dignement
À mes Rimes de Supplément :

Ci-gît la divine Arténice,
Qui fut l’illustre Protectrice
Des Arts que les Neufs Sœurs inspirent aux Humains.
Rome lui donna la Naissance ;
Elle vint rétablir en France
La Gloire des anciens Romains ;
Sa Maison, des Vertus le Temple,
Sert aux Particuliers d’un merveilleux Exemple
Et pourrait bien instruire encor les Souverains.

-Robinet rend compte de la représentation de l’Alexandre de Racine, à l'Hôtel de Bourgogne cette fois-ci :

À L’HÔTEL, j’ai vu l’ALEXANDRE ;
Bon compte je vous en vais rendre.
FLORIDOR, cet Acteur charmant,
Le représente dignement,
Et DENNEBAUT, sa CLÉOPHILE,
De mille jeunes Charmes brille.
MONTFLEURY fait si bien PORRUS
Qu’il semble qu’il soit encor plus,
Et l’AXIANE, sa Maîtresse,
S’y rend admirable sans cesse
En l’excellente des Œillets,
Dont l’habit fut fait à grands frais.
Bref, EPHESTION et TAXILE
S’expriment en assez bon style
Par HAUTE-ROCHE et par BRÉCOURT ;
Et tous ces Acteurs, coupant court,
Font tout ce qu’on en peut attendre,
Pour bien retracer Alexandre.

La Muse de la Cour à Mademoiselle Borel, Fille de Monseigneur l'Ambassadeur de Hollande.

Huitième Semaine.

Du 3 janvier 1666, par Subligny.

-Subligny évoque à son tour la mort de la marquise de Rambouillet. Sa fille, Madame de Montausier qui avait donné le divertissement quelques jours auparavant, en est fortement affligée.

La Marquise de RAMBOUILLET,
Qui fit faire fortune au délicat VOITURE
Et rendit son ouvrage aussi fameux qu’il est,
A payé le tribut qu’on doit à la Nature.

La Grande MONTAUSIER, qu’elle accable d’ennui,
Perd en elle une illustre Mère,
Les MUSES un solide appui,
La France une grande Lumière.

Ô Mort, que ce coup rigoureux
À l’Univers serait funeste
Et ferait bien des malheureux
Sans la FILLE qui nous en reste !

-Mais les festivités ne sauraient être assombries par ce deuil et notre gazetier se fait l'écho d'un dîner fastueux du Roi au Palais-Royal en compagnie de Monsieur qui le régale d'un concert :

Le ROI soupa, Lundi, dans le Palais Royal,
Où MONSIEUR, qui n’a point d’égal,
Après un régale de viandes
Qu’on put trouver des plus friandes,
Lui donna pour second dessert
Un incomparable Concert.

-Puis il relate la création des Amours de Jupiter et de Sémélé de Boyer :

CURIEUX, allez voir la Pièce du Marais ;
Les Machines de l’Andromède,
Ne semblent, ma foi, rien auprès
De ce dernier ouvrage, à qui tout autre cède.

Le Machiniste avait, je crois, le diable au corps
Lorsqu’il fit de telles merveilles ;
On ne conçoit point les ressorts
De ses machines sans pareilles.
Mais sur ce peu de vers on n’en peut rien savoir.
Allez, vous dis-je, allez les voir.

MAROTTE y fait le Personnage
De la Princesse SÉMÉLÉ,
Dont maint Amant avec elle est brûlé,
Car cette aimable Actrice en vérité fait rage.

Que les feux dont la brûle un Jupiter Amant
Ne sont-ils aussi vrais que tous ceux qu’elle darde ?
Cela nous Vengerait, mais elle en goguenarde
Et croit qu’on dit cela par plaisir seulement.

Lettre du 10 janvier 1666, par Mayolas.

-Le couple royal participe aux festivités religieuses suivant le nouvel an :

Notre ROI comme notre REINE
Allèrent offrir pour Étrenne
Leurs cœurs dévotement à DIEU,
Le Jour de l’An, dans un saint Lieu.
Ce fut dans la Maison Professe
Que ce PRINCE et cette PRINCESSE
Ouïrent tous deux un Sermon
Très pieux, éloquent et bon
Par Monsieur l’Abbé de ROQUETTE,
Dont l’Âme savante et discrète
Prêcha non moins éloquemment
Que saintement et savamment.
Leurs MAJESTÉS, qui l’entendirent,
À son beau discours applaudirent,
Et d’autres Princes et Seigneurs
Furent tous ses admirateurs,
Aussi bien que les Jésuites,
Dont les vertus sont sans limites,
Qui par de pieux mouvements
Mirent les plus beaux Ornements,
En ce grand jour, dans leur Église,
Que sur toutes on solennise ;
Tout cet Ordre de grand renom
En porte le glorieux Nom ;
Leurs Prières et la Musique
Rendirent la Fête authentique.

-Et pour la fête de l’Épiphanie, un beau régal agrémenté de musique et de comédie est donné sous l'égide de Monsieur et Madame :

Le cinquième jour de ce mois,
Proprement la veille des Rois,
Fête solennel et Royale,
Où tout le monde se régale,
Que les petits comme les Grands
Font des banquets bien différents,
Où le sort fatal d’une Fève
À la Royauté nous élève
(Mais c’est jouer un triste tour
De n’être Roi que pour un jour),
Ce jour-là MONSIEUR et MADAME,
Qui n’ont tous deux qu’une même âme,
A souper traitèrent le ROI
En pompeux et galant aroi.
Ce PRINCE, avec beaucoup de zèle,
Ayant reçu MADEMOISELLE
Et les autres Principautés,
Rares en vertus, en beautés,
On alla dans la Galerie,
Où, sans aucune flatterie,
Grand nombre de lustres brillants
Et des miroirs étincelants,
Faisant voir différente image,
N’y laissèrent aucun ombrage.
Un Concert fort doux et charmant
Ouvrit le divertissement,
Les Instruments et la Musique,
D’une manière méthodique
Joignant leurs accords ravissants,
Enchantaient doucement les sens.
Après ce plaisir agréable,
On quitta ce lieu délectable
Pour aller d’un autre côté,
Où luisait autant de clarté.
Une plaisante Comédie
Suivit la douce mélodie,
Que les Comédiens Royaux
Par leurs soins et par leurs travaux
Représentèrent à merveilles,
Au gré des yeux et des oreilles.
Ensuite de ces passe-temps
Curieux et forts innocents,
Ces Personnes considérables
S’approchèrent de quatre tables
Qu’on servit toutes à la fois,
Ainsi qu’on ferait chez des Rois.
La galanterie et largesse,
L’abondance et la politesse,
Les mets les plus délicieux
Qu’on peut trouver en ces bas lieux,
Les Violons et la Musique,
Outre cette chère angélique,
Ne laisseraient rien à souhaiter
À ceux qu’on voulut bien traiter,
Et l’on trouva ce grand Régale
Digne de la Maison Royale,
Et digne du Palais-Royal.
Après le Souper vint le Bal,
Où les Dames et Demoiselles,
Des plus lestes et des plus belles,
Où les Seigneurs plus accomplis,
Des plus galants et des mieux mis,
Tant par l’éclat des pierreries
Que vêtements, galanteries,
Étalaient leurs traits à l’envi,
De quoi l’œil était tout ravi,
Et cette charmante Assemblée
Ne fut jamais mieux régalée.

Lettre du 10 janvier 1666, par Robinet.

-Robinet relate la visite du Roi à Madame de Montausier : le souverain vient lui témoigner à la suite du décès de sa mère, Mme de Rambouillet.

Le ROI, dont l’Âme est Héroïque
Mais non pourtant dure et Stoïque
Lorsque Cloton prend dans sa Cour
Quelqu’un digne de son amour,
A paru sensible à la perte,
Partout le beau Monde soufferte,
D’ARTENICE, qui de ces Lieux,
A pris le beau Chemin des Cieux.
LOUIS donc, avec grande suite,
A sur cela rendu visite
À Madame de MONTAUSIER,
De mérite si singulier,
Et dont, sous le nom de JULIE,
Le Renom tant de Biens publie.
La REINE et, bref, toute la Cour
L’a vue aussi le même jour,
Preuve d’une estime bien chère
Et pour la Fille et pour la Mère.
La Défunte, ayant à son Corps
Désiré ce qu’on donne aux Morts,
Je veux dire la Sépulture,
Dans l’Enceinte et riche Structure
Des CARMÉLITES du Faubourg, [Saint Jacques.]
C’est là qu’il attend le Grand Jour
Où par d’inaltérables Trames
Les Corps seront rejoints aux Âmes.
Si j’osais sur son Monument,
Après l’illustre Tallemant,
Apprendre un sommaire Épitaphe,
Je dirais en bonne Orthographe :

Ce glorieux Tombeau dans son petit Pourpris
Enferme les tristes Débris
De l’un des plus beaux Corps qu’eût formé la Nature ;
Ce fut aussi pour plaire aux Dieux
Qu’elle employa ses soins les plus officieux
En son admirable Structure.

Car c’était pour loger une Âme où tous leurs Traits
Produisaient de divins Attraits
Et firent d’Arténice une Merveille illustre.
J’ai tout dit en disant ce nom ;
En tous Lieux il vola sur l’aile du Renom
Et laissa partout un beau lustre.

Son Âme est retournée en son Séjour Natal,
Suivant du Sort l’ordre fatal,
Mais elle se remontre ici-bas en Julie,
Ayant fait comme le Soleil
Qui de ses beaux rayons retrace son Pareil
Dans un superbe Parélie.

-Un des pères des Feuillants a fait au Roi un présent particulier : un arbre généalogique (avec commentaires) retraçant les dynasties royales jusqu'au Grand Roi. Ainsi :

Or DOM PRIEUR de ce COUVENT,
Personnage rare et savant
Et digne par plus d’un bon Titre
D’être couronné d’une Mitre,
Le régala, Mardi dernier,
Aussi d’un Présent singulier,
Savoir d’une CARTE HISTORIQUE
Et CARTE GÉNÉALOGIQUE,
Où, jusqu’à LOUIS-DIEU-DONNÉ,
Par un bel Arbre bien ordonné,
Il nous fait voir des ROIS de FRANCE,
De Branche en BRANCHE, la Naissance,
Avec leurs Frais, et les Vertus
Dont ils parurent revêtus ;
Et ce Grand Généalogiste,
En même temps bon Élogiste [sic],
Déclare enfin par un Écrit
Rempli d’Éloquence et d’Esprit,
Qu’il adresse à notre MONARQUE,
Que ce qu’en ces Rois on remarque
Et de Vertus et de Hauts Faits
Ne sont que les superbes Traits
Du fameux TABLEAU de sa GLOIRE
Qu’on place au TEMPLE de MÉMOIRE.
Au reste, on ne peut concevoir,
Lecteur, à moins que de le voir,
Le Prix de ce célèbre Ouvrage,
Et je puis dire qu’en notre Âge
Il n’est rien de si beau, ma foi,
Ni de plus digne d’un grand Roi.

-A son tour, notre gazetier se fait l'écho de la fête de l'Épiphanie donnée chez Monsieur. Comme à son habitude, Robinet est plus précis que ses "confrères" et la description plus étoffée :

Chez MONSIEUR, on les fit la Veille,
Mais comment ? ce fut à merveille,
Et jamais on ne vit Cadeau
Si pompeux, si brillant si beau.
Ce Prince, que, sans flatterie,
Nul n’égale en galanterie,
Ce soir-là, plus beau que l’Amour,
Dessous un éclatant Atour,
Reçut trente Dames parées
Et de Diamants éclairées,
Dans un Lieu dont les Ornements
Produisaient des Enchantements.
C’était la grande Galerie,
En rares Antiques fleurie,
Représentant de grands Héros,
Dont l’Histoire prône le Lot,
Et d’où la Nuit au teint de More,
Ainsi qu’au lever de l’Aurore,
Fuyait devant mille Clartés
Qui l’en chassaient de tous côtés.

LOUIS des premiers de la Fête,
Et qui pour lors, de pied en tête,
Portait pour trente millions
De Diamants, tous beaux et bous,
Survint Illec, avec MADAME,
Qui semblait aussi tout en flamme
Par l’éclat de ses Yeux si beaux
Et par celui de ses Joyaux,
Et la Grande MADEMOISELLE
Où l’on voit l’air d’une Immortelle,
Et qui de Dombes à la Cour
Était depuis peu de retour.
Alors, la divine URANIE
Par sa plus fine symphonie
Commença le royal Cadeau,
Et ce Concert-là fut si beau
Que chacun devint tout Oreilles
Pour en mieux goûter les merveilles.
Ensuite, on passa dans un Lieu,
Non moins brillant, non moins en feu,
C’est la petite Galerie,
Dont maints Bijoux d’Orfèvrerie
Et d’autres Meubles précieux
Font un charmant spectacle aux Yeux,
Et la seule TROUPE ROYALE
Y continua le Régale
Par un beau Plat de son Métier [Elle y joua la Coquette.]
Et tout à fait de son Gibier,
Qui de chacun purgea la Rate
Mieux qu’un Remède d’Hippocrate,
Et fit venir de l’Appétit
À la Compagnie un petit.
De là donc, pour le satisfaire
Ainsi qu’il était nécessaire,
On entra dans deux autres Lieux,
Fort éclairés, fort radieux,
Où l’on servit sur quatre Tables
Tous les Mets les plus délectables,
Dont l’abondance et le Ragoût
Ne satisfit pas moins le Goût
Que leur odeur et leur bel ordre,
Qui semblait inviter à mordre,
Et la Musique en même temps,
Délectèrent les autres Sens.

Notre MONARQUE, pour tout dire,
Illec de la Fève eut l’Empire,
Et la Charmante Deudicourt
Eut part à ce Règne si court.
Enfin, pour borner ce Chapitre,
Tout le plus beau de mon Épître,
Après cet honnête Repas,
Où le beau Sexe plein d’Appas
Était partagé comme en Marge
Ici je vous le cotte au large.
Les Courtisans, bons Baladins,
Aussi bien que bons Paladins,
Étant arrivés pour la Danse
En belle Couche, en conscience,
On passa dans le Lieu du Bal,
Où l’on ne s’exerça pas mal.
LOUIS, d’une si haute mine,
Y mena d’abord l’HÉROÏNE
Dont le Nom fait voler nos Vers
Avec honneur par l’Univers.
Puis MONSIEUR et MADEMOISELLE,
Faisant un très beau Paralèlle,
Montrèrent qu’il étaient versés
À faire Pas bien cadencés.
Les autres Galants et Galantes,
Tous brillants et toutes brillantes,
Continuèrent à leur tour,
De sorte que le Point du JOUR
Les surprit quasi dans la Lice,
Où l’AMOUR, des BELLES Complice,
Faisait à leurs Attraits Vainqueurs,
En ballant, conquêter [sic] des Cœurs.
D’URSINI la noble ÉMINENCE,
Dont l’on fait tant de cas en FRANCE,
Fut Témoins agréablement
De ce beau Divertissement,
Ayant aussi fait chère exquise
Chez l’illustre Dame et MARQUISE [De Saint Chamont.]
Qui conduit sous ses sages Lois
Le beau MONSIEUR Duc de VALOIS,
Avec sa SŒUR, MADEMOISELLE,
Qui sait bien déjà que c’est Elle.

-Plus précis, donc, il explique que la Reine n'a pas participé à ces festivités en raison du deuil qu'elle observe pour la disparition de son père, Philippe IV d'Espagne. Elle a cependant reçu, le lendemain dans le calme et la solennité de son logis, quelques-unes de ses proches :

La REINE, à cause de son Deuil
Pour le Roi son Père au Cercueil,
Se privant de ces Allégresses,
Contraires aux grandes Tristesses,
Traita dans son Appartement,
Le lendemain, paisiblement,
À la clarté de maints grands Lustres,
Diverses Personnes illustres,
Dont je nomme de très bon cœur
Et MADEMOISELLE et sa SŒUR. [Mademoiselle d’Alençon.]

La Muse de la Cour à Madame de Barthillat.

Neuvième Semaine.

Du 11 janvier 1666, par Subligny.

-Subligny relate à son tour la fête de l’Épiphanie qui fut donnée au Palais Royal :

On fit les Rois, Mardi, dans le Palais Royal ;
Le PRINCE ORSINI, Cardinal,
Qui s’y fit admirer en s’y faisant paraître,
Quoiqu’à l’air magnifique en tout accoutumé,
S’émerveille encore peut-être,
Des superbes objets dont il y fut charmé.

Rien d’égale aux Tapisseries ;
Tout y semblait de Pierreries :
Le ROI sur son habit en avait un trésor,
Qui, sans imposture et sans fable,
Valait plus d’un million d’or,
Cela n’est-il pas bien aimable ?

MONSIEUR en était radieux,
Partout MADAME en chassait l’ombre ;
Pour elle, c’est un coup des Dieux
Qu’elle en avait un si grand nombre :
Tandis qu’on s’amusait à les examiner,
On détournait ses yeux des traits de son visage,
Qui, selon l’apparence, à cœurs exterminer
N’est pas à son apprentissage.

La jeune de BRANCARS, dont l’air est si charmant,
Avec ses pierres précieuses
Et ses fiertés pernicieuses
N’y semblaient qu’un vrai Diamant,

Et trente autres BEAUTÉS suprêmes,
Dont on m’a tu les noms et dont les yeux sont doux,
N’y semblaient, dit-on, elles-mêmes
Que de fins et jolis Bijoux.

Le ROI fut Roi dans cette fête ;
Le Destin, tout hardi qu’il est,
N’oserait avoir fait d’autres ROIS à sa tête,
Où ce grand MONARQUE paraît.

Il faut que ce soit en Musique
Que l’on ait crié LE ROI BOIT,
Si l’on cria ; quoi qu’il en soit,
Le tout y fut très magnifique,
Et la Comédie et le Bal,
Dont ces choses s’accompagnèrent,
Ne divertirent pas trop mal
Les fortunés qui s’y trouvèrent.

-Il évoque le mariage de Mlle d’Artigny (demoiselle d'honneur de Madame et amie intime de Mlle de La Vallière) avec le marquis du Roure (fils du comte du Roure, l'un des anciens protecteurs de Molière et de sa troupe en Languedoc). La fête se déroule ensuite chez le duc de Créqui, où l'on donne " la comédie": c'est à cette occasion que fut créée, en avant-première, la nouvelle tragédie de Thomas Corneille, Antiochus :

D’ARTIGNY n’est donc plus cette admirable Fille
Qui charmait tout par sa douceur ?
On croit que j’annonce un malheur ;
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est qu’elle est en famille,
Et qu’un illustre Époux en est le possesseur.

Notre grand ROI signa ses patentes de Femme,
Sous un riche Dais, chez MADAME ;
De là l’on se rendit chez un grand DUC et PAIR
Pour voir la Comédie, y danser et souper,
Ce qui se fit bien mieux que je ne puis l’écrire,
À la CRÉQUI, c’est tout vous dire.

Après cela, sa MAJESTÉ,
Pleine de joie et de bonté,
Fit coucher le COMTE DU ROURE ;
MADAME en fit autant de l’aimable ARTIGNY.
Ah ! petit Amour, qu’o te bourre !
De la façon que ce couple est uni,
Le grand PRINCE qui les assemble
Te ravit les moyens de les brouiller ensemble.

MADAME fit sortir de cet appartement
Un petit TROUPEAU de PUCELLES
Qui s’attendait à voir ce Mystère charmant.
Ô qu’elle en usa prudemment !
Amour prêt à faire querelles
De n’avoir pas le lieu d’y loger ses chagrins,
Indubitablement les aurait mis chez elles ;
Il a fait des tours aussi fins.

Lettre du 17 janvier 1666, par Mayolas.

-Comme Subligny avant lui, Mayolas fait état de la représentation des Amours de Jupiter et Sémélé, de Boyer :

Le commencement et le cours
Et la fin des tendres Amours
De Jupiter et de Sémelle
Font d’une manière si belle
Partout chanter et publier
Le savoir de Monsieur BOYER
Qu’il est bien juste que je die
Que cette Tragicomédie
Est pleine d’Actes surprenants,
De Vers et de pensers charmants.
Chacun admire une Machine
Qui semble être presque divine,
Faisant si promptement aller
Et du bout à l’autre voler
Cette éclatante Renommée,
Des honnêtes Gens tant aimée.
Du Théâtre les changements,
Décorations, ornements,
Augmentent la magnificence
De cet Ouvrage d’importance,
Et les talents particuliers
De l’esprit de Monsieur MOLIER,
Par un Concert incomparable,
La rendent fort recommandable.
Le ROI, MADAME, avec MONSIEUR,
Lui voulurent faire l’honneur
De l’honorer de leur présence,
Avecque les plus Grands de la France.
À moi, qui l’aime dessus tous,
Il m’en coûta jusqu’à cent sous,
Soit en grande ou petite espèce,
Pour voir à mon tour cette Pièce.
Les Comédiens du Marais,
Pour leur gloire et leurs intérêts,
Ont montré non moins de justesse
Que de pompe et de gentillesse ;
Et tout le monde y court aussi
Pour voir ce que j’en dis ici.

-S'ensuit le fameux mariage de Mademoiselle d’Artigny et son divertissement dramatique :

À ce coup je puis assurer
Et sans mentir réitérer
Ce que j’avais dit par avance,
Dans l’excès de réjouissance,
De l’Hymen heureux et parfait
Qui, Samedi dernier, fut fait.
Du ROURE, Marquis admirable,
Non moins vaillant qu’il est aimable,
A, pour le certain, fiancé
Et pompeusement épousé
D’ARTIGNY, charmante Pucelle,
Très vertueuse, noble et belle.
Le ROI, MADAME, avec MONSIEUR,
Et mainte autre Dame et Seigneur
A l’illustre Noce assistèrent
Et, sans doute, au Contact signèrent,
Cette grande solennité
Avec beaucoup de gaieté
Fut fait en leur noble présence
Par le grand Prélat de Valence.
Monseigneur le Duc de CRÉQUI,
Parent de ce Marquis, et qui
Fit avec plaisir la dépense
De toute la magnificence,
Et dans son Hôtel, en ce jour
A régalé toute la Cour.
Dans une grande et belle Salle,
On vit par la Troupe Royale
Représenter ANTIOCHUS,
Poème BONUS, OPTIMUS,
De l’habile Monsieur CORNEILLE,
Qui fait des Rimes à merveille,
Et dont les Ouvrages divers
Le prônent partout l’Univers.
Un Ballet à plusieurs Entrées,
Agréablement préparées,
Ne les divertirent pas mal,
Non plus que la beauté du Bal.
De là, vous jugerez vous-même
Si l’allégresse était extrême
Et si ce beau Couple d’Amants
Ont eu de doux contentements.
Sans doute, après cet Hymènée,
Qu’avant la fin de cette année
Nous verrons sous leurs étendards
Ou quelque Amour ou quelque Mars.

Lettre du 16 janvier 1666, par Robinet.

-Où l'on revient sur le déjà deux fois narré mariage de Mademoiselle D’Artigny — mais dans une description plus détaillée :

Parlant dans un autre ramage,
Qu’Elle parut digne d’hommage,
SAMEDI, dans son beau Palais,
Où, brillant de pompeux attraits,
Elle était le JUNON illustre
Qui présidait en son Ballustre
À l’HYMEN du Couple charmant
Dont je parlais dernièrement !
Car ce fut en cette Journée,
Par une heureuse Destinée,
Que l’admirable d’ARTIGNY,
C’est-à-dire un Objet muni
D’Appas, d’Esprit et de Jeunesses,
Avec une pleine allégresse,
Donnait la main à ce MARQUIS
Qui son beau Cœur avait conquis,
Marquis vraiment jeune comme Elle
Et même aussi beau qu’elle est belle,
Marquis bref de bonne Maison,
Du ROURE ayant le fameux Nom.
Ce fut le PRÉLAT de VALENCE
Qui serra ce Nœud d’importance,
Prononçant le cher CONJUNGO
Qui mettait leurs Cœurs à gogo.
On les fiança chez MADAME,
Lors plus brillante que la Dame
Dont au Matin l’Aspect riant
Charme les Peuples d’Orient.
Le MONARQUE et son FRÈRE UNIQUE,
Qui faisaient lors aussi la nique
Par leur éclat au Dieu du Jour,
Dont Elle annonce le retour,
Étaient à la Cérémonie
Avec une ample Compagnie,
Car tout la Cour était là,
Et je puis jurer de cela,
Puisque avecque la Muse nôtre
J’y portai mon nez comme un autre.
Ensuite les deux Fiancés,
Dans leurs Amours bien avancés,
Furent avec la Parantelle
Et toute la noble Séquelle,
Devinerez-vous bien chez qui ?
Ce fut chez le DUC de CRÉQUI,
Où, beaucoup mieux que chez Mandoce,
Se fit le beau Festin de Noce.
Outre qu’il est autant et plus
Magnifique qu’un Lucullus,
Quand il faut faire avec dépense
Un Convive de conséquence,
Étant Parent du Fiancé
(En quel degré, je ne le sais),
Il voulut que de ce Régale,
La Chère parut sans égale.
En effet, tout y fut brillant,
Poli, copieux et galant,
Et de l’Hôtel la noble Hôtesse,
La belle et charmante DUCHESSE,
L’Aimant délicieux des Cœurs,
De sa Maison fit les Honneurs,
Avec tant de grâce et de gloire
Qu’on n’en peut perdre la Mémoire.
Avant ce superbe Banquet
Qui rend si fécond mon caquet,
La COMIQUE et ROYALE TROUPE,
Qui semble avoir le vent en poupe,
Représenta l’ANTIOCHUS,
Poème si beau que rien plus,
La dernière des Doctes Veiles
Du plus jeune des deux CORNEILLES,
Qui n’avait point encore paru
Et qui certes a beaucoup plu.
Après, BACCHUS, le Dieu des Brindes,
Se fit voir Triomphant aux Indes,
Dans un Ballet fort enjoué,
Et qui fut aussi fort loué,
Où, pour au Grand MONARQUE plaire,
La charmante Sirène HILAIRE,
Fit merveille avec d’ESTIVAL.
Enfin, par un aimable BAL,
On finit la Réjouissance,
Mais après, pour une autre Danse,
On coucha dans un Lit pompeux
Ce beau Couple, selon ses Vœux,
Car peu lui plaisait la remise,
Et le ROI donna la Chemise,
Avecque MONSIEUR, à l’ÉPOUSE,
Par un honneur certes bien doux,
Comme pareillement MADAME,
Avec une autre aimable Dame,
À l’Épouse aussi la donna,
Et puis on les abandonna
Tant à l’AMOUR qu’à ses Complices,
Qui les comblèrent de Délices
Que, sans que j’en dise Ici rien,
Chacun devinera très bien.

-Une nouvelle intéressante à propos des arts. Notre gazetier révèle que Colbert a présidé à une cérémonie d'hommages rendue à ceux qui font profession d'imiter la nature, par le marbre ou la peinture. Il a distribué les prix aux plus fameux d'entre eux :

Entre les beaux et fameux Arts
Qu’on voit fleurir de toutes parts,
Le brillant ART de la PEINTURE,
Avec celui de la SCULPTURE,
Va reprendre un nouvel éclat
Sous le glorieux POTENTAT
Qui tous si bien les favorise.
MONSIEUR COLBERT, que tant on prise
Et qui d’une belle hauteur,
En est le Vice-Protecteur,
Naguère, en leur Académie,
Qui par ses soins est affermie,
Distribua les PRIX charmants
Que ce MONARQUE, tous les Ans,
Destine en faveur des ÉLÈVES
Qui donnent à qui mieux des preuves
Du progrès qu’ils font dans cet Art
Pour à ces beaux Prix avoir part.
Leur CHANCELIER, que l’on appelle
Le BRUN, et le premier APPELLE
De l’ALEXANDRE des FRANCAIS
Qui surpasse les plus grands Rois,
Fit un Discours savant et sage
Sur les beautés et l’avantage
De ces deux Arts des plus anciens ;
Et puis, les Académiciens
Ayant tous donné leurs Suffrages,
Trois reçurent les Nobles Gages
De la Victoire et de l’Honneur
Par les mains du susdit Seigneur. [Monsieur Colbert.]

-Plus succinctement, notre gazetier relate le déplacement deJupiter et Sémélé, de Boyer qui fut donnée devant le roi :

Sa MAJESTÉ, le même jour,
Presque avecque toute la Cour,
Fut voir, sans mouiller la semelle,
Comment JUPITER et SÉMÉLÉ
Se font l’amour, sur nouveaux frais.
Dans les Machines du Marais.
Ce sont, ce dit-on, des Merveilles
Pour les yeux et pour les Oreilles :
Pour les Oreilles, je le croi
Ainsi qu’un Article de Foi,
Car BOYER, qui sur le Théâtre,
Fait du bruit presque autant que quatre,
De ce poème a fait les Vers,
Et MOLIÈRE a fait les Concerts.
Mais quand nous aurons vu l’Ouvrage
Nous en jaserons davantage.
Et j’ajoute ici seulement
Que la Roque fit Compliment
Ou harangue à notre beau Sire,
Autant bien qu’on le saurait dire.

La Muse de la Cour à son Éminence Monseigneur le Cardinal Prince Orsini.

Dixième Semaine.

Du 18 janvier 1666, par Subligny.

-Subligny évoque à son tour la représentation exposée ci-avant des Amours de Jupiter et Sémélé de Boyer devant le roi :

Le ROI ces jours passés vit les grandes Machines
Des Comédiens du Marais,
Qui furent à son gré superbes et divines
Dans ses Vols, ses Rochers, ses Eaux et ses Palais.

Les Acteurs s’étaient mis en frais
Pour divertir ce grand MONARQUE,
Aussi leur donna-t-il une obligeante marque
Que son plaisir y fût plus parfait que jamais.

-Puis il explique que prêt quitter les lieux pour la Picardie, le même Roi a différé son départ au vu de l’état de santé inquiétant de la Reine-Mère :

APOSTILLE.

Le départ du ROI se diffère
À cause de la REINE-MÈRE ;
Le Ciel, en sa faveur prodigue de secours,
Ne l’arrête que pour trois jours !

-Cette fois-ci, pourtant, la Reine-Mère ne se remettra pas. Dans leurs lettres suivantes les gazetiers annoncent la mort d'Anne d'Autriche et communient dans la déploration. L'affliction est sincère et profonde.

Lettre du 7 février 1666, par Mayolas.

-Gombauld, Jean Ogier de Gombauld, auteur entre autres de L'Amarante, n’est plus. L'Académie l'avait honoré en 1634 :

GOMBAULD, un de nos beaux Esprits,
Mourut, l’autre jour, à Paris.
Comme les plus grands Personnages
Il revivra dans ses Ouvrages ;
Il ne lui manquait sur ce point
Qu’à notre Église il se fut joint.

Lettre du 14 février 1666, par Robinet.

-Une grande dame de la cour, Mademoiselle de Brancas, qui était atteinte de petite vérole, a retrouvé la santé :

MADEMOISELLE de BRANCAS,
Cette jeune Source d’Appas,
A de la Petite Vérole
Qui les plus brillants Teints désole,
Senti l’insulte si fatal [sic],
Mais, quitte de ce hideux mal,
Plus que jamais son beau Visage
Est digne d’amoureux hommage,
Et nous montre d’Attraits vainqueurs
À faire soupirer les Cœurs.

Lettre du 21 février 1666, par Mayolas.

-François Colletet, fils du poète Guillaume du même nom mort en 1659 (dont l'annonce, on s'en souvient, avait été faite à l'époque par Loret), a fait parvenir à Mayolas son dernier ouvrage nouvellement imprimé :

Un des jours de cette semaine,
Monsieur COLLETET prit la peine
De m’envoyer, dans ses Écrits,
La seconde part de Paris,
Et dont la première Partie
De quelque autre Veine est sortie.
L’Ouvrage est tout à fait plaisant,
Galant, brillant, divertissant ;
Il l’offre à Monsieur de LINGENDRES,
Digne de ses belles Légendes,
Et l’Imprimeur, nommé RAFFLÉ,
Connaissant son prix, l’a raflé.
Par ce beau jeu de son Génie,
Plein d’une douceur infinie,
Et par d’autres pareillement,
On peut connaître clairement
Que ce Fils est digne du Père
Dont les Œuvres sont en lumière.

-Mayolas relate le déplacement du Roi, depuis son château de Saint-Germain, à la foire du même nom, pourtant située au coeur de Paris. Notre gazetier était présent, semble-t-il, puisqu'il explique avoir ensuite visité l'atelier d'un nommé Francizin, marionnettiste de son état, qui joue à représenter "en miniature" la tragédie à machines de Boyer (Les Amours de Jupiter et de Sémélé) créée au Marais le 1er janvier précédent.

Jeudi, notre GRAND SOUVERAIN,
Étant parti de Saint Germain
Où la Cour élit domicile,
Vint dans notre superbe Ville,
Escorté, suivi, secondé
Du vaillant Prince de CONDÉ,
Du Duc d’Enghien, très brave Prince,
De Maint Gouverneur de Province,
Et de nombre de Courtisans.

Pour le gain des riches Marchands,
Le ROI fit un tour à la Foire,
Pour son plaisir et pour leur gloire ;
Ensuite, il reprit son chemin,
Et moi j’entrai chez FRANCIZIN.
Ce Joueur de Marionnettes
A des Machines si parfaites,
Des Figures pareillement,
Qu’il ne fut rien de si charmant,
Et l’on n’a point vu de merveilles
En France à celles-là pareilles.
Il représente justement
Et tout à fait naïvement
Des Amours la trame fidèle
De Jupiter et de Sémélé [sic]
Qu’au Marais les Comédiens,
Dont on aime les entretiens,
Avec une allégresse extrême
Ont fait voir à notre ROI même,
Quatorze Décorations,
Avecque [sic] les proportions
En même justesse galante,
Sa Troupe vous les représente.
Parmi ce divers ornement
Du Théâtre divertissant,
Ballet, Farces et Comédies
Sont aussi vus et bien ouïes,
Suivis d’un concert des plus fins
Que forment plusieurs Clavecins,
Dessus et Basses de Viole,
Plus touchant que n’est la parole.
Parmi les plaisirs que voilà
On entend, outre tout cela,
Une agréable Symphonie,
Moitié de France et d’Italie,
Et lui seul, en Homme d’honneur,
Jure d’être l’unique Joueur
De cette méthode nouvelle,
Sans oublier Polichinelle,
Ainsi que Dame Antonia,
Et Francisquine ; tant y a
Que toutes trois, par leur adresse,
Font toujours quelques gentillesse.
Vous pourrez voir ce que je dis,
À deux heures après midi,
Tandis qu’il est dans le Royaume,
Logé dans un grand jeu de Paume, [rue des Quatre-Vents, près la Foire.]
Ou bien, si vous le voulez tous,
Il se transportera chez vous.

Lettre du 21 février 1666, par Robinet.

-A la suite de Mayolas, Robinet évoque la visite du Roi auprès de sa tante puis à la foire Saint Germain :

Jeudi, notre PORTE-COURONNE,
Qui de tant de gloire rayonne,
Ce ROI si rare et si charmant,
Vint visiter pareillement
Cette REINE, sa bonne Tante,
En tant de Vertus éclatante.

Ledit MONARQUE DIEU-DONNÉ,
Lors de MONSIEUR accompagné,
Et de grands Seigneurs en beau nombre,
Qui le suivent comme son Ombre,
Le même Jour, il est certain,
Fut à la Foire Saint Germain,
Et les Marchands, je vous le jure,
En tirèrent un bon augure,
Sachant bien que la Chance et l’Heur
Suivent partout ce grand VAINQUEUR.
Ils en eurent l’expérience,
Car, de fait, Madame la Chance,
Jetant avec Lui le Dé,
Il en fut si bien secondé
Qu’il gagna pour cent mille livres,
Non de Peintures ou de Livres,
Mais de Tables, de Bracelets ;
Jugés s’ils doivent être laids.

-Mais il rassure surtout le public parisien : Molière qui était souffrant a recouvré la santé.

Je vous dirai, pour autre AVIS,
Que MOLIÈRE, le DIEU du RIS
Et le seul véritable MOME,
Dont les CIEUX n’ont qu’un vain Fantôme,
A si bien fait avec CLOTON
Que la Parque au gosier glouton
A permis que sur le Théâtre
Tout Paris encor l’idolâtre.
Oui, tel est le Décret du Sort,
Qui certes, nous oblige fort,
Que du Comique ce grand Maître
Dans quelques jours pourra paraître.

-Molière précisément a déjà des successeurs... Successeurs bien précoces si l'on en croit Robinet qui relate la représentation (non dénuée d'un certain talent) qu'une troupe d’enfants a donné sur la scène du Palais-Royal :

Cependant, au PALAIS-ROYAL,
Avec un plaisir sans égal,
On peut voir la Troupe enfantine
Qu’on nomme la TROUPE DAUPHINE,
Dont les Acteurs, à peine éclos,
Des plus vieux méritent le los.
Sur tous le Fils de la Baronne,
Actrice si belle et si bonne
Dont la Parque a fait son Butin,
A, comme Elle, le beau Destin
De charmer chacun sur la Scène,
Quoiqu’il n’ait que douze ans à peine,
Et certe [sic] il sera quelque Jour
Fort propre aux rôles de l’Amour.

Lettre du 28 février 1666, par Mayolas.

-Hauteville qui, l'année dernière avait publié son Histoire royale vient de gratifier tout ensemble Mayolas et la postérité d'une nouvelle oeuvre de son cru : L'Art de Discourir. Ainsi :

Hier Monsieur de HAUTEVILLE, [Auteur de l’Histoire Royale.]
Docteur aussi prudent qu’habile,
Politique, adroit et savant,
Me fit de sa main un Présent,
Avec un joli Préambule,
De son Livre de RAYMOND LULLE,
Où, sitôt qu’on vient à l’ouvrir,
On trouve l’ART DE DISCOURIR
D’une méthode nette et claire,
Tant pour le Barreau que la Chaire.
Son adroite subtilité
Éclaircit toute obscurité,
Et d’une si belle manière
Il développe maint Mystère,
Lettres, Principes, Questions,
Figures et Divisions ;
De plus, pour remplir notre envie,
Au bas du Livre il met sa vie,
Où l’on voit étaler le prix
Et du mérite et des Écrits
Dudit LULLISTE Personnage,
Auteur de maint et maint Ouvrage,
Dont on peut compter, sous son nom,
Jusques à trois mille, dit-on.
L’Espagne et le reste du Monde,
Admire sa Plume féconde.
Le Livre susdit, bel et bon,
S’adresse à Monsieur de LUÇON,
Évêque rempli de lumière
Et très docte en toute matière,
Et l’on le vend, bien accompli,
Au Palais, chez THOMAS JOLY.

-Mayolas donne la première mention de la représentation de l’Agésilas de Corneille par les comédiens du Roi. Notre gazetier n'a pas seulement eu vent de la haute qualité de cette pièce : il en a été témoin. Ainsi :

Vendredi, la Troupe Royale,
Et sérieuse et joviale,
Représenta parfaitement,
Pour le premier commencement,
Un Poème, fait à merveille,
Qui vient de la main de CORNEILLE,
Dont les Ouvrages sont connus,
Et qu’on nomme AGÉSILAÜS [sic].
Cette Poésie irrégulière
Et d’une nouvelle manière
Touche avecque tant de douceur
L’oreille aussi bien que le cœur
Qu’avec moi tout le monde avoue
Qu’il n’est aucun qui ne la loue,
Que ses charmes sont singuliers
Et les Actes particuliers.

-Depuis sa venue dans la capitale pour la foire de Saint-Germain, le roi s'est de nouveau adonné à la chasse. Il a été rejoint dans ce divertissement par son épouse, si ce n'est comme imitatrice au moins comme spectatrice :

Le vingt, le ROI fut à la chasse,
Et la REINE, suivant sa trace,
Y porta ses yeux et ses pas
Avec des Objets pleins d’appas,
Qui suivent avec allégresse
Partout cette belle PRINCESSE.

Lettre du 6 mars 1666, par Mayolas.

-Un ambassadeur de France est reçu par le Grand Turc. Il s'agit de Denis de La Haye, Seigneur de Vantelet. Il a succédé à son père en cette charge, Jean de La Haye, en poste de 1639 à 1660 qui avait passé quelques années de son office dans les fers, soupçonné qu'il était par le sultan d'entente avec Venise.

Je chante ici d’une humeur gaie
Que l’illustre et prudent la HAYE,
Notre superbe Ambassadeur
Près Sa HAUTESSE ou Grand Seigneur,
De lui fut reçu d’importance ;
Et, pour marquer sa bienveillance,
Il lui parla civilement,
L’accueillit agréablement,
Et dans son Palais lui fit faire
Un honneur extraordinaire,
Tel qu’exige sa dignité
Et que lui-même a mérité.

Lettre du 6 mars 1666, par Robinet.

-La chasse, toujours la chasse... Louis XIV sait-il qu'il partage l'amour de la vénerie avec son homologue ottoman, celui-là même qui vient de recevoir son ambassadeur en grande pompe ? Mehmed IV (1642-1693) était en effet nommé Avci Sultan, le sultan chasseur (voir notamment Athènes ancienne et nouvelle de Georges Guillet de Saint-Georges, récit de voyage composé sous son règne (1675), p. 381).

Les MAJESTÉS, MONSIEUR, MADAME,
Qui semblent tous n’avoir qu’une Âme,
Tant ces nobles Suppôts des LYS
Sont admirablement unis,
Chassent à Saint Germain en Laye,
Tantôt un Sanglier ou Laye,
Tantôt un Cerf ou bien un Daim,
Qui savent détaler soudain :
Et puis, changeant de batterie,
Le vol de la Perdrix ou Pie,
Et la Chasse du Lièvre enfin,
Divertit, le soir ou matin,
La Cour la plus grande et plus leste
Que voie le Flambeau céleste.
Là, cent Objets des plus charmants,
Paraissant sous les ornements,
Des anciennes Amazones,
Semblent tout autant de Bellones,
Mais dont les Courages plus doux
Font des Cœurs l’Objet de leurs coups.

-Autre divertissement, la comédie (ici l'Agésilas de Th. Corneille) et ainsi que le premier de tous ses auteurs, Molière, ici loué pour son industrie à divertir le public. Ainsi :

Ne vous mettez point aux fenêtres,
Ni n’allez point traîner vos Guêtres
Pour voir des Masques, ces Jours gras ;
Bonnes Gens, vous n’en verrez pas.
Messieurs les Fous de tous Étages
Seront une fois de faux sages
Pour le respect (bien entendu)
Par tout Français justement dû
Aux Cendres de cette PRINCESSE
Que nous pleurons encor sans cesse.
Mais vous aurez, pour Supplément,
Le noble Divertissement
Que vous donnent les doctes Veilles
De l’AÎNÉ des braves CORNEILLES [sic],
Son Charmant AGÉSILAUS [sic],
Où sa Veine coule d’un flux
Qui fait admirer à son Âge
Ce grand et rare Personnage.
Ceux qui, d’instinct peu sérieux,
Préfèrent le facétieux
Pourront rencontrer chez MOLIÈRE
Leur satisfaction entière ;
C’est là, sans qu’il en reste un brin,
Qu’on fait dénicher le chagrin.
Ceux qui donnent dans la Machine
Pourront aussi, je m’imagine,
Rencontrer leur compte au Marais ;
Il est vrai, c’est à plus grand frais,
Mais, quand il faut se satisfaire,
Le Coût est un mal nécessaire,
Mais mal qui doit passer pour Bien
À qui de son or use bien.
D’ailleurs, de pareilles Machines,
Des Machines presque divines,
Et les Vers de Monsieur BOYER,
Digne d’un immortel Loyer,
Méritent bien, sans aucun doute,
Qu’on y courre, quoi qu’il en coûte.
Vous avez, pour tout dire enfin,
La TROUPE du charmant DAUPHIN,
Dont les Acteurs, encor en graine,
Peuvent guérir de la migraine,
Soit dans les Rôles sérieux,
Soit dedans les facétieux.
Ces Marionnettes vivantes
Sont tout à fait divertissantes,
Et l’on croit vraisemblablement
Que ce soit un Enchantement.

-D'un éloge à l'autre, la fille de du Croisy succède à Molière dans le coeur et dans les vers du gazetier :

Mais je sais une autre Merveille,
Encor beaucoup plus nonpareille :
Une belle Enfant de cinq ans
Qui vous entretient d’un bon sens,
Et, de son petit Bec de rose,
Ou de sa Bouche à peine éclose,
Vous fait mille charmant Discours
Qui ne sont point d’à tous les Jours ;
Qui du geste et de la parole
Pousse toute sorte de rôle
De si merveilleuse façon
Que l’on peut dire tout de bon
Qu’en son espèce elle est unique,
Et, selon son nom d’ANGÉLIQUE, [Fille du Sieur du Croisi de la Troupe du Roi.]
Que c’est un Chef d’Œuvre des Cieux
Pour ravir l’Oreille et les Yeux.

Lettre du 14 mars 1666, par Mayolas.

-A la suite de Robinet, Mayolas revient sur la passion première du Roi, cette fois-ci accompagné dans cet office par la Reine :

Le premier jour de la semaine,
Notre ROI, comme notre REINE,
Dans la Forêt de saint Germain,
Où courent cerfs, sangliers et daim [sic],
Prirent le plaisir de la chasse,
Dont un grand cœur point ne se lasse,
Et quantité de Courtisans
Suivaient ces Objets ravissants,
Aussi bien que ans la Garenne,
De cent sortes de gibier pleine,
Où, par des passe-temps nouveaux,
Ils virent le vol des oiseaux
De la grande Fauconnerie,
Fort nombreuse et fort bien nourrie,
Monsieur le Comte de MARÈS
Étant justement le plus près.

-La fille de Monsieur et Madame est malade de la rougeole. Sa beauté, cependant, n'en est pas altérée... :

L’autre jour, MONSIEUR et MADAME,
Unis d’une immortelle trame
Et remplis d’une petit souci,
Assez vite vinrent ici
Pour y voir leur jeune Princesse,
Qu’Amour incessamment caresse,
Mais dont la Rougeole en ce temps
Semblait menacer le printemps.
On en est quitte pour l’alarme,
Son œil, comme auparavant, charme
En conservant tous ses appas ;
Je pense qu’il n’y paraît pas,
Dont on a beaucoup d’allégresse,
Surtout le Prince et la Princesse.

Lettre du 14 mars 1666, par Robinet.

-En cette année de deuil royal, le carnaval reste "sobre". Il faut bien, toutefois, que quelque fête se passe :

CARÊME PRENANT, surnommé
Le Modeste et le Réformé,
S’est passé de manière honnête,
Sans que Personne ait fait la Bête,
Si ce n’est fort secrètement,
Et le plus grand Emportement,
Du moins qui soit à moi notoire
Pour en parler dans mon Histoire,
S’est arrêté dans les Festins,
Où les plus Fols, les plus Lutins,
Ont gardé la même Sagesse
Que ces grands Prudes de la Grèce.
Je fus à l’un de ces Cadeaux,
Des plus galants et des plus beaux,
Où mille excellentes Pâtures
Et de charmantes Créatures
Étaient un excellent Ragoût
Et pour la Vue et pour le Goût ;
Deux de ces aimables Mignonnes,
Valant les lus belles Couronnes
Et de l’Hymen et de l’Amour,
Firent des Beignets tour à tour,
Bien dignes que notre Écritoire
En éternise la mémoire,
Sous le nom de BRIGIDIENS
Et dessous celui d’IRIENS,
Selon le nom de ces deux Belles,
De ces deux aimables Pucelles,
L’une et l’autre d’un rare Prix :
C’est BRIGIDE, enfin, c’est IRIS.

-A la suite de Mayolas dans la lettre précédente, Robinet évoque la rougeole de Mademoiselle...

Au Palais, non plus Cardinal,
Mais, sans nul doute, tout Royal,
Nous vîmes arriver naguère
Une Querelle, mais légère,
Entre les ROSES et les LYS [La Rougeole de Mademoiselle.]
Par qui les Teints sont embellis.
Les Roses, trop impérieuses,
Et mêmes trop injurieuses,
Voulaient ces beaux Lys supplanter
Et toutes seules éclater
Sur un jeune et charmant Visage
Digne d’un Souverain Hommage,
Mais des Lys le noble Destin
Réduisit les Roses enfin
À souffrir toujours leur Mélange
Sur le Teint de ce petit ANGE.
Ainsi je nomme sans choper
Et sans nullement me tromper
Notre jeune MADEMOISELLE,
Si belle, si spirituelle,
Et, bref, si digne de l’Amour
De toute notre illustre Cour.

-...De même qu'il relate également les plaisirs cynégétiques du couple royal :

Mercredi, MONSIEUR et MADAME,
Triomphants d’aise dans leur Âme,
Après ce Mal passé soudain,
Retournèrent à Saint Germain,
Où, non sans d’extrêmes Liesses,
On reçut leurs belles ALTESSES

Nous avons su qu’en ce Séjour
Les MAJESTÉS, avec leur Cour,
Dont l’humeur est fort Chasseresse,
Signalaient toujours leur adresse
A massacrer et giboyer
Le plus redoutable Gibier,
Notre REINE, féconde en Charmes,
Pour sa part ayant sans alarmes
Abattu d’un Coup bien subtil
Un Sanglier avec son Fusil.
Mais las ! s’il faut que tout périsse,
Ô que le Sort lui fut propice
De l’avoir conduit à sa Fin
Par une si divine Main !

Lettre du 21 mars 1666, par Mayolas.

-Mayolas a pu admirer un portrait du très-catholique rival de François Ier réalisé, au siècle précédent, par un peintre d'Utrecht. Voici son impression :

Un des jours de l’autre semaine,
Un véritable Ami m’entraîne
Pour voir un Chef-d’œuvre parfait,
Un Tableau si beau, si bien fait,
Si rare, si recommandable,
Qu’on n’en peut trouver de semblable
Dans Paris ni dans d’autres lieux ;
C’est le Triomphe glorieux
De toute l’Église Romaine,
Pièce qui semble plus qu’humaine,
Du Peintre, fameux plus que vingt,
Du grand Empereur CHARLES QUINT,
Et que l’on nomme ANTOINE MORE,
Qui par ce Tableau vit encore.
Les esprit les plus délicats,
Qui savent juger des appas
D’un Image, d’une Figure,
Et des beautés de la Peinture,
Confessent tous ingénument
Qu’il n’en est point de plus charmant.
Un chacun le loue et l’admire ;
Son aspect à l’instant inspire,
Sans nulle exagération,
Une sainte admiration.

-La chaise vide de Gombauld à l’Académie Française est prise par Tallemant :

J’ai su, d’un esprit for charmant,
Que Monsieur l’Abbé TALLEMANT,
Dont le docte et rare génie
Est plein d’une force infinie
Qui fait paraître ce qu’il vaut,
Remplit la place de GOMBAULD
Dans l’Assemblée Académique,
Délicate et scientifique,
Et ce Troupeau fort étendu,
L’ayant, certes n’a rien perdu,
Puisque c’est un Esprit d’élite
Dont on connaît bien le mérite,
Fort adroit, fort intelligent,
Fort modeste et fort obligeant.

-On se souvient que Molière, dans ses Précieuses avait évoqué quelques-unes des "recettes" de beauté favorites des courtisans et autres petits marquis. En voici une autre destinée à blanchir les dents :

Une Fille spirituelle,
Aimable, généreuse et belle,
Qui certes son pesant d’or vaut,
N’ayant en elle autre défaut
Que d’avoir la dent un peu noire,
L’a faite plus blanche qu’ivoire,
Par le secret et le moyen
De CATALAN, dit l’ITALIEN,
Dont les remèdes favorables
Et les essences admirables,
Qu’il tire des fruits et des fleurs,
Font aller Dames et Seigneurs
Chez lui, près des Marionnettes,
Pour acheter de ses tablettes.

Lettre du 28 mars 1666, par Robinet.

-Poursuivant comme de coutume l'office de son confrère, Robinet évoque l'élection de Tallemant à l’Académie à la place du défunt Gombauld :

À présent dans l’ACADÉMIE,
Si noble et si bien affermie,
Chez notre illustre et grand SÉGUIER,
ALIAS digne CHANCELIER,
Qui préside en cette Assemblée
Dont la Gloire est par lui comblée,
On peut compter deux TALLEMANTS [sic], [l’Aumônier du Roi, et le Fils du Maître :Tous deux Doctes, tous deux charmants, des Requêtes.]
Cousins de Sang et de Parnasse,
Et tous deux dignes de leur Place.
Quand le Dernier y fut reçu,
Par un Discours si bien conçu,
Si pur et si plein d’harmonie,
Il harangua la Compagnie
Qu’il lui fit voir, en bonne foi,
Que, dans son noble et bel Emploi
De corriger notre Idiome,
Il verra jusqu’au moindre Atome
Et qu’étant jeune certe [sic] il vaut,
Mais tout au moins, un vieux GOMBAULD.

Lettre du 4 avril 1666, par Mayolas.

-La Cour ne se départit pas de ses divertissements traditionnels.

Notre Cour, des Cours la plus belle,
Comme toute spirituelle,
Appelle a de certains moments,
Parmi ses Divertissements,
Les belles et savantes VIERGES
Qui du PARNASSE sont Concierges,
Et Princes, Ducs, Comtes, Marquis,
Qui chez Elles ont quelque Acquis,
Caressent à l’envi ces Belles,
Et bien et beau font avec Elles,
Et bien et beau font... devinez.
Mais déjà vous vous méprenez,
Et, par un instinct de Nature,
Vous pensez à la forfaiture.
Mais sachez, ô Benoît Lecteur,
Que Muses sont Filles d’honneur
Et d’inviolables Pucelles,
Et que ce que font avec Elles
Ces beaux Messieurs que j’ai nommés
Sont d’agréables BOUTS-RIMÉS,
Comme sur le Champ dans ma Lettre
Pour Exemple j’en pourrais mettre,
N’était que je n’ai la vertu
De faire de tels IMPROMPTU [sic]
Qu’à loisir et tout à mon aise,
Si bien que, ne vous en déplaise,
Mon susdit Lecteur, ce sera
Quand le caprice m’en prendra.

Lettre du 10 avril 1666, par Robinet.

-...Divertissements qui passent d'un gazetier à l'autre, comme de coutume :

Ce HÉROS, l’autre Samedi,
Changeant de Gîte, après midi,
De Saint GERMAIN vint à VERSAILLES,
Où l’on trouve Perdrix et Cailles,
Et dans ce Lieu délicieux
Notre COUR s’ébaudit des mieux.
La Ramasse, l’Escarpoulette,
Le Volant avec la Raquette
Et d’autres petits Jeux nouveaux,
La Chasse, le Vol des Oiseaux,
Et, le plus souvent, des Cœurs mêmes,
Sont là les Délices suprêmes
Que l’on goûte à ce Renouveau
Où l’AMOUR mille fois plus beau
Se fait de toutes les Parties,
Qui sans Lui sont mal assorties.
Mais surtout c’est dans notre COUR,
Son plus doux et riant Séjour,
Qu’il établit ses grandes Fêtes
Et fait ses plus chères Conquêtes
Par le moyen de cent BEAUTÉS
Qu’on prend pour des Divinités.

Lettre du 18 avril 1666, par Mayolas.

-Le roi, la reine, Monsieur et Madame quittent Versailles (où ils ont eu force réjouissances) pour Saint-Germain :

Dans le beau Palais de Versailles,
Où ne sont point vieilles ferrailles,
Puisqu’on m’assure de nouveau
Que tout est neuf dans ce Château,
Notre Grand Porte-Diadème,
Avec la REINE qui bien l’aime
Et le DAUPHIN pareillement,
Qui de plus en plus est charmant,
Avec MONSIEUR, avec MADAME,
De qui les deux corps n’ont qu’une âme,
Et les Princes et Courtisans,
Ayant pris là le passe-temps
Que cette Royale demeure
Pouvait leur offrit à toute heure,
Pendant des jours quatre fois trois,
Tantôt au pré, tantôt au bois,
Faisant souvent des promenades
Auprès des nouvelles cascades,
De qui les orgueilleux jets d’eau
Rendent ce lieu tout à fait beau,
Tantôt à la Ménagerie
Pour voir voler l’oisellerie ;
Tous, fort satisfaits de cela,
Avant hier partirent de là
Pour retourner d’une humeur gaie
Jusques à Saint Germain en Laye,
Dont la belle et grande Maison
Est aimable en toute saison.

-En ces temps de médecine incertaine, il est particulièrement honorable pour un serviteur d'Hippocrate de se voir louer dans les gazettes. Ici, le docteur Collot, premier médecin du Roi est vanté pour l'art avec lequel il sait soulager des souffrances de la "Pierre" :

Opulents et pauvres Pierreux,
Vous ne serez plus malheureux,
Car la grande ou petite Pierre
Qui dans les reins souvent s’enserre,
Et descend en un autre endroit,
Par le secret d’un Homme adroit,
Vous sera promptement ôtée
Et sans nul danger emportée.
Le fameux HIÉROME COLLOT, [Premier Médecin du Roi.]
Estimé du savant VALLOT,
Des intelligents et des sages,
Et de nos plus grands Personnages,
Ce digne Opérateur du Roi,
Entend bien cela, sur ma foi,
Et je crois que dans cette Ville
Il en a tiré plus de mille.

D’un bon Conseiller Toulousain, [Monsieur de Cassagneau Seigneur de Glatens.]
Depuis peu, son experte main,
Qui coupe, qui rogne et qui taille
Des Personnes de toute taille,
En a tiré deux tout d’un coup,
Sans les faire souffrir beaucoup.

Papes, Empereurs, Rois et Princes,
Les Républiques, les Provinces,
Peuvent avoir besoin de lui,
Et l’on le recherche aujourd’hui,
Puisque sa science fameuse
Fait mainte cure merveilleuse.
Il n’est pas de ces Charlatans,
De qui les discours éclatants
Ne sont que pure tromperie
Et frauduleuse piperie ;
COLLOT en fait plus qu’il n’en dit [comme le nommé Raoux.]
Et mieux que je ne l’ai décrit.
Courrez donc, en pareille affaire,
À cet illustre Lapidaire,
Et vous aurez assurément
Un prompt et grand soulagement.

Lettre du 17 avril 1666, par Robinet.

-A la suite de Mayolas, Robinet relate le départ de Versailles pour Saint-Germain du roi et de ses proches :

Depuis Jeudi, les MAJESTÉS
Ont quitté les félicités
De leur Paradis de Versaille [sic],
Où je n’ai pas vaillant la Maille,
Et sont en un mot de retour
En leur ordinaire Séjour. [Saint Germain-en-Laye.]
MONSIEUR l’UNIQUE et digne FRÈRE
Et son ÉPOUSE illustre et chère
Vinrent le même Jour ici,
Et puis sont retournés aussi
Vers la REINE et vers notre SIRE,
À qui tout Bonheur je désire.
Mais le cas, dit-on, est certain
Qu’ils reviendront Jeudi prochain
Passer en ce Lieu-ci la FÊTE
Pour qui tout bon Chrétien s’apprête.

-Puis loue de même le désormais fameux docteur Collot :

Comme il est échu pour beau Lot
Au fameux HIÉROME COLLOT,
Par expérience foncière,
De savoir vider la CARRIÈRE
Qui, pour les Péchés des Humains,
Souvent se forme dans les Reins,
Ou, pour mieux dire, en la Vessie,
Et leur fait détester la Vie,
Un CONSEILLER, Homme d’Honneur
Et de GLATENS même Seigneur,
Très bien informé de la Chose,
Est Ici venu de TOLOSE [sic]
Pour se faire décalculer,
C’est-à-dire par lui tailler.
Or, depuis environ huitaine,
Ledit Collot a fait sans peine
Cette grande Opération,
Mais avec l’admiration
De trois Disciples d’Hypocrate,
Dont le Renom partout éclate,
L’ayant vu fort adroitement
Et même fort diligemment
Extraire deux Pierres très dures
Qui causaient d’étranges Tortures,
Sans se servir d’un Instrument
Qui fait crier enragement,
Causant des Maux de Purgatoire,
Et qu’on nomme DILATATOIRE.
C’est ainsi que sans cet Outil,
Par un Art tout à fait subtil,
Il tire à présent chaque Pierre
Que la Vessie humaine enserre,
Et que, faisant bien moins souffrir,
Il sait beaucoup plutôt guérir
Le pauvre Patient qu’il taille.
C’est d’où vient que, sans que l’on raille,
Il est d’une belle hauteur
Nommé l’ADROIT OPÉRATEUR,
Et qu’il est de notre GRAND SIRE
Pour ce bel Art où l’on l’admire,
Et qu’enfin de Grands et Petits
Il est couru de tous Pays
Pour s’en faire tirer la Pierre
Qui fait renier comme un SAINT PIERRE.
Mais on fuit un certain RAOUX,
Digne de haine et de courrox,
Qui par des tours de Gibecière,
Aux yeux jetant de la poussière,
Fait voir une Opération
Qui n’est rien qu’une Illusion,
Et, quand de trop près on le serre,
Dit qu’il ne trouve point de Pierre.
Ainsi le Fourbe, l’Imposteur,
Et du Public grand Affronteur,
Par sesdits tours de passe-passe,
Soutenait avec trop d’audace
Qu’il manquait matière à tailler
Ce sage et brave CONSEILLER,
Lequel a bien vu le contraire
Par celles qu’on lui vient d’extraire
Avec un notable soulas,
Si que deux Objets pleins d’appas,
En qui beaucoup de vertu brille,
Savoir son ÉPOUSE et sa FILLE,
En sentent d’extrême plaisirs
Qui comblent leurs plus chers désirs.

Lettre du 24 avril 1666, par Mayolas.

-Ancien calviniste, désormais converti, le père Léon Bacoue (1601-1694) publie un ouvrage de louanges au Roi. Il s'agit en fait de Augustiss. et invictiss. principi Ludovico XIV. Franciae et Navarrae regi christianissimo carmen panegyricum nec non christianae politices exemplar (Paris, Chez Antoine Bertier, 1666) :

Le Révérend Père LÉON, [Bacoue, Cordelier.]
Obligeamment m’ayant fait don
D’un Ouvrage tout Héroïque,
Puisque c’est le Panégyrique
De notre Roi juste et charmant,
Je lui dois ce remerciement.
Ce Tableau, grave et magnifique,
De sa Chrétienne Politique,
Fait sans fard et clairement voir
Que ce PRINCE en est le Miroir.
Il l’a mis en Latines rimes,
Douces, savantes et sublimes,
Afin que les Peuples divers,
Entendant et lisant ces Vers,
Voient une image fidèle
Des Vertus de ce grand Modèle.
Le ROI le reçut de sa Main,
Avec plaisir, à Saint Germain.

Lettre du 1er mai 1666, par Mayolas.

-Les Gobelins sont gratifiés d'une visite royale. Accompagné par son frère, le souverain peut se contempler, dans quelques-unes de ses postures favorites, dans les tableaux d'un grand peintre :

Le ROI puissant et magnifique,
Avec MONSIEUR, son Frère unique,
Jeudi, venant à la Cité,
Aux Gobelins fut transporté
Pour y voir de parfaits Ouvrages,
Desseins, Travaux et Personnages,
Que l’incomparable LE BRUN
Dispose d’un Art non commun.
Notre habile et très juste SIRE
Les examine et les admire.
Soit qu’on regarde maint Tableau
De Saint Germain, Fontainebleau,
Vincenne[s] et du superbe Louvre,
Mille beautés on y découvre,
Ce PRINCE y paraissait partout,
Tantôt assis, tantôt debout,
Tantôt à cheval, à la chasse,
Avec son air fier et sa grâce.
On voit en lui je ne sais quoi
Qui n’est pas en nul autre ROI.
La beauté des Tapisseries
Et l’éclat de leurs broderies,
Par leurs agréments curieux,
Ne recréent pas moins les yeux ;
Surtout Neptune et sa Déesse,
Représentés avec justesse,
Traînés par des Chevaux Marins,
Éclatent auxdits Gobelins.
On n’y voit aussi les neufs Muses,
En fort bon ordre et point confuses,
Et mille autres Portraits divers
Des plus charmants de l’Univers.
Notre Grand PORTE-DIADÈME
En reçut un plaisir extrême,
Et Monsieur COLBERT, là présent,
En parut aussi fort cotent,
N’aiment, ainsi qu’on le remarque
Que la gloire de son Monarque,
Et n’a pour but dans ses projets
Que le bien de tous ses Sujets.

Lettre du 2 mai 1666, par Robinet.

-Pour les Rameaux, Bossuet a fait montre de son éloquence dans un sermon mémorable :

Le saint Dimanche des RAMEAUX,
Jour peu propre à faire Cadeaux,
Les MAJESTÉS, portant des Palmes,
Avec la COUR, lors des plus calmes,
Montrèrent leur Dévotion,
Allant à la Procession.
Leur Prédicateur de Carême,
Dont le zèle est toujours extrême
Et le style fort délicat,
Abbé digne d’être Prélat, [l’Abbé Bossuet.]
Fit un Sermon à sa manière,
Plein d’éloquence, de lumière,
Et surtout de cette ferveur
Dont le charme va jusqu’au cœur.

-Jean-Baptiste Lully loué pour son Miserere :

Pendant les trois jours, les Ténèbres
Furent dévotes et célèbres,
Comme elles le sont tous les ans,
Par les Concerts doux et charmants
De la Musique bonne et belle
De la Chambre et de la Chapelle.
Mais dessus tout fut admiré
Un excellent MISERERE
Du sieur LULLY, nommé BAPTISTE,
De qui souvent Maint est Copiste.

-Pour le vendredi saint, Bossuet a récidivé, au grand plaisir de notre gazetier :

Le VENDREDI SAINT, le GRAND SIRE,
Dont la Piété l’on admire,
Avecque la REINE entendit
Ce que l’ABBÉ BOSSUET dit
Sur le SPECTACLE du CALVAIRE,
Lors l’entretien de chaque Chaire,
Et cet aimable SOUVERAIN
Toucha, dit-on, le lendemain
Huit cents Malades d’Écrouelles,
Qui vainement font les Rebelles
Alors qu’avec ses maîtres Doigts
Il les congédie une fois.

-Sans en avoir été mais sur la foi d'une source fiable, Robinet assure que la fête donnée par Mademoiselle de Guise aux Tuileries à la Reine-Mère d'Angleterre en visite en France depuis l'année dernière fut somptueuse :

Jusqu’aux Muets ont du caquet
Pour prôner le fameux Banquet
Que MADEMOISELLE de GUISE
A fait d’une si belle guise,
Ainsi qu’on me l’a raconté,
À l’Anglicane MAJESTÉ,
À MADAME et MONSIEUR, son Gendre,
Qui de si beaux Enfants engendre.
On ne peut rien voir plus galant,
Plus superbe et plus opulent,
Soit pour les Mets, presque innombrables
Et certes des plus manducables [sic.],
Soit pour l’ordre ou pour le Buffet,
Et pour la Scène où tout fut fait,
Son beau Palais des Tuileries,
Qui maintenant sont si fleuries,
Palais que l’on prendrait vraiment
Pour un Palais d’enchantement ;
Si bien que (le SEIGNEUR la garde !)
Cette sage ALTESSE GUISARDE
S’entend, à ce qu’on voit, des mieux
À traiter les Enfants des Dieux.

-Pendant ce temps-là, le roi était reçu chez Monsieur de Grammont :

L’un des plus sages DUCS de FRANCE, [Monsieur de Grammont.]
Avec une magnificence
Qu’on ne saurait presque égaler,
Eut lors l’honneur de régaler
En son Hôtel ledit beau Sire,
Plus qu’aucun digne de l’EMPIRE,
Et MONSIEUR et MADAME aussi,
De la Muse le cher Souci,
Avecque leur nombreuse Suite
Qui de la Cour était l’élite.
On servit, et tout à la fois,
Sur des Tables jusques à trois,
Une infinité de Viandes,
Toutes exquises et friandes,
Des Marcassins et des Faisans,
Qui sont des Mets assez plaisants,
Des Levreaux, Lapreaux [sic.] et Cailles,
Et d’autres telles Victuailles
Qu’on sert aux somptueux Festins
À nosseigneurs les intestins,
Lesquels s’en donnent au cœur joie,
Car, hélas ! ils aiment la Proie,
Et c’est à remplir leurs désirs
Que consistent souvent nos plus parfaits plaisirs.

Lettre du 8 mai 1666, par Robinet.

-Robinet relate le déplacement du roi et de la reine à Saint Cloud :

LUNDI, notre Grand DIEU-DONNÉ,
De tant de gloire environné,
Avec sa divine COMPAGNE,
Qui le rend AMI de l’ESPAGNE,
Vint se promener à SAINT CLOUD,
En ce riant Domicile Où
L’Art tout ensemble et la Nature
Comblent d’aise la Créature
Par mille plaisirs innocents
Qu’ils y présentent à ses Sens.
C’est là que, sous d’épais Feuillages
Et parmi des mollets Ombrages,
On a des Lits d’Herbe et de Fleurs ;
C’est là que les petits Voleurs
Qui sont de différent plumage
Dégoisent leur plus fin ramage ;
C’est où le Myrte et le Jasmin
Pare et parfume le chemin ;
C’est où les plus vertes Dryades,
C’est où les plus pures Naïades
Présentent en ce Renouveau,
Ce que toutes ont de plus beau.
MONSIEUR et MADAME y reçurent
Leurs MAJESTÉS du mieux qu’ils purent,
Et c’est, à vrai dire, si bien
Qu’on n’y pouvait ajouter rien.

Après avoir vu les Cascades,
Les grands Jets d’eau, les Palissades
Et tous les beaux Appartements,
Avec leurs riches Ornements,
On rencontra dans une Salle
Un si magnifique Régal
Qu’il était évident aux Yeux
Que les Dieux traitaient là des Dieux.

-Hérard va créer une Académie à Rome sur commande expresse du roi :

HÉRARD, Homme pour la PEINTURE
Et même pour l’ARCHITECTURE
Des plus fameux, en bonne Foi,
Est allé, par l’ordre du ROI,
Établir une ACADÉMIE
À ROME, du Vice Ennemie,
Pour s’instruire dans ces deux Arts
Si célèbres de toutes parts
Plusieurs CADETS de LUTÈCE,
Dont deux sont à l’illustre ALTESSE
Que nous nommons ici MONSIEUR,
Tous deux Enfants de Gens d’Honneur
Et l’un Fils d’un moderne APPELLE
Qu’en son nom NOCRET l’on appelle,
De qui le Pinceau chaque jour
Peint les BEAUTÉS de notre COUR.

Lettre du 9 mai 1666, par Mayolas.

-Mayolas relate la réception du roi chez Monsieur de Grammont précédemment évoquée par Robinet :

Le Maréchal Duc de GRAMMONT,
Dont les rares qualités ont
(Prudence, esprit, zèle et vaillance)
Mérité de toute la France
L’estime avec l’affection,
Ainsi que l’admiration,
Traita le ROI, MONSIEUR, MADAME,
Maint grand Seigneur et mainte Dame,
Avec un éclat solennel,
Dans son superbe et grand Hôtel.
Trois tables y furent dressées,
Et dessus icelles posées
Des viandes en quantité,
Avec si grande propreté
Et profusion et justesse,
Qu’on admira sa gentillesse,
Mais ce Duc illustre et charmant
Ne fait rien que fort galamment.

-Puis, également à sa suite, il conte, mais brièvement, le divertissement pris par toutes ces majestés à Saint-Cloud :

À Saint Cloud, ce charmant séjour,
MONSIEUR traita toute la Cour :
Notre MONARQUE incomparable
Et nôtre REINE inestimable,
Des Objets les plus ravissants,
Tant de Dames que Courtisans.
Au retour de la promenade,
Où nul ne se trouva malade,
On leur porta, sans fiction,
Une belle collation,
Dont la grande magnificence
Était digne d’un Fils de France.

Lettre du 15 mai 1666, par Robinet.

-Depuis la lettre du 8 où il était question du voyage de la cour à Saint-Cloud, celle-ci s'est vraisemblablement transportée à Versailles, puis de Versailles à Saint-Germain, pour enfin revenir à Saint-Cloud. Ainsi :

DIMANCHE, Elle [la cour] vint à VERSAILLES,
Et là, comme à des Épousailles,
Mais des Épousailles de Dieux,
Un Souper tout délicieux
Se fit entre les Palissades,
Et même aux douces Sérénades
De mille Choristes ailés
Qui couchent là tout habillés.
Depuis, à SAINT GERMAIN en LAYE,
Sans redouter Sanglier ni Laye,
LOUIS dans le milieu du Bois
A régalé diverses fois
Toute sa belle Compagnie
Avec une chère infinie ;
Et dans SAINT CLOUD, Lieu si plaisant,
La COUR s’ébaudit à présent
De la bonne et belle manière,
Toujours avec une chère plénière,
Si bien qu’on peut dire, ma foi,
Que ce sont vrais PLAISIRS DE ROIS.

-Le baptême du fils de de Visé a été fait sous de royaux et glorieux auspices (à Saint-Germain, comme on le verra dans les lettres suivantes) :

Naguère, l’adorable REINE
Cette charmante Souveraine,
Avec un MONSIEUR tint sur les FONTS
L’UN des plus aimables POUPONS
Où le Sang d’Espagne et de France
Soit en parfaite intelligence :
C’est le FILS du SIEUR DE VISÉ,
Son Officier très avisé,
Que sa MAJESTÉ nomma même,
Certes par un honneur extrême,
LOUIS-PHILIPPES ; après quoi
Je pourrais bien jurer, je crois,
Qu’il va vivre sous des AUSPICES
Des plus beaux et des plus propices.

-Un auteur à la plume fertile dont nous avons déjà parlé ici, Jean Soudier de Richesource, se voit loué pour la préparation d'un bien savant ouvrage si l'on en croit notre gazetier. Il s'agit certainement du dernier in-quarto des Conférences académiques qui ne sortit de l'imprimeur qu'en 1666 (voir Jean-Pierre Collinet, "Une Institution sous-estimée : les Conférences académiques de Richesource", dans L'Ecrivain et ses institutions, Travaux de Littérature publiés par l'ADIREL, avec le concours du centre national du livre, Droz, Genève, 2006 p. 145).

J’avertis ceux de mes Lecteurs
Des BELLES-LETTRES amateurs
Que le Docte de RICHESOURCE,
Lequel en est la vive Source, [En la Place Dauphine, aux deux Croissants.]
Assemble chez Lui les Vivants
Qui se mêlent d’être Savants,
Et qu’on y tient les CONFÉRENCES
Sur les ARTS et sur les SCIENCES,
Ainsi qu’on les tenait jadis
(C’est la vérité que je dis)
Chez RENAUDOT, cet HOMME illustre,
Qui leur donnait un si beau lustre,
Y présidant et discourant
Avec un Esprit si présent.

Lettre du 15 mai 1666, par Boursault.

-Boursault reprend son office pour relater les divertissements de cour de ces jours-ci... mais sans précision sur leur lieu de déroulement (Versailles, Saint-Germain ou Saint Cloud ?) :

Justement Mardi, ce me semble,
Le Monarque sous qui tout tremble,
Ce grand Roi, de qui d’autres Rois
Sont ravis de suivre les Lois,
A sa Cour que nulle n’égale
Fit un magnifique Régale,
Où régnaient des charmes puissants
Qui satisfaisaient tous les Sens.
Dans des Plats rangés en bel ordre,
Où l’on avait mis de quoi mordre,
On voyait des Mets délicats,
Dont le GOUT ne se plaignait pas.
L’ODORAT, de cette Partie,
Loin d’avoir de la modestie,
Pour se contenter à son tour
Dévorait les fleurs d’alentour.
Des Voix qui n’ont point de pareilles
Y satisfaisaient les Oreilles,
Et par une douce langueur
Chatouillaient l’OUÏE et le CŒUR.
Ceux qui par un bonheur Sublime
Servaient le Héros Magnanime,
Avec des transports inouïs,
Avaient l’heur de TOUCHER LOUIS ;
Et tous ceux qui, transportés d’aise,
Fixaient leurs regards sur THÉRÈSE,
Contents de ce bien précieux,
Jouissaient du PLAISIR des YEUX.
Après un Récit si fidèle,
N’ayant plus aucune Nouvelle
Si Galante que celle-là,
Je m’en vais en demeurer là.

Lettre du 16 mai 1666, par Mayolas.

-De la même manière que Robinet dans sa Lettre du 15 mai Mayolas revient sur le déplacement du roi et de sa Cour de Versailles à Saint Germain :

Le ROI, tout à faire magnifique,
Aussi puissant que politique,
De Versaille[s] étant de retour,
À Saint Germain traita sa Cour,
D’une manière si charmante,
Pompeuse, agréable et galante,
Qu’on peut jurer en bonne foi
Qu’au Parc il l’a traitée en Roi.

-Et de la même manière que Robinet, il relate l'auguste baptême du petit de Visé :

Notre Auguste et charmante REINE
Avec MONSIEUR fut la Marraine
Du Fils de Monsieur de VISÉ,
Très fidèle, très bien sensé,
Et le nomma LOUIS-PHILIPPE,
Et ce sont là deux beaux principes.
L’Abbé de COALIN, très fameux,
Célébra dans ce jour heureux
La cérémonie avec zèle,
Au vieux Château, dans la Chapelle.

-Hauteville, le prolixe ! On se souvient de la parution de son Histoire royale l'année précédente et, plus récemment (lettre du 28 février) de son Art de Discourir. Voici qu'est mise au jour une oeuvre qui fait suite au premier de ces titres : L'Examen des esprits, ou les Opinions curieuses, surprenantes et ridicules des philosophes anciens. Pour enrichir les questions de l'Histoire royale,... (Paris, C. Chenault).

APOSTILLE.

Je ne puis m’empêcher d’écrire
D’un Ouvrage que l’on admire ;
Le lisant, j’ai connu le prix
Du juste EXAMEN DES ESPRITS,
Que la plume docte et fertile
Du célèbre de HAUTEVILLE,
A mis au jour publiquement
Pour plus grand éclaircissement
De l’HISTOIRE Scientifique
Qu’il donne à son Roi magnifique.
Chaque semaine, Dieu merci,
Nous verrons encor celui-ci.
Vie et mœurs des grands Personnages,
Des Philosophes les plus Sages,
Capitaines et Magistrats,
Princes, Altesses, Potentats,
Sont décrites d’une manière
Divertissante et singulière.
C’est à Monsieur COLBERT le Fils [Seigneur de Seiguelay.]
Qu’il consacre ses beaux Écrits ;
Ce Patron subtil, juste et sage,
Dans la belle fleur de son âge,
De ces beautés bien jugerea
Et sans doute en profitera,
Car ce Fils d’un si digne Père,
Que notre France considère,
Nourrit ses inclinations
Des plus pures affections,
Sous les soins d’une Compagnie
Qui sait former un grand Génie.
Cet Ouvrage (bien entendu)
Chez mon Imprimeur est vendu.

Lettre du 23 mai 1666, par Mayolas.

-Voici un autre divertissement donné par Mademoiselle de Guise qui avait déjà "régalé" Monsieur, Madame et Henriette de France aux Tuileries quelques semaines auparavant (voir lettre du 2 mai de Robinet). Après quelques pérégrinations chez les Grands, celle-ci est allée retrouver le roi, où nous l'avions laissé, à Saint Cloud.

Il faut qu’en mes Vers je déduise
Que Mademoiselle de GUISE
Régala d’un air singulier
La REINE, Dimanche dernier,
Avec mante brillante Altesse
Et mainte parfaite Duchesse ;
Puis cette auguste Majesté,
Ayant ce jour-là visité
De CONTI l’illustre Princesse
Sur le sujet de sa tristesse,
Elle alla, pour vous dire tout,
Rencontrer le ROI à Saint Cloud,
Au Palais de son Frère unique,
Où MONSIEUR, Prince magnifique,
Par Collation et Dîner
Sut dignement le festiner.

Lettre du 23 mai 1666, par Robinet.

-Le retour du roi à Saint Cloud se voit ici confirmé par Robinet. Le soir venu, Leurs Majestés se sont transportées à Versailles, puis de là à Saint-Germain. Ainsi :

DIMANCHE, notre POTENTAT,
Si digne Maître de l’État
Qu’en l’un ni dans l’autre Hémisphère,
Phœbus son semblable n’éclaire,
Vint encor au BOURG de SAINT CLOUD,
Où sa Cour se divertit prou,
Car, outre qu’on y fit grand chère,
Grâce à MONSIEUR, l’UNIQUE FRÈRE,
Aussi charmant qu’un DEMI-DIEU,
Et l’aimable Hôte de ce Lieu,
On en fut dessus mainte Calèche,
Dont l’Ornement les yeux allèche,
Se faire rouler dans le Parc,
Où le beau DIEU qui porte un Arc,
Suivant ces nobles Compagnies,
Causa des douceurs infinies,
Car ce plus charmant des Nabots
Est presque de tous les Écots,
Et c’est une chose bien vraie
Qu’il faut toujours qu’il y défraye.

La REINE aussi, le même Jour,
En cette Ville fit un tour,
Et MADEMOISELLE de GUISE,
Que pour mille vertus l’on prise,
Traita sa belle MAJESTÉ
Avec la somptuosité
Qu’elle avait encor fait naguère,
Et certe [sic] on ne saurait mieux faire.

Sur le déclin de la CLARTÉ,
Et l’une et l’autre MAJESTÉ,
Faisant cette Traite assez vite,
Furent à VERSAILLES au Gîte,
Et ce Terrestre PARADIS,
Où les Sens sont tous ébaudis
Tant il a d’attraits et de charmes
Qu’on ne peut peindre par des Carmes,
Eut la COUR jusques au mardi,
Qu’elle en partit, après-midi,
Pour retourner, à la même heure,
En son ordinaire Demeure. [S. Germain en Laye.]

Lettre du 29 mai 1666, par Robinet.

-Robinet a assisté à la représentation de L’Antiochus de Thomas Corneille. Longue relation après un jeu de mot touchant le Grand Corneille :

Je vis, Mardi, l’ANTIOCHUS,
Et je veux que comme à MALCHUS
Quelque PIERRE m’ôte une Oreille
Si ce n’est pas une Merveille !
C’est un Chef-d’œuvre assurément
Où tout se trouve également,
Et, depuis que dessus la SCÈNE
Je vais voir de diverse Veine
Ce qu’elle a produit de nouveau,
Je n’ai rien vu qui fût plus beau.
Au reste, la TROUPE ROYALE
Dans cette belle Pièce étale
Toute sa pompe et tout son art,
Et, toute flatterie à part,
Chacun y soutient à merveille
La gloire du jeune CORNEILLE.
Oui, FLORIDOR, d’ANTIOCHUS,
Et MONTFLEURY, de SELEUCUS,
Expriment si bien les tendresses
Que les Âmes les plus tigresses
Voudraient prendre part aux soucis
Tant du Père comme du Fils.
La des ŒILLETS, sur ma parole,
D’ARSINOÉ fait bien le Rôle
Dedans l’intrigue du PORTRAIT,
Qui certes me plaît tout à fait ;
D’autre part aussi, HAUTEROCHE
Pourrait toucher un cœur de roche
Quand de Tigrane, son Amant,
Il représente le Tourment.
Pour DENNEBAUT, la jeune ACTRICE,
Dans le Rôle de STRATONICE
Que veut épouser SELEUCUS,
Et que son FILS ANTIOCHUS
Aime d’un amour qui l’embrase,
Elle vous réduit à l’extase
Par ses appas et ses discours,
Et sait dans de feintes Amours
En inspirer de véritables
Par ses charmes des plus aimables.
Enfin, pour ne rien oublier
De ce que je dois publier,
POISSON et BRÉCOURT, Confidentes,
Font des mieux et sont très brillantes.

Lettre du 6 juin 1666, par Mayolas.

-Les mois passent tout ainsi que les divertissements de cour dont les gazetiers continuent, sans relâche de conter les déplacements autour de Paris. Ici, la route de Saint-Germain à Fontainebleau sous la plume de Mayolas... :

Le ROI, la REINE et le DAUPHIN,
Avec la Cour, avec leur Train,
Ont quitté Saint Germain en Laye
(Dont la ville n’est pas trop gaie),
Et furent faire quelque tour
A Versailles, charmant séjour,
Puis ils dînèrent à Essonne
Avec mainte illustre Personne ;
De là, gagnèrent le Château
Du superbe Fontainebleau,
Où la pompeuse Cour de France
Quelque mois fera résidence.

Lettre du 6 juin 1666, par Robinet.

-...Et la même, sous la plume non moins prolixe de Robinet :

Notre COUR ayant des MAISONS,
Ainsi que le Dieu des SAISONS,
Parmi les douze Mois de l’Année,
MERCREDI, sur l’après-dînée,
Prit, par un temps plus laid que beau,
La route de FONTAINEBLEAU,
Laissant là sans regret VERSAILLE,
Où (je le dis sans que je raille)
Avec bonne Viande et bon Pain,
Sans omettre aussi le bon Vin,
Je passerais toute ma Vie
Sans d’autres Lieux avoir envie.

-Richesource a décidément les faveurs de Robinet ! Notre gazetier l'avait déjà loué trois semaines auparavant pour la mise en forme de ses Conférences. Il semble annoncer ici leur parution :

Apostille.

Chez RICHESOURCE, l’ORATEUR,
On débite, mon cher Lecteur,
Quatre Livres de Conférences
Qu’on y tient dessus les Sciences.
Allez-y d’un pas diligent :
On les donne… pour de l’argent,
Et bientôt, sur ce pied-là même,
Vous pourrez avoir la Cinquième.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin

III Semaine.

Du 10 juin 1666, par Subligny.

-Même s'ils sont effectivement peu capables, les médecins de Molière n'y pourraient pas grand chose quoi qu'il en soit à la peste qui sévit de l'autre côté de la Manche. Le mal, cependant, n'est-il pas en train de diminuer ?

On est de retour à WITAL,
Et toute la Cour d’ANGLETERRE,
Pour penser au mal de la guerre,
Met en oubli le plus fatal.
Le bruit court pourtant que la PESTE
Ne semble plus dans ces quartiers
Si fréquente, ni si funeste,
Et qu’on y voit déjà venir des héritiers.

Le Roi de la Grande-Bretagne
N’y retourne du moins qu’à cause qu’en ces lieux
L’effet du Mal contagieux
N’est plus si grand qu’à la Campagne.
Le COURRIER d’YARTH-MOUTH, dit-on, y tomba mort
Aux yeux presque de ce MONARQUE,
Qui revenait de voir tous les Vaisseaux du Port
Ou sa soldatesque s’embarque,
Et, quelques gens encor du train
De L’AMBASSADEUR DE CASTILLE
Ayant été surpris de ce trépas soudain,
Chacun se dépêcha de regagner la Ville.

Lettre du 12 juin 1666, par Robinet.

-Pendant ce temps, si l'on en croit Robinet, la Cour est toujours à Fontainebleau :

La COUR FRANCAISE, sans souci
A FONTAINEBLEAU comme Ici,
Sait s’y divertir à merveille,
Hormis LOUIS, qui toujours veille
Comme un très digne POTENTAT
A la FORTUNE de l’ÉTAT,
Et qui conduit si bien la BARQUE
Qu’il instruit tout autre MONARQUE.

-Robinet a assisté à une représentation du Misanthrope. La première a eu lieu le 4 juin, sur la scène du Palais-Royal :

Le MISANTHROPE enfin se joue ;
Je le vis Dimanche, et j’avoue
Que de MOLIÈRE, son Auteur,
N’a rien fait de cette hauteur.
Les expressions en sont belles,
Et vigoureuses et nouvelles,
Le Plaisant et le Sérieux
Y sont assaisonnés des mieux,
Et ce MISANTHROPE est si sage
En frondant les Mœurs de notre Âge
Que l’on dirait, Benoît Lecteur,
Qu’on entend un Prédicateur.
Aucune Morale Chrétienne
N’est plus louable que la sienne,
Et l’on connaît évidemment
Que dans son noble emportement
Le Vice est l’Objet de sa haine
Et nullement la Race humaine,
Comme elle était à ce TIMON
Dont l’Histoire a gardé le nom
Comme d’un Monstre de Nature.
Chacun voit donc là sa Peinture,
Mais de qui tous les Traits censeurs,
Le rendant confus de ses mœurs,
Le piquent de la belle envie
De mener toute une autre vie.
Au reste, chacun des ACTEURS
Charme et ravit les Spectateurs,
Et l’on y peut voir les trois GRÂCES
Menant les AMOURS sur leurs traces,
Sous le Visage et les Attraits
De trois OBJETS jeunes et frais :
MOLIÈRE, du PARC et de BRIE ;
Allez voir si c’est menterie.

-Deux grands serviteurs d'Hippocrate sont loués par notre gazetier. Comme dans des lettres précédentes, la chose mérite d'être retenue en ces temps où ceux-ci sont le plus souvent raillés par les poètes comiques...

On parle de deux Grands Docteurs
Et très habiles Professeurs
En la SCIENCE HIPPOCRATIQUE
Ainsi que dedans l’ART CHIMIQUE.
Ils font par beaux Raisonnements
Et d’admirables Arguments
Connaître la vertu des SIMPLES,
Estimés peu des Esprits simples,
Comme aussi la propriété,
La valeur et la faculté
De chaque Pierre Précieuse,
Chose vraiment bien curieuse,
Et montrent bref l’art d’ajuster,
Préparer, ou bien d’apprêter
Tout Médicament et Remède
Dont en ses Maux NATURE s’aide.
Si vous voulez savoir leur nom,
Le voici : GLASÈRE et FAGON,
Et c’est dans le JARDIN des PLANTES
Qu’on entend leurs leçons savantes.

J’avertis les Rogers-Bontemps,
Qui recherchent les PASSETEMPS,
Et les Coquets et les Coquettes,
Amoureux de FLEURS et FLEURETTES,
Que le tout, bien relié en Veau,
Se trouve en un Livre Nouveau
Contenant mainte Historiette
Et Nouvelle assez joliette,
Avec d’autant plus d’agréments
Que ces divers Événements
Sont mêlés de Vers et de Prose.
Je n’en saurais dire autre chose,
Sinon qu’on peut voir à côté
Où ce Volume est débité. [à l’Écu de France au Palais.]

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

IV Semaine.

Du 17 juin 1666, par Subligny.

-A son tour, Subligny donne son avis sur la représentation du Misanthrope à laquelle il a également assisté :

Pour changer un peu de discours,
Une chose de fort grand cours
Et de beauté très singulière
Est une pièce de MOLIÈRE.
Toute la Cour en dit du bien :
Après son MISANTHROPE il ne faut plus voir rien ;
C’est un chef-d’œuvre inimitable.
Mais moi, bien loin de l’estimer,
Je soutiens, pour le mieux blâmer,
Qu’il est fait en dépit du Diable.
Ce n’est pas que les vers n’en soient ingénieux :
Ils sont les plus charmants du monde,
Leur tour, leur force est sans seconde,
Et ce serait fin qui ferait mieux ;
Mais je prouve ainsi ma censure :
Il peint si bien tous les péchés
Que le Diable fait faire à toute la Nature
Que ceux qui s’en croiront tachés
Les haïront sur sa peinture,
Et qu’ainsi les Diables, à cru,
N’y gagneront plus un fétu.
Il daube encor si fort le Marquis ridicule
Que de l’être on fera scrupule,
Et ce n’est pas un petit tort
Que cela ferait à nos PRINCES,
Qui de ces Marquis de Provinces
Parfois se divertissent fort.
Cela me fait dire en colère
Ce qu’autrefois j’ai déjà dit :
Qu’on devrait défendre à MOLIÈRE
D’avoir désormais tant d’esprit.

Lettre du 27 juin 1666, par Mayolas.

-Alors que l'été vient de débuter, la reine s'ennuie-t-elle à parcourir les multiples appartements que les déplacements de la Cour lui font habiter dans les châteaux des alentours de Paris ? Qu'à cela ne tienne, on organisera, à sa demande, un simulacre de bataille dans quelque riante prairie :

En quel temps est-ce que nous sommes ?
Les Femmes imitent les Hommes,
Et le beau Sexe Féminin
Veut égaler le Masculin.
La REINE, charmante Amazone,
Très digne du Sceptre et du Trône
Pour son esprit, pour sa beauté ;
Pour sa vertu, pour sa bonté,
Pour sa grâce et pour son adresse,
Pour son courage et sa sagesse,
Témoignant à Sa Majesté
Qu’elle avait curiosité
De voir une Armée en bataille,
Parmi les feux et la grenaille,
Des lignes, des retranchements,
Des échelle, des ferrements
Et tout l’appareil d’un grand Siège,
On va quitter fauteuil et siège,
Et les Palais plus beaux et grands,
Pour se mettre au milieu des champs.
On va préparer mille tentes
Pour Oncles, Neveux, Nièces, Tantes,
Pour les Dames et Seigneurs,
Tant combattants que spectateurs,
Y compris les belles Princesses,
Les Altesses et les Duchesses,
Et tout le reste de la Cour
Qui brille bien plus que le jour.
Elles contiendront salles, chambres,
Cabinets, recoins, antichambres
Et serviront de paravents
Aussi bien que de contrevents,
De pare-sol [sic], de pare-pluie [sic],
Et, de crainte qu’on ne s’ennuie,
Ou pour leur embellissement,
On y mettra maint agrément.
Les unes comme ébène noire,
Et d’autres blanches comme ivoire,
Vertes, bleues, rouges, ou non,
Recréeront l’œil, ce dit-on ;
La porcelaine et la dorure,
Les cabinets et la peinture,
Sans oublier et fruits et fleurs,
Y marqueront mille couleurs.
Dans un pré, bois, ou champ, ou plaine,
Près d’une rivière, ou fontaine,
Galamment on les placera,
Puis un chacun s’y campera.
MORET sera l’illustre Place
Que dudit siège l’on menace,
Où l’on doit élever un Fort
Et remplir de quelque renfort
Qu’à coups de huit canons de fonte,
Qu’on prépare, qu’on porte et monte,
Rigoureusement on battra,
Et qu’enfin on ébréchera
De manière et de telle sorte
Que la belliqueuse Cohorte
Tentera bientôt un assaut
Et le prendra du premier saut.
Mais les Belles auront la victoire,
Puisque les Guerriers glorieux,
Animés des traits de leurs yeux
Comme de ceux de leur courage,
À leur vue auront l’avantage.
Ce combat sera moins sanglant
Que divertissant et galant ;
Les blessures ni le carnage
N’offriront point d’hideuses images
Et pas de battement de cœur ;
On verra le Français vainqueur,
Qui seul est vainqueur de lui-même,
Sous le grand LOUIS quatorzième.

-D'un divertissement à l'autre, en plein air toujours : voici une course de têtes où le roi, comme de coutume, fit merveille. Ainsi :

Lundi, le ROI courut les têtes,
Et ce sont ses moindres conquêtes,
Car sa grâce et dextérité
Partout ont toujours éclaté.

Notre charmante Souveraine,
THÉRÈZE, notre auguste Reine,
À l’œil aimable, fier et doux,
Régala son Royal Époux,
MONSIEUR et MADAME, fort belle,
Avec encor MADEMOISELLE
Et les Dames et Courtisans
Plus pompeux et plus ravissants.
Dans la longue et Royale Allée
Toute la Troupe étant allée,
Près du petit Parc gracieux
De leur Château délicieux,
Trois tables rondes, ou carrés,
Soit en ovale préparées,
Près et dans un retranchement
Orné, paré fort galamment,
S’y présentèrent et se virent,
Que plusieurs Officiers servirent.
Divers mets et divers ragoûts
Agréables, piquants et doux,
Les plus excellentes viandes,
Les plus rares, les plus friandes,
Qu’on peut manger soir et matin,
Abondaient en ce beau Festin.
Confitures sèches, liquides,
Formant quatorze pyramides,
Que très bonnes chacun trouva,
Que de là point on ne leva,
Comme piliers, comme statues,
Sur la grand table étaient tenues,
De plus de trente-six couverts,
À l’ombre des feuillages verts.
Maints flambeaux et trente-six lustres
Éclairaient ces Objets illustres,
Si bien qu’en ce charmant séjour,
La nuit, on voyait un beau jour.
Les boissons les plus délectables
Ne manquaient jamais aux trois tables ;
Parmi les fleurs, les fruits nouveaux,
Tant des meilleurs que des plus beaux,
Couronnaient la chère angélique
Que cette REINE magnifique
Fit Royalement en ce jour
Au ROI, de même qu’à sa Cour.
Tous, charmés de sa gentillesse,
L’admiraient et louaient sans cesse.

Lettre du 26 juin 1666, par Robinet.

-Les mêmes événements sont ensuite narrés par Robinet :

Les Couverts, jusqu’à trente-six,
Étaient agréablement mis
Dans une Salle de Feuillages
Où les Zéphirs, ces chers Volages,
Vinrent répandre les Odeurs
Qu’en baisant mille et mille Fleurs
Ils leur avaient exprès pillées
Pour en parfumer les Allées, [du Petit Parc.]
Et surtout celle où le Banquet
Au plaisir des cinq Sens fut fait,
Que l’on appelle la Royale,
Comme n’ayant point là d’égale.
Le Dieu du Jour ayant pour lors
Ailleurs porté ses clairs Trésors,
Car il était nuit toute entière,
On vit renaître la Lumière
Par des Lustres en quantité
Et qui faisaient, en vérité,
Un effet parmi la Verdure
Qui surpasse toute Peinture.
Quoi plus ? par un innocent dol
Ils déçurent le Rossignol,
Qui, croyant que ce fut l’Aurore
Et le Jour qui venait d’éclore,
Y vint lui donner le Salut
Par son gosier plus doux qu’un Luth,
Et dont les Accords font la nique
À la plus charmante Musique.
LOUIS était IN CAPITE
Près de la jeune MAJESTÉ,
C’est une chose assez croyable ;
Le plus près d’eux étaient à Table
MADAME et MONSIEUR, son Époux,
C’est ce qu’aussi vous croirez tous ;
Et dans le reste de l’espace
Les ILLUSTRES avaient leur place,
J’entends du Sexe féminin,
Dont je prendrais plaisir enfin
De vous faire le Catalogue,
Mais je sois gobé par un Dogue
Si j’en vois rien sur le papier
Qui de nôtre COUR me vint hier :
Dont je murmure, dont je grogne,
Mais en vain ; terminons besogne.

Le ROI, dans un salon sur l’eau,
Fit de même un Galant CADEAU,
La Nuit du vingt-trois au vingt-quatre,
Mais, le Lecteur me dût-il battre,
Je ne lui peux exagérer
Comme il le pourrait désirer
Ledit beau Nocturne Régale
Qui fut, sans doute, à la Royale,
Car le Correspondant d’Illec
Sur ce verre si fort le Bec,
Ainsi que sur mainte autre chose,
Qu’à la MUSE c’est Lettre close.

Lettre du 4 juillet 1666, par Mayolas.

-Le Sieur Borel, Ambassadeur de Hollande de son état, fait donner le divertissement chez lui, auquel sont conviés les membres de la famille royale :

Racontons que Monsieur Borel,
Mardi dernier, dans son Hôtel,
Fit un magnifique régale
À la Noblesse principale,
Qui se rendit avec ardeur
Auprès de cet Ambassadeur,
Et la Compagnie assez grande
Était du Pays de Hollande.
On but, à ce rare Festin,
Du ROI, de la REINE et DAUPHIN
Les santés beaucoup précieuses
À ces Personnes glorieuses,
Ainsi que celle des ÉTATS,
Dont son Excellence fait cas,
Au son de diverses Trompettes
Qui sonnaient gaies chansonnettes.
Après ce Souper somptueux,
Digne de lui, très digne d’eux,
On alluma le Feu de joie,
Brûlant de bois plus d’une voie,
Et répandant maint muid de vin,
Pour ce que vous savez, enfin.
Le Passant, comme l’on peut croire,
Fort franchement allait là boire.

Lettre du 4 juillet 1666, par Robinet.

-Pour la fête Dieu, la cour s'est retrouvée à Fontainebleau et Louis le grand a fait montre de sa piété dans une honorable cérémonie :

Mais ça, poursuivrons notre Épître
Par un autre charmant Chapitre.
Le jour de la grand’ FÊTE DIEU,
Qu’on doit célébrer en tout lieu,
La Procession fut fort belle,
Fort auguste et fort solennelle
Au Séjour de FONTAINEBLEAU ;
Mais quoi ? cela n’est pas nouveau :
LOUIS, le plus grand des MONARQUES,
Donne toujours d’illustres marques
Qu’il est MONARQUE TRÈS CHRÉTIEN,
Et, ce disant, je ne dis rien
Qui ne soit en tous Lieux notoire,
Autant du moins que l’est sa Gloire,
De qui le Bruit et le Discours
Se fait ouïr même aux plus Sourds.

-De leur côté, Monsieur et Madame ont quitté Saint Cloud :

MERCREDI, MONSIEUR et MADAME,
Qu’unit une si belle Trame,
Partirent tous deux de SAINT CLOUD,
Petit PARADIS TERRESTRE, OÙ
Notre jeune MADEMOISELLE,
Si belle et si spirituelle,
Et MONSIEUR le DUC de VALOIS,
Beau Sang tout pur de nos Grands Rois,
Habitent, ainsi que deux Anges,
Dont le mérite et les louanges
Déjà se font un bruyant cours
Dans les Oreilles des plus Sourds.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

VII Semaine.

Du jeudi 8 juillet 1666, par Subligny.

-À l’occasion des épousailles de l’Ambassadeur du Portugal, une fête a été donnée à l’hôtel Vendôme :

Il court une étrange Nouvelle,
Qui s’est passée à la ROCHELLE.
Vous vous souvenez bien du ROI DE PORTUGAL
Qui nous vint dérober la PRINCESSE D’AUMALLE :
Elle est enfin à lui par lien conjugal
Et prend goût à porter la COURONNE ROYALE.
Je veux tout ce que l’on voudra,
Et que, peut-être, on répondra
Qu’il était d’un ROI bien honnête,
Après un tel enlèvement,
D’user ainsi de sa conquête
Et de l’épouser promptement ;
Mais VOTRE PÈRE est un MONARQUE
À qui le Rapt déplaît beaucoup,
Et, si l’on n’avait fait ce coup
Pendant qu’on l’arrêtait dans un Festin de marque
Que THÉRÈSE lui fit le soir du même jour,
On aurait vu, SEIGNEUR, qu’à beau jeu, beau retour.
Je veux vous raconter le détail de l’Histoire,
Car elle vous étonnerait,
Et vous ne la pourriez pas croire
De quelque autre qui la dirait.
En effet, à tout prendre au pied de la Nouvelle,
Le PORTUGAIS tranchait du Maître, à la ROCHELLE ;
Dès le Dimanche après-midi,
Et bourgeois et soldats, tout y fut sous les armes.
La PRINCESSE D’AUMALE avecques [sic] tous ses charmes
Fut à la Messe, le Lundi ;
Le COMTE DE MARÉ, suivi d’un cent de Gardes,
Parés des plus superbes hardes,
Et gens à qui, sans hasarder,
À moins qu’elle ne fut Princesse,
Je ne donnerais pas une fille à garder,
Y suivit cette aimable ALTESSE.
Ce galant COMTE DE MARÉ
Était tellement chamaré
Qu’on ne voyait rien de plus leste
Que son juste-au-corps vert, son Écharpe et sa Veste,
Mais l’Écharpe surtout le mettait en crédit ;
Cent chiffres d’or tout pur dont elle était couverte
Étaient miraculeux sur cette couleur verte,
Et, si l’étoffe de l’habit
Revenait à deux cents pistoles,
La façon y donnait encor [sic] tant de splendeur
Que, pour ne perdre pas trop de temps en paroles,
J’en dis autant pour le brodeur.
Le brave de CLERMONT et l’Illustre BÉTHUNE,
Celui-ci comme ENSEIGNE et l’autre LIEUTENANT,
Étaient aussi vêtus de façon non commune
Et marchaient d’un air surprenant,
Mais toujours tous sur la verdure.
GARDES, EXEMPTS et BRIGADIERS,

Les grands et menus OFFICIERS,
Portaient tous la même teinture,
En sorte que, dès ce moment,
On eut pu dire avec franchise
Que la Princesse eut été prise
Sans vert assez malaisément.
Son ALTESSE revint, la Messe étant finie,
À travers cette belle et leste compagnie ;
On en détacha les mieux faits
Pour aller garder son Palais,
Et l’on avait orné chez Elle
Une magnifique Chapelle
Avec un trône à trois degré
Seulement une simple chaire.
À gauche du fauteuil pour elle préparé.
À six heures du soir parut un beau carrosse
Avec une suite fort grosse.
DIX PAGES ayant tous manteau de velours vert
De douze galons d’or couvert,
Des habits tout d’une parure,
De la toile d’or pour doublure,
Et force plumes et rubans ;
Dix puissants ESTAFIERS, du moins aussi pimpants,
COCHERS et POSTILLONS d’une même fabrique,
Menant six chevaux noirs, houssés d’or,
Composaient ce train magnifique,
Et le maître en était Monsieur L’AMBASSADEUR
Qui vint en cet état, précédé de CENT GARDES
Et passant au milieu de mille hallebardes,
Chez l’OBJET enlevé, pour demander son cœur.
Vous attendez que je vous die [sic]
Qu’au moment qu’il lui demanda
Cette jeune PRINCESSE en fut toute étourdie ?
Point du tout, elle l’accorda ;
Elle fit peu la façonnière
Et s’en rapporta seulement
À sa GRAND-MAMAN DOUAIRIÈRE,
Qui donna son consentement
Et dit qu’elle trouvait sa recherche agréable.
Son ONCLE ensuite se rendit
Avec une pompe admirable
Dans la Chapelle que j’ai dit,
Où les PRÉLATS de LAON, de LUSSON et de XAINTES,
Les derniers en camail et l’autre mitré,
Faisaient des postures fort saintes,
Attendant que tout fut entré.
Là tous deux, à genoux, prièrent,
Et puis après se Marièrent.
Vous riez quand je dis cela,
Mais voici comme il faut l’entendre :
Soit que notre PRINCESSE eut la main un peu tendre
Pour celle de ce Seigneur là,
Car la guerre pouvait l’avoir fort endurcie,
Soit que son ROI n’eut pas envie
Que cela se fit autrement,
Tous furent de ce sentiment
Que l’ENVOYÉ de la COURONNE
Et l’ONCLE établiraient le seul nœud Conjugal,
Et que les deux ÉPOUX, étant en PORTUGAL,
Feraient tout le reste en personne.
Après que l’Évêque de LAON
De trois mots eut fait une Reine,
L’incomparable GRAND MAMAN
Fut pour la saluer chez elle en Souveraine,
Mais ce fut inutilement.
La PRINCESSE, malgré son nouveau DIADÊME,
En lui baisant la main deux fois bien tendrement
Se mit à ses pieds elle-même.
Mais, si vous m’en croyez, passons vite ceci ;
Comme cette action a de sensibles charmes
Et qued es deux côtés elle tira des larmes,
Nous en pourrions pleurer aussi.
Son ONCLE, le meilleur des ONCLES du Royaume,
La conduisit au TRÔNE incontinent après,
Qui peut-être servit de baume
Contre l’excès de ses regrets.
L’AMBASSADEUR, genoux en terre,
À ses yeux le premier s’offrit,
Et puis, se redressant, d’un air pris à l’équerre,
Baisa sa main et se couvrit ;
Autant en fit cet ONCLE même,
Et puis MONSIEUR L’AMBASSADEUR
Se découvrit encor avec respect extrême,
Lui mit entre les mains Lettre DE SON SEIGNEUR
Et Lettre de L’INFANT SON FRÈRE,
Qui lui disait une douceur,
Dit-on, d’assez belle manière,
Et qui chantait : « BONJOUR, MA SŒUR »
Les PORTUGAIS qui s’y trouvèrent
Tous à genoux la saluèrent ;
Le DUC DE NAVAILLES, conduit
Par MONSIEUR LE DUC DE VENDÔME,
Tout le canon faisant beau bruit,
Lui fit harangue en galant homme,
Et Monsieur DU TERON COLBERT
N’y fut pas non plus pris sans vert,
Ensuite toute la ROCHELLE,
Tant en corps que séparément,
Lui fit un si long compliment
Qu’après lui faut tirer l’échelle.
On le mena manger en présence de tous
Pour lui remettre un peu la tête,
Qui lui devait tourner dans une telle fête,
Et l’on la servit à genoux.
Deux jours aprè son MAriage,
Le VENDÔME avec Elle enfin fendit le vent :
C’est à vous à dire à présent
Si l’on lui doit d’ici souhaiter bon voyage.

-En l’honneur des mariés, le Prince de Mercœur a ordonné un feu d’artifice :

Lundi, le PRINCE DE MERCŒUR,
Avec le CHEVALIER, son FRÈRE,
Sachant le succès de l’affaire,
En fit faire un feu de bon cœur.
J’en vis les superbes fusées
Et crus même que sur les lieux,
Pour les rendre à voir plus aisées,
Un gros nuage exprès avait noirci les Cieux,
Car le reste du Ciel brillait de clartés sombres
Et là ne répandait que les plus noires ombres ;
Enfin il charmait tout à fait.
L’ouvrage était incomparable,
Et ce qui le rendait encor plus admirable,
C’est qu’un Espagnol l’avait fait.

Lettre du 18 juillet 1666, par Mayolas.

-Colbert, qui était au plus mal, se remet :

Monsieur COLBERT se porte bien
Et son mal à présent n’est rien.
La Cour, qui l’estime et qui l’aime,
En ayant un regret extrême,
Voit avec grande gaieté
L’heureux retour de sa santé,
Qu’il emploie avec zèle immense
A l’utilité de la France,
Et nous voyons incessamment
Qu’il veille infatigablement.

-Vincennes est remis en état pour la Cour :

On balaye, on pare Vincennes
Pour notre ROI, pour notre REINE
Et les principaux de la Cour,
Qui feront là quelque séjour,
Dans le mois d’Août ou de Septembre,
Jusques à celui de Décembre.

Lettre du 17 juillet 1666, par Robinet.

-Descartes est de retour en France... Las ! ce n'est que post-mortem :

Disons, poursuivant notre Épître
Par un autre assez beau Chapitre,
Que l’on attend Ici le CORPS
De l’un de nos illustres MORTS,
Du célèbre RENÉ DESCARTES,
Lequel, bien qu’il jouât aux cartes,
Était pourtant, on le sait bien,
Habile MATHÉMATICIEN
Et PHILOSOPHE fort solide.
Il opposait le PLEIN au VIDE
Du Docte Monsieur GASSENDI
Et niait, comme Esprit hardi,
D’autres POINTS de PHILOSOPHIE,
Dont maints DISCIPLES de SOPHIE,
De la vieille et nouvelle Loi,
Faisaient des Articles de Foi.
Les SECTATEURS de ce rare HOMME,
Natif de PARIS, on de ROME,
Ayant grade amitié pour Lui,
Le font, dit-on, peindre aujourd’hui
Foulant à ses pieds ARISTOTE
Par le Moule de sa Calotte ;
Mais leur zèle est un peu trop fort
Et j’en condamne le transport,
Comme de celui des Lullistes
Qui font marcher dessus les Pistes
De leur PHILOSOPHE RAYMOND
(Cela me semble Rodomont)
Tous les Anciens et Modernes,
Pour lesquels ils n’ont que des bernes.
Chacun a su ce qu’il a su,
Mais à tous quelque honneur est dû,
Et l’on ne peut, en conscience,
Perdre ainsi pour eux révérence.

Lettre du 25 juillet 1666, par Mayolas :

-Il semblerait que les nombreuses mentions dont Robinet lui a fait bénéficier dans ses Lettres aient été favorables à Richesource. Voici désormais que foule se presse pour acheter ses ouvrages ! Ainsi :

Parlons du docte RICHESOURCE :
C’est des beaux Arts la riche source
Et l’un des bons modérateurs
De nos éloquents Orateurs,
Cela veut dire Académiques,
Très discrets et scientifiques,
Ayant, par ses soins précieux,
Fait des Recueils fort curieux,
Contenant ou quatre ou cinq Livres
Qui valent leur pesant de livres,
Pour leurs solides questions
Et nettes expositions
Qu’il y propose et qu’il y montre,
Où l’on voit le pour et le contre.
Le monde, en foule, va chez lui
Pour les acheter aujourd’hui,
Et pour être de l’Assemblée
En sa maison bien installée,
Sans point de faute les Lundis,
La veille de tous les Mardis.
Il loge en la place Dauphine ;
C’est là que l’esprit se raffine
Et que les talents vont croissants,
À l’Enseigne des deux Croissants.
Vous montrant clairement sa route,
Vous la trouverez bien, sans doute.

-La nouvelle du retour au pays des restes de Descartes fait le tour des gazetiers :

J’ai su d’un ami d’Apollon
Que le Chevalier de TERLON,
Très digne Ambassadeur de France,
Par sa poursuite et diligence,
Par son esprit et jugement,
A moyenné l’enlèvement
Des cendres de RENÉ DESCARTES,
Dont les Livres et les Pancartes
En tous lieux ressuscitent bien
Ce grand Mathématicien,
Et fameux Philosophe encore,
Que pour son savoir on honore.
Étant mort chez les Suédois,
On le porte chez les Français,
Dans un brillant cercueil de cuivre,
Où son nom le fera revivre.
Par là, l’on voit visiblement
Que notre Monarque charmant,
Très généreux et magnanime,
Des savants fait beaucoup d’estime,
Puisqu’il les veut voir sur nos bords,
Encore même qu’ils soient morts.
Et moi, qui suis aussi du nombre
De ceux qui chérissent leur ombre,
Je prétends, sans plus barguigner,
À ses mânes le témoigner,
Leur immolant cet Épitaphe,
Qu’au bas de l’article j’agrafe :

CI GÎT DESCARTES, DONT LE NOM,
POUR SES TALENTS PHILOSOPHIQUES,
SÈME PARTOUT SON GRAND RENOM,
COMME POUR SES MATHÉMATIQUES.

NOTRE ROI, LOUIS DE BOURBON,
UN DES PRINCES PLUS HÉROÏQUES,
PAR UN SENTIMENT JUSTE ET BON,
FAIT ICI PORTER SES RELIQUES.

EN SUÈDE IL EST TRÉPASSÉ ;
EN FRANCE IL EST ENFIN PASSÉ :
PASSANT, CALME TES FLEURS AIMABLES.

SI LA MORT SON CORPS ICI MIT,
DANS SES OUVRAGES ADMIRABLES
IL NOUS A LAISSÉ SON ESPRIT.

-L’Abbé Tallemant ici loué pour son verbe et son charisme :

Je déclare fort franchement
Que Monsieur l’Abbé TALLEMANT,
Qui n’a pas moins d’intelligence
Que de génie et d’éloquence,
Au Calvaire, Jeudi dernier,
Fit son Sermon, le beau premier,
À l’honneur de la Madeleine ;
Et, l’Église étant toute pleine
De son illustre parenté
Et Personnes de qualité,
On trouva qu’il fit des merveilles,
Charma les cœurs et les oreilles,
Tant par sa belle expression
Que grâce et modération.
Madame d’ORLÉANS Douairière
Y tenait la place première ;
L’écoutant attentivement,
Elle le loua hautement.
Chacun voit, par ce qu’il sait faire,
Qu’il est digne Fils de son Père ;
S’il ravit au premier discours,
Que fera-t-il dans quelques jours ?

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

X Semaine.

Du jeudi 29 juillet 1666.

-Quelques détails de plus sur le sermon de Tallemant avec le jugement qu'en fit Corneille :

Peut-être ignorez-vous que je fus au Sermon
Que MONSIEUR TALLEMANT fit de la pénitence ?
Envoyez dire en votre nom,
De grâce, qu’on le recommence.
Vous n’avez entendu jamais rien de charmant
Comme ce MONSIEUR TALLEMANT.
C’est la première fois qu’il entre dans la chaire ;
Mais CORNEILLE, qui l’entendit
Prêcher en homme extr’ordinaire [sic],
Dit pour lui les deux Vers que son CID avait dit :
QU’À DEUX FOIS SES PAREILS NE SE FONT PAS CONNAÎTRE
ET POUR LEURS COUPS D’ESSAI VEULENT DES COUPS DE MAÎTRE.
Il n’employa, dans son discours,
Qu’amour tout pur et pures flammes,
Et je ne doute pas qu’il n’ait gagné plus d’âme
Qu’il n’eut fait, sans prêcher, le reste de ses jours.
Il faut aussi que l’on confesse
Qu’à voir ainsi parler contre la vanité
Un jeune homme de qualité,
Qu’à le voir déplorer, avec tant de tendresse,
Ce que le monde à Dieu fait d’infidélité,
C’est, MONSEIGNEUR, un bien doux charme
Et qui puissamment nous désarme.
Mais je n’ai pas dessein de vous faire un Sermon
Pour dire que lui-même en fit un au CALVAIRE,
Devant la Divine ALENÇON,
Qui, comme moi, ne s’en peut taire.
Je dis seulement, pour finir,
Que, si la MADELEINE, en son discours bien peinte,
Pouvait plus grande devenir,
Il l’eut faite sans doute une plus grande Sainte.

Lettre du 1er août 1666, par Robinet.

-Monsieur et Madame reviennent de Fontainebleau :

Dimanche, cette ALTESSE AUGUSTE,
Que d’encenser il est si juste,
Cette DÉESSE de mes Vers,
Qui pourrait charmer l’Univers
Par sa beauté presque divine,
Dont je dis moins qu’on en devine,
Vint ici, de FONTAINEBLEAU,
Dans sa BERGE, petit Vaisseau
Cent fois plus beau que ne fut onque
De VÉNUS naissante la CONQUE,
Sur qui dans CHYPRE elle surgit.
L’HÉROÏNE dont il s’agit
Parut aussi cent fois plus belle
Que cette Amoureuse IMMORTELLE,
Voguant sur la SEINE aisément,
Dedans ce mignard Bâtiment.
Au milieu de toutes ses DAMES,
Ses Yeux, ces deux Sources de flammes,
Semaient sur l’Eau de plus beaux Feux,
Et, comme le FLAMBEAU des CIEUX,
Pour redonner le Jour au Monde,
Ne faisait que sortir de l’Onde,
On l’eût prise, à son air riant,
Pour la BEAUTÉ de l’ORIENT
Qui vient, avec tant de lumière,
Lui rouvrir sa vaste Carrière,
Lorsqu’il éteint, quittant THÉTIS,
Les Astres et grands et petits.

MONSIEUR, premier MONSIEUR de FRANCE,
Ce HÉROS beau par excellence
Et, par un Destin des plus doux,
De MADAME l’heureux ÉPOUX,
Étant dans la Nef avec Elle,
Je dis, en Narrateur fidèle,
Qu’on crût aussi voir le CHASSEUR
Qui de l’AURORE avait le cœur,
Et que l’AMOUR, qui tout accouple,
Onc ne fit voir un si beau COUPLE
Sur l’humide et flottant SÉJOUR,
D’où sa MÈRE sortit au JOUR,
Ni plus digne du doux Empire
De cét aimable et petit SIRE.

À la descente du Vaisseau,
Laissant mille Charmes dans l’Eau,
MONSIEUR monta dans son Carosse,
Où l’on ne voit aucune Rosse,
Et vint dans le PALAIS ROYAL
(Ci-devant PALAIS CARDINAL),
Et MADAME, au sien tout de même,
Avec une vitesse extrême,
Tout droit à COLOMBES alla,
Ou, pour le mieux dire, vola,
Pour y voir la REINE sa MÈRE,
Qui lui fit grand fête et grand chère.

LUNDI, ce PRINCE charmant
Assista douloureusement
(Car son deuil toujours se retrace)
Au SERVICE qu’au VAL de GRÂCE
On fait, le vingtième des mois,
Pour la REINE dont les FRANCAIS,
Depuis la Saison Hyémale,
Souffrent la perte si fatale.
Ce même jour, devers le soir,
Pareillement il alla voir
la MAJESTÉ sa BELLE-MÈRE,
Que de tout son cœur il révère,
Comme de tout le sien aussi
Elle le chérit, Dieu merci ;
Et de ce Lieu-là, ce me semble,
Ayant coupé, dit-on, ensemble,
Il fut coucher à son SAINT CLOUD
Qui, certe [sic], est un joli Bijou.
Le MARDI, son ÉPOUSE aimable,
De Lui presque inséparable,
L’alla joindre en ce beau POURPRIS,
Aussi ravissant, prix pour prix,
Que celui que le PREMIER HOMME
Perdit pour un Morceau de POMME.
C’est là qu’avec leurs chers ENFANTS,
Déjà si beaux, si triomphants,
Et si dignes de leurs tendresses
Sont ces deux ROYALES ALTESSES
Qui charment les cœurs et les yeux
Encore pour un jour ou deux.

Lettre du 8 août 1666, par Mayolas.

-Au collège de Clermont, les élèves ont fait merveille : la représentation de leur Gusman trouve un écho favorable chez nos gazetiers. Le premier, Mayolas, est assez prolixe :

Il ne faut pas que notre Plume
Omette la bonne coutume
Qu’en ce temps elle a chacun an ;
Écrivons donc comme GUSMAN,
Tragédie en tout achevée,
Fut représentée ou jouée
Dans le Collège de Clermont,
Où de grands Personnages sont
Enseignants, instruisant sans cesse
La plus florissante jeunesse.
Les Danseurs du BALLET DU TEMPS
Donnèrent bien du passe-temps ;
Ils dansèrent tous d’importance,
Et le Maître de cette danse,
L’adroit CHICANEAU, qu’on vanta,
Fort dignement s’en acquitta.
Les Violons et les Trompettes
Touchaient d’aimables chansonnettes,
Et force Gens de qualité
De la Cour et de la Cité,
Mardi dernier, là se trouvèrent,
Et divers plaisirs y goûtèrent,
Admirant tous, sans fiction,
La riche décoration
De ce Théâtre magnifique
Où parut l’Ouvrage Héroïque.
Il suffit de dire le nom
De cet Auteur de grand renom
Pour savoir si la Pièce est belle :
C’est l’éloquent Père RIDELLE,
Qui n’est pas moins grand Orateur,
Qu’il est bon Versificateur,
De qui le génie et le style
Ne doivent rien à feu Virgile.
Les Acteurs, richement parés
Et tout à fait bien préparés,
Avec pompe, avec grâce extrême,
Récitèrent ce beau Poème.
BRÉQUIGNY, qui faisait le Roi, [des Maures.]
Le faisait fort bien, sur ma foi ;
Le second joua bien son rôle [Fils du Roi.]
Et du geste et de la parole :
C’était l’aimable de BRETEUIL,
Qu’on voit en tous lieux de bon œil ;
Ce Fils d’un très illustre Père
Et d’une très parfaite Mère,
Le septième de leurs Enfants [mâles.]
Qui sont en vertus triomphants,
Dont l’âme se voit occupée
Et dans la Robe et dans l’Épée,
Ce Fils emporta les cinq Prix,
Récompense des beaux Esprits,
Et ces cinq en font vingt-et-quatre,
Dont il n’en faut que deux rabattre,
Qu’il a dignement moissonnés,
Dont ses travaux sont couronnés.
DE LA FERTÉ, dans son jeune âge, [XXX]
Y fit fort bien son personnage,
Dansa de plus fort galamment
Et reçut un Prix justement :
On voit bien par ce qu’il sait faire
Que c’est le Modèle du Père,
Comme MANICAN et PONCET,
Qui, sans mentir, ont fort bien fait,
Et tous enfin, que dans ma LETTRE
Entièrement je ne puis mettre :
ROUVROI, LANGERON et CRISSÉ,
Et de VILÈNE ont bien dansé.
Quantité d’autres, que j’honore,
Eurent alors des prix encore,
Quoiqu’Acteurs ils ne fussent pas
Dans cet Acte rempli d’apas,
Dont j’étais le témoin à l’ombre ;
Et, parmi ce rang et ce nombre,
En ce beau champ si bien ouvert,
J’ouïs nommer SEIGNELAY-COLBERT,
Digne Fils d’un Père sublime,
Qui s’acquiert une haute estime,
Et les Trompettes à ce Nom
Rehaussant leur ton et leur son,
Jouant et faisant des merveilles,
Flattaient doucement les oreilles
De ce grand nombre d’Assistants
Qui s’en allèrent fort contents.

Lettre du 8 août 1666, par Robinet.

-Robinet, second gazetier à faire état de la représentation du Gusman, donne moins de détails mais n'en reste pas moins élogieux :

Au COLLÈGE des JÉSUITES,
Pères Savants, bons Casuites,
Bref, Artisans des beaux Esprits,
MARDI, l’on délivra les Prix
Fondés par le Roi notre SIRE,
Qui des LETTRES chérit l’Empire,
Pour animer les STUDIEUX,
Qui se font grands Hommes chez Eux,
Une TRAGÉDIE excellente,
Dont la Scène était fort brillante,
Et même le BALLET du TEMPS,
Des plus moraux et plus galants,
Cette Action accompagnèrent
Et tous les Spectateurs charmèrent.

Lettre du 15 août 1666, par Robinet

-Le Médecin malgré lui, de Molière, est donné à voir pour la première fois sur la scène du Palais-Royal :

Apostille.

Les Amateurs de la Santé
Sauront que, dans cette Cité,
Un MÉDECIN vient de paraître
Qui d’HIPPOCRATE est le grand Maître :
On peut guérir, en le voyant,
En l’écoutant, bref, en riant.
Il n’est nuls maux en la Nature
Dont il ne fasse ainsi la Cure.
Je vous cautionne, du moins,
Et j’en produirais des Témoins,
Je le proteste, infini nombre,
Que le Chagrin, tout le plus sombre
Et dans le cœur plus retranché,
En est à l’instant déniché.
Il avait guéri ma Migraine,
Et la Traîtresse, l’Inhumaine,
Par Stratagème m’a repris :
Mais, en reprenant de son Ris
Encore une petite Dose,
Je ne crois vraiment pas qu’elle ose
Se reposter dans mon Cerveau.
Or, ce MEDICUS tout nouveau
Et de Vertu si singulière
Est le propre MONSIEUR MOLIÈRE,
Qui fait, sans aucun contredit,
Tout ce que ci-dessus j’ai dit,
Dans son MÉDECIN FAIT PAR FORCE,
Qui pour rire chacun amorce ;
Et tels Médecins valent bien
Par ma foi ceux... je ne dis rien.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XIII Semaine.

Du 19 août 1666, par Subligny

-Le duc de Mazarin n’est plus, emporté par une fièvre :

Avez-vous entendu, MON PRINCE,
Que le DUC MAZARIN languisse, sous l’effort
De quelque fièvre, en sa Province ?
On m’a dit, tout franc, qu’il est mort.
Hélas ! que ce serait dommage !
Rarement des Seigneurs ont eu,
Plus que lui d’habitude avecque la vertu,
Et c’était, m’a-t-on dit, deux amis de même âge.

Lettre du 22 août 1666, par Mayolas.

-Au contraire de Sganarelle dans la pièce de Molière précédemment évoquée, Vallot n'est pas un faux médecin. Son art, qui a fait de lui le premier médecin du roi, mérite bien des louanges, dont celles de Mayolas :

Je vais vous conter en un mot
Comme Monsieur l’Abbé VALLOT,
Fils d’un très sage et docte Père,
Qu’à juste titre on considère,
Le Premier Médecin du ROI,
Qui fait dignement son Emploi ;
Cet Abbé, dis-je, très habile,
En science et vertus fertile,
Pour ses beaux talents et divers,
Doit être Évêque de Nevers ;
Notre Monarque incomparable,
Connaissant son prix admirable,
En a fait le choix justement,
Que chacun loue hautement.

-La famille royale voyage de Fontainebleau à Vincennes, en grand équipage... :

À voir grand Train et bagage,
Tant de Gardes et d’équipage,
De charrettes et chariots,
De valises et de ballots,
Carrosses et chaises roulantes
Et mille Personnes brillantes,
Je puis vous assurer enfin
Que le ROI, la REINE et DAUPHIN
De revenir ont pris la peine
De Fontainebleau dans Vincennes.
Ils couchèrent à Petit-bourg
Dans la Maison et beau séjour
Du Grand Aumônier de THÉRÈSE, [de M. de Langres.]
Dont il témoigne être bien aise.
Tout Paris généralement,
Qui les chérit fort tendrement,
Sent des plaisirs inexplicables
De leurs approches agréables,
Sur tous les opulents Marchands
De notre Foire Saint Laurent,
Qui du depuis, avec franchise,
Débitent mieux leur Marchandise.

-Un écrit notable de Sorel vient de paraître. Il est intégré à Divers traitez sur les droits et les prérogatives des roys de France tirez des Mémoires historiques et politiques de M. C. S. S. D. S. :

Un Auteur illustre et fameux,
De qui l’esprit est merveilleux,
Plein de savoir et d’éloquence,
Dont nous avons la connaissance
Par la docte variété,
Agrément, force et netteté
De ses Livres scientifiques,
Philosophiques, historiques,
Monsieur SOREL, sans le nommer,
Qu’on doit justement estimer,
A mis, depuis peu en lumière
Un Ouvrage dont la matière
Et le Titre contient en soi
LA PRÉSÉANCE DE SON ROI
SUR TOUS LES MONARQUES DU MONDE,
Tant de la Terre que de l’Onde,
Les prérogatives et droits,
Par Armes, par Accords et Lois,
Sur plusieurs Terres importantes,
Dedans l’Europe consistantes.
Au Palais ce Livre est vendu,
Et tous ceux qui l’on déjà lu
En louent, avec avantage,
Le dessein, l’ordre et le langage.

-Puis, passant d'une littérature à l'autre, d'un auteur célèbre à un moins illustre Mayolas évoque un prix de poésie est remporté par un certain Barbara à Dieppe :

Je suis content et non marri
Qu’au grand Jour de la MITOURY,
À DIEPPE Fête solennelle [Le Jour de l’Assomption de la Vierge.]
La jeunesse spirituelle
Dicte et produit des beaux écrits,
Afin de remporter un Prix
Qu’on donne, d’un aveu fidèle,
À la Poésie plus belle.
Le Sieur BARBARA le gagna,
Justement on le lui donna,
Et la beauté de son Ouvrage
Sur les autres eut l’avantage.
Le Phœnix de son chant Royal
Alors ne trouva point d’égal,
Dont il applique les louanges
À l’auguste Reine des Anges,
Que l’on a placé, du depuis,
Dans cette Cité, sur le Puis.
Il a fait voir que notre Ville
En bons Poètes est fertile,
Car, étant natif de Paris,
Il devait bien avoir le Prix.

Lettre du 22 août 1666, par Robinet.

-Le même déplacement de la Cour de Fontainebleau à Vincennes est à son tour narré par Robinet :

La COUR, des COURS la plus galante
La plus polie et plus brillante,
Ayant déserté son DÉSERT,
Si délicieux et si vert,
Pour être de Nous plus prochaine,
Séjourne à présent à VINCENNES.

-Le Jaloux invisible de Brécourt a enchanté notre gazetier :

APOSTILLE.

Je veux vous sémondre à la Noce,
À l’Hôtel, et non chez Mandoce ; [de Bourgogne.]
Vous n’y mangerez que du Ris,
Mais il n’est point de Mets au Prix.
On vous y donne pour Entrée
Une Pièce qui fort récrée,
Savoir l’Invisible Jaloux,
Où l’on rit ainsi que des Fous.
Par Magie (et daignez m’en croire,

Mille fois plus blanche que noire),
On voit là de drôle de cas ;
Mais plutôt ,e m’en croyez pas,
Non, non, allez-y voir vous-même :
Vous aurez un plaisir extrême.
Comme au Feu tout chacun y court
Pour admirer le sieur Brécourt,
Auteur de tout ce beau Comique,
Qui fait faire au Chagrin la nique.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XIV Semaine.

Du 26 août 1666, par Subligny

-Invitation à voir représenter Le Médecin malgré lui :

Pour changer de propos, dites-moi, s’il vous plaît,
Si le temps vous permet de voir la Comédie.
LE MÉDECIN PAR FORCE étant beau comme il l’est,
Il faut qu’il vous en prenne envie.
Rien au monde n’est si plaisant,
Ni si propre à vous faire rire,
Et je vous jure qu’à présent
Que je songe à vous en écrire
Le souvenir fait, sans le voir,
Que j’en ris de tout mon pouvoir.
MOLIÈRE, dit-on, ne l’appelle,
Qu’une petite Bagatelle ;
Mais cette bagatelle est d’un Esprit si fin
Que, s’il faut que je vous le die [sic],
L’estime qu’on en fait est une maladie
Qui fait que, dans Paris, tout court au MÉDECIN.

-La comparaison d’une aventure vécue par le marquis Angély à Bruxelles avec celles des romans de chevalerie :

Mais laissons ce fâcheux discours ;
Vous aimerez mieux les Nouvelles
Que je vous dirai des amours
Qu’ANGELY se fit dans BRUXELLES.
Pour lors régnait dans le Pays
Une figure d’Amazone :
Ses yeux étaient fort obéis,
Cent Héros de village adoraient sa personne ;
Mais, parce que la Dame avait lu les ROMANS,
Et possédait un attelage
De six misérables Juments,
En vain tout Héros de village
S’ingérait de lui rendre hommage.
S’il n’égalait CYRUS ou bien quelque AMADIS,
Fut-il des mieux parés comme des plus hardis,
On n’écoutait point son langage.
À voir un orgueil si profond,
Son mari se pouvait répondre
Qu’étant peu de Cyrus qui pussent la semondre,
Sa femme de longtemps ne lui ferait faux bond ;
Et la chose aurait été telle
Si le MARQUIS, la rencontrant,
N’eut donné moyen à la BELLE,
De croire qu’il était un Chevalier errant.
La chose était assez croyable,
Car il trouvait comme eux le couvert sur la table,
Dans les lieux les plus inconnus
Était toujours des mieux venus
Et n’approchait point d’une Ville
Qu’au brui qui courait de son Nom
Le peuple n’en sortît par mille,
Afin de l’accueillir au signal du Canon.
La Dame ne pouvait en trouver de plus digne,
En cas qu’elle le voulut fier :
Il fut, dit-il, un jour entier
Avec CASTEL RODRIGUE à s’expliquer par signe,
Plutôt que se résoudre à parler le premier.
Sitôt vu donc, aussitôt prise.
À plaire à son Héros sa science s’épuise ;
Elle prend l’habit d’homme et s’échapper la nuit
Pour l’aller trouver jusqu’au lit.
Son mari suit ses pas et jette feux et flamme,
Et, prenant ANGELY pour Chevalier errant
Qui venait faire errer sa femme,
Veut l’épée à la main vider son différend.
Enfin, sans de l’argent qui calma sa furie
Et qui mit à la plaie un soudain appareil,
ANGELY périssait par la Chevalerie,
Et pour se faire frotter trouvait là son pareil.

-Où l'on revient sur le concours de poésie de Dieppe évoqué précédemment :

Je finis par une aventure
Arrivée au sieur BARBARA,
L’esprit le plus joli qu’ait formé la Nature
Et que jamais DIEPPE verra.
Dans un fameux combat qu’on y fait chaque année,
À qui remportera le prix des Vers Français,
Il le remporta cette fois,
Et, contre lui l’envie en étant déchaînée...
Mais je vous en dirai le reste un autre jour,
Car j’entends battre le tambour
Pour le général Exercice
Que le ROI va tantôt faire de sa Milice,
Et je sais qu’il est temps, PRINCE, de vous quitter
Pour vous donner celui de pouvoir vous botter.
Allez, faites-y des merveilles,
Et montrez-nous après dîner
Qu’en tête de troupes pareilles
Vous trouverez des lieux où vous pourrez régner.

Lettre du 29 août 1666, par Mayolas

-Le roi est à Vincennes. Ses proches l'y ont accompagné :

Madame, je viens de Vincennes,
De voir le ROI, de voir la REINE,
Aussi Monseigneur le DAUPHIN,
Et les autres Dames enfin,
Avec grand nombre de Personnes,
Principales, belles et bonnes,
Dont mes Vers, ainsi que de Vous,
Recevant un accueil bien doux,
De nouveau ce bonheur anime,
Mon zèle, mon soin et ma rime.

-Pendant ce temps, Monsieur est malade. Une vilaine fièvre ?

MONSIEUR, dans le Palais Royal,
Ces jours passés, sentant le mal
D’une fièvre que je crois tierce,
Qui partout sa rigueur exerce,
Fut le même jour visité
De notre auguste Majesté,
De notre PRINCE magnifique,
Qui chérit fort son FRÈRE unique.
MADAME, sa chère Moitié,
Seul Objet de son amitié,
Ayant appris cette nouvelle
Par quelque Messager fidèle,
Quitta Coulombe promptement
Et le vint voir diligemment.
Car on doit quitter Père et Mère,
Et la Sœur ainsi que le Frère,
Alors qu’il s’agit d’un Époux
Illustre, brave, aimable et doux.
À l’aspect de ses puissants charmes,
La fièvre eut de telle alarmes
Que, diminuant son accès
(Plus fâcheux que n’est un procès)
Et s’en étant bien repentie,
La fièvre quitta la partie.

Lettre du 29 août 1666, par Robinet

-D'un malade à l'autre, Robinet évoque successivement le mal qui ronge le Pape et la fièvre de Monsieur :

Certaine FIÈVRE, l’autre Jour,
À MONSIEUR vint faire sa cour ;
Mais, recevant mal sa Visite,
La Dame gagna la guérite
Sans qu’on eût le temps, tout de bon,
De savoir seulement son nom.
Le ROI, vainement, prit la peine
Deux fois de venir dans Vincennes
Pour l’apprendre : Elle avait fait flux,
Et, depuis, ne retourna plus ;
De quoi, fut-Elle QUARTE, TIERCE,
QUOTIDIENNE, OU DOUBLE TIERCE,
On lui baise humblement les mains,
Et, de par DIEU, de par ses SAINTS
On la supplie et la conjure
De ne faire jamais figure
Dans le SANG de nos DEMI-DIEUX,
Les chers Objets de tous nos vœux.

Lettre du 2 septembre 1666, par Subligny

-De Broglie s'est marié et force divertissements ont été donné pour l'occasion. Le roi était présent :

La même nuit du même jour,
Que DE BROGLIE faisait sa Noce,
On m’a dit que le ROI fit la MEDIA NOCE
Avec les DAMES de sa Cour.
Je suis toute hors de moi-même
D’avoir mal à la jambe ici,
Pendant qu’on les régale ainsi
Avec magnificence extrême.
Gagnâtes-vous quelques bijoux
À la galante LOTERIE
Que le ROI fit ensuite à ces Objets si doux,
Et dont chacun tira sa riche pierrerie ?
Il n’appartient en vérité
Qu’à ce magnifique MONARQUE
De donner de la sorte une galante marque
De tant de libéralité ;
Et je ne pense pas que sa grandeur suprême
Nous donne lieu jamais de trouver son égal,
À moins que mon AMANT ROYAL
Ne le copie un jour lui-même.

-Subligny revient sur la mort du Duc de Mazarin qu'il avait annoncée dans sa lettre du 19 août. L'homme n'est pas mort, fort heureusement pour lui et pour le gazetier qui s'empresse de démentir la nouvelle qu'il avait lui-même relatée :

Le Duc de MAZARIN lui-même,
Qu’on faisait mort encor avec audace extrême,
N’est, dit-on, non plus mort que rien,
Et, Dieu merci, se porte bien.
Il semble, MONSEIGNEUR, qu’on hâte qu’il meure
Parce que l’on sait bien que, sans DE PROFUNDIS,
Il doit aller en Paradis ;
Mais ce n’est pas encor son heure.
Quand pour leur piété des Seigneurs comme lui
Devraient vite mourir pour mériter un Temple,
Il faut qu’ils vivent pour l’exemple
Et pour édifier autrui.

Lettre du 5 septembre 1666, par Robinet

-Célébration en l'honneur des Manufactures :

Les MAÏTRES des MANUFACTURES
Et des magnifiques Verdures
Qui se font, par l’ordre du Roi,
À BEAUVAIS, en moult noble arroi,
Firent faire de beaux Services
Et de très pompeux Sacrifice
Le Jour SAINT LOUIS, leur PATRON,
Et l’on peut dire, tout de bon,
Que jamais Fête Solennelle
Ne fut plus brillante et plus belle,
Tant superbe était l’APPAREIL,
Lequel n’avait rien de pareil,
Pour les Riches Tapisseries,
Les Clartés, les Argenteries,
Et la Musique à divers Chœurs
Qui charma tous les Auditeurs.

Lettre du 12 septembre 1666, par Mayolas

-Le roi et son double de marbre :

Le ROI, revenant, l’autre jour,
De Colombes, de faire un tour
Chez la Majesté Britannique,
Vint voir son Louvre magnifique
Et ce superbe Bâtiment
Qui s’avance parfaitement
Par les soins et la vigilance.
Le zèle, l’adresse et la prudence
Du généreux et grand COLBERT,
Qu’en tout on trouve fort expert.
Après l’une et l’autre visite,
Avec plusieurs Seigneurs d’élite,
Ce Monarque prit le chemin
Du logis de Monsieur WARIN,
Pour voir son Buste inimitable,
De marbre très considérable,
Que Sa Majesté bien loua,
Et fort à son gré le trouva,
Car, hors cet Ouvrage admirable,
Je crois qu’il n’a point son semblable.
Tous les Seigneurs dirent aussi
Ce que ma Muse dit ici.
Par là l’on voit que notre Ville
Est tout autant, ou plus fertile,
En grands Hommes pour les beaux
Qu’il en soit dans les autres parts.

Lettre du 12 septembre 1666, par Robinet

-La nouvelle est reprise par Robinet :

L’illustre et célèbre Warin,
Qui non seulement du BURIN,
Comme l’on sait, fait des merveilles
Qui nulle part n’ont leurs pareilles,
Mais produit avec le PINCEAU,
Et mêmes avec le CISEAU,
Des Chefs-d’œuvre de la PEINTURE
Ainsi que de l’ARCHITECTURE,
Vient de couronner celle-ci ;
Et c’est dorénavant Ici
Qu’il faudra que chacun l’admire
Dans un BUSTE de notre SIRE.
En Marbre il l’a si bien taillé
Que l’on en est émerveillé,
Et qu’on dirait, sans Hyperbole,
Qu’il n’y manque que la Parole,
Car, pour cet aire de Majesté
Qu’a tracé la DIVINITÉ
Dessus le FRONT de notre AUGUSTE,
Il est répandu dans ce BUSTE
Avec un si puissant effet
Qu’on se sent ému du respect,
Et si doux et si légitime,
Que ce ROI présent nous imprime.
Aussi, le charmant COURONNÉ
En parut lui-même étonné,
Et sentit bien que la NATURE
Paraissait en cette Aventure
Toute jalouse de voir l’ART
Prendre une si fameuse part
Dedans la gloire sans seconde
D’avoir fait en LOUIS le plus grand ROI du MONDE.

-Nouvelles du théâtre :

APOSTILLE.

J’ajoute Ici que je reviens
Des beaux petits Comédiens
Qui consacrent toutes leurs Veilles
Et leurs agréables merveilles
À notre DAUPHIN glorieux,
Et qu’on admire parmi eux
Une Actrice toute nouvelle,
Toute charmante et toute belle,
Et qui joue à miracle aussi,
Vrai comme je l’écris Ici.
Ah ! que dedans un Rôle tendre
Elle en forcera de se rendre,
Et que Maints, en lorgnant la jeune de Beaulieu,
Posteront volontiers leur cœur en si beau Lieu !

Lettre du 19 septembre 1666, par Mayolas.

-Éloge de Mignard :

Il faut bien que je trouve place
Pour la Coupe du Val-de-Grâce,
Qu’on voit dans sa perfection,
Et non sans admiration,
Faite de la main admirable
D’un Peintre fort recommandable,
De fait et de Nom très mignard,
Puisque c’est le fameux Mignard ;
Notre aimable et charmante REINE,
Voulant pour la Fête prochaine
Que ce Dôme, ou Coupe, fut fait,
Il nous l’a donné si parfait
Que dans les plus riches Églises,
Les plus belles et les mieux mises,
On ne verra point de tableau
Qui soit assurément si beau
Que cette peinture mignarde,
Que depuis Jeudi l’on regarde.

Lettre du 19 septembre 1666, par Robinet

-Boyer parmi les immortels :

Ces jours passés, le Sieur BOYER,
Digne d’in immortel loyer,
Et dont souvent on idolâtre,
Sur l’un et sur l’autre Théâtre,
Le Grand COTHURNE et l’ESCARPIN,
Fut, par un glorieux Destin,
Reçu dans notre ACADÉMIE,
Des Gens Lettrés jà bonne Amie,
Et dont le fameux CHANCELIER
Est le Protecteur singulier.
Entrant dedans ce CORPS illustre
Qui, pour se couvrir d’un beau lustre,
Nous promet un rare ALPHABET,
Il harangua bien tout à fait,
Si que la docte Compagnie
Admira son ardent Génie
Et tint, certes, à grand honneur,
Comme aussi mêmes à bonheur,
De l’avoir, dans ses hauts Mystères,
Pour l’un de ses braves Confrères.

-Les Eaux de Bourbon l’Archambault :

Naguères, à BOURBON l’ARCHAMBAULT,
Où plusieurs d’un Breuvage chaud,
Moins agréable qu’Ambroisie,
Que Nectar, ni que Malvoisie,
Boivent à leur propre Santé,
On fut surpris d’une Clarté
Qui, lorsque la Nuit fut venue,
Parut tout à coup hors la Nue,
Brillant d’un éclat nonpareil,
Comme en plein Midi le Soleil,
Ce Lucide et beau MÉTÉORE,
Ainsi plus vermeil que l’Aurore,
Montrait trois Piques de longueur
Et demie en tout de largeur.
Il cheminait dans sa Carrière,
Avec cette vaste Lumière,
Qui formait un si beau Fanal,
Du Couchant Equinoxial
Devers l’Orient opposite,
Et, comme on a la chose écrite,
Traçait sa course entre deux Airs
Qu’il remplissait de mille Éclairs,
Coupant le Méridien Cercle
(Qui n’a pour Rime que Couvercle)
Par Angles droits et non de biais.
On me remarque encor exprès
Qu’en sa Traite il allait si vite
Que ceux qui se trouvaient au Gîte
À vingt milles dudit Bourbon
Le virent aussi tout de bon,
Environ presque à la même heure
Et même hauteur, ou je meure.
Dès qu’aux yeux il se fut perdu,
Certain bruit sourd fut entendu,
Ainsi qu’à pareille distance,
Où peut-être, comme l’on pense,
L’Exhalaison et la Vapeur
Qui nourrissait cette sueur,
Se trouvant à la fin usée,
Il finit aussi sa Fusée.
Or c’est le tout ce qu’en écrit
Un Homme, sans doute d’esprit, [XXX
De la manière qu’il s’explique
Sur un sujet Météorique,
Par moi rapporté ric à ric,
Afin que sur son Pronostic
Chacun dise sa ratelée,
Autant de bond que de volée.

-Santé du Duc de Mazarin :

Au reste, l’on boit comme il faut
Au susdit BOURBON l’ARCHAMBAULT,
Et même quantité de Belles
Arrosent là leurs Gargamelles
À longs traits de ces tièdes Eaux
Qui, dit-on, guérissent cent maux.
Puissent-elles donc sans obstacle
Faire quelque petit Miracle
En faveur du DUC MAZARIN,
Car on ne peut voir sans chagrin
Qu’un Duc, et si bon et si sage,
Languisse toujours à son âge,
Et près d’une jeune MOITIÉ
Si digne de son amitié.
Puissent-elles, mieux que l’eau d’orge,
Faire merveille dans la gorge
Des BRISSAC, CRÉQUI ET FERTÉS,
Et, par leurs effets tant vantés,
Renvoyer au Royaux Ballustres,
Saints et gaillards, tous ces Illustres.
Pour leur aider à faire effet,
Je m’en vais, outre ce souhait,
Non pas d’un Breuvage aquatique,
Mais de bonne Liqueur Bacchique,
Faire Brindes de mon côté,
De tout mon cœur, à leur santé.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XIX Semaine.

Du jeudi 30 septembre 1666, par Subligny.

-Une anecdote concernant une parente du grand Tristan l'Hermite :

Au reste MADAME L’HERMITE,
Belle-sœur du fameux TRISTAN,
S’en va faire enrager MILAN.
Elle a, je crois, trouvé cette pierre bénite,
Dont jadis tant de monde était devenu fol,
Car elle a fait du GIRAPOL
Et compose un CRISTAL DE ROCHE
Dont tout le MILANAIS, avecque son cristal,
Tout naturel qu’il est, n’a rien qui s’en approche.
L’ouvrage s’en fait au COURVAL :
Si nous allons en NORMANDIE,
Il nous en faut un jour visiter les ouvriers.
J’en dirai peu, quoi que j’en dise ;
Ses tables, ses buffets, lustres et chandeliers
Surpassent de si loin toute Manufacture
Que MADAME L’HERMITE, à parler franc et net,
Est une rare créature
D’en avoir trouvé le secret.

Lettre du 10 octobre 1666, par Robinet

-Le roi et les Manufactures :

L’autre Jour, notre digne AUGUSTE,
Que de chérir il est si juste,
Étant par divertissement
Venu voir son beau BÂTIMENT,
Fut en l’HÔTEL, je vous assure,
De la belle MANUFACTURE
Des POINTS de FRANCE ou POINTS FRANCAIS [Rue Quincampoix.]
Qu’il admira plus de dix fois,
Effaçant, soit dit sans louanges,
Les plus beaux des Pays étranges.
Ce GRAND SIRE en fit des Présents
À plusieurs de ses Courtisans,
Et fit là provision grande
Des GLANDS de façon de HOLLANDE,
De la Manufacture aussi
Par son ordre établie Ici.
Par là, ses Sujets inutiles [XXX]
Sont rendus Ouvriers habiles ;
Par là, l’on leur donne moyen
De pouvoir subsister fort bien
Et, pour un troisième Avantage
D’un Établissement si sage,
Par là, l’on aura tout chez soi,
Grâce à notre provident ROI,
Mais, grâce encore à ce rare HOMME
Qui, d’ici certe jusqu’à ROME,
Ni même ailleurs sous le SOLEIL,
Ne saurait avoir son Pareil :
On entend bien que je veux dire,
Sans qu’il soit besoin de l’écrire,
Ce célèbre MONSIEUR COLBERT
Qui la MAJESTÉ si bien sert.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXI Semaine.

Du 14 octobre 1666, par Subligny.

-Subligny s’est remis de sa fièvre grâce à l’intervention d’un médecin venu d’Amiens :

Dieu merci, je n’ai plus la fièvre.
Le coup de pistolet que, d’un air martial,
Elle vous vit tirer l’autre jour, à cheval,
La fit fuir plus vite qu’un lièvre.
L’excellent MONSIEUR DU MOULIN,
Qui m’en vit le lendemain quitte,
A cru toutefois, CHER DAUPHIN,
Que son secret tout seul avait causé sa fuite,
Et je ne veux pas amoindrir
La gloire de ce fameux homme
Qui MEDECIN D’AMIENS se nomme ;
Mais sans le pistolet j’en eusse pu mourir.
Vous fîte grande peur à MAMAN MARECHALE
En lui criant : « A VOUS ! » quand le coup s’entendit.
Gardez de la tuer ; elle est, sans contredit,
Une personne sans égale.
Et nous chercherions plus d’un an
Devant que de trouver une telle MAMAN.
Vous étiez, dit-on, bien superbe
Sur ce charmant petit cheval
Qui, sous un grand DAUPHIN faisant le Bucéphal,
N’était qu’un pied plus haut que l’herbe.
Vous faisiez encor des leçons
Touchant vos pistolets, qui plaisaient à merveilles,
Et disiez qu’un cheval, outre ceux des arçons,
Pouvait commodément en porter aux oreilles.
C’était bien faire honte aux Ecuyers fameux
Qui n’avaient pu trouver ce secret d’importance !
Allez, MON PRINCE, avant qu’il soit un an ou deux,
Vous en verrez la mode en France.

-Bensérade et le roi :

Mais parlons du PAPA, le meilleur de nos Rois.
BENSERADE est en vogue, PRINCE ;
Le Sonnet qu’il fit autrefois
Passe de Province en Province
Et jusques, chez ses Envieux,
A toute heure on n’y fait qu’entendre :
« AH ! NOUS NE SAVIONS PAS QUE LE ROI FUT SI TENDRE ;
» QUEL TRESOR N’EST-CE PAS POUR TOUS LES MALHEUREUX ? »
Savez-vous pour quelle aventure
Je fais cette digression ?
LOUIS était allé voir la Manufacture
Des POINTS de notre Nation ;
On lui vint donner un mémoire
De plusieurs pauvres Prisonniers
Détenus pour quelques deniers
Dans la PRISON de SAINT MAGLOIRE ;
Son cœur Royal en fut touché
Et, laissant agir sa tendresse,
Paye le créancier, qui se désintéresse,
Et veut que chacun d’eux soit soudaint relâché.

-La peur de la rage contraint la Comtesse de Vivonne à s’exiler :

On dit qu’une aimable Personne,
Dont le mal va vous alarmer,
Partit ces jours passés pour aller à la Mer ;
C’est la COMTESSE de VIVONNE.
Elle est de ces femmes sans prix
Qui choisissent plutôt, dans le siècle où nous sommes,
D’aimer des chiens que d’autres hommes,
En l’absence de leurs Maris.
Elle en aiamit un à l’extrême,
Qu’elle mitonnait dans son lit
Avec plus de soin qu’elle-même,
Et cet enragé la mordit.
En vérité, DAUPHIN, l’on ne sait comment faire :
Aimez un homme, il peut changer ;
Un chien vous peut mettre en danger ;
Et, de quelque façon qu’on fasse cette affaire,
On court risque d’en enrager.

-La jalousie, dont les Italiens font profession, est cause d'un événement tragique :

Rien n’est plus vrai, sur ma parole,
Et voici l’exemple tout frais
De l’illustre ANNA BONAROLLE,

Qui, peut-être, en enrage à présent pour jamais.
Je vous parle, DAUPHIN, d’une VENITIENNE
Qu’on pouvait appeler une aimable Chrétienne
Et dont les yeux, à tout moment,
Prenaient un cœur très hardiment.
Elle était NOBLE DE VENISE,
Quant aux écus femme de bien ;
Quant au reste, je n’en dis rien,
A cause qu’un Galant lui donnait sa chemise.
On dit qu’elle aimait ce Galant,
Et même d’un feu violent
Et tel qu’enfin le veut VENISE ou l’ITALIE,
Où, n’étant pas des plus permis
De faire impunément folie,
On aime ainsi, dit-on, ceux qu’on s’est fait amis ;
Encor ce que je dis n’est-il que pour les femmes,
Car pour les hommes, Dieu merci,
Y pouvant sans péril se prendre en d’autres flammes,
Ils y sont inconstants autant ou plus qu’ici,
Celui dont je parle, le prouve.
Il fut inconstant, et si bien,
Qu’ANNA n’étant pas à l’épreuve
D’un changement tel que le sien,
Elle en cacha si mal sa haine et sa colère
Que le SIEUR BONAROLLE apprit toute l’affaire.
On se doute, je crois, de ce qu’il fit après ;
Il choisit un poignard on le fit faire exprès,
Et dans le sein dolent de sa femme infidèle
Fit un blessure mortelle.
Ce procédé serait condamnable à Paris,
On y plaindrait fort cette Dame ;
Mais, comme dans VENISE il sied bien aux Maris,
On n’y dit rien, sinon : « Dieu veuille avoir son âme ! »

Lettre du 17 octobre 1666, par Robinet

-La duchesse de Créqui atteinte de la petite vérole :

A regret je vais vous apprendre
Qu’une BELLE à rendre un Cœur tendre,
Fut-il Turc ou je ne sais Qui
(C’est la DUCHESE de CRÉQUI,
De tant de doux Appas pourvue),
Est des Eaux très mal revenue,
Avec ce MAL des plus malins (la petite Vérole.)
Lequel déteint les plus beaux Teints.
Quelle funeste Compagnie !
A quoi, dites-moi, je vous prie,
Pensiez-vous lors, beau petit DIEU,
Qui la suiviez en chaque Lieu,
D’avoir laissé libre passage
A ce Mal sur son beau Visage ?
Ah ! du moins, mon petit Amour,
Si vous voulez plaire à la COUR,
Prenez garde que rien ne reste
De ce Mal cruel et funeste ;
Défendez-en sur tout ses Yeux,
Où votre Feu, brillait des mieux,
En Ami, je vous le conseille,
Comme aussi sa Bouche vermeille
Et si petite que rien plus ;
Enfin, sans discours superflus,
Défendez-en tout son Visage,
Où l’on fera contre vous rage,
S’il lui manqua un seul des Appas
Qu’elle eut avant ce fâcheux cas,
Et s’il faut que l’on dise d’Elle
Qu’auparavant Elle était Belle.

-Le chevalier de Lorraine malade, lui aussi, de la petite vérole et allusion à Bensérade :

Mais partageons notre Souci :
J’en dois une partie aussi
Au beau CHEVALIER de LORRAINE,
Qu’on m’a dit être en même peine.
Ha ! quelle Disgrâce pour Lui !
Quel Déplaisir et quel Ennui,
S’il faut qu’après sa Maladie
On chante la Palinodie,
Et que l’APOLLON de la COUR, (Monsieur de Bensérade.)
Qui donne aux Vers un si beau tour,
En fasse en sa noble Écriture
Une moins flatteuse Peinture !
Mais si la chose arrive enfin,
Plusieurs rendront grâces au DESTIN
D’une telle Métamorphose,
Et vous en devinez la cause.
C’est qu’il faisait trop de jaloux,
Et que, tant Galants comme Époux,
N’étaient jamais en assurance
Contre son aimable influence.

-La rage de Madame de Vivonne :

En foule viennent les Malheurs
Et les tristes Sujets de Pleurs.
J’en vais dire un dont je frissonne :
C’est que MADAME de VIVONNE
A vu son beau Corps outragé
Par une petit CHIEN enragé.
Si la belle DÉSOLÉE
Est à la MER bien vite allée
Pour y plonger tous ses Appas
Et se garantir d’un Trépas,
Des Trépas le plus redoutable,
Ainsi que le plus effroyable.
Les DIEUX l’en gardent par bonté
Et veillent qu’en pleine Santé,
Pour nous épargner bien des larmes,
Ayant à nu montré ses Charmes
Aux NÉRÉÏDES et TRITONS,
Promptement nous la revoyons !

-Divertissement pour la reine :

L’autre Jour, notre belle REINE,
Dans le PETIT PARC de VINCENNE
Ayant assemblé les BEAUTÉS
Qui sont toujours à ses côtés,
Les fit danser sur les Fleurettes,
Au Concert des douces Musettes,
Et la charmante de TOUSSI, (XXX.)
Déjà de maints Cœurs le Souci,
De ses beaux Pieds fit des Merveilles
Qui passèrent pour nonpareilles.
Jugez ce que ne feront pas
Ses Yeux et ses autres Appas.

-Le roi et la reine vont à Saint Germain :

Hier, nos deux PORTE-COURONNES,
Qui sont d’admirables Personnes,
Prirent ensemble le Chemin
De leur CHÂTEAU de SAINT-GERMAIN,
Et MONSIEUR avecque MADAME,
Bien assortis de Corps et d’Âme,
Vinrent ici dans leur Palais,
Où bientôt les voir je m’en vais.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin

XXII Semaine.

Du 21 octobre 1666, par Subligny.

-Le Dauphin va à Saint Germain :

Quand vous partites de VINCENNES
Pour retourner à SAINT GERMAIN,
Mon cœur vous suivit en chemin ;
Ne l’y vites-vous pas qui traversait les plaines
Et qui passait même avec vous
Le BAC que l’on passe à CHATOU ?
Peut-être, parmi le grand nombre
Qui vous suit ordinairment,
Ne l’avez-vous pu voir assez distinctement,
Car, quand vous allez loin, il est même un peu sombre.
Quoi qu’il en soit, il vous suivit :
Plus d’une personne le vit.
Il est avecque vous encore,
Et, si vous ne l’y trouvez pas
Dans quelque coin de vos appas
Ou dans votre Esprit qu’il adore,
Allez visiter un moment
Votre MARÉCHALE fidèle :
Elle l’aura certainement :
Lorsqu’il n’est point chez vous, c’est qu’il est avec elle.

Que faites-vous à SAINT GERMAIN ?
Vous y voit-on aussi les armes à la main ?
Sans doute, car ce sont des charmes
Pour vous très puissants que les Armes.
Mais qu’y disent les curieux ?
Y prise-t-on du ROI la tendresse Royale
Du soin qu’elle a des malheureux,
Comme on fait dans sa Capitale ?
Je voudrais, PRINCE, sur ma foi,
Que pour un jour ou deux vous fussiez invisible.
Afin d’aller ainsi, s’il vous était possible,
Dans les lieux différents où l’on parle du ROI ;
Vous aurez le plaisir qu’au moins, sans complaisance,
On dirait son avis même en votre présence.
Dès qu’on sut par quelle bonté
Et de quelle tendre manière
Il avait fait agir sa libéralité
Pour les PESTIFÉRÉS qui sont sur la FRONTIÈRE,
Vous croyez assez que PARIS
Mit ce bon Roi sur le tapis,
Selon qu’on s’y trouva sensible,
Chacun en dit son sentiment,
Et c’est ce qu’étant invisible
Vous auriez appris plaisamment.
Hé ! que vous ririez, mon beau PRINCE,
D’entendre ainsi louer le plus grand de nos Rois
Ou par un Artisan, ou par un bon Bourgeois,
Ou par un Noble de Province !
L’un dit : « QUAND IL ÉTAIT PETIT,
» CE BON NATUREL FUT PERDU ; »
L’autre : « IL EST, PARBLEU, GRAND MONARQUE ; »
L’autre dit : « EN VOILÀ LA MARQUE ; »
Un autre boit à sa santé,
Un autre jure une Mordienne
Qu’il a, jusqu’à la mort, une épée au côté
Pour le servir, quoi qu’il advienne ;
Et, tout présentement, une fille des champs
Me demande, quand je le nmme,
S’il est fait comme d’autres gens,
Ou s’il est un Géant, puisqu’il est si grand Homme.
Vous me direz que ces propos
Sont ridicules aux oreilles ;
Mais qu’heureux est un grand Héros
Quand il donne matière à des choses pareilles !
De quelque forme que chez soi,
Pour ignorant qu’il soit, un peuple le figure,
Il en a toujours fait assez bien la peinture
Quand il dit qu’il est un bon Roi.

-Des nouvelles de Madame de Vivonne, mordue par un chien enragée :

MADAME DE VIVONNE, à la fin arrivée,
Cher DAUPHIN, n’enragera pas,
Et Monsieur son Mari, depuis qu’ell est lavée,
Peut, sans être mordu, visiter ses appas.
C’eût été vraiment grand dommage
Que cette Dame eût eu la rafe,
Car, comme on l’aime tendrement,
Il est sûr qu’en cette occurrence
Elle eut, dans le même moment,
Fait enrager toute la France.

-La petite vérole :

À propos d’eau, DAUPHIN, quand je songe à cela,
Celles de BOURBON sont plaisantes.
Quelles pestes d’eaux sont-ce là
Qui ramènent ici nos BEAUTÉS languissante ?
MADEMOISELLE D’HOQUINCOUR
En est revenue à la Cour
Mourir de PETITE VÉROLE,
Et cela veut dire y laisser
Un regret tel qu’on peut penser
Et que rien du tout ne console.
MADAME DE CRÉQUI souffre dans ses appas,
Depuis qu’elle a bu, pareille maladie,
Hormis qu’elle n’en mourra pas,
Ou la Mort serait bien hardie.
Ce mal tient encor sans pitié
Le beau CHEVALIER DE LORRAINE,
Qui se verra réduit la semaine prochaine
À ne prendre plus que le quart ou moitié
Des cœurs qu’il gagnait à centaine.
Cette peste, en un mot, se craint pour les Beautés,
Beauté femelle ou Beauté mâle,
Qu’on a vu boire des santés
De cette eau claire et minérale.
Le Médecin qui se mêla
D’ordonner ce breuvage-là
(Je vais l’injurier, mais le sujet m’y pousse)
Fut bien un Médecin d’eau douce.

Lettre du 24 octobre 1666, par Robinet

-Concert :

Par un bien juste Supplément,
Je dois dire historiquement
Que vous payâtes URANIE
Par une faveur infinie,
En touchant de vos blanches mains
Le plus grand de vos Clavecins,
D’une manière si savante,
Si noble et si passionnante,
Qu’on fut en peine qui des deux,
Avait, dans son Jeu, fait le mieux.

Je sortis bien à la mal heure,
PRINCESSE, de votre Demeure
Pour ainsi perdre le meilleur !
Ah ! que je peste de bon cœur
Contre la Fortune cruelle
Lorsque j’appris cette Nouvelle,
Vous remettant en propre Main
Ma DÉPÊCHE, le lendemain !

-Retour sur la petite vérole :

La mâle PETITE VÉROLE,
Poursuivant son funeste Rôle,
A précipité le Trépas
D’une jeune Source d’Appas,
D’une charmante CHANOINNESSE ;
Vous en maudirez la Tigresse,
Sachant que c’est, pour trancher court,
MADEMOISELLE D’HOCQUINCOURT.

-Et sur la Comtesse de Vivonne :

Notre COMTESSE de VIVONNE,
Qui craignait la RAGE felonne,
Des Flots Marins est de retour,
Comme devant digne d’amour,
Et (que la Mer en soit bénite !)
Pour la Peur Elle s’en voit quitte.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXIII Semaine.

Du 28 octobre 1666, par Subligny

-Retour sur la fausse nouvelle de la mort du Duc de Mazarin :

Le DUC DE MAZARIN l’avait joint à BOURBON
Dont ils sont revenus ensemble ;
Mais de ce Duc encor, mon PRINCE, que vous semble ?
Vous le voyez enfin sur ses pieds, tout de bon,
Et, malgré l’incommode envie
De nos Gazetiers à la main,
Qui le faisaient mourir lorsqu’il était bien sain,
Le voilà frais et plein de vie.
J’en suis bien aise, en vérité ;
Quoiqu’au chemin qu’on lui voit suivre
Sa mort lui fut un pas à l’immortalité,
Personne mieux que lui n’a mérité de vivre.

Lettre du 31 octobre 1666, par Robinet

-Représentation à la Cour de Camma de Thomas Corneille par la "Troupe Royale" de l'Hôtel de Bourgogne :

On rapporte que notre COUR
Commence, en son nouveau Séjour,
De reprendre la COMÉDIE,
Dont sa juste Mélancolie
La servait depuis neuf bons Mois
Pour ce que sait bien tout Français.
JEUDI donc, la TROUPE ROYALE
Y fit Fonction Théâtrale,
Jouant devant les MAJESTÉS,
Avec de nouvelles beautés,
CAMMA, l’une des doctes Veilles
De l’un des plus fameux CORNEILLES [sic],
Et tous ceux du célèbre CORPS,
À l’envi faisant leurs efforts,
Dans cette nouvelle Ouverture
Ravirent la COUR, je vous jure.

À son tour, la Troupe du ROI,
Qu’on voit en un si bel arroi,
Ira, par mainte gaie Pièce,
Remplir cette COUR de liesse,
Et MOLIÈRE, le DIEU du RIS,
Qui conjure les noirs Esprits,
Nourriciers du Chagrin funeste,
En dénichera tout le reste
Par un Geste, par un Regard
Et par le moindre Mot gaillard.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXIV Semaine.

Du jeudi 4 novembre 1666, par Subligny.

-Le Dauphin a chassé :

Où sont les morceaux délicats
Qui me viendront de votre chasse ?
Je sais, PRINCE, ce qui se passe
Et je ne vous en quitte pas.
J’envoie un de mes plus fidèles
Pour savoir combien de perdrix
Et de lièvres vous avez pris
Et jusqu’à son retour je dirai des Nouvelles ;
Mais si, revenant par hasard,
Il m’assure que cet Automne
La SAINT-HUBERT ait été bonne,
Préparez-vous de grâce à m’en donner ma part.

-Une chasse royale :

J’ai d’autre contes à mon choix
Dont nous pourrions causer ensemble,
Mais il vaudra mieux, ce me semble,
Les garder pour une autre fois.
Mon Messager revient m’apporter la Nouvelle
De la CHASSE de SAINT-HUBERT.
Elle était, m’a-t-on dit, fort belle,
Mais les Veneurs ont bien souffert.
L’humidité, le vent, leur donna peu de joie ;
Ce fut bien fait à vous que de n’y pas aller,
Car tel, qui poursuivit sa proie,
Se vit lui-même en proie aux injures de l’air.
Que je dise au ROI le semblable,
Mon discours sera mal reçu,
Car c’est un PRINCE infatigable
Qui ne s’en sera pas seulement aperçu ;
Ce que j’ai dit pourtant n’est pas moins véritable
Quoiqu’il en soit revenu gai,
J’en sais qui, d’avoir fatigué,
Se sont presque donnés au Diable.

-Un bal à la cour :

Que font vos Dames, dites-moi ?
On dit que notre puissant ROI
Leur donna, l’autre jour, un bal de conséquence ;
Mais dansent-elles en cadence
Après avoir été près d’un an sans danser ?
Pour moi, je ne l’osais penser,
Et cependant on dit qu’elles firent merveilles.
Entre nous, DAUPHIN plein d’appas,
Quand les Dames font de faux pas,
Ce n’est guère par les oreilles.

Lettre du 7 novembre 1666, par Robinet

-Bal chez Madame, qui vit la présence du roi et de la reine :

J’ai su qu’en votre propre Chambre,
Qui ne sent rien que Musc et qu’Ambre,
Le Concours fut beau, Vendredi,
À dix heures après Midi ;
Que nos deux TÊTES COURONNÉES,
Y trainèrent toute la COUR,
Et qu’à l’éclat d’un nouveau our,
Que maints grands Lustres allumèrent
Et que les Miroirs redoublèrent,
Il se fit force galants Pas
Par plusieurs Objets pleins d’appas,
Qui savent, dans la belle Danse,
Observer très bien la Cadence.
Mais j’ignore de ces Beautés
Tant les Noms que les Qualités,
Avec les autres circonstances
Et ravissantes dépendances
De ce riant et pompeux Bal,
Ce qui fait (de quoi je veux mal
À mon Relateur peu fidèle)
Qu’ici je ne bats que d’une aile
Et que je tire le Rideau
Assurément sur le plus beau.

-Autre bal à la Cour :

Je n’en saurais presque plus dire
Du BAL qui, chez notre cher SIRE,
Se fit aussi, le lendemain ;
Je m’en gratte la tête en vain ;
En vain j’en murmure et rechigne
Contre la Fortune maligne ;
Il me fait croquer le Marmot
Et n’en dire aux Lecteurs qu’un mot.
La SALLE était fort décorée
Et comme en plein Jour éclairée.
LOUIS, Grand en toutes façons,
Menant MADAME DE SOISSONS,
Fut du Bal le premier Mobile,
Et s’y fit voir non moins habile
Qu’à tenir, en grand POTENTAT,
Les nobles RENNES de l’ÉTAT.
Tout le reste, entrant en Cadence,
Marcha sur ses pas dans la Danse,
Emporté par le mouvement
De son Mobile si charmant,
Et qui, chaque jour, d’autre sorte,
Par son impression si forte,
Règle les Mouvements divers
Des ÉTATS de tout l’Univers.

Entre les belles BALADINES,
Toutes brillantes et poupines,
La jeune GRÂCE de TOUSSI [Fille de Madame la Maréchale de la Motte.]
Y parut, non COSSI COSSI,
Mais comme une jeune MERVEILLE,
Dont les Pieds, réglés par l’Oreille,
Qu’elle a fine admirablement,
Se démêlaient d’un air charmant.

Une autre jeune DEMOISELLE
Aussi très aimable et très belle
(C’est MADEMOISELLE COLBERT)
Pareillement, d’un Pied expert,
Y fit des Pas, sans vous rien feindre,
À peindre, s’ils se pouvaient peindre.
Mais elle a bien d’autres Talents
Qui sont beaucoup plus excellents,
Et qui rendront la Destinée
Trop heureuse et trop fortunée
De Celui qu’un NŒUD saint et doux
Sera quelque Jour son Époux.

Au reste, un Superbe Régale
D’une façon toute Royale
Ledit grand Bal assaisonna,
Et mon mémoire finit là.
Mais voilà comment l’ALLEGRESSE
Débusque à la fin la TRISTESSE,
Qui faisait un sombre Séjour,
Depuis longtemps de notre COUR.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXVI Semaine.

Du 18 novembre 1666, par Subligny.

-Les commandements du médecin royal :

On dit qu’à SAINT GERMAIN, cet Hiver, l’on demeure :
MONSIEUR VALLOT l’ordonne et c’est MONSIEUR VALLOT.
Je laisse faire et ne dis mot :
Je vois bien qu’on veut que je meure.
J’en mourrai, PRINCE, par ma foi,
Mais je verrai mourir tout PARIS avec moi.
MONSIEUR VALLOT vraiment parle bien à son aise.
À cause qu’il est à la Cour ;
S’il était seulement un jour
Loin de son Roi, ne lui déplaise,
Ou qu’il fut à PARIS, contraint de s’y tenir,
Il n’empêcherait pas le Roi d’y revenir.
Passe, pourtant, SEIGNEUR, si la chose est utile
Que le Roi suive son Conseil :
C’est peu que de perdre une ville
Pour la santé d’un Monarque pareil.
Cela nuit toutefois au Corps de Médecine ;
Sa réputation va tomber en ruine,
Car voilà, dira-t-on, comme les Médecins,
Qu’on croit les plus pleins de sciences
Sont des villes les assassins
Avec leurs belles Ordonnances.

-Le palais du Louvre rénové :

Le Louvre neuf est achevé,
Purifié, chauffé, lavé,
D’un air qui me ferait envie
D’y demeurer toute ma vie.
J’en reviens, et je l’ai trouvé
Si superbe et si magnifique
Que je ne conviendrai jamais
Que l’on puisse voir des Palais
D’une plus pompeuse fabrique.
Le ROI n’a peut-être songé,
En faisant ce lieu de délice,
Qu’à se voir proprement logé,
Comme en effet c’est la justice,
Tandis qu’au prochain renouveau
On achèvera le Château,
Mais il a fait plus qu’il ne pense ;
Bientôt PARIS, s’il plaît aux Cieux,
Lui va devoir le fruit d’une horrible dépense
Que viendront faire dans ces lieux
Cent mille étranger curieux.

-La préparation d’un spectacle : le Ballet des Muses ?

Quelqu’un de SAINT GERMAIN vient de me rapporter
Que l’on vous y prépare un assez doux spectacle,
Et, cela supposé, ce n’est pas grand miracle
Que vous ne le puissiez quitter.
Un Ballet se propose où, dit-on, l’on emploie
Trois troupes de Comédiens,
De FRANCAIS et D’ITALIENS,
Qui par trois IMPROMPTUS y mêleront la joie.
On y fera des jeux dont l’art vous surprendra
Et, pour le couper court, tout ce que l’on voudra.
Mais, quel qu’en soit tout l’artifice,
Je gage que, si le sujet
Des IMPROMPTUS et du BALLET
Ne roule point sur la Police
(Je veux dire sur ceux qu’elle met en souci).
Vous n’y rirez pas tant que nous faisons ici.

-La chasse aux faux nobles est lancée dans Paris :

Nous rions, MONSEIGNEUR, c’est la vérité pure,
Car, qu’il soit véritable ou non
Que la Police soit d’une telle nature
Qu’elle réforme jusqu’au Nom
Et jusqu’aux qualités de Marquis et de Comte,
Quand on n’a jamais eu Comtés ni Marquisats ;
Soit qu’il soit vrai, comme on le conte,
Qu’on aille régler les états,
Ordonner pour les uns la soie,
Pour d’autres le ras de Chalons,
Et qu’on défende encor tous les faux cheveux blonds,
Nous avons le plaisirs le plus grand qui se voie.

De vrai, ce que produit, en de certains Esprits,
Cette crainte-là dans PARIS
Est un vrai régale à vous faire,
Et ce qu’il font pour se soustraire
À ce cruel Examen-là
Vaut encor plus que tout cela.
Tel qui fit voir une couronne
Sur sa chaise jusqu’à présent,
Et qui craint que quelque plaisant
Ou quelque Maîtresse friponne
Ne lui reproche à chaque pas
D’avoir fait le Marquis quand il ne l’était pas,
Croyant les Étrangers exempts de la Police,
Apprend bien vite l’Allemand,
L’Italien ou le Flamand,
Afin de le parler pour lors à la Justice
Et de se conserver, à l’insu de l’Édit,
Ce qui le fait aimer ou trouver du crédit.
Le dessein n’est pas sot, car, au siècle où nous sommes,
Je remarque à tous les moments
Que la meilleure part de ces faux Gentilshommes
Sont faits comme des Allemands.

Un autre ainsi, selon sa tête,
Cherche quelque défaite honnête
Pour s’en servir dans l’embarras,
Mais, ce que je n’oublierai pas,
C’est ce qu’à déjà fait une sotte Artisanne
Qui, d’une Damoiselle ayant porté l’état,
Craignait qu’on ne la condamnât
À n’avoir plus nom que DAME ANNE.
La belle le portait fort haut,
À ce qu’en dit beaucoup de monde,
Et, comme une taupe étant blonde,
Ne trouvait en soi de défaut
Que d’être femme d’un Pitaut.
La chose est rude aussi quand on est de famille
Et de fait, parlant par honneur,
Cette DAME ANNE, MONSEIGNEUR,
D’un Savetier était la fille.
Pleine donc d’indignation
Qu’au jour de SAINT CRESPIN les valets de la fête
Vinssent, par leur bouquets, lui remettre en la tête
L’honneur de son extraction,
Qu’avilissait bien fort (n’est-il pas vrai, Mon PRINCE ?)
De ce mari Pitaut le rang un peu trop mince,
DAME ANNE, se croyant riche d’un Favori
Qui, sans ce fin Pitaut, la ferait Damoiselle,
Le supplia pour l’amour d’elle
De tuer un si sot mari.
Cet homme, MONSEIGNEUR, promit de l’en défaire ;
Mais il n’était aucunement
Homicide ni sanguinaire,
Et, lui promettant chaudement
De l’en dépêcher pour lui plaire,
Se réserva secrètement
De le ressusciter quand il voudrait le faire.
L’Époux était absent ; il proposa d’abord
De s’en défaire par Magie,
Et la Dame en tomba d’accord,
Trouvant cette recette encore plus jolie.
Mais il faudrait vous faire voir,
Pour vous bien plaire à cette histoire.
DAME ANNE lisant le grimoire :
Vous admirerez le pouvoir
Que l’ambition a sur ces petites femmes,
Quand elle est une fois maîtresse de leurs âmes.
Le galant goguenard, voulant s’en divertir
Et lui faire valoir la chose,
Lui dit qu’il fallait, sans sortir,
Jeûner trois jours entiers et, seule, en chambre close,
À la faible lueur des charbons seulement,
Travailler elle-même à cet enchantement.
Ainsi, PRINCE, vous l’eussiez vue
Dans cet état et toute nue,
Marmottant et faisant posture de Calot
Pour paîtrir un morceau de cire.
Suivant ce qu’avait dit son Galant mot à mot,
Tandis que, voyant tout par un trou, sans rien dire,
Lui-même, avec l’Époux fraîchement retourné,
S’étouffait à force de rire.
Mais l’Époux en riait comme rit un damné.
Sa femme étant déjà punie
D’avoir ainsi jeûné trois jours sans rien manger,
C’était pourtant, ce semble, assez pour le venger
D’une telle friponnerie ;
Mais un mari ne peut passer cela si doux ;
Il veut bien autrement se venger d’une infâme.
Il conjure dans son courroux
Le feint amoureux de sa femme
De pousser jusqu’au bout le faux enchantement,
Feint de partir encor dans le même moment,
Et, dès le lendemain, une lettre est écrite,
Qui chante que l’Époux est mort de mort subite.
DAME ANNE en pleure d’aise et croit son Favori
Prêt à la dérober aux rigueurs de Police ;
Mais, pendant que l’on feint de pleurer le Mari.
Il revient se faire justice.
Il se cache secrètement
Dans un coin de l’appartement ;
Le Veuve vient coucher, le Galant en ruelle
L’entretien jusques à minuit :
Le Mari lors se montre et fait beaucoup de bruit,
Et, comme il n’est si sot qui n’ait un peu d’esprit,
Tue en même temps la chandelle.
Et, tandis que de peur elle tient le Galant,
Qui dit qu’il ne voit rien, lui parle et le rassure,
Le Pitaut, d’un bras violent,
Bat la caisse sur sa fressure,
Et, pour se venger en Époux,
La rend toute noire de coups.
Enfin, pendant deux nuits entières,
Il lui donna les Étrivières,
Jusqu’à ce que, croyant avoir frappé trop fort
Pour qu’elle crût encor qu’en effet il fut mort,
Et que, voyant venir deux Pères
À dessein de le conjurer,
Le mort se mit à déclarer
La pure teneur des affaires.
Vous n’avez pas à SAINT GERMAIN,
Quoique vous ayez des merveilles,
D’actes ni de scène pareilles,
Ou bien l’on les fait à la main ;
Mais jamais il ne fut d’histoire
Plus fidèle que celle-ci,
Ni qui soit plus nouvelle aussi,
Et l’on doit, MONSEIGNEUR, d’autant plutôt la croire
Que, si DAME ANNE enfin la lisait en passant,
Elle en serait la preuve encore en rougissant.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXVII Semaine.

Du jeudi 25 novembre 1666, par Subligny.

-La peste en Espagne :

Si l’ESPAGNE a ce bien, on ne lui doit pas plaindre ;
Elle souffre d’ailleurs un assez rude échec
La peste met MADRID à sec
Et de toutes parts s’y fait craindre.
Elle n’épargne point de rang,
Frappant les Grands comme le reste,
Et déjà sa force est funeste
À la MARQUISE D’ALMANCAN.
Quelles cruelles destinées !
Elle n’avait que quinze années,
Et le COMTE DE PALME, à qui ces tristes coups
Causent une douleur cruelle,
Était promis à cette belle
Pour en être l’heureux Époux.
Un MARQUIS, aussi, des plus dignes,
Qu’on appelle DE GUEVARRA,
Et Gendre du PRINCE DE LIGNES,
S’il n’est déjà mort, en mourra.
Quelles grâces, DAUPHIN, ne devons-nous pas rendre
Au Ciel qui, jusqu’ici, nous en a su défendre ?
Cette peste est chez les ANGLAIS,
Elle est dans l’ITALIE, elle est dans l’ALLEMAGNE,
Elle règne en TURQUIE, en FLANDRE et dans l’ESPAGNE,
Et tout visiblement respecté les FRANCAIS.

-Un livre de M. de la Barre sur Cayenne :

À propos de l’ÎLE CAYENNE,
MONSIEUR DE LA BARRE en a fait
Un petit Livre fort parfait.
Je ne m’étonne plus qu’il l’aime et qu’il s’y tienne ;
Il serait à soi-même extrêmement cruel
De n’aimer pas une contrée
Où règne le long de l’année
Un beau Printemps perpétuel.
Mon beau PRINCE, achetons ce Livre :
RIBOU le vend dans le Palais,
Et, comme son Auteur se pique fort d’y suivre
Une Relation plus pure que jamais,
Nous aurons le plaisir d’y lire
De quel air DE LA BARRE agrandit notre Empire.

Lettre du 28 novembre 1666, par Robinet.

-Molière joue Le Misanthrope chez Madame :

Tout d’une traite je dois dire
Que, Jeudi, pour tant soit peu rire,
Puisque le Duc se portait mieux,
Notre MISANTHROPE amoureux,
Dont MOLIÈRE est l’Auteur habile,
Parut dans votre Domicile,
Où sa TROUPE, qui nous ravit,
Fit miracle, à ce qu’on m’a dit.
Mais passons à d’autres NOUVELLES,
Qui pour vous seront plus nouvelles.

-L'Art d’Aubusson est à l'honneur :

J’ai su charmante FILLE,
Où l’Esprit et la Vertu brille,
Et qui, selon son Nom en Or,
Vaut sans doute son pesant d’Or,
Que dans AUBUSSON, en la MARCHE,
Où chacun en droiture marche,
On s’en va rétablir des mieux,
Ainsi qu’en plusieurs autres Lieux,
Les Utiles MANUFACTURES ;
Que des Laines et des Teintures
On y fait déjà les Apprêts,
Afin d’y travailler, après,
À de riches Tapisseries
À Personnages ou Prairies,
Et qu’on les marquera d’un plomb
Où (ce qui me semble fort bon)
Seront les ARMES du grand SIRE
Digne d’un Monde pour Empire,
Avec celles de la Cité,
De l’un et de l’autre côté,
Afin que le Public discerne,
Sans Bésicles et sans Lanterne,
Les ouvrages bons et loyaux
D’avec les suspects et les faux.

Or, tout ce qu’ici je vous marque
Provient des bontés du MONARQUE
Vers cette VILLE d’AUBUSSON,
Qu’il fait voir de belle façon
Par ses amples LETTRES PATENTES,
Mainte autre chose contenantes
En sa faveur pareillement,
Et non pas sans cause vraiment,
Car c’est qu’il a vu de ses Œuvres,
Qui sont autant de vrai Chefs-d’œuvres,
Aussi beaux qu’on en fasse ailleurs,
Au dire des bons Connaisseurs.

Tout roule, au reste, sur le zèle
De ce SUJET sage, fidèle,
Infatigable et très expert :
Vous jugez Qui ? MONSIEUR COLBERT.
Las ! je n’ose quasi le dire,
Car nul Éloge il ne désire,
Étant assez contant en soi
De servir l’ÉTAT et le ROI.

Lettre du 5 décembre 1666, par Robinet.

-Des nouvelles de la Faculté de Médecine :

Il faut que je dise, parbleu,
Tout en fin et beau premier lieu,
Oui, les NOUVELLES de l’ÉCOLE,
Et, sans que je fiche la Cole,
C’est de CELLE des MÉDECINS,
Les Biens-Aimés des Gens malsains.

Jeudi donc, et sans parenthèse,
On y soutenait une Thèse,
Dont le Sujet est curieux,
À savoir : qui l’on connaît mieux,
D’une VIERGE ou FEMELLE ENCEINTE ?
Question qui n’est pas succincte,
Et sur qui le RAISONNEMENT
Rencontre à s’étendre amplement.

J’ai vu le Plan de ce Problème,
Tant en Latin comme en Grec même,
Proposé par le Sieur GUÉRIN,
Et je l’ai lu sans nul chagrin,
Contenant mainte belle chose,
Qu’ici pourtant dire je n’ose,
Quoique tout soit, il est certain,
L’Ouvrage d’un OUVRIER DIVIN,
Ou de l’admirable NATURE,
Qui de Lui prend sa Tablature.

On y montre, dans le Début,
Quel de Celle-ci fut le But,
Rendant la FEMME si charmante,
Si mignonne et si ravissante,
Et l’on dit que ce fut exprès
Pour inspirer par ses Attraits
À l’HOMME cette ardeur féconde
Par qui se conserve le MONDE.
On dit qu’aussi, de son côté,
Elle a le cœur fort emporté,
Dans ce Dessein de la Nature,
Et de là l’on ose conclure
Qu’il n’est pas de Vierges beaucoup,
Et qu’à grand peine, encore un coup,
On en trouverait ONZE MILLE
Comme Celle de l’ancien style,
C’est-à-dire Vierges de cœur,
Car, c’est comme on l’entend, LECTEUR.

De là l’on passe sur les Signe
Auxquels les Médecins insignes,
Les peuvent connaître aisément,
Mais on n’en convient nullement,
Pour ce que souvent la Nature
Rend ces Signes pleins d’imposture.

Ensuite on examine aussi,
Ce qu’il faut que j’ajoute Ici
Sans le moindre terme qui blesse,
Toutes les MARQUES DE GROSSESSE,
Et, comme la Nature alors
Se peint mieux dedans les Dehors
Le PROPOSANT croit bien conclure :
Que LA GROSSESSE EST MOINS OBSCURE
QUE NON PAS LA VIRGINITÉ,
Et c’est, je crois, la Vérité.

Ainsi, le gaillard DIOGÈNE
Reconnut, sans aucune peine,
Qu’une FILLE depuis un jour
S’était jouée avec l’AMOUR,
Et que, dans icelle Aventure,
Elle avait rempli sa Ceinture.

Au reste, j’étais invité
(Honneur par moi non mérité)
De me trouver dans la Carrière
Où s’agitait cette Matière ;
Mais je ne le pus nullement
Et j’en fus triste également,
Car, en un mot, grande PRINCESSE,
Le MÉDECIN de VOTRE ALTESSE [Monsieur Vallot premier Médecin de Madame.]
Était là, de belle hauteur,
Le très digne MODÉRATEUR,
Mais passons aux autres Nouvelles
Qui repaissent maintes Cervelles.

-Un ballet en préparation, le Ballet des Muses ?

À présent la Réjouissance
Est grande dans la COUR de FRANCE
Et l’on en chasse tout à fait
Le Chagrin par un grand BALLET.
Lorsque j’en saurai davantage,
Vous le verrez dans notre Ouvrage.

-Livre sur Cayenne :

À propos de Lettre, il en court
Qui sont dignes du plus beau Jour,
Et jamais BALZAC et VOITURE
N’y firent œuvre, je vous jure.
Rien n’est plus fort ni plus coulant,
Et, pour tout dire, plus galant.
Elles sont aussi d’une DAME,
Toute Belle et de Corps et d’Âme. [XXX]
Vous les verrez, savez-vous où ?
C’est chez le Libraire RIBOU,
Avec un autre Livre rare
Écrit par le Sieur de la BARRE,
Sur la CAYENNE, beau Pays
À notre Roi par Lui conquis.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXIX Semaine.

Du 9 décembre 1666, par Subligny.

-Le ballet des Muses :

Vos Danseurs font-ils des merveilles ?
Vous enchante-t-on les oreilles
Par les airs du Ballet nouveau ?
En un mot tout en est-il beau ?
Je meurs de déplaisir de n’y pouvoir pas être,
Car bien du monde, ici, qui pense s’y connaître,
Dit que l’artifice en surprend
Et que le Spectacle en est grand.
Dansez, SEIGNEUR, dansez, menez joyeuse vie
Tandis que vous avez et l’argent et le temps ;
Quand vous aurez vécu cent ans,
Vous prendrez, s’il le faut, de la mélancolie.

Lettre du 12 décembre 1666, par Robinet.

Ah ! ce Penser glace ma Muse
Comme l’Aspect d’une MÉDUSE !
Elle est sans flamme et sans vigueur,
Et je sens bien à sa langueur
Que je ne puis vous rien promettre
D’agréable dans cette Lettre,
Même en discourant du BALLET ;
Mais, tel quel, en voici l’Extrait.

-Mélicerte et le Ballet des Muses.

Ce Ballet, fait avec Dépense
Digne d’un MONARQUE de FRANCE,
Est le Ballet des neufs BEAUTÉS
Ou savantes DIVINITÉS
De qui tout POÈTE au PARNASSE
Pour rimer implore la grâce.

C’est qu’on feint agréablement,
Autant comme équitablement,
Que leur noble TROUPE, charmée,
De la brillante Renommée
De l’incomparable LOUIS
Et de tous ses FAITS inouïs,
Quitte leur MONTAGNE cornue,
Proche voisine de la Nue,
Afin d’établir leur Séjour
En son aimable et belle COUR.

La DÉESSE de la MÉMOIRE, [Mnémosine.]
Qui de l’OUBLI sauve la Gloire
Et le Nom des fameux HÉROS,
Pour chanter du NÔTRE le LOS,
Ouvre la SCÈNE, des plus belles,
Par un Dialogue avec Elles ;

Mademoiselle Hilaire représente la Mémoire, et le sieur le Gros et huit pages représentent les Muses.

Toutes s’expliquant par des VOIX
Qui charment ce plus grand des ROIS.

Les ARTS, qui sous lui rajeunissent,
Et de tous côtés refleurissent,
Sachant l’arrivée en ces Lieux
Des FILLES du Premier des DIEUX,
Comme d’Elles ils croient naître,
Ils viennent les en reconnaître,
Faisant tout à fait galamment,
Au son de maint doux Instrument,
Pour chacune exprès une ENTRÉE
Digne d’être considérée,
Et qui convient encor de plus
À ces célestes Attributs.

Ainsi, pour la grande URANIE
Qui des CIEUX connaît l’Harmonie,
Des Danseurs lestes et fringants
Font les SEPT PLANÈTES ERRANTS.

Afin d’honorer MELPOMÈNE
Qui préside, comme Inhumaine,
Aux tragiques Événements,
On lui fait voir ces deux AMANTS [Pyrame et Thisbé.]
Qui dessous un M�›RIER s’occirent,
Dont les Mûres blanches rougirent.

TALIE, aimant, plus sagement,
Ce qui donne de l’enjouement,
Est comiquement divertie
Par une belle Comédie
Dont MOLIÈRE, en cela Docteur,
Est le très admirable Auteur.

Pour EUTERPE, la PASTORALE,
Bien dignement on la régale
Par le DIALOGUE excellent
D’un CHŒUR et charmant et brillant,
Tant de BERGERS que de BERGÈRES,
Qui ne foulent point les Fougères,
Six desquels, ainsi qu’au Compas,
Font en dansant de divins pas.

Le Roi, le Marquis de Villeroi, Madame et la Marquise de Montespan, avec Mademoiselle de la Valière, et Mademoiselle de Toussi.

CLION, DÉESSE de l’HISTOIRE,
Sous qui j’ouvre mon Écritoire,
A là, pour son plus digne Ébat,
L’Image d’un fameux COMBAT,
Et surtout est considérée
Ladite Martiale ENTRÉE
Où les Combattants admirés
Se portent des Coups mesurés,
Autant d’Estoc comme de Taille,
Sans ensanglanter la Bataille ;
Et puis, par un plaisant Refrain,
Tous cabriolent sur la fin.

Quant à la noble CALIOPE,
Sans le Secours de qui l’on chope
Dans la Structure du beau Vers,
Des POÈTES de talents divers
La divertissent par leur Danse,
Comme entendus en la Cadence.

Son FILS ORPHÉE après survient,
Qui sur sa LYRE s’entretient,
Ou du moins son parfait COPISTE,
Savoir l’admirable BAPTISTE, [Autrement le Sieur Lully.]
Et l’on entend dessus ses Pas
Les Accents tous remplis d’appas
D’une NYMPHE, qui de son Âme [Mademoiselle Hilaire.]
Découvre l’amoureuse Flamme.

ERATON, à qui sur l’AMOUR
D’ordinaire l’on fait la Cour,
Est aussi très bien recréée
Par six DANSEURS pour son ENTRÉE,
Représentants de nos ROMANS
Les six plus célèbres AMANTS.

Pour POLYMNE, dont l’ÉLOQUENCE
Reconnaît la pleine Puissance
Et la DIALECTIQUE aussi,
Son Divertissement ici
Est d’ORATEURS et PHILOSOPHES
De fort différentes ÉTOFFES,
Et ridiculement tournés
Par Gens moins qu’Eux illuminés.

Quant à la Dame TERPSICORE,
Dont l’ENTRÉE est plaisante encore,
Étant Maîtresse, de tout temps,
Des rustiques Danses et Chants,
Huit FEMMES SAUVAGES et FAUNES,
Qui montrent à maints leurs Becs-jaunes
Dans l’Art de figurer un Saut,
La réjouissent comme il faut.

Or, renouvelant leur DÉBAT,
Qui jadis fit si grand éclat,
Trois Nymphes par elles choisies,
Qui ne sont point Nymphes moisies,
Pour juger sur ce différend,
En dansant viennent prendre rang ;
Et comme, en un mot, les dernières,
Trop pigrièches [sic], trop altières,
Se préparent encor après
A batailler sur nouveaux frais,
JUPIN, le MAÎTRE de la FOUDRE,
Enfin de tout vient en découdre,
En changeant ces Objets si beaux,
Pour leur châtiment, en Oiseaux.

Mais, comme dedans cet Orage,
Jupin ne paraît qu’en Image, [Le Comte d’Armagnac.]
Ce Changement semblablement
Ainsi qu’un SATYRE et bon Drôle
Qui, faisant après eux son Rôle,
Chante un Air des plus à propos,
Et tout aussi bien que le GROS. [C’est lui.]

Ensuite, l’Onzième ENTRÉE,
Qui des plus me charme et m’agrée,
Ces MUSES dansent, à leur tour,
Sous le Visage et sous l’Atour
D’autant de BEAUTÉS éclatantes
Et qui me semblent plus charmantes.

Avec elle sautent, de plus,
Les Neuf FILLES de PIERUS,
Aussi dessous d’autres Visages,
Non moins dignes de nos Hommages,
Mais de qui l’une est hors de Pair,
Ce qui vous paraîtra tout clair
En lisant seulement en marge
Leurs Noms qui s’y trouvent au large.

Pierides : Madame, Madame de Montespan, Madame de Cursol, Mesdemoiselles de la Valière, de Toussi, de la Mothe et de Fiennes, Madame du Ludre, et Mademoiselle de Brancas.
Muses : Mesdames de Villequier, de Rochefort et de la Valière, Madame la Comtesse du Plessis et Madame d’Udicourt, Mesdemoiselles d’Arquien, de Longeval, de Coëtlogon de la Marc.

N’est aussi qu’un feint Changement,
Et ces FILLES, je vous le jure,
Se retrouvent en leur nature.

Voilà ce que j’avais promis
À tous Lecteurs, nos bons Amis,
Et j’en suis quitte sans miracle.
Mais, pour de ce noble Spectacle
Concevoir bien mieux la beauté,
Je leur conseille, en vérité,
D’aller, pour livre ou demi-livre,
En acheter le galant LIVRE, [Chez le Sieur Balard.]
Que le SUBSTITUT d’APOLLON,
Et, je pense, autant que lui blond [Monsieur de Bensérade.]
En a fait à son ordinaire,
Peignant des mieux le CARACTÈRE
Des BALADINS les Principaux,
Dont il a fait tant de Tableaux.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

XXXI Semaine.

Du 24 décembre 1666, par Subligny.

-Le roi satisfait des travaux du Louvre :

Les PARISIENS réjouis
Jurent tout haut, cette semaine,
Que, vers les ROIS prochains, nous reverrons LOUIS,
Notre charmant DAUPHIN et notre belle REINE.
Le désir que j’ai de vous voir
M’en fait prendre aussi quelque espoir
Qui me rend à demi la vie ;
Mais, si vous y manquez, jamais je ne m’y fie.

Le ROI vint voir, hier, si le Louvre était fait,
Et s’il pouvait servir à son Royal usage ;
Il l’a trouvé, dit-on, magnifique et parfait :
Venez-y donc, SEIGNEUR, sans tarder davantage.

-Autre concernant les Médecins :

On n’avait pas dans les Faubourgs
Encore mis de Corps de Garde
Et dans la Ville on n’aurait garde
De venir faire de ces tours.
Toutefois, MONSEIGNEUR, c’est une étrange chose :
Malgré le Chevalier du Guet,
Qui peut seul mettre par effet
La Police qu’on se propose,
Les Filous sont de fines gens,
Qui trompent les plus diligents ;
Et, de quoi que le GUET se flatte,
Des gens, ce dernier soir, furent dévalisés
Par quatre voleurs, déguisés
En Enfants du bon Hippocrate.
Il est vrai qu’on les prit, mais quelle invention
Pour faire une indigne action !
Ma surpris en est sans seconde.
Sans doute, PRINCE, ces gros fins
Ont pensé que les Médecins
Pouvaient en assurance assassiner le monde.

Lettre du 26 décembre 1666, par Robinet.

-Le Ballet des Muses :

L’auguste BALLET des NEUFS SŒURS,
Où l’on voit d’excellent Danseurs,
Divertit toujours à merveille
La COUR des Cours la nonpareille,
Et, parmi les OBJETS poupons
Lesquels font là des Pas mignons,
TOUSSI, cette GRÂCE naissante, [Fille de Madame la Maréchale de la Motte.]
De plus en plus est ravissante ,
De FIENNE, qu’on ne saurait voir
Sans mille Attraits apercevoir,
Dedans sa Danse paraît telle
Qu’on meurt de danser avec Elle,
Et du LUDRE, l’ASTRE LORRAIN [Ces deux sont Filles de Madame.]
Qui des Cœurs s’empare soudain,
Par sa belle et forte Influence,
Les prend illec comme en Cadence.

Divine ALTESSE à qui j’écris,
Vous savez tout ce que je dis ;
Mais, comme ma Lettre est publique,
Aux lecteurs aussi je l’indique.

Sur ce, je ferme mon Cornet
Jusqu’en Six cent soixante et sept,
Et par là, sans la Date mettre,
On peut voir de quand est ma Lettre.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir des Tomes I (mai 1665-juin 1666) et II (juillet 1666-décembre 1667) de l'édition du Bon Nathan-James-Edouard de Rothschild et de Émile Picot des Continuateurs de Loret, 1881-1883, Paris, D. Morgand et C. Fatout éditeurs).




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