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Les spectacles et la vie de cour dans les Continuateurs de Loret en 1669


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre du 2 janvier 1669, par Robinet.

-La représentation du Baron d'Albikrac précédemment annoncée s'est concrétisée :

Je commence par le CADEAU,
Si grand, si pompeux et si beau,
De MONSIEUR, votre Époux illustre,
Qui brille d’un si noble lustre,
Ne pouvant aux Climats lointains
Où, par de glorieux Destins,
Ma Lettre sous votre Nom vole,
Presque de l’un à l’autre Pôle,
Raconter rien de plus charmant ;
Et je m’y prends, voici comment :

MONSIEUR, le digne FRÈRE UNIQUE,
Qui joint l’instinct de Magnifique
À toutes les hautes Vertus
Dont les Héros sont revêtus,
Samedi fit un beau Régale,
Et tout à fait à la Royale,
Dans son superbe Appartement,
Lors un vrai Lieu d’Enchantement,
Où les cinq Sens goûtaient ensemble
Tout ce qu’un Heur parfait assemble,
Pour rassasier les Désirs,
De Délices et de Plaisirs.

Comme c’était au temps de l’Ombre
Que répand la Déesse sombre,
À savoir Madame la Nuit,
Que se passa ce beau Déduit,
Un nombre infini de Lumières,
Qui recréaient fort les paupières,
Ressuscitaient par tout le Jour
Dans les Endroits de ce Séjour
Préparés pour celle Liesse,
Avec tant d’Art, de Politesse,
De Galanterie et d’Éclat,
Que mon Jargon serait trop plat
Pour en faire en cette Écriture
La moindre parlante Peinture.

Je dis seulement que ces Lieux,
Plus brillants et plus radieux
Que les Indes aux Pierreries,
Étaient l’une des Galeries,
Le Cabinet des Raretés,
Où les Yeux sont comme enchantés,
Une Anti-chambre et une Salle,
Dont la pompe était sans égale
Par les Buffets, les Guéridons,
Que soutiennent des Cupidons,
Les Miroirs, les Plaques, les Lustres
Et les magnifiques Balustres.

Les COMÉDIENS de l’HÔTEL,
Par ce Poème non tel quel,
Dont je fis un petit Chapitre
Dans ma fin de dernière Épître,
Savoir le BARON D’ALBIKRAC,
Trouvé bon, malgré tout mic-mac,
Firent le Prélude et la Tête
De toute la joyeuse Fête,
Dans le premier des susdits Lieux,
Où chacun d’Eux joua des mieux
Et, mieux que tous les Hippocrates,
Désopila les belles Rates
Du beau Monde illec assemblé.
Or, j’y fus de plaisir comblé,
Grâce au très obligeant MÉRILLE,
Qui d’une manière civile
Me convia d’y prendre rang.
Tout de même que quelque Grand,
Et grâce encor à cette BELLE
Qui m’offrit un Siège auprès d’Elle,
D’où je couchais commodément
En joue, et fort distinctement,
Toutes les Beautés conviées
Et dessus le Volet triées,
De qui les Appas glorieux
Font le cher Paradis des yeux.

Ces beautés, fort élaborées,
Et magnifiquement parées,
Brillaient de leurs plus beaux Joyaux,
Et tendaient aux Cœurs des Panneaux,
Dans leurs Attraits presque adorables,
Qui paraissaient inévitables.

MADAME, entre elles, toutefois,
Paraissait plus belle cent fois,
Et j’ose soutenir, en somme,
Qu’elle aurait obtenu la Pomme,
ID EST, de la Beauté le Prix,
Des mains du feu Berger Pâris.

MADEMOISELLE, sa Parente,
Princesse si fort apparente,
Et de si grande majesté,
Brillait, des plus, à son côté,
Avecque MADAME DE GUISE,
Que pour maintes raisons l’on prise,
Et qui rend du Duc son Époux
Le destin glorieux et doux.

Quand on eut fait la Comédie,
Qui ne fut pas sans mélodie,
Ces Beautés allèrent tabler,
Et leurs Goûts de plaisirs combler
Par tous les Mets plus délectables
Que l’on servit sur quatre Tables,
Comme pour des Divinités,
Au Cabinet des Raretés.

La Principale était tenue,
Je puis le dire sans bévue,
Par le splendide et cher TRAITANT,
Lors de Bijoux tout éclatant.

MADAME tenait la deuxième,
MADEMOISELLE, la troisième,
Et MADAME DE GUISE, ainsi,
Tenait la quatrième aussi,
Et dedans la prochaine Marge
Vous pouvez voir les noms au large,
Sans aucune erreur bien comptés,
De tous les Objets invités
Et qu’on vit à ces quatre Tables,
Étant personnes remarquables.

[À la Table de Monsieur étaient la Duchesse de Soubise, la Maréchale de la Ferté, la Maréchale de la Motte, Mesdemoiselles de Toussy et de Sévigny, les Comtesses de Clere et de Grammont, et Mesdemoiselles de la Motte, de la Marque et de Dampierre ;
À celle de Madame, les Duchesses de Verneuil et de Sully, la Duchesse de Créquy, la Duchesse de Chevreuse, la Comtesse de Guiche, la Maréchale du Plessys, Madame de Gourdon et Mesdemoiselles d’Arquien et de Belle ;
À celle de Mademoiselle d’Orléans, la Duchesse d’Elbeuf, la Maréchale de Castelnaud, les Marquises de Thiange et de la Meilleraye, la Comtesse de Fiennes et Mademoiselle sa Nièce, la Marquise de Louvoy, Mesdemoiselles de Créquy, de Châtillon et de Coëtlogon, la Marquise de Brégy et les Comtesses de Vaillac et de Fiesque ;
À celle de Madame de Guise, la Princesse d’Harcourt, la Maréchale de Grancé et sa Fille, les Comtesses de Vivonne et du Plessys, la Marquise de Coasquin et Mademoiselle de Saint Gelez ;
À celle du Maréchal Duc du Plessys, le Duc et le Chevalier de Vendôme, le Duc de Guise et quelques autres Seigneurs, avec Dom Francisco de Melos.]

-Une chasse donne à Louis l'occasion de se distinguer :

Lundi, notre brillant AUGUSTE,
Que d’encenser il est si juste,
Ce digne Objet de notre amour,
Revint, avec toute sa Cour,
Ayant fait, autour de VERSAILLES,
Force innocentes Funérailles
De Cerfs, de Daims et de Chevreuils,
Lesquels trouvèrent leurs Cercueils
En mainte Bedaine friande
De tels mets et de telle Viande,
Notamment lors, en bonne foi,
Que c’est de la Chasse d’un Roi
Aussi charmant que notre SIRE,
Plus grand cent fois qu’on peut le dire.

Lettre du 6 janvier 1669, par Mayolas.

-L'Épiphanie est l'occasion pour le gazetier de témoigner son indéfectible attachement à Louis le Grand :

Puisque c’est la Fête des Rois,
Grand Monarque, je dis et crois
Que ce doit être aussi la vôtre,
Quoi que vous en ayez un autre.
Votre Mérite et votre Sang
Vous élevant dans ce haut Rang,
Il faut donc que ma main s’apprête,
Au jour d’une Royale Fête,
De vous présenter un Bouquet
Et de fleurs son petit paquet.
Je dois mettre dans ce mélange
La Tubéreuse et fleur d’Orange ;
La Violette et le Jasmin
Se rencontrent dans mon chemin ;
Rose, Œillet, Tulipe, Anémone
Veulent approcher votre Trône
Et, désirant d’entrer ici,
En chassent bien loin le souci.
Mais, quand j’apprête mon offrande,
J’aperçois un autre guirlande.
Quittant tout ce que je cueillis,
Je ne prends que des Fleurs de Lys,
Qui font un double Couronne
À votre suprême Personne.
Ce Bouquet préparé des Cieux
Doit être le plus précieux.
Que ces Fleurs ont beaucoup de charmes !
La candeur reluit dans les Armes :
Et dans la Guerre et dans la Paix
Rien ne peut ternir leurs attraits.
Leur odeur et leur renommée,
Par toute la Terre semée,
L’emporte chez les Nations
Sur les Aigles et les Lions
N’en pouvant trouver de plus belles,
Je vous offre ces Immortelles,
Dont l’éclat et les traits divers
Brilleront partout dans mes Vers.

Du bord des superbes murailles
Du fameux Château de Versailles,
Toute la Cour, Lundi dernier,
Retourna dans son beau quartier,
Dans le Palais des Tuileries,
Qu’on voit en Hiver plus fleuries,
Que ni l’Été, ni le Printemps,
Par les ornements éclatants,
Par la présence souveraine,
De notre ROI, de notre REINE,
Qui sèment par là des appas
Que Flore et Pomone n’ont pas ;
Par les traits des belles Personnes
Qui suivent de près ces Couronnes,
De qui les riches agréments
Rehaussent les appartements.
Ayant bien commencé l’année,
Pour continuer la journée,
Ce Monarque Brave et Charmant
Et la Reine pareillement
Se rendirent aux Jésuites,
Dont on connaît bien les mérites.
Le savant Père d’Harouis
Fut applaudi du Grand LOUIS,
Et son Éloquence eut la gloire
De ravir tout cet Auditoire.
On doit bien prêcher, sur ma foi,
Lorsqu’on prêche au gré d’un grand Roi.
Mercredi, notre grand Monarque,
Donnant une éclatante marque
De son soin et de sa Valeur,
Qui le rendent partout Vainqueur,
Alla dans le Bois de Boulogne,
Assez loin de ceux de Pologne.
Les Gardes du Corps, fort nombreux,
S’étant trouvés en ces beaux lieux,
Il y fit faire l’Exercice
Par cette brillante Milice,
D’un Air aimable, Martial,
D’un Air parfaitement Royal.
Notre REINE, Auguste, Charmante,
À la Revue était présente,
Et des Seigneurs en quantité
Y suivirent sa Majesté,
Admirant et louant sans cesse
Sa bonne mine et son adresse.

-Piété du roi et de la reine :

Le Roi, la Reine et le beau monde,
Par une Piété féconde,
À Saint Geneviève alla.
Chacun ouït la Messe là,
Priant la divine Bergère
D’être notre Ange Tutélaire ;
Et moi j’entendis le Sermon
De l’illustre Père Pinon,
Qu’il fit dans Sainte Catherine
À l’honneur de son Héroïne,
Au gré des bons Religieux,
Non moins éclairés que pieux,
Et de tous ceux qui l’écoutèrent
Qui fort justement l’admirèrent,
À l’exemple du bon Prieur,
Le Sacristain, le Procureur,
Confesseurs, Chantres, tous les Pères,
Et les Novices et les Frères,
Font à l’envi, dans ce saint Lieu,
À qui mieux honorera Dieu,
Et par leur piété fidèle
Servent aux Chrétiens de modèle.

-Monsieur a donné une fête au cours de laquelle le spectacle dramatique fut de mise :

MONSIEUR, dont la magnificence
A paru fort souvent en France,
Donna, dans le Palais Royal,
Et la Comédie et le Bal,
Avec un Souper authentique,
Dont la chère fut angélique,
A des rares Principautés,
A des Seigneurs, à des Beautés,
A des Princes, à des Princesses,
Dont les attraits et les richesses
Ramenaient dans ce beau séjour,
Dans la nuit, la clarté du jour,
Admirant et louant sans cesse
Les Régales de son Altesse.

Lettre du 12 janvier 1669, par Robinet.

-Dans son sillage et comme chaque année, L’Epiphanie draine forces spectacles et réjouissances :

Le Jour des ROIS, Fête royale,
Où tout le monde fait régale
Et boit, d’un visage riant,
Avec trois MAGES de l’ORIENT,
Qui vinrent honorer la CRÈCHE
Qui, comme eux, les Dévots allèche,
On fit maintes joyeusetés
Chez nos brillantes MAJESTÉS,
Et le Bal et la Comédie,
Avecque fine mélodie,
Furent de leurs chers Passe-temps,
Qui sont toujours fort éclatants.

-Parmi les représentations données, celle des Maux sans remèdes :

J’ai lu dans l’Histoire des Mèdes
Que c’est un des Maux sans remède,
Et tels que un Esprit jovial
En fait voir au PALAIS ROYAL,
Depuis hier, dessus la Scène,
[C’est une Comédie intitulée : les Maux sans Remèdes.]
Qui valait bien, je crois, la peine
Que chacun les voie demain,
Ces Maux étant, pour le certain,
Des Remèdes aux Maux de Rate,
Qui s’y désopile et dilate.

Lettre du 13 janvier 1669, par Mayolas.

-Fête après fête, la cour goûte le divertissement :

Notre incomparable Monarque,
Que par-dessus tous on remarque,
Dans son Palais le plus charmant,
Reçut le divertissement
Du Bal et de la Comédie,
Le plus doux plaisir de la vie.
Princes, Princesses de sa Cour
Y dansèrent bien à leur tour,
Et leur parure et leur adresse
Causaient une double allégresse.

Lettre du 19 janvier 1669, par Robinet.

-Louis XIV a le souci de son fils. Deux pages à l'esprit brillant lui sont adjoints :

LOUIS, embellissant le Train
De son admirable DAUPHIN,
A mis auprès de sa Personne,
Que, par ses soins, si bien façonne
L’Illustre DUC son GOUVERNEUR [M. le Duc de Montausier.]
Deux Amours pour Pages d’Honneur :
L’un est le Fils (la chose est vraie)
Du beau Monsieur de la CHESNAYE,
Et l’autre aussi, foi de Rimeur,
Le petit CHEVALIER MIMEUR,
Ce grand Prodige de Mémoire
Dont, l’autre jour, notre Écritoire
Vous entretint si pleinement ;
Mais il n’est plus le seul, vraiment ;
Son petit Camarade Page
A, comme lui, cet avantage
D’avoir, en l’espace d’un mois
(S’il est croyable toutefois),
Mis dans sa Mémoire fidèle
Toute l’Histoire universelle
Des Français, des Grecs, des Romains
Et de tous les autres Humains.

Un Docte Démon des Cévennes,
Sans les Veilles longues et vaines
Où l’on vieillit plus qu’on n’apprend,
Par un Art lequel nous surprend,
A produit ces deux grand' Merveilles,
Jusques à présent nonpareilles,
Et dont chacun est en ce Jour
Tout ébaudi dans notre Cour.

Ce Démon est un Gentilhomme, [Le Sieur Bouet.]
Qu’avec raison, ainsi je nomme,
Nul Humain n’ayant le pouvoir
De faire ce qu’il nous fait voir,
Si sa puissance n’est régie
Par le secours de la Magie.

-Le président Périgny s'acquitte de sa charge régalienne : l'instruction du dauphin de France. Ainsi :

Retournant à notre GRAND ROI,
Ici je dois faire encore foi
Des beaux soins que l’on lui voit prendre
(Car à chacun il faut l’apprendre)
Pour animer ce cher DAUPHIN,
De qui le mérite est si plein,
À s’avancer aux belles Lettres,
Que le plus illustre des Maîtres,
Le sieur PRÉSIDENT PÉRIGNY,
Des plus doctes Talents muni,
Lui montre avec une Méthode
Admirable autant que commode,
Et pleine de facilité.

Naguères donc, Sa MAJESTÉ,
Qu’à si bon droit presque on adore,
À sa Leçon était encore ;
C’est ce qu’on vient de m’assurer
Non pas certes sans admirer
Les Progrès que firent paraître
Tant le Disciple que le Maître.

Voilà comment ce POTENTAT,
Qui gouverne son grand État
Avec une Vertu si rare,
Pensant au Futur, se prépare
Un illustre COADJUTEUR,
Qui puisse, avec esprit et cœur,
Aux Siennes joindre ses Épaules,
Sous ce Faix de l’État des Gaules.

-Le fils d'un marquis de France est baptisé en présence dudit dauphin et de sa mère, la Reine :

Le susdit DAUPHIN, si charmant,
Tint, Samedi, bien sagement,
Avec son adorable MÈRE,
Que tout le Monde aime et révère,
Le Fils du MARQUIS de FROULÉ,
Qui semble avoir été moulé
Et certes comme fait de cire,
Étant, plus qu’on ne le peut dire,
Doux, beau, mignon et gracieux.
Au reste, il répondit des mieux
(À ce que l’on m’a dit), lui-même,
Sur ce qu’on demande au Baptême,
Quoiqu’il n’ait encor que trois ans ;
Si que le PRÉLAT D’ORLÉANS,
Qui faisait la Cérémonie
[Dans la Chapelle des Tuileries.]
Devant nombreuse Compagnie,
N’en fut pas moins qu’émerveillé,
Ainsi que l’on m’en a parlé.
Je conclus donc, étant si sage
En un si tendre et si bas âge,
Et Filleul de pareils Parrains,
Qu’il n’aura que d’heureux Destins.

Lettre du 20 janvier 1669, par Mayolas.

-Le même baptême, cette fois-ci rapporté par Mayolas :

La REINE, pieuse et charmante,
Aimable, civile, obligeante,
Avec Monseigneur le DAUPHIN,
Qui parle déjà bien Latin,
Et qui dans la fleur de son âge
Promet d’être un grand Personnage,
Fit l’honneur au brave Marquis
De Froulé de tenir son Fils.
Plusieurs Personnes importantes
À ce Baptême étaient présentes.
L’Illustre Évêque d’Orléans,
Des plus sages, des plus savants,
Avec une grâce infinie
Y fit cette Cérémonie,
Dont le Père, ainsi que l’Enfant,
À sujet d’être bien content.

Lettre du 26 janvier 1669, par Robinet.

-Piété de la Reine :

Le Jour de Monsieur SAINT VINCENT,
Jour presques encore tout récent,
Puisque c’était Lundi, je pense,
La charmante REINE de FRANCE,
Et qu’aiment tant tous les Français,
Fit à SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS,
Donner l’Exemple d’un beau zèle ;
Et la Grande MADEMOISELLE
Était avec SA MAJESTÉ,
Étant illustre en Piété
Comme aux Vertus d’une Amazone,
Qui parerait des mieux un Trône.

Ce même jour-là, vingt-et-un,
Comme les suivants triste et brun,
Cette REINE, pleine de grâce,
Fut le matin au VAL-DE-GRÂCE,
Ainsi que fit aussi MONSIEUR,
Lors dans un simple Extérieur,
Pour le troisième Anniversaire
De notre auguste REINE-MÈRE.
Ah ! je ne puis dire ceci
Sans avoir le cœur tout transi,
Et, dedans la douleur qui m’outre,
Touchant ce lugubre Devoir,
Où tant de pompe l’on fait voir.
Je glisse sur cette matière
Et je cherche autre part carrière.

Lettre du 27 janvier 1669, par Mayolas.

-Les mêmes démonstrations de dévotions sont reprises par Mayolas :

La REINE, par ses traits charmants,
Joint les vertus aux agréments ;
En dévotion singulière
À Saint Germain fit sa Prière [De l’Auxerrois.]
Le propre jour de Saint Vincent.
Mademoiselle d’Orléans,
Généreuse et pieuse Altesse,
Y suivit ma belle Princesse.

Lettre du 2 février 1669, par Robinet

-Un recueil de nouvelles a les faveurs du gazetier :

À propos ici de Nouvelles,
Il s’en vend, non de telles quelles,
Depuis quelques jours au Palais,
[Chez le Sr Ribou, devant la Ste Chapelle.]
Où tant de Gens vivent de Plaids.
Ce sont des Nouvelles galantes,
Les unes, certe [sic], archi-plaisantes,
Les autres tragiques un peu ;
Où l’on voit, par la vertubleu,
Des Aventures innombrables
Et moins feintes que véritables,
Du moins, je le présume ainsi,
Et non sans fondement aussi.
L’Imagination du Monde
La plus fertile et plus féconde
N’en a jamais tant inventé
Sans l’aide de la Vérité,
Et tous les Romans, ce me semble,
N’en sauraient tant fournir ensemble,
Ni si surprenantes, je crois ;
J’en jurerais quasi ma foi.

Mais ce qui me plaît davantage
Dans ce divertissant Ouvrage
Est une espèce d’Entretien
Qui roule sur ces Gens de bien
Que l’on appelle Satyriques,
Maudits Frelons des Républiques,
Lesquels s’érigent en Censeurs
Et des Ouvrages et des Mœurs,
Quoique le Vice et l’Ignorance
Fassent toute leur compétence,
Quoiqu’ils n’aient que de faux brillants
Pour éblouir certaines Gens
À qui la Médisance est chère,
Et dont le défaut de lumière
Leur fait admirer bonnement
Des satyres sans jugement ;
Où (voyez si c’est là l’entendre)
On fait un Brigand d’Alexandre,
Un Furieux, un Bandolier,
Après avoir à ce Guerrier
Comparé,... l’oserai-je dire ?
Non, cela ne se peut écrire.

-Une tragédie de Boyer, le Policrate, fait recette sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne :

Tandis que je parle d’Écrits
Et d’Ouvrages de beaux Esprits,
Il est bien juste que je die
Quelque mot de la Tragédie
Qui présentement, à l’HÔTEL,
Ravit maint notable Mortel,
Puisque vraiment on y remarque
Infinité de Gens de marque :
C’est le jeune et grand MARIUS,
Poème si beau que rien plus,
Dont BOYER, qui sur le Parnasse
Depuis si longtemps a sa Place,
Est le digne et louable Auteur,
Et dont vous avez vu, Lecteur,
Tant d’autres fameux Dramatiques,
Galants, Comiques et Tragiques.
C’en est assez dire à son los,
Et c’est, je pense, en peu de mots
Faire voir, sans nul vain langage,
Le mérite de cet Ouvrage,
Laissant aux Juges importants
De tous les Écrits de ce temps
À rendre sur ce leur Sentence,
Dessous laquelle, en conscience,
Tous les autres aveuglement
Captiveront leur Sentiment.

Mais de la TROUPE, je dois dire
Qu’à l’ordinaire l’on l’admire
En ce Sujet tragique-là ;
Que la FLEUR, lequel fait SYLLA,
Soutient très bien le Caractère
De ce Tyran si sanguinaire
Et pire qu’un Olibrius ;
Que FLORIDOR, de MARIUS,
Fait aussi le Rôle à merveille,
ID EST, de façon nonpareille
Et tout ainsi qu’un rare Acteur
Dont chacun est admirateur ;
Que HAUTE-ROCHE y représente,
De manière encor fort galante,
POMPÉE, autre jeune Héros,
Et qu’enfin, avec un grand los,
DENNEBAUT, leur jeunette ACTRICE
Et des cœurs franche tentatrice
Par ses Attraits délicieux,
Fait son Personnage des mieux,
Ou bien celui de CÉLICIE,
Pour qui beaucoup l’on se soucie,
Pour l’étrange embarras d’amour
Dans lequel, chacun à son tour,
Pompée et Marius la mettent.

Mais que les Lecteurs me permettent
De trancher tout court là-dessus,
Afin qu’allant voir MARIUS,
Ils aient ce que le plus je prise :
Le doux plaisir de la Surprise.

-Puis Robinet annonce la création d'un ballet suite à la paix qui règne désormais dans l'Est de la France :

Ici, notre Grand POTENTAT
Ayant fait mettre bas les Armes
Au DUC DES LORRAINS, par ses charmes,
Ne pense plus qu’à son BALLET,
Qui sera galant et follet.

Lettre du 9 février 1669, par Robinet.

-Spectaculaire dévotion de la famille royale pour la "Fête des Cierges" :

Je Jour de la Fête des Cierges,
Qui sont portés par quelques Vierges,
Et par plusieurs pareillement
Qui ne sont Vierges nullement,
Leurs MAJESTÉS, à l’ordinaire,
Firent porter leur Luminaire,
D’un cœur pieux, chez les DOMS blancs
Que l’on appelle les Feuillants,
Dont le grand GÉNÉRAL, DOM CÔME,
Lequel sait plus d’un Idiome
Et tout à fait belle langue a,
Les reçut et les harangua.
MONSIEUR, presques [sic] inséparable
De notre MONARQUE adorable,
Était de la Dévotion,
Et fut à la Procession
Que ces beaux diseurs d’Antiphoines,
A prier DIEU si fort idoines,
Firent, d’un cœur dévotieux,
Au tour du Cloître de chez eux,
Messieurs les CHEVALIERS de l’ORDRE
Y marchant tous en très bon ordre,
Et même en un brillant arroi,
Devant ce magnanime Roi.

L’Après-dînée, aux Tuileries,
Ce Prêcheur aux Phrases fleuries,
Le rare PÈRE MASCARON,
Aussi disert qu’un Cicéron,
Régala ses MAJESTÉS mêmes,
Ces deux grands PORTE-DIADÈMES,
La Gloire et le Bonheur des Lys,
D’un de ses Sermons plus polis,
Et MONSIEUR, votre Époux illustre,
Dévot en son sixième Lustre,
Écoutait aussi ce Sermon
Avec beaucoup d’attention,
Ainsi que l’auguste Héroïne,
MADEMOISELLE, sa Cousine,
Qui, nonobstant sa Qualité,
Montre une haute Piété.

Son ALTESSE que fort j’honore,
Mardi, nous le fit voir encore,
Dedans les Devoirs éclatants
Qu’elle fait rendre tous les ans [Au Monastère des Capucines.]
À la triomphante Mémoire
De ce HÉROS couvert de Gloire
Dont elle tient l’Être et le Sang,
Qui lui donnent un si beau Rang,
Mais de qui son Mérite insigne
Ne la rend vraiment pas moins digne,
Faisant, soit dit sans la flatter,
Toutes les Vertus éclater.

Sa CADETTE, que tant on prise,
À savoir MADAME DE GUISE,
Par un tendre et pieux souci,
Était à ce Service aussi,
Avec plusieurs autres PRINCESSES
Dont, n’en déplaise à leurs Altesses,
Le Nom ne sera point cité
De crainte de prolixité,
Ayant, pour prendre ailleurs carrière,
Trop surabondante matière.

MAD’MOISELLE DE POLIGNAC,
Quittant du Monde le Tric-Trac,
Et préférant à ces Délices
Les Jeûnes, Veilles et Silices,
Dimanche, lui fit cession,
Avec grande exultation,
Quoiqu’elle soit riche Héritière,
Qu’elle ait beauté, grâce, lumière,
Et qu’elle y pût avoir un rang
Très considérable et très grand.
Tenant donc en sa main un Cierge,
Elle fit vœu de mourir Vierge,
Au rang des Épouses de Dieu,
Dans ce Monastère et Saint Lieu
Qui renferme les CARMÉLITES, [En la rue du Bouloy.]
Créatures du Ciel bénites,
Et qui, pour un double bonheur,
Ont un beau Poste dans le Cœur
De l’excellente SOUVERAINE
Dont l’Amour a fait notre REINE.

Cette charmante MAJESTÉ,
Par un obligeante bonté,
Voulut à la susdite Nonne
Donne le grand Voile, en Personne,
Et notre auguste SOUVERAIN,
Dont le Sort paraît surhumain
Et la gloire presque infinie,
Honora la Cérémonie,
De sa Présence et ses Aspects,
Qui comblent d’heur tous ses Sujets.

L’ARCHEVÊQUE de cette Ville,
Prélat, comme on sait, du haut style
Et d’une éminente Vertu,
Y fit l’office IN HABITU ;
DOM CÔME, qui peu se repose,
Et sur un Texte des mieux glose,
Y prêcha délicatement
Et tout à fait moralement ;
Bref, notre REINE magnifique,
Qui d’assez bien traiter se pique,
Donna le Banquet Nuptial,
Où tout alla d’un air royal.

Étant dans le train de Dépense,
Mercredi, sa magnificence
Au VAL-DE-GRÂCE encor parut,
Où (ce qui, sans doute, fort plût
À toute Mère et Sœur Vestale)
Elle fit un charmant Régale,
Dont fut le Roi pareillement,
Qu’on lorgna là soigneusement,
Quoiqu’une Nonne, à dire en somme,
N’ose lorgner en face un Homme ;
Mais aussi son air est-il tel
Qu’il Paraît plus Dieu que Mortel.
MONSIEUR et sa COUSINE encore,
Tous deux plus brillants que l’Aurore,
Étaient de cette Fête-là,
Chacun d’eux étant allé là
Pour voir ledit beau VAL-DE-GRÂCE,
Où du Ciel coule toute Grâce.

-Représentation du Tartuffe, au succès incontestable :

À propos de Surprise, Ici,
La mienne fut très grande aussi
Quand, Mardi, je sus qu’en Lumière
Le beau TARTUFFE de MOLIÈRE [autrement l’Imposteur.]
Allait paraître, et qu’en effet,
Selon mon très ardent souhait,
Je le vis, non sans quelque peine,
Ce même jour là, sur la Scène,
Car je vous jure, en vérité,
Qu’alors la Curiosité,
Abhorrant, comme la Nature,
Le Vide, en cette Conjoncture,
Elle n’en laissa nulle part,
Et que maints coururent le hasard
D’être étouffés dedans la presse,
Où l’on oyait crier sans cesse :
« Je suffoque, je n’en puis plus !
» Hélas ! Monsieur Tartufius,
» Faut-il que de vous voir l’envie
» Me coûte peut-être la vie ? »

Nul néanmoins n’y suffoqua,
Et seulement on disloqua
À quelques-uns Manteaux et Côte.
À cela près, qui fut leur faute,
Car à la presse vont les Fous.
On vit, en riant à tous coups,
Ce Tartuffe, ou cet Hypocrite,
Lequel, faisant la chattemite,
Sous un Masque de Piété
Déguise sa malignité,
Et trompe ainsi, séduit, abuse,
La Simple, la Dupe et la Buse.
Ce MOLIÈRE, par son Pinceau,
En a fait le Parlant Tableau,
Avec tant d’art, tant de justesse
Et, bref, tant de délicatesse,
Qu’il charme tous les vrais Dévots,
Comme il fait enrager les Faux ;
Et les Caractères, au reste,
C’est une chose manifeste,
Sont tous si bien distribués
Et naturellement joués,
Que jamais nulle Comédie
Ne fut aussi tant applaudie.

-Une pièce italienne, moins remarquable mais point éclipsée par le précédent succès, est tout de même annoncé par le gazetier :

À ma Légende ayant mis fin,
Je vais aux NOCES D’ARLEQUIN,
Pièce des ACTEURS D’ITALIE,
Autant folâtre que jolie,
Et mêmes où, comme à Saint Cloud,
Mainte Cascade fait glou-glou.

Lettre du 10 février 1669, par Mayolas.

-Un fait notable : le mariage de Madame de Sévigné. Ainsi :

Le brave Marquis de Grigan,
Courageux, Adroit et Galant,
Animé d’une pure flamme,
A pris pour légitime Femme
La charmante de Cevigny,
Dont l’agrément est infini.
Gagnant le cœur de cette Belle,
On voit que son ardeur fidèle,
Comme sous Mars, sait en ce jour
Triompher aussi sous l’Amour.
De cette union si parfaite,
L’Illustre Parenté souhaite
De voir plusieurs jolis Enfants,
Dignes de ce couple d’Amants.

Lettre du 16 février 1669, par Robinet.

-Robinet revient-il sur le ballet annoncé plus haut ? Toujours est-il qu'un spectacle de cette sorte semble s'être tenu sur la place de Paris :

Clio, dont le beau Feu me brûle,
Et par qui sans fin je pullule
Et je produis de nouveaux Vers,
Sois-moi plus que jamais aujourd’hui favorable,
Puisque entre mes Sujets divers,
Il s’en trouve un inénarrable,
À savoir le Ballet d’un Monarque adorable,
Et qui doit être su partout cet Univers.

-De Mayolas à Robinet, le mariage de Madame de Sévigné est annoncé par toutes les gazettes :

À propos d’Amour, un tout sage,
Qu’a réglé le saint Mariage,
Rend GRIGNAN trop heureux Amant, [Le Marquis.]
Possédant cet Objet charmant
Qu’on ne peut voir sans qu’on soupire :
C’est SÉVIGNY que je veux dire,
De qui la Gorge et les beaux Yeux
Pourraient même enflammer des Dieux,
Sans pousser plus loin l’Inventaire
De tout le beau qu’il me faut taire.

-Mais plus loin, il est de nouveau question du Ballet :

J’avais pensé, dans cette Épître,
Tracer un simple et beau Chapitre
Du BALLET de notre HÉROS ;
Mais, en dussé-je avoir à dos
Les Lecteurs de mes Écritures,
Je n’ai pas bien pris mes mesures,
Et, mon Papier se trouvant plein,
Ce sera pour le Jour prochain.

Lettre du 21 février 1669, par Mayolas.

-Le Roi, la Reine et ceux de leur sang connaissent leurs doubles de cire :

Curieux de rares merveilles
Qui n’eurent jamais de pareilles,
Venez vite et courez tout droit
Au renom du fameux Benoist, [À la Foire.]
Pour voir le Cercle, fait de cire,
De notre incomparable SIRE,
De la Reine, objet si charmant,
Et d’un ample dénombrement
De nos Princes, de nos Princesses,
Ducs, Duchesses, Comtes, Comtesses,
De personnes de qualité,
Qu’il a si bien représenté
Qu’on peut dire, sans hyperbole,
Qu’il ne manque que la paroe
À ces ingénieux Portraits,
Tant ils sont bien faits et parfaits.
Par son génie et son adresse,
Sa politesse et sa justesses,
La cire ne perdra jamais
Ni sa blancheur, ni ses attraits.
À la beauté de ces figures
Répondent les riches parurent,
Et les superbes vêtements
En augmentent les agréments.
Puisque le Roi, comme la Reine,
Alla le voir, l’autre semaine,
Avec son cher et beau Dauphin,
Vous pouvez bien juger enfin
Que ce Royal Cercle mérite
Que l’on lui rende une visite.
Moyennant demi Écu blanc,
Vous les verrez tous en leur rang.
Courez-y donc, braves et belles,
Et vous m’en direz des nouvelles.

-C'est finalement Mayolas qui donne le premier une relation du Ballet évoqué plus haut, celui dit "de Flore" :

Le Grand Ballet est commencé
(Dimanche encor il fut dansé),
Intitulé Ballet de Flore.
Je puis vous assurer encore
Qu’il est justement composé
Et parfaitement divisé. [En quatre Quadrilles.]
Du monde les quatre parties
Y sont dignement assorties,
Et chacune a de quoi ravir,
Recréer, plaire et divertir.
Les personnes, bien préparées
À faire toutes leurs Entrées,
Y jouèrent dans ce moment
Leur personnage galamment.
L’Hiver, ouvrant cette carrière,
En est chassé par la lumière
De notre Prince sans pareil,
Qui représente le Soleil.
Flore doit remplir la deuxième,
Les Nymphes des eaux, la troisième.
La quatrième, le Printemps,
Avec l’amour et les doux vents.
Le ROI terminant la dernière,
Avec sa grâce coutumière,
Avec son maintien sans égal,
Il finit ce Ballet Royal.
La REINE, aussi sage que belle,
Digne d’une gloire immortelle,
Était présente constamment
À ce beau divertissement.
Nos Prince les plus remarquables,
Les Princesses les plus aimables,
Les Envoyés, Ambassadeurs,
Belles Dames et grands Seigneurs
Agréablement s’y trouvèrent
Et, le voyant, ils l’admirèrent.
Les Violons touchaient des airs,
Et les accords des doux concerts,
S’unissant aux voix sans pareilles,
Charmaient les cœurs et les oreilles.
Par ces diverses raretés
Tous les sens étaient enchantés.
Les Confitures précieuses
Et les liqueurs délicieuses,
Les Oranges et les Citrons,
Les Biscuits et les Macarons,
Aussi bien que la Symphonie,
Divertirent la Compagnie.
Des Lustres les vives clartés
Éclairaient de tous les côtés,
Et joignaient leurs petites flammes
Au grand éclat des braves Dames,
Qui, dans la nuit, en cette Cour,
Surpassaient la beauté du jour.
Leurs habits et leurs pierreries,
Et les autres galanteries
De leurs superbes vêtements
Accompagnaient leurs agréments
Dans la Salle, sur le Théâtre,
Au Balustre, à l’Amphithéâtre,
De l’un jusques à l’autre bout,
La Pompe triomphait partout.
Mais le grand Monarque de France
Remporta le prix de la danse
Sur les plus accomplis Acteurs
Comme sur les meilleurs Danseurs,
Et, par sa grâce sans seconde,
Ravit les yeux de tout le monde,
Qui louait, aussi bien que moi,
L’éclat et l’adresse du Roi.

Lettre du 23 février 1669, par Robinet.

-Robinet donne à son tour sa relation du Ballet de Flore :

J’eus, l’autre jour, mauvaise grâce
D’avoir promis dans ma Préface
Des merveilles sur le Couplet
Du grand et florissant Ballet,
Et je fis, touchant cette Corde,
Ainsi que font, dans leur Exorde,
La plupart de nos Orateurs,
Qui promettent aux Auditeurs
Plus qu’ils ne tiennent d’ordinaire.

Mais pardon, Lecteur débonnaire.
Laissant toute Nouvelle à part,
Soit bien, soit mal, à tout hasard,
Par ce beau Ballet je débute,
Sans qu’en un mot je me rebute
Par la grandeur de mon Sujet,
Le digne et glorieux Objet
De la MUSE de BENSERADE,
Lequel jamais ne se dégrade
Dedans un Champ d’Honneur si beau,
Quoi qu’il en dise en son Rondeau,
Mais y fait voir nouvelle grâce,
Ainsi qu’un Maître du Parnasse,
Où quand il forge es Vers neufs,
L’Illustre pont dessus ses Œufs.
Mais entrons, nous, vite en matière,
Et fournissons notre Carrière.

Comme notre grand POTENTAT
Ne fait rien qu’avec un éclat
Particulier à tous ses Gestes,
Beaucoup moins humains que célestes,
Ce Ballet, d’un à l’autre bout,
Est brillant et pompeux partout,
Et l’on peut dire sans qu’on erre
Qu’en la Paix, comme dans la Guerre,
LOUIS n’a non plus son pareil
Qu’en trouve l’unique Soleil.
Aussi ne font-ils rien qu’un même
Dedans ce Spectacle suprême,
Puisque cet admirable ROI
L’y représente, en noble arroi,
Chassant, dans la première Entrée,
L’Hiver glacé, de la Contrée,
Par ses Rayons tout éclatants,
Et rappelant en même temps
La riante et brillante Flore,
Que le tendre Zéphire adore.

MADAME, qui, par son Teint frais
Et par tous ses jeunes Attraits,
Ressemble plus à la Déesse,
Sans la bienheureuse Grossesse,
Aurait été là, trait pour trait,
Son incomparable Portrait ;
Mais, au défaut de son Altesse,
De SULLY la belle Duchesse
Tient illec son illustre Rang,
Par un honneur tout à fait grand,
Et forme la seconde Entrée,
Ayant pour sa Troupe admirée
La Jeunesse, avec la Beauté,
L’Abondance et Félicité,
Que représentent quatre Belles,
[La Princesse d’Harcourt, la Duchesse de Chevreuse, la Comtesse de Guiche e Madelle de Toussi.]
Que l’on peut bien prendre pour Elles,
Et chacune séparément
Pour toutes quatre mêmement.
On voit aussitôt les Naïades,
Avecque les Vertes Dryades,
Qui viennent faire, tour à tour,
À l’aimable Flore leur cour ;
Et ce sont encor sept Personnes,
Bonne foi, tout à fait mignonnes,
Ayant des Appâts à foison
Pour mettre un Cœur à la raison ;
Aussi cette troisième Entrée
Est-elle fort considérée.
[Madame de Coaquin, la Marquise de la Vallière, Madame de Casltenau, Mesdemoiselles de :Grancé, de la Mothe, de Coetlogon et de Raré.]

Celle qui suit, est du Printemps,
Que désigne un Duc de vingt ans, [Le Duc de Chevreuse.]
Lequel, par une heureuse Chance,
Est le Mari de l’ABONDANCE ;
Et ce Printemps, si verdoyant,
Si beau, si sage, et si ruant,
Mène deux Amours à sa suite, [Le Duc et le Chevalier de Vendôme.]
Qui sont d’un excellent mérite
Et même d’un royal estoc,
Aimant fort le belliqueux choc.

Dans la cinq et sixième Entrée,
Qui grandement l’Esprit récrée,
Des Bouquetiers et des Galants,
Tout à fait lestes et brillants,
Paraissent, ayant vent en poupe,
Et Comus se joint à leur Troupe.
[Le Dieu des Divertissements et de la Galanterie, représenté par le Duc de S. Aignan.]
Empruntant le visage et l’air
D’un brave Seigneur, Duc et Pair,
Qu’on peut prendre aussi pour lui-même,
Tant leur ressemblance est extrême.

Les Esclaves et Débauchés,
De qui riraient les plus fâchés,
Font après cela deux Entrées,
En Cervelles évaporées,
Et, par des Musiciens triés,
Font donner à deux Mariés
Une Charmante Sérénade,
Qui les fait joindre à leur Ballade,
Et forment une Entrée aussi,
Laquelle est la neuvième ainsi.
[Mlle de S. Christophe chante en cette Sérénade.]

Dedans la dixième, l’Aurore
Arrose les Jardins de Flore,
Ainsi que, dans celle d’après,
Les Heures y viennent exprès
Cueillir mille Fleurs pour les Grâces ;
Et puis l’on y voit sur leurs traces
Vénus, qui se plaint tendrement
[représentée par Madlle Hilaire, qui chante.]
Du Trépas de son cher Amant.

L’Intendant des Jardins, Vertumne,
Aussi, l’Amoureux de Pomonne,
En la douzième se fait voir,
Comme il fit pour la décevoir.
Avecque toutes les Figures
Qui déguisaient ses impostures ;
Et, dans la Treizième, Pluton,
À l’aide de maint grand Démon,
Enlève Dame Proserpine,
Diablesse d’agréable Mine.

Les Six Héros changés en Fleurs
De toutes sortes de couleurs,
[Narcisse, Adonis, Hyacinthe, Ajax, Acate, et Amaranthe.]
Forment la quatorzième Entrée,
Autant qu’aucune autre admirée,
Et comme chacun d’eux prétends
Que sa Fleurs ait le premier Rang,
Jupin survient dans leur Discorde,
Lequel tout soudain les accorde
En leur remontrant que le Prix
N’est dû qu’aux seules FLEURS DE LYS.
Après quoi, ce même Dieu chante,
D’une manière bien charmante,
Ainsi qu’avec lui le Destin,
Un Air, de louanges tout plein
Pour la MONARQUE et pour MADAME,
Ces Dieux, empruntant lors la Gamme
De deux modernes Amphions
Dont on admire les fredons.
[Ce sont les Sieurs d’Estival et le Gros.]

Enfin l’on aperçoit un Temple,
D’une structure sans exemple,
Qui se bâtit en un moment,
Ainsi que par enchantement ;
Et, là, les Quatre Parts du Monde,
Dans une humilité profonde,
Rendent ensemble leurs respects
À ce divin Recueil d’Attraits,
Cette belle et royale ALTESSE
À qui mes Missives j’adresse.
Des Faunes y viennent aussi,
Et le Ballet finit ainsi
Par cette quinzième Entrée,
Du MONARQUE encor illustrée,
Désignant un Européen,
Que partout on connaît fort bien,
Et le plus grand, sans que je chope,
Qui soit dedans la vaste EUROPE.

Voilà, pour les Provinciaux,
Ce que nos petits Vermissaux,
Par épitome, peuvent dire
De ce Ballet de notre SIRE,
Et que l’on a trois fois dansé,
Cela s’entend, en la Présence
De la belle REINE de FRANCE
Et de son DAUPHIN, si charmant,
Qu’on ne peut voir conjointement
Que, pour le certain, il ne semble
Voir Vénus et l’Amour ensemble.

-AvecLa Fête de Vénus de Claude Boyer au Théâtre du Marais une nouvelle actrice (Mlle de Champmeslé) se fait remarquer :

La pompeuse Solennité
De cette céleste Beauté
Avec grand bruit se continue [Comédie intitulée La Fête de Vénus.]
Et d’un nombreux concours est vue
Sur le Théâtre du Marais,
Où je ne sais combien d’Attraits
Et de ravissantes Merveilles
Charment les Yeux et les Oreilles.

Au Spectacle, il ne manque rien ;
Tous les Acteurs y font très bien,
Notamment l’Actrice Nouvelle,
Également et bonne et belle ;
Et, bref, la Pièce est de BOYER,
De cet Auteur si singulier
Qui sur son Chef sans cesse entasse
L’immortel Laurier du Parnasse.

-Au Palais-Royal, Molière revêt le costume d'Orgon pour la représentation de son Tartuffe :

À propos d’Ébat Théâtral,
Toujours, dans le Palais Royal,
Aussi, le TARTUFFE se joue,
Où son Auteur, je vous l’avoue, [Le Sr Molière.]
Sous le nome de Monsieur ORGON,
Amasse et Pécune et Renom.
Mais pas moins encor je n’admire
Son Épouse, la jeune ELMIRE, [Madlle Molière.]
Car on ne saurait, constamment,
Jouer plus naturellement.
Leur Mère, Madame PERNELLE, [Représentée par le sieur Béjart.]
Est une plaisante Femelle,
Et s’acquitte, ma foi, des mieux
De son Rôle facétieux.
DORINE, Maîtresse Servante, [Madlle Béjart.]
Est encor bien divertissante ;
CÉLIANTE enchante et ravit
Dans les excellents Vers qu’il dit ; [Le Sr de la Thorillière.]
Ces deux autres, ou Dieu me damne,
DAMIS et sa Sœur MARIANE, [Madlle de Brie et le Sr Hubert.]
Qui sont les deux enfants d’ORGON,
Y font merveilles tout de bon.
VALÈRE, Amant de cette Belle, [Le Sr de la Grange.]
Des Galants y semble un Modèle,
Et le bon TARTUFFE, en un mot, [Le Sr du Croisy.]
Charme en son Rôle de Bigot.

-Même représentation a été donnée dans les jours suivants chez la Reine :

L’un des Soirs de cette Semaine,
Notre excellente SOUVERAINE
S’en fit, en son Appartement,
Donner le Divertissement,
Et rit bien de voir l’Hypocrite
Ajusté comme il le mérite.

-Des doubles de cire de la famille royale, il est à nouveau question :

PARIS, la REINE des Cités,
Était féconde en Nouveautés
Bien dignes de la Renommée
Qui partout la rend estimée ;
Elle en renferme une, en ce jour,
À laquelle tout chacun court.

Par un Enchantement de Cire,
On voit illec notre GRAND SIRE
Et son adorable MOITIÉ,
De leur hauteur, non à moitié,
Comme aussi MONSIEUR et MADAME,
Ma foi, presque en Corps et en Âme,
Et les principales Beautés
Par qui les Cœurs sont si tentés,
Tous les jours, au CERCLE du LOUVRE,
Où partout volontiers l’on m’ouvre.

Or, les MAJESTÉS, l’autre jour,
Ayant, dans notre grand Faubourg, [de Saint Germain.]
Été voir ladite Merveille,
Leur surprise fut non pareille
De se trouver produites-là
Si parfaitement que cela,
Et de voir, en cette Imposture,
L’Art, ce Rival de la Nature,
Égaler des Portraits si beaux
À ses plus grands Originaux.
La célèbre ARTISAN, au reste, [le sieur Benoist.]
Avec un Concert tout céleste
Conduit par le fameux CAMBERT,
Qui, comme on sait, est un expert,
Reçut ce HÉROS magnanime
Qui lui témoigna son estime,
Et par cette visite enfin
Combla de gloire son Destin.

Lettre du 2 mars 1669, par Robinet.

-En Crète, la guerre de Candie, qui fait rage entre les Ottomans de Mehmed IV et les Vénitiens soutenus par le Pape depuis bien des décennies, devient de plus en plus prégnante dans l'actualité. Sur les instances du Souverain-Pontife, Louis XIV a finalement décidé l'envoi d'un corps expéditionnaire. Il sera commandé par le duc de Navailles et le grand Beaufort, qui s'est déjà illustré contre les Barbaresques en 1664. Il s'agit en réalité du second corps expéditionnaire, puisque des volontaires français avaient déjà fait le voyage au cours des mois précédents. Parmi ceux-ci, le chevalier de Saint Paul, dont il est également question dans la relation d'importance que Robinet consacre à cet événement :

Parlons du SIÈGE DE CANDIE ;
Les MAHONS ne le lèvent mie,
Et Monsieur leur Premier Vizir,
Quoiqu’il n’ait pas là grand plaisir,
A le continuer s’obstine ;
Mais, malgré leur humeur mutine,
Je crois qu’il s’en vont le lever,
Ou, dans leurs Lignes, tous crever.

LOUIS, qui si bien se démêle
De toute chose, enfin s’en mêle ;
Et je fais pari là-dessus
Pour la perte de ces Cornus.
Deux cents et vingt des MOUSQUETAIRE,
Si grands et vaillants Militaires,
Et triés de la propre main
De ce belliqueux Souverain ;
ITEM encor quatre cents autres,
Qui ne sont pas moins bons Apôtres,
Ni moins propres aux beaux Exploits,
Tous pris dans les Gardes Français,
Et quinze Corps de bonnes Troupes,
Où l’on ne voit nuls bras d’étoupes,
S’en vont, de par notre Héros,
Lequel leur donne exprès campos,
Dénicher la Nation Turque,
Pour qui me manque Rime en URQUE.
NAVAILLES, pour ce coup fatal,
Est son LIEUTENANT GÉNÉRAL,
NAVAILLES, Duc dont la Prouesse,
L’Expérience, la Sagesse
Et le zèle sont si connus.
Ah ! c’est fait de ces Gens cornus !

D’ailleurs, ce Vaillant maritime,
Que chez le Barbare on estime
Et qu’on y craint encor plus fort,
Notre fameux DUC DE BEAUFORT,
Dont la belle Âme est si hardie,
Va pareillement en Candie,
Avecque son jeune NEVEU
Que déjà Mars met tout en feu,
Ayant vingt Vaisseaux, dont les Voiles
Peuvent muguetter les Étoiles,
Et, du moins, huit mille Soldats,
Encor plus friands de Combats,
Que je ne suis de Confitures,
Quoique j’aime fort ces Pâtures.
Je dis donc, comme ci-dessus :
Ah ! c’est fait de ces Gens cornus !

Pourtant, comme on dit d’ordinaire :
DIEU surtout, il est nécessaire
Qu’il bénisse un si beau dessein,
Et c’est aussi pour cette fin
Qu’ici, dans ses Saintes Demeures,
Les Prières de Quarante-Heures
Se font, comme on voit, chaque jour,
Et que notre dévote COUR
Nous propose, dans maint beau Temple,
Incessamment son grand Exemple.
Ah ! si nos vœux y sont reçuss,
Ce sera fait des Gens cornus !

Sur ce Chapitre de Candie,
Il faut encore que je dis
Que nos braves AVENTURIERS,
S’étant là chargés de Lauriers
En mettant à couvert la Place
Contre la Musulmane Audace
Jusques au grand Secours susdit,
Reviennent, ainsi qu’on l’écrit,
Rendre compte à notre MONARQUE
De ce qu’en gros ici je marque,
À la réserve toutefois
D’un nombre qui, dans ces Exploits,
On trouvé la mort glorieuse
Qu’aime toute Âme belliqueuse.

Mais notre Illustre de SAINT-PAUL,
Qui suit la Gloire à si haut vol,
S’est vu contraint d’aller faire halte
En la Chrétienne Île de Malte,
Pour y prendre un peu de repos,
Ce jeune et merveilleux Héros,
Qui portait la Hotte lui-même,
Par un zèle vraiment extrême,
Sentant un tant soit peu son corps
Atténué de tant d’efforts,
Auxquels l’engageait sa belle Âme
Qui semblait là toute de Flamme.

Monsieur le DUC DE ROANEZ,
Dont on chante tant les hauts Faits,
Fait à TOULON aussi sa prose.

-Succès grandissant du Tartuffe et parution chez Ribou de L’Avare et de Georges Dandin :

Ici, partout, on masque, on balle,
Et du bel air on se régale [sic]
Selon l’ordre du Carnaval,
Cette année assez jovial.

Monsieur le DUC, en galant Prince,
Hier fit un Cadeau, non mince,
Mais ample et concerté des mieux,
Magnifique et facétieux,
Étant mêlé de Comédie
Par les grands Acteurs d’Italie,
Qu’accompagnent toujours les Ris ;
Et tous les Momons de Paris
Se trouvèrent à ce Régale [sic]
Qui se fit dans la même Salle
Où le TARTUFFE, en grand crédit,
De plus en plus, nous ébaudit.

De son Auteur, on vend l’AVARE,
Poème en Prose, encor si rare,
Avec son beau GEORGES DANDIN,
Dont il reçoit force dindin [sic].
C’est chez Ribou qu’on les délivre, [devant la Ste Chapelle.]
Chacun pour une et demi-livre,
Prix fait, et ce sont vérités,
Ainsi que de petits Pâtés.

-Parution chez Sercy de L'Amant qui ne flatte point de Hauteroche et création de La Femme juge et partie de Montfleury :

L’AMANT du sieur de HAUTEROCHE,
Qui, sans en craindre nul reproche,
Ne flatte certe en aucun point,
Comédie, à n’en mentir point,
Bien agréable et bien écrite,
Aussi chez SERCY se débite [L’Amant qui ne flatte point, dans la grande Salle du Palais.]
Et vaut bien, si vous m’en croyez,
Qu’à ces jours gras vous l’achetiez..

Mais, à propos de Comédie,
On parle d’une fort jolie,
Qu’à l’HÔTEL on joue à présent,
Dont je sujet est très plaisant :
C’est la FEMME JUGE ET PARTIE,
D’une bonne Plume sortie. [Du Fils de défunt le Se de Monfleury.]
Après demain, je la verrai,
Puis je vous en entretiendrai.

Maintenant, la Muse étant lasse,
Outre que je n’ai pas de place
Pour davantage caqueter,
Je m’en vais simplement dater.

Lettre du 3 mars 1669, par Mayolas.

-Mayolas annonce à son tour la nouvelle initialement narrée par Robinet au sujet de l'implication du roi de France dans la guerre vénitienne de Candie et évoque à son tour le retour du chevalier Saint Paul, membre d'une expédition précédente :

Grand LOUIS, vous méritez bien
Le Titre de Roi Très Chrétien,
Puisque l’ardeur de votre zèle
Et votre piété fidèle
Soutiennent la Religion
En tout temps, dans l’occasion
La plus belle et la plus pressante,
Comme est celle qui se présente,
Envoyant aux Vénitiens,
Contre l’Ennemi des Chrétiens,
Un secours, pour tirer Candie
D’entre les mains de la Turquie ;
Par un mouvement glorieux,
Au si beau que religieux,
Suspendant votre intérêt même :
C’est élever le diadème
Au plus haut degré de l’éclat
Où l’ait mit aucun Potentat.
Huit mille hommes choisis en France,
Pourvus d’adresse et de vaillance,
La plupart de votre Maison,
En vaudront vingt avec raison,
Vos Sujets remplis de courage,
Souhaitant d’être du voyage,
Pénétrant votre sentiment,
S’offraient tous agréablement.
Ceux qui restent seraient plus tristes
De ne pas marcher sur ces pistes
Sans le bonheur illustre et doux
Qui les attache auprès de vous.
Pendant que votre âme, avec joie,
Ce puissant Renfort leur envoie,
Que le bruit de vos Régiments
Fait déjà peur aux Ottomans.
À Paris vous servez d’exemple,
Allant de conjurer les Cieux,
De les rendre victorieux.
Parmi les vertus remarquables
Et les qualités admirables
Qu’on loue en votre Majesté,
Cet amour pour la Chrétienté,
Étant la première des vôtres,
Doit couronner toutes les autres,
Et donner à votre beau Nom
Les traits d’un immortel renom.

Mercredi, nos Soldats partirent,
À Paris leurs Adieux ils firent,
Prenant la route de Dijon
Pour se rendre vite à Toulon.
Quatre Capitaines aux Gardes,
Troupes robustes et gaillardes,
Ont été choisis par le Roi,
Pour les conduire en bel arroi ;
Maint Lieutenant et maint Enseigne,
Soit de Bourdeaux et de Compiègne,
Doivent marcher à leur côté
Pour une plus grand sûreté.
Gardes du Corps et Mousquetaires
Galoperont sans tarder guères.
Les premiers, de notre LOUIS,
Sont commandés par Maupertuis ;
Le Comte de Monbron commande
Ceux qui font la seconde bande.
Gens d’armes et Chevaux-Légers
Y porteront leurs pas légers,
Et notre grand Monarque nomme
Castelan, brave et galant homme,
Pour être avec juste raison
Le Brigadier de sa Maison.
Le Duc de Navailles doite être
Le Chef, le Commandant, le Maître,
Et sa conduite et sa valeur
Ont bien mérité cet honneur,
Puisque l’adresse et la vaillance
Égalent son intelligence.

Le brave et grand Duc de Beaufort,
Que notre Cour estime fort,
Depuis quatre jours a fait voile, [Le Chevalier de Vendôme.]
Sous l’aspect d’une bonne Étoile.
Voguant sur la plaine des eaux,
Il va tenir prêts les Vaisseaux
Qui sont au Tolonnois rivage,
Pour le transport et le passage
De nos Soldats et Cavalier
Et de leurs dignes Officiers.
En dépit du Turc, file à file,
Il les passera dans cette Île,
Pour faire, ce prochain Printemps,
Lever le Siège aux Assiégeants.

On vient de m’écrire de Rome
Que, par les ordre du Saint-Homme,
Dont le zèle et la piété
Travaillent pour la Chrétienté,
On doit lever quelques Milices,
Qui feront bien leurs exercices,
Et chercher dans tous ses États
Jusqu’à quatre mille Soldats,
Pour aller secourir Candie
Contre les Traits de la Turquie.

Saint-Paul, que la valeur exalte,
Ce Prince est arrivé dans Malte,
Après avoir fait plusieurs fois
De grands et de nobles exploits,
Laissant Candie en assurance
Jusqu’à la nouvelle assistance.
Le DUC de Roannez, Vaillant,
Aussi courageux que Galant,
Après avoir fait des miracles
Et surmonté divers obstacles,
Passant à Toulon l’autre jour,
Viendra bientôt en notre Cour.

Lettre du 9 mars 1669, par Robinet.

-Le Tartuffe, encore et toujours favoris des gazetiers :

MONSIEUR LE DUC, le Samedi,
Non pas, ce fut le Vendredi,
Satisfit à cette coutume
En faisant voir, en grand volume,
Qu’il est magnifique et galant,
Autant que Brave et que Vaillant.
Toutes les Loges de la Salle
Où MOLIÈRE Tartuffe étale
Avaient, comme en un tournemain,
Ou bien du soir au lendemain,
Été mignardement [sic] parées
Et de tous côtés décorées
De Pilastres et de Festons,
Revenant à bien des testons,
Ainsi que tout l’Amphithéâtre,
Et le Parterre et le Théâtre.
Des Lustres, je ne sais combien,
Produisaient là, foi de Chrétien,
Ou d’Historien véridique
(Foi dont ici plus je me pique),
Un jour aussi brillant et beau
Que cil du Solaire Flambeau.

-Mais Tartuffe n'est pas seul à donner au public force divertissement. Les Italiens sont de la partie :

La gaie TROUPE AUSONIENNE,
Alias Troupe Italienne,
Qui le Risible a pour Objet
Et triomphe sur ce Sujet,
Fit de la Fête l’Ouverture
Par un Ambigu, je vous jure,
Qui fut des plus facétieux,
Étant, pour nous expliquer mieux,
L’amas des Scènes plus plaisantes
De leurs Pièces divertissantes,
Où TRIVELIN et ARLEQUIN
Feraient rire le plus Taquin,
Car un Taquin, à le bien dire,
Est Taquin même jusqu’à rire,
Et, bref, étant des moins riants,
Ne rit rien que du bout des Dents.

-Aux Italiens, succèdent festin et bal :

Après ladite Comédie,
Afin qu’en ordre tout se die,
La DÉESSE COLLATION
Vint faire illec sa Fonction,
Avec maintes riches Corbeilles,
Qu’environnaient les nompareilles,
Et très grand nombre de Bassins,
Beaucoup plus vastes que succints,
Le tout rempli de ces Pâtures
Qu’aiment les chastes Créatures,
Avecque toutes les Liqueurs
Qui cadrent mieux à ces douceurs,
Et dont volontiers nos Femelles
Vont humectant leurs Gargamelles,
Ce Sexe, né pour les Bonbons,
Ayant des Appétits gloutons
Pour les coulantes et liquides.

MONSIEUR et MADAME étant là,
La Collation présenta
Les Prémisses de ses Régales [sic]
À ces deux ALTESSES ROYALES,
Et puis, de l’un à l’autre bout,
Elle fit la ronde partout,
Et rendit, en un mot, comblée
De ses Biens toute l’Assemblée,
Que force Masques composaient,
Dont les uns plus ou moins brillaient.
Comme l’on dit qu’après la Panse
Succède Madame la Danse,
Ainsi donc, après ce Régal,
On eut d’importance le Bal,
Et par là finit cette Fête
Dont je me suis mis à la tête
De vous donner le Supplément,
N’ayant pas su dernièrement
Tout ce grand Détail vous en mettre
Dans ma Missive, Épître ou Lettre.

-Le jour suivant, la cour se délecte à nouveau du ballet de Flore :

Le lendemain, le Grand Ballet
Chez le ROI joua son Rôlet,
Et le lundi d’ensuite encore,
S’entend bien, le Ballet de Flore,
Où la Cohue et le Concours
Furent tels, en ces derniers jours,
Qu’à part Française Courtésie [sic],
L’Officier, dans sa frénésie,
Repoussait par de félons coups
Le susdit Sexe aimant le doux,
Et (dont il n’était pas en fête)
Le jetait tout franc à la tête,
Si qu’un Huissier en eut au Chef
Fort malle bosse, par méchef.
Pourtant, MONSIEUR de la HILLIÈRE,
De très obligeante manière,
En faveur des Muses, je crois,
Introduisit sans désarroi
En ce lieu-là ma Compagnie,
Dont ici je le remercie,
Publiant à tout l’Univers,
Par le bec de mes petits Vers,
Que c’est un Chevalier bien sage,
Qui sait joindre avec le Courage,
Outre mainte autre Qualité,
L’Accortise et Civilité,
Et qui remplit des mieux la Charge
Qu’à côté vous voyez en marge. [Lieutenant des Gardes du Corps.]

-Et les jours suivants ne sont que bals, mascarades, sérénades...

Le Dimanche, au PALAIS ROYAL,
Fut aussi le Bal général
Dans l’Appartement de MADAME,
Où tout alla de la grand’ gamme,
Comme d’ordinaire tout va
Chez cette belle ALTESSE-là,
Où, porche d’elle se rassemble
Ce qui plus aux Anges ressemble,
Et c’est à dire ces Beautés
Par qui les Cœurs sont si tentés.

Les Momons de toutes les sortes
Se rendirent là par Cohortes,
Et l’on y put voir, en un mot,
Plus de Grotesques que Callot,
À peindre les Démons idoine,
N’en fait voir près son Saint Antoine.
[C’est dans son Étampe de la Tentation de ce St.]
Droitement travestis, ainsi
Qu’étaient lesdits Masques ici.

Notre MONARQUE et notre REINE,
Dont la Puissance Souveraine
Fait notre bienheureux Destin,
Et leurs admirable DAUPHIN
Vinrent à cette belle Fête,
Étant, des pieds jusqu’à la Tête,
Vêtus en Perses éclatants,
Des fins joyaux tout bluettants [sic],
La REINE, ayant sur sa Personne,
Et si divine et si mignonne,
Pour dix-sept millions et plus
De ces clairs Effets de Phœbus.

Enfin, Mardi, notre Grand SIRE,
Dans son beau Palais qu’on admire,
Fit aussi merveille à son tour,
Donnant Bal à toute la COUR,
Et ce charmant PORTE-COURONNE,
Que toute la Gloire environne,
Couronna les autres Cadeaux
Par le sien, qui fut des plus beaux.
Je pense que je le puis dire,
Sans qu’on ose me contredire,
Et qu’ainsi l’on n’ignore point
Qu’il n’ait tout pu sur un tel point.

Maintes et maintes Mascarades,
Les unes avec Sérénades,
Ainsi qu’en leur Centre Royal,
Vinrent fondre dans ce grand Bal,
Et mon HÉROÏNE et PRINCESSE,
Nonobstant sa chère Grossesse,
Y fut dans l’Habit et l’éclat
De la feu Reine de Saba,
Ayant une Robe à l’antique
Très superbe et très magnifique,
Et couverte encor des Trésors
Dont brillent les Indiens Bords.

Son INFANTE, MADEMOISELLE,
Cette jeune Grâce si belle,
Ou cet Oriental Amour,
L’accompagnait, en même Atour,
Et la GRANDE et petite ALTESSE,
Par leur Appas et leur Jeunesse,
Communiquaient tant d’ornements
À ces antiques Vêtements
Que les Modes les plus nouvelles
Paraîtraient auprès bien moins belles.

L’Illustre Dame de MARCÉ
[Gouvernante des Filles d’Honneur de Madame.]
(Et de bonne part je le sais),
Comme Personne ingénieuse,
Inventa ce Déguisement,
Et, non sans applaudissement,
Fut pour cela de chaque ALTESSE
La digne et brave Atournaresse.

-...et représentation dramatique (ici, La Femme juge et partie de Monfleury) :

Je n’oublierai pas, vraiment, non,
Que la DUCHESSE de BOUILLON,
Ou Madame la Chambellane,
Dont le beau Nom est Marianne,
En qui l’on voit tant d’agrément,
Tant de brillants, tant d’enjouement,
A fait aussi Cadeau chez elle
D’une manière nonpareille,
Car tout s’y fit avec splendeur
Et selon son généreux Cœur,
Grand Festin, Bal et Comédie,
Qu’accompagnait la Mélodie,
Ayant composé ce Cadeau
Tout à fait magnifique et beau.

Cette Comédie était celle
Qu’à l’Hôtel on trouve si belle [La Femme juge et partie.]
Et dont l’Auteur est MONTFLEURY,
Où l’Équivoque est fort fleuri,
Et dans laquelle le beau Sexe,
Qui si souvent le nôtre vexe,
Voit avec un plaisir bien doux
La Femme dauber son Époux,
Car il n’en est guère, je pense,
Qui ne voulut avoir la chance
De pouvoir quelque fois ainsi
Bourrer Monsieur son Homme aussi.
Morbleu ! comme les bonnes Bêtes
Célébraient de telles Fêtes !

-En somme, l'époque est de fête... jusqu'à l'outrance :

En tous les Lieux de la Cité,
Avec grande joyeuseté,
Nos Bourgeois ont fait Bal et Chère,
Et masqué de bonne manière,
Quoi que, pendant les trois jours gras,
Pour arrêter les grands fracas
De la Débauche Carnavale,
En aient pu dire, en leur Morale,
Quantité de rares Prêcheurs,
Criant souvent : « ô Siècle ! ô Mœurs ! »

Entre eux, et soit dit sans jactance,
J’en entendis un d’importance,
L’ABBÉ FAURE, certe [sic], Orateur,
Lequel ravit son Auditeur
Par sa vigoureuse éloquence
Pleine de solide Science ;
Et je vis, au même Saint Lieu
Où prêchait cet Abbé de DIEU, [St Germain l’Auxerrois.]
Un Autel que la Main artiste
Du Sieur HOCHAR, et non Baptiste,
Avait de façon décoré,
Qu’on n’en saurait voir de paré
Avecque plus d’art et de pompe,
Ou peut-être que je me trompe.

Lettre du 10 mars 1669, par Mayolas.

-Mayolas loue le roi pour sa double capacité à briller tant dans la chose artistique que dans la chose politique :

SIRE, quoi que vous puissiez faire,
Vous êtes extraordinaire,
Et dans vos plaisirs innocents
Vos traits sont toujours ravissants ;
Sous quelque habit que l’on vous voie.
Bien que l’or, la laine ou la soie
Veuillent à nos yeux vous cacher,
Nos cœurs vont partout vous chercher :
À votre éclat, à votre mine,
Notre esprit connaît ou devine,
Et lit dans un je ne sais quoi
Les Caractères d’un Grand Roi.
Lundi, vous dansâtes encore
L’agréable Ballet de Flore ;
Les Étrangers, les Courtisans,
Qui dans la Salle était présent,
Comme les Dames les plus belles,
Y virent des grâce nouvelles.
Quand cent fois constamment il plairait,
Et votre adresse et votre grâce
Tous les plus habiles surpasse.
Le passe-temps du Carnaval,
Masquarade, Ballet, ni Bal,
N’empêchent point votre prudence
Et votre juste vigilance
De travailler avec éclat
À ce qui regarde l’État,
Et de bien régler les affaires,
Glorieuses et nécessaires,
Dont vous venez si bien à bout
Que vous trouvez du temps pour tout.
Et moi, je prends aussi mon heure,
Dans un recoin de ma demeure,
Pour présenter de nouveaux Vers
Au plus grand Roi de l’Univers.

-Le gazetier loue le talent d'un artiste ayant gratifié l'Hôtel de Luynes et ses propriétaires d'un Tabernacle des plus magnifiques :

Parlons un peu d'un Tabernacle
Qui passe ici pour un miracle,
Car je puis assurer sans fard
Que c'est un chef d'oeuvre de l'Art.
Les cristaux, glaces de Venise,
Favorisent cette entreprise ;
Diamants, perles et rubis
Augmentent l'éclat et le prix.
Vingt-mille pièces rapportées
Et tout-à-fait bien ajustées
En font, dans la perfection,
L'adroite composition.
La régulière Architecture,
La délicate miniature
Paraît en ces charmants travaux ;
Les Portiques et les Portaux,
Piliers, colonnes, galeries,
Par des louables industries,
Font voir, sur un fonds marbré noir,
Ce qu'à peine on peut concevoir.
Aussi cet ouvrage admirable,
Que chacun trouve inimitable,
A formé sa belle façon
Sur le Temple de Salomon,
Et ces beautés presque divines
Logent à l'Hôtel de Luynes.
Pour trente sols vous le verrez,
Et votre argent point ne plaindrez,
Car cela vaut une pistole,
Et je dirai, sans hyperbole,
Que ceux qui l'ont vu une fois
Le vont revoir et deux et trois.
L'Architecte le plus habile
Et les Gens d'esprit de la Ville
Protestent que cet appareil
N'a point au monde son pareil.
Une Princesse très Royale,
Sans les traits de la mort fatale,
L'aurait pris et bien conservé.
Sitôt qu'on l'aurait achevé.
C'est Mademoiselle de Bourges,
Laquelle est d'Agen, non de Bourges,
Qui de sa main, pendant dix ans,
A fait ce que je vous apprends,
De qui l'humeur fort généreuse,
Pour cette oeuvre si merveilleuse
De l'argent n'ayant pris jamais,
L'a parfaite à ses propres frais.
Mais l'esprit de cette Personne,
Civile, adroite, illustre et bonne,
Est aussi rare et précieux
Que son travail est curieux.

-Est-ce l'effet de la participation active de la France à la "guerre vénitienne" de Candie ? Toujours est-il qu'un diplomate français est reçu au Sénat de Venise :

Vous verrez ici sans remise
Notre Ambassadeur à Venise.
Le Président de Saint-André
En icelle Place est entré
Avec grande magnificence,
Pour la gloire de notre France.
Pompeusement il se rendit
Dedans l’Île du Saint-Esprit
Sur quatre Gondoles brillantes,
Aussi légères que galantes,
Qui portaient son leste et beau train,
Pour l’escorter en ce chemin.
La Ville s’étant préparée
À voir cette superbe Entrée,
Le Chevalier Morosini,
De plusieurs compliments muni,
De Sénateurs plus de soixante,
Une troupe fort éclatante
De Nobles et de Citoyens,
Italiens, Vénitiens,
Furent prendre cette Excellence
Pour la conduire à l’Audience
De ce Sénat grave et fameux,
Qui l’accueillit tout de son mieux
Pour l’honneur de notre Couronne
Et les vertus de sa Personne ;
Puis, avec la même splendeur,
On ramena l’Ambassadeur.
Tout le monde étant aux fenêtres,
Les valets ainsi que les maîtres,
Hommes, femmes, filles, garçons,
Rangés sur le haut des blacons,
Virent cette cérémonie
Avec allégresse infinie.

-Mayolas évoque de nouveau le départ de la flotte française pour Candie :

Depuis que nos Aventuriers,
Nos Soldats et nos Cavaliers
Défirent des Turcs en Candie
Dans leur glorieuse Sortie,
Étant entrés dans leur quartier,
Faisant des tours de leurs métiers,
Jusqu’à la cinquième redoute,
On ne doit pas entrer en doute
Que les Chrétiens, tout de nouveau
Animés d’un feu saint et beau,
Ont attaqué les Infidèles
Et cassé beaucoup de cervelles,
Les empêchant incessamment
De travailler commodément
Aux Forts, qu’il prétendent de faire
Pour bien achever leur affaire ;
Mais je crois qu’ils se tromperont
Et que point ne réussiront,
Car la République, sans cesse,
Unissant la force à l’adresse,
Fait marcher des munitions
D’hommes et de provisions.
Morosini, fort remarquable,
N’attend plus qu’un vent favorable
Pour passer gaiement cela
Aux Assiégés de par delà,
Attendant toujours avec joie
Les divers secours qu’on envoie.
À l’exemple de mon Grand Roi,
Les Princes zélés pour la Foi,
Par des soins pieux et propices,
Y font galoper des Milices.
Celles du Duc de Lunebourg
Y marcheront au premier jour,
Et quitteront bientôt Vérone
Pour y payer de leur personne.

-D'une expédition à l'autre, il revient également sur le retour des membres de la précédente action militaire entreprise par les français. Son chef, Saint Paul, est reçu avec tous les égards à Malte ;

Dès que le Comte de Saint Paul
Eut vers Malte enfin prit le vol,
De la part de son Éminence, [D’Aubusson.]
On le harangua d’importance,
Le régalant dans ces moments
De plusieurs rafraîchissements,
Et, par les ordres du Grand Maître,
Dont la vertu sait bien paraître,
Le Commandeur de Valencé,
Rempli d’esprit et bien sensé,
Fit meubler avec politesse
Un grand Palais pour son Altesse,
Et loger de bonne façon
Un Prince de si grand Renom,
Dont la valeur et le courage
N’ont pas craint un si long voyage.

Le Duc de Roannez enfin,
Suivi d’un glorieux destin,
A salué notre Monarque,
Dont il a reçu mainte marque
De l’estime que les Français
Doivent à ses braves exploits.
Toute la Cour, illustre et belle,
Surtout son Épouse fidèle,
A fait des vœux, et nuit et jour,
Pour le voir ici de retour.

-Les activités du couple royal, entre dévotion et distraction :

La REINE, plus blanche qu’ivoire,
Fut aux Pères de l’Oratoire,
Qui vivent-là comme des Saints,
Et le Coadjuteur de Reims
Y fit un Sermon Angélique,
Poli, moral, scientifique,
Qui, sans nulle difficulté,
Plut beaucoup à Sa Majesté.
Mademoiselle, très pieuse,
Altesse aimable et généreuse,
Prélats, Abbés, en quantité,
Et les plus grands de la Cité
Attentivement l’écoutèrent,
Et tous hautement le louèrent.

Le ROI, qui n’eut jamais d’égal,
Mardi dernier, donna le Bal ;
La REINE, en merveilles féconde,
Et de sa Cour le plus beau monde :
Princes et Princesses du Sang,
Des Courtisans du plus haut rang,
Les belles Dames, s’y trouvèrent,
Et si richement se parèrent
Que ce doux divertissement
Paraissait un enchantement.

Lettre du 17 mars 1669, par Robinet.

-Deux artistes ont fait un portrait de la reine :

L'un des jours de cette Semaine,
Etant chez notre auguste REINE,
En qui la Nature et les Cieux
Ont mis tant d'Appas glorieux,
Je vis les BEAUBRUNS, ces deux Frères,
Fixant sur elle leurs Visières,
Desseigner et contretirer
Ces charmes qu'on doit adorer,
Pour en faire, après, la Peinture,
Telle qu'à la Race future
Elle fasse admirer leurs Traits,
Avecque les mêmes Attraits.
Mais, las ! ce disais-je en moi-même,
Qui peut avoir la gloire extrême
D'exprimer bien par son Pinceau
Tant de Beautés, en un Tableau,
Qu'en cette REINE il s'en assemble ?
Quand tous les APPELLES ensemble
Un tel Chef d'Oeuvre entrepridraient,
A peine à bout, ils en viendraient.
L'Amour seul est le Peintre insigne
Qui d'un tel Ouvrage soit digne,
Lui qui sut, par son Trait vainqueur,
La graver, avec tant d'honneur,
Dans ce vaste coeur que la Gloire
Occupait avec la Victoire,
A savoir le Coeur de LOUIS,
Source de cent Faits inouïs,
Et le seul Temple où cette REINE,
Cette admirable Souveraine,
Puisse recevoir aucuns Voeux
Qui, je pense, lui plaisent mieux.

-La Cour passe du divertissement à la rigueur :

Notre COUR, trêve de Momons,
Est à présent Cour à Sermons,
Et, changeant de Gamme et de Note,
Dès Dimanche, touts Dévote,
Entendit de bonne façon
Celui du PÈRE MASCARON,
Tout rempli de belles Pensées,
Dans la Période agencées,
Et de Chrétiens Raisonnements,
Qui, dedans leurs enchaînements,
Avaient une délicatesse,
Une finesse, une justesse,
Qui fit dire à tout Auditeur
Qu’il était un grand Orateur.

-Candie, qui a reçu la nouvelle de l'arrivée prochaine des française, semble reprendre espoir :

Les CANDIOTS assiégés,
Plus que jamais encouragés
Par la vertu de l’espérance
Qu’ils ont aux grand secours de FRANCE,
Traitent comme Gens de bibus
Le VIZIR et ses Gens cornus ,
Et, loin que rien les déconcerte,
Non pas même encore la perte
Qu’ils ont faite nouvellement,
Dit-on, d’un double Logement,
Ils arborent l’Étendard Rouge,
Sans qu’aucun de ces Mahoms bouge
Pour les provoquer à l’Assaut :
Voyez donc à qui le cœur faut.

-... pendant qu'à Venise, on reçoit l'ambassadeur de France :

Notre AMBASSADEUR à VENISE,
De qui le Renom s’éternise,
A fait avec un tel éclat
Son Entrée, et même au Sénat,
Alors qu’il prit son Audience,
Qu’on dit que sa magnificence
Parut, sans faire le Flatteur,
Celle d’un vrai Triomphateur.
D’autre part aussi, la Prestance
De sa noble et digne Excellence,
Et son Esprit et ses Discours,
Qui ne sont point de tous les jours,
Faisaient aux Vénitiens dire
Que notre auguste et sage SIRE
Leur rendait bien, en saine foi,
Et très aisément je le crois,
Le Change de leur AMBASSADE.

-La Femme juge et partie :

J’ai bien d’autres choses à dire,
Mais mon Papier n’y peut suffire.
J’ajouterai donc seulement
Qu’enfin je vis dernièrement
La fort plaisante Comédie
De la FEMME JUGE ET PARTIE.
L’on s’y divertit comme il faut,
Et la charmante DENNEBAUT
Y fait des mieux son Personnage.
POISSON, s’y surpasse et fait rage,
Et, bref, tous les autres Acteurs,
Qui sont là leur Coadjuteurs,
[Ce sont Madlle de Beau Château, et les Srs de Villiers, de Hauteroche et Brécourt.]
Jouent d’une façon merveilleuse
En cette Pièce équivoqueuse [sic],
Dont l’Auteur effectivement
Est digne d’Applaudissement.

Lettre du 20 mars 1669, par Mayolas.

-Retour sur le Tabernacle précédemment évoqué :

Si j'ai parlé du Tabernacle
Et dit qu'il était un miracle,
Je n'ai pourtant pas encor dit
Ce qu'il contient sans contredit.
Ces clartés, ces grandes lumières
Offusquèrent mes deux paupières
Et me cachèrent le dedans,
De qui les grands compartiments
Contiennent, par Mathématiques
Et par un million d'Optiques,
Tout ce que l'Art peut inventer
Et qu'on ne saurait raconter ;
D'où procèdent six cent colonnes,
Des grottes pleines de personnes,
Cinq cents parterres balustrés,
Des vitrages tous éclairés,
Des concavités souterraines,
Des éloignements et des plaines,
Font voir, plus de cent lieues au loin,
Des Pays qu'on ne connaît point.
Ceux qui jugent bien de la chose
En sortant ont la bouche close,
Et vont publier hautement
Que c'est un doux enchantement,
N'ayant jamais vu dans l'Europe,
Ni dans pas un lieu qu'on galope,
Un si grand nombre de sujets,
Sans en comprendre les objets,
N'étant point dans le Tabernacle
(On dira que c'est un miracle
Qu'un sujet soit et ne soit pas) ;
Le tout fait sans autre compas,
Règle, mesure, ni modèle,
Que les mains d'une Demoiselle.

-Monsieur a reçu un grand du Saint Empire : celui-ci souhaite délivre un message de l'empereur qui souhaite être le parrain du duc d'Anjou. Ainsi :

Le Comte d'Harrac, très illustre,
Dont le nom a beaucoup de lustre,
De la part de son Empereur,
Vient de présenter à MONSIEUR
(Des plus charmants Princes de France),
Lorsqu'il reçut son Audience,
Une lettre pour le prier
De vouloir, pour lui, s'employer
A ce royal et beau Baptême
Du Duc d'Anjou, que chacun aime,
Et d'être, pour lui, le Parrain
De l'Enfant de mon Souverain :
Ce que ce Prince favorable
Accepta d'un air agréable.

-La Reine assiste à un sermon de l'Abbé de Quincé :

La Reine, dont la piété
Va du pari avec la beauté,
Aimable, jeune, fraîche et blanche,
Aux Feuillants entendit, Dimanche,
Du savant abbé de Quincé
Le beau Sermon, et bien sensé,
Qu’il fit avec grâce et sagesse,
Au gré de l’auguste Princesse.

Lettre du 23 mars 1669, par Robinet.

-Où il est encore question des volontaires français combattant déjà à Candie :

Au reste, maints charmants Discours
S’épandent ici tous les jours,
Touchant les grands Faits militaires
Par qui nos rares VOLONTAIRES
Ont fait, de là, voler leur nom
Partout sur l’Aile du Renom.

Il en coûte à plusieurs la vie ;
Mais leur mort est digne d’envie,
Puisqu’elle fera parler d’Eux
Jusque chez nos derniers Neveux.

Or, dans ces chers Panégyriques,
Qui sont mêmement Historiques,
On consacre sur tout le los
De ce beau Trio de Héros
Qui servaient à ces Volontaires
De trois merveilleux Exemplaires,
Savoir : le COMTE DE SAINT PAUL,
À qui l’on ne saurait sans dol
Nier le beau Titre d’Alcide,
Ou de grand Mahométancide ;
ITEM, notre CHÂTEAU-THIERRY,
Ce DUC qui semble être nourri
De la Mamelle de Belonne,
Et dont l’Âme est toute Lionne ;
Enfin, le Duc de ROANNEZ,
Qui, comme un belliqueux Profez,
Conduisait ces jeunes Courages
Dedans les périlleux Orages,
Et, comme au Raab, en un mot,
Faisait maint Turc pic et capot
Sur quoi, notre ROI magnanime,
Qui pour lui n’a pas peu d’estime,
À son retour l’a cajolé,
Félicité, congratulé,
D’une façon si magnifique
Qu’elle vaut le Panégyrique
Du plus excellent Orateur,
Et meilleur Versificateur.

-Le sermon de l'abbé Quincé est rapporté par Robinet, avec un discours du Père Testu du Mauroy, précepteur des filles du frère de Louis XIV :

Avant que terminer ma Lettre,
J’y dois, ce me semble, bien mettre,
Mais par un Chapitre un peu bref,
Que la Fête de SAINT-JOSEPH,
Où plusieurs d’un humeur allègre,
Mêlent le gras avec le maigre
Et la Chair avec le Poisson,
Se fit d’une digne façon,
Chez les FEUILLANTS, Moines Illustres,
Fréquentés des Gens à Ballustres.

La REINE, par un beau souci,
Et ma grande HÉROÏNE aussi
Allèrent à ce PATRIARCHE,
Avecque une sainte démarche,
Dire de dévots OREMUS ;
Et je dois ajouter de plus
Qu’un Orateur de haute Gamme,
Premier Aumônier de MADAME,
Ayant Esprit, Grâce et Vertu,
Mais, de son nom, un peu Testu, [C’est l’abbé Testu Mauroy.]
Fit l’Éloge d’une manière
Qu’il en eut Gloire très plénière,
Tout l’Auditoire, à communs frais,
Ayant fait son Éloge, après.

-Arlequin, sur le théâtre italien, dans Les Métamorphoses d'Arlequin, pièce qui, selon notre gazetier, n'est pas inintéressante :

Ceux qui haïssent le chagrin,
Sans en pouvoir souffrir un brin,
Ceux qui désirent que la Joie
Pénètre leur rate et leur foie,
Ceux qui veulent rire sans fin
Aillent voir de MAÎTRE ARLEQUIN, [C’est une Comédie qui s’appelle ainsi.]
Les gaillardes Métamorphoses.
On y voit cent gentilles choses
Qui (Lecteur, je ne hâble point)
Les contenteront sur ce point.

CINTIO, le FILS d’AURÉLIE,
Charmante Actrice d’Italie,
En est l’Auteur spirituel,
Et j’y trouve beaucoup de sel.

Lettre du 24 mars 1669, par Mayolas.

-Le jeune Duc d’Anjou sur les fonds baptismaux :

Ce qu’on destine justement
Arrive fort heureusement.
Puissant ROI, pendant que la guerre
Couvrait de Lauriers cette Terre,
Les Peuples faisaient des souhaits
Pour y voir triompher la Paix ;
Votre Bonté l’ayant donnée,
On attendait que l’Hyménée
De THÉRÈSE et du grand LOUIS
Pour les rendre tous réjouis.
Après la gloire et l’avantage
De cet Auguste Mariage,
On conjurait les Dieux enfin
De vous donner un beau Dauphin :
Le Ciel aussitôt vous l’envoie,
Et chacun fait des Feux de Joie ;
MADAME, sa Royale Sœur,
Accroît l’éclat et le bonheur ;
Mais le DUC d’ANJOU, son cher Frère,
Qu’on vient de baptiser naguère,
Paraissant un second Soutien
Du Trône du ROI Très-Chrétien,
Affermissant bien cet Empire,
La France à présent ne désire
Sinon qu’une longue santé
Suive cette prospérité
Autant aimable qu’éclatante,
Et que tous les jours elle augmente.

À l’honneur de mon Potentat
Qui gouverne bien son État,
Et plus triomphant qu’Alexandre,
Voici ce que je fais entendre.
MONSIEUR, Frère unique du ROI,
En un très magnifique arroi,
Qui dans sa Royale demeure
N’attendait gaiement que l’heure
Pour aller être le Parrain
Du Fils de mon Grand Souverain,
Pour l’Empereur tenant la place,
Il agit avec cette grâce,
Cet air galant et merveilleux
Qui l’accompagnent en tous lieux,
Nommant le Duc d’Anjou PHILIPPES [sic]
Des Chrétiens ce sont les principes,
Car le Baptême assurément
Est notre premier Sacrement ;
Et MADAME, Fille de France,
Secondant la magnificence,
Pour la REINE d’Espagne aussi
Tenait lieu de Marraine ici ;
Mais son illustre Gouvernante
Ne manquait pas d’être assistante.
Antoine, Cardinal fameux,
Éclairé, brillant, vertueux,
Accomplit la Cérémonie
Devant l’auguste Compagnie,
Dans la Chapelle du Palais, [Des Feuillants.]
Où la pompe est jointe aux attraits.
Le ROI, de même que la REINE,
Mon Souverain, ma Souveraine,
Que les vertus et les beautés
Accompagnent de tous côtés ;
Notre DAUPHIN Incomparable,
Adroit Sage, Galant, Aimable,
Conduit par son bon Gouverneur,
Qui le régit avec douceur ;
Nos plus grands Princes, nos Princesses,
Les plus remarquables Altesses,
Les Dames, comme les Seigneurs
Virent faire tous les honneurs.
La Maréchale de la Motte,
Qui vaut plus que l’or d’une flotte,
Portait le Duc d’Anjou, brillant,
Tout vêtu de Brocart d’argent ;
De Créqui l’illustre Duchesse
Portait cette jeune Princesse :
Perles, diamants et rubis
Enrichissaient leur beaux habits ;
De Saint-Aignan, Duc Magnanime,
Que toute notre Cour estime,
Par la main encor [sic] la tenait
Et galamment la soutenait.

-Mademoiselle, de son côté, n'est pas non plus avare de dévotion :

Mademoiselle, que j’estime,
Et de qui l’esprit est sublime,
Fut, l’autre jour, en un Saint Lieu,
Dans le Couvent des Filles-Dieu,
Préférant le Ciel à la Terre,
Pour poser la première Pierre
Du grand et du superbe Autel
Que l’on bâtit à l’immortel
Dans l’Église à lui consacrée,
Qu’on avait richement parée.
Le Révérend Père Meslier,
Qui n’entend pas mal son métier
Par sa diserte et docte langue,
Lui fit une belle Harangue
Sur l’honneur qu’elle leur faisait,
Qui très grandement leur plaisir ;
Mais la Prieure, fort pieuse,
Avec mainte Religieuse
Alla, faisant bien son devoir,
À la porte la recevoir,
Et montra beaucoup d’allégresse
De voir chez elle cette Altesse.

-Où l'on revient sur l'un des sermons précédemment évoqués :

Ces jours passés, l'Abbé Testu,
Plein de doctrine et de vertu,
Fit un fort beau Panégyrique,
Poli, moral, scientifique,
A la gloire de Saint-Joseph,
Qui des plus grands Saints est le Chef.
Son éloquence et son génie
Ravit l'illustre Compagnie
Et les esprits les plus brillants
Qui se trouvèrent aux Feuillants.

-Et au détour d'un propos sur Candie, il est de nouveau question des "secours du roi de France"

Le grand secours du ROI de France
Vers Toulon sans cesse s’avance.
Deux cent Officiers réformés,
Des Braves beaucoup estimés,
Marchent aussi par eau, par terre,
À cette sainte et belle Guerre,
Et vont joindre, de bonne foi,
Les Troupes du notre grand ROI,
Qui vont obliger la Turquie
À laisser en repos Candie.
Je sais que le Duc de Beaufort,
Que les Barbares craignent fort,
Par son soin et par son courage
Tient la Flotte en bon équipage ;
Et, dans son armement nouveau,
On dit que le rare Vaisseau
Que cette Altesse prend et monte
Porte six-vingts canons de fonte.
Plusieurs autres pareillement,
Préparés admirablement,
En porteront plus de quarante,
Jusques au nombre de soixante.
Étant sur le bord bien rangés,
Et sur le Turc tous déchargés,
Cet appareil que l’on redoute
Mettra leur armée en déroute.

Lettre du 30 mars 1669, par Robinet.

-Après Mayolas, c'est au tour de Robinet de narrer le baptême du Duc d'Anjou :

Un ENFANT de bonne FAMILLE,
S’il est dedans cette Ville
Et même en tout l’ÉTAT DES LYS,
J’en jure, et point ne me dédis,
Dimanche, dans les Tuileries,
Qui s’en vont être si fleuries,
Reçut fort solennellement
Le premier et grand SACREMENT,
Où l’on nous lave un peu la Tête,
Pour ce qu’Adam a fait la Bête.

Tout le grand Monde de la COUR
S’y trouva, dans un riche Atour,
Ainsi que LOUIS et THÉRÈSE,
Qui là n’était pas la moins aise,
Et Monseigneur leur cher DAUPHIN,
En qui paraît un Esprit fin,
Accompagné du DUC illustre
Qui, par un soin plein d’un beau lustre,
Est incessamment sur ses pas
Et d’un seul ne le quitte pas.

MADAME, sa Sœur si pouponne,
Pour qui les Amours à Couronne
Mitonnent sans doute un Amant
Paré de ce rare Ornement,
Était de l’ENFANT la MARRAINE,
Au lieu de l’ESPAGNOLE REINE,
Étant alors vêtue ainsi
Qu’une petite Reine aussi,
Et portée en tel Équipage,
Par DUCHESSE de haut Parage,
Savoir la belle de CRÉQUI,
Dont on sait les Appas et qui
Les faisait briller à merveille,
Dans une Conche nonpareille.

Le fameux DUC de SAINT-AGNAN,
Si rare et parfait Courtisan,
Aidait à ladite Duchesse
À soutenir cette PRINCESSE,
Comme son Chevalier d’Honneur,
Plus éclatant qu’aucun Seigneur
Qui fût du beau Rang à Pairie,
Tant il avait de Broderie,
Et le MINISTRE de MADRID,
Que l’on estime homme d’esprit,
Soutenant bien son Caractère,
Accompagnait en ce Mystère,
Vêtu comme il le convenait
Dans le rang qu’illec il tenait,
Ainsi que tous ceux de sa suite,
Qui paraissaient des Gens d’élite.

MONSIEUR était aussi PARRAIN,
En la Place du SOUVERAIN
Qu’on nomme LEOPOLD IGNACE,
Et, certe, avecque tant de grâce,
D’éclat, de pompe et de grandeur
Il représenta l’EMPEREUR,
Que lui-même, la chose est claire,
N’aurait jamais mieux pu le faire
Ses Habits donc, Impériaux,
Étaient tout couverts de joyaux,
Et, de pied en cap, leur richesse
Brillait sur sa ROYALE ALTESSE.

En ce superbe Accoutrement,
Ce PRINCE, encore plus charmant
Par soi que par ses Pierreries,
De chez lui vint aux Tuileries,
En un Char tel que le Soleil
N’en a pas, je pense, un Pareil,
Avec toute sa Cour, très leste,
Sans nulle erreur je vous l’atteste,
Car, pour l’éviter, je pris soin
D’en être oculaire Témoin.
Ainsi donc je me remémore
Qu’en un second Carrosse encore,
Des plus beaux, des plus apparants
Et, voires aussi, des plus grands,
Suivaient maints et maints galants Hommes.
Tant ministres que Gentilshommes
Dudit SEIGNEUR IMPERATOR,
Tout éclatants d’argent et d’or,
Et que divers autres Carrosses,
Où l’on ne voyait point de rosses,
Formaient un Cortège nombreux,
De la Foule attirant les Yeux.

Notre Éminentissime ANTOINE,
Aux grandes Fonctions idoine,
Comme bien des fois je l’ai dit,
Celle de ce Baptême fit,
Ayant, non la Myrte Papale,
Mais bien l’Archiépiscopale,
Autre assez brillant Couvre-chef,
Et, pour conter la chose en bref
Et sans rien qui soit apocryphe,
Tous les Ornements de Pontife,
Assisté, de belle hauteur,
Par son digne COADJUTEUR
Et par l’ÉVÊQUE DE MARSEILLE,
Chacun d’eux en Conche pareille ;
Si que ce Trio de Prélats,
De qui nous faisons tout le cas
Qu’il est et raisonnable et juste,
Rendait l’Action fort auguste.

Le charmant et noble Poupart,
Vêtu d’un superbe Brocart.
Et dont la Suite et l’Équipage
Faisait bien voir son grand Lignage,
Était dessus les FONDS porté,
Avec beaucoup de majesté,
Par la MARÉCHALE LA MOTHE,
De qui la prestance est si haute
Et tout l’air, en un mot, si grand,
Qu’on ne peut mieux remplir son rang.
Ses FILLES, sans trop de louanges,
Tout aussi belles que les Anges,
La suivant en ce lieu de près,
Y mêlaient leurs jeunes Attraits
Avec ceux des autres Mignonnes
Dont nos charmants PORTE-COURONNES
Voient fourmiller chaque jour
Leur pompeuse et riante COUR ;
Et toutes ces Beautés ensemble,
Devant qui la Liberté tremble,
Pouvaient sembler à tous les Yeux
Autant d’Anges venus des Cieux
Pour à cette Cérémonie
Donner une grâce infinie,
S’étant galamment travestis
Avec se semblables Habits
Qu’en portent nos chères Mortelles,
Le doux Paradis des Prunelles.

Sans vous nommer le BAPTISÉ,
Vous êtes assez avisé,
Lecteur, je pense, pour comprendre
Celui que vous devez entendre.
Et c’est, sans nul besoin ici
Que je vais déclarer aussi
Que c’est le Second FILS DE FRANCE,
Prince de très belle espérance,
Et PHILIPPE à présent nommé,
Nom constamment fort renommé,
Puisque plusieurs de nos Monarques
L’on illustré par mille marques
De sagesse, gloire, bonté
Et, bref, de magnanimité,
Et que le VICE-PARRAIN même,
Qui l’a donné dans le Baptême,
Se nommant, comme on sait, ainsi,
L’a rendu glorieux aussi.
Au reste, avec tant d’assurance,
Ce Prince, d’aimable apparence,
Toute la Cour en ce Lieu vit,
Et souffrit tout ce qu’on lui fit,
Que l’on en peut, je crois, conclure
Par un indubitable augure
Qu’il sera d’un grand cœur pourvu,
Et PHILIPPES LE RÉSOLU.

Lettre du 6 avril 1669, par Robinet.

-L'actualité "candiote" permet à notre gazetier d'évoquer la gratitude du Sénat vénitien à l'égard de Louis XIV pour son secours militaire :

Or notre AUGUSTE COURONNÉ,
Ce magnanime DIEUDONNÉ,
Entre tous signale son zèle
En une Occasion si belle,
Secourant, vraiment du bel air,
Les Crétois par Terre et par Mer,
Et l’AMBASSADEUR DE VENISE,
Qu’ici beaucoup on préconise,
En a, par un Discours d’éclat,
Autrement Discours d’apparat,
Remercié ce charmant SIRE,
Dont trop de bien l’on ne peut dire,
Puisque, donnant partout la Paix,
Il veut, pour couronner ses Faits,
Que nos BRAVES, dans ces jours calmes,
Sur les seuls Turcs cueillent des Palmes.

-Le grand Adam-François Van Der Meulen, portraitiste du roi dans ses glorieuses entreprises et futur auteur du fameux Passage du Rhin par Louis XIV devant Tolhuis le 12 juin 1672, a l'insigne honneur d'avoir ledit monarque pour parrain de son fils :

Cet Adorable POTENTAT,
Des Artisans faisant état,
Lesquels, dans le Siècle où nous sommes,
Sont tenus pour de rares Hommes,
Fit, l’un des jours passés, l’Honneur,
Très volontiers et de bon cœur,
A VAN-DER-MEULEN, de BRUXELLES,
Qui dedans la Peinture excelle,
Et qu’il a fait venir aussi,
Pour son Service, exprès Ici,
De tenir aux FONDS DE BAPTÊME
(Pour lui, bonne foi, gloire extrême)
Son Fils, qui fut LOUIS nommé,
Nom des Noms le plus renommé.

De DOMBE et d’EU la SOUVERAINE,
Qui plus est, était la Marraine,
Et, de cette façon, jamais
Le grand Peintre même Appelles
N’eut en Compérage, je pense,
Une si glorieuse chance.

Ledit jour, où le lendemain,
Notre incomparable DAUPHIN,
Avec une COMTESSE aimable, [Madame de Cursol.]
Fit encor un honneur semblable
A SYLVESTRE, dont le Burin,
Agréant fort au SOUVERAIN,
L’a fait, proche des Tuileries,
Loger dedans les Galeries
Parmi les fameux Artisans
Qui par Brevet logent léans.

-Activités dévotes des roi et reine :

Comme nous sommes en Carême,
Nos Charmants PORTE-DIADÊME
Se divertissent maigrement,
Et tout leur Divertissement
Est d’aller voir, dans quelque Plaine
Où le ROI les tient en haleine
Pour servir en temps et saison,
Les Cohortes de sa Maison,
Ces Troupes vraiment les plus lestes
Qui soient sous les voûtes Célestes.

Hors ce (ne dites point : c’est mon),
L’illustre PÈRE MASCARON
Les entretient, surtout la REINE,
Deux ou trois fois chaque semaine,
Par ses Sermons doctes et beaux,
Dont quelques-uns sont fort moraux.

À propos, ma grande HÉROÏNE
A prêté son Oreille fine
Au grand DOM CÔME par deux fois,
Entre maints en ayant fait choix
(Un très bon signe, en conscience)
Pour lui donner son Audience.
C’est en l’Église SAINT-GERVAIS
Où ce Prédicateur Professe,
Qu’on oyait ci-devant au Louvre,
D’un nouveau lustre encor se couvre,
Y donnant à ses saints Discours,
Pendant tout le Carême, cours.

-Publication du Tartuffe et de La Gloire du Val-de-Grâce chez Ribou :

Monsieur le TARTUFFE, ou le PAUVRE HOMME,
Ce qui les faux Dévots assomme,
Devient public plus que jamais.
Comme au Théâtre, désormais
Il se montre chez le Libraire,
le Sieur Ribou, devant la Sainte Chapelle.
Qui vend l’Écu chaque Exemplaire,
Et de sa Boutique, en un mot
(En doive crever tout Cagot),
Il va produire leur Peinture,
En belle et fine Miniature,
Par tous les lieux de l’Univers.
Ô ! pour eux l’étrange Revers.

On trouve en ladite Boutique
Un Poème très authentique
De la Plume du même Auteur, [Sur les Peintures du Val de Grâce.]
Et j’en donne avis au Lecteur,
Sans aucun besoin, que je pense,
Mais par pure Reconnaissance
Envers Molière ; non pas, non :
C’est envers Ribou, tout de bon,
Qui m’a fait part, de bonne grâce,
De ses deux Fruits de son Parnasse.

Lettre du 13 avril 1669, par Robinet.

-La lettre s'ouvre, comme bien souvent, sur l'affaire de Candie. Les choses sont-elles en train de s'accélérer pour précipiter la ruine du siège mis par les Turcs ? Toujours est-il que le Pape s'implique plus que jamais dans l'envoi des secours et que Beaufort et les siens sont sur le point de s'embarquer :

L’Auguste PONTIFE CLÉMENT
Le digne Cher et l’Ornement
De notre MÈRE SAINTE ÉGLISE,
Qu’il faut vivant qu’on canonise,
Applique ses soins, tous les jours,
À l’important et grand Secours
De la belle Ville de CRÈTE [Candie.]
Où le CROISSANT toujours s’arrête.

Après donc que, de tous côtés,
Il a pressé les Majestés,
Les États et les Républiques,
Par ses Nonces Apostoliques,
De vouloir, d’Hommes et d’argent,
L’aider en son besoin urgent ;
Après avoir aussi, lui-même,
Donné son Exemple suprême,
Ce grand Pontife fouille encor
Dans le spirituel Trésor,
Comme il a fait dans son Tir-lire,
Et des JUBILÉS il en tire,
Afin d’obtenir du TRÈS-HAUT,
Aux Assiégés, l’aide qu’il faut.
À cet effet, on voit sa BULLE,
Qu’accompagne un beau Préambule
De notre PRÉLAT PÉRÉFIX,
Et Lundi c’est le jour préfixe
Où l’on en fera l’ouverture.

Fasse en icelle Conjoncture
Chaque bon Chrétien son devoir,
Et, par un coup de son pouvoir,
Le CIEL devant Crète extermine
Toute l’Ottomane vermine.

Mais un bruit s’épand en ces Lieux,
Que, mêmes devançant nos Vœux,
Le Ciel se déclare pour CRÈTE,
Et du Turc la perte décrète ;
Lecteur, n’en doute nullement,
Car, en un mot, voici comment :

C’est que quarante de leurs Voiles,
Qui semblaient morguer les Étoiles,
Chargés (pour, selon son désir,
Secourir Monsieur leur Vizir)
De Spahis et de Janissaires,
Et d’autres Vaillants Militaires,
Comme aussi de Poudres, de Plomb
Et de ce qu’il faut, tout du long,
Pour mettre à bout son Entreprise,
En laquelle il voit sa méprise,
Ont fait le Plongeon sous les Flots,
Malgré tout l’Art des Matelots,
Par l’effort des Vents colériques,
Mais moins Turquains que Catholiques.

Si la chose était vérité,
Le Vizir est bien irrité
Et, je pense, du bel air, peste
Contre cette Niche céleste
Qui le réduit au Berniquet ;
Mais ainsi soit, c’est mon souhait !

Cependant le SECOURS de FRANCE
Est arrivé vers la Provence
En un état très martial,
Et, là, notre brave AMIRAL [M. le Duc de Beaufort à Toulon.]
Fait armer les Nefs importantes
Sur qui ces Troupes triomphantes
S’embarqueront, par un bon Vent,
Pour gagner vite le Levant,
Avecque le DUC de NAVAILLES,
Si propre à donner des Batailles,
Lequel doit partir, dès Lundi,
Le matin ou l’après-midi,
Afin de s’en aller en poste
Joindre ces Troupes dans leur Poste.

-Notre gazetier s'est émerveillé devant l'architecture de certaines entrées de bâtiments parisiens :

Comme l'on voit en cette Ville,
En vices et vertus fertile,
Mille fois plus de raretés
Qu'ensemble en toutes les Cités,
J'en ai vu trois, depuis naguère,
En Maison à Porte-cochère,
Dont, aussi vrai que je le dis,
Je suis encor tout ébaudi.
En la rue de Richelieu, vis-à-vis le Bain royal, et la porte marquée par des affiches.
Mais trois, Lecteurs, hélas ! que dis-je ?
Chacune, qui semble un Prodige,
A vous dire la vérité,
En contient une infinité,
Dont l'Arithméticien plus rogue
Ne pourrait faire un Catalogue.
Ce sont trois rares Cabinets,
Dont plus de mille Robinets
Comme moi seraient à leur aise,
Et même, ne vous en déplaise,
Des Comtes, Barons et Marquis.
Cesdits trois Cabinets exquis
Sont plus semés de Pierreries
Que de Fleuries Prairies
Aux jours plus gais et plus riants
De la saison du beau Printemps,
Et que les Cieux ne sont d'Etoiles
Quand la nuit déploie ses voiles.
On voit, parmi ces Ornements,
Les Agates, les Diamants,
Les Escarboucles, les Topazes,
Autant de vrais sujets d'extases,
Les Emeraudes, les Rubis,
Dont les yeux sont tout ébaudis,
Et mêmes, outre ces Richesses
Dont on parerait cent Princesses
On voit mille rares Cristaux
Et plusieurs excellents Tableaux.
Mais ce n'est encor rien vous dire,
Et mes Vers ne peuvent suffire
A vous bien peindre tout cela ;
Il faut donc que vous alliez-là
Faire admirer à vos Prunelles
Tant et tant de choses si belles,
Que l'on montre, le croiriez-vous ?
Pour rien, car c'est pour quinze sous.

-Poisson, auteur dramatique de son état, a envoyé à Robinet trois comédies, ce dont le remercie le gazetier :

Avant que quitter le Parnasse,
Je devrais encor rendre grâce
De la belle et bonne façon
D'un cher Régale de POISSON ; [Ce sont trois Comédies du Sr Poisson, Comédien de l'Hôtel.]
Mais je manque de place ; ainsi, fermant ma veine,
Je m'en acquitterai dans ma Lettre prochaine.

Lettre du 15 avril 1669, par Mayolas.

-La reine a assisté à un sermon du père Damascène :

Le jour de Saint François de Paule,
Célébré dans toute la Gaule,
Des Minimes le Fondateur,
Qu'ils honorent avec splendeur,
Le savant père Damascène,
De qui la Doctrine est fort saine,
Fit son Eloge dignement,
Et ravit généralement.
La REINE, avec plusieurs Altesses,
Duchesses, Marquises, Comtesses,
Ayant Dieu seulement pour but,
Y fut entendre le Salut ;
Le Père Correcteur de l'Ordre,
Agissant toujours avec ordre,
Assisté des Religieux,
Non moins austères que pieux,
Reçut la Princesse à la porte,
Et sa Harangue, douce et forte,
Son discours, sa civilité,
Plurent fort à sa Majesté.

-Alors que les nouvelles candiotes annoncent des troupes fraîches en provenance de Turquie pour renforcer les assiégeant, les armements français sont également en cours pour préparer le départ pour la Crète :

L’Ambassadeur Morosini,
Doué d’un esprit infini,
Ayant l’autre jour Audience
Du puissant Monarque de France,
Offrit à ce grand Potentat
Une Lettre de son Sénat,
Dont les paroles obligeantes,
Fortes, civiles et galantes,
Lui font un beau remerciement
Touchant le fameux armement
Dont il veut secourir Candie
Contre l’effort de la Turquie.

Le Cardinal Duc de Vendôme,
Dont les vertus feraient un Tome,
Et de qui le zèle est ardent,
Avec le premier Président
D’Aix, Capitale de Provence,
Court à Toulon en diligence
Pour y faire, selon son rang,
Établir un nouveau Port franc
Pour les Marchands et Marchandises
Qui dan icelui seront mises ;
Ce qui fait louer la bonté
De notre auguste Majesté.
Le Duc de Beaufort s’intéresse
Et si bien s’emploie et s’empresse
À l’armement de nos Vaisseaux,
Que les vieux comme les nouveaux
Iront bientôt montrer, sur l’onde,
Du ROI la puissance féconde.

-Le roi va à Saint-Germain pour y passer sa troupe en revue : tout un programme en cette période très "belliqueuse" ! Ainsi :

Mon Invincible Souverain,
L’autre jour, fut à Saint Germain,
Avec la REINE que j’honore
Et plusieurs Altesses encore.
Après un superbe dîner,
Ils allèrent se promener,
Avec toute la Compagnie,
D’attraits et de grâces munie,
Au Camp établi près Maisons,
Une des plus belles Maisons,
Où plusieurs troupes attroupées
Sont là déjà fort bien campées.

-Mayolas narre à son tour la nouvelle précédemment annoncée par Robinet du parrainage du fils de Van Der Muelen par le roi :

Le ROI, très juste et très-Chrétien,
Témoignant à Vandermullen [sic]
Que pour les gens de son mérite
Son estime n’est pas petite,
Nommant dernièrement son fils,
Le nomma sans doute LOUIS.
Mademoiselle prit la peine, [D’Orléans.]
Avec plaisir, d’être Marraine,
Et le Coadjuteur de Reims,
Secondant leurs pieux desseins,
Accomplit la Cérémonie,
Avec une grâce infinie,
Dans la Chapelle du Palais,
Riche, pompeux, riant et frais.
Cet homme, venu de Bruxelles,
Fait des Peintures des plus belles ;
Mais, s’il fait des Portraits fort beaux,
Il fait bien des Originaux.

-Des grands français se joignent au renfort pour Candie :

L’illustre et grand Duc de Navailles
Vient d’abandonner nos murailles.
Et le vaillant Colbert aussi
Est avec lui parti d’ici,
Pour s’en aller en Italie
Joindre nos Troupes pour Candie.

Lettre du 22 avril 1669, par Mayolas.

-Le roi Louis XIV a fait montre de sa dévotion au cours des cérémonies religieuses de la semaine sainte, d'une manière qui a frappé le Sieur de la Gravète. En digne fils aîné de l'Eglise et sur les prières du Pape Clément X, Louis est allé demandé le soutien du Ciel pour la victoire des armes Chrétiennes à Candie :

Ma Muse serait criminelle,
Dans une occasion si belle,
Si je taisais la piété
Qu’a montré votre Majesté ;
Je dis donc, triomphant Monarque,
Qu’on vit une éclatante marque
De la religieuse ardeur
Qui Préside dans votre cœur.

Comme fils aîné de l’Église
(Titre que tout le monde prise),
Comme encore Roi très-Chrétien,
Vous vous en acquittâtes bien.
Votre précieuse Personne,
Digne de porter la Couronne,
Qui s’assoit sur les Fleurs de Lys
Et marche sur de beaux tapis,
Témoignant une sainte flamme,
À pied alla dans Notre-Dame,
De votre Palais somptueux,
Afin d’y présenter vos vœux,
Étant précédé des Cent-Suisses,
Pendant ces pieux Exercices.
Notre Archevêque de Paris,
Fort vertueux et bien appris,
Possédant la Charge à bon titre,
Accompagné de son Chapitre,
Vous accueillit civilement
Et vous fit un beau compliment.

Quoique toujours le musc et l’ambre
S’exhalent dedans votre Chambre,
Et que les Parfums les plus doux
Se rencontrent auprès de vous,
Nonobstant l’odeur délicate
Qui ravit les sens et les flatte,
Vous allâtes dans l’Hôtel-Dieu
Voir les malades de ce lieu,
Et, visitant toutes les Salles,
Où gisent des visages pâles,
Vous fûtes, par un noble excès,
Jusqu’à celle des Trépassés,
Pour leur donner de l’eau bénite,
Et la faveur n’est pas petite.
Alors Perrault, le Gendre aussi,
Dont le grand soin paraît ici,
Vous y reçurent avec joie,
Et vous suivaient dans cette voie,
Avec les Dames de l’Hôtel,
Louant votre zèle immortel,
Qui, partout étant charitable,
Fit mainte aumône remarquable.
L’aspect de votre Majesté
A plusieurs donna la santé,
Et votre charmante Présence
Y sema la réjouissance,
Les Curés, les Supérieurs,
Généraux, Prieurs, Sous-prieurs,
Vous accueillirent dans leurs Temples,
Lorsque donnant de bons exemples,
Vous parcouriez les Stations,
Y montrant vos dévotions ;
Le peuple, d’une voix publique,
Admirait cet Acte Héroïque ;
Les Princes et les Courtisans,
Les petits ainsi que les grands
Trouvaient en Louis un modèle
Illustre, brillant et fidèle,
Car vous vous êtes signalé
Durant le temps du Jubilé,
La France, aussi bien que Candie,
Doit publier, malgré l’envie,
Que vous n’êtes pas moins pieux
Que prudent et victorieux.

La REINE, extrêmement pieuse,
D’une manière merveilleuse
S’en est acquittée, à son tour,
Et les Principaux de la Cour.

Joindre les Prières aux Armes,
Ce secours a beaucoup de charmes
Et donner encor de l’argent,
Cela n’est pas désobligeant :
Candie, après cette assistance,
Devra son salut à la France.

-Le dauphin à Saint-Joseph sous le patronage de son précepteur :

Le beau Dauphin, aimable et fier,
Conduit par le Duc Montausier,
S’enrôla dans la Confrérie [Aux Feuillants.]
De Saint-Joseph, que chacun prie.

Lettre du 27 avril 1669, par Robinet.

-Robinet narre les dévotes cérémonies royales de la semaine sainte contées par Mayolas dans la lettre précédente :

Chacun Ici, suivant la BULLE,
A beau pied, sans Cheval ni Mule,
Carrosse, Chaise et cetera,
Aux Stations va, çà, delà,
Avec un admirable zèle,
Pour répondre d’un cœur fidèle
Aux Intentions de CLÉMENT,
En priant DIEU très ardemment
Qu’il lui plaise donner des bornes
Au CROISSANT à trop longues Cornes,
Et délivrer CANDIE enfin
De son maudit Aspect turcain.

On a vu, dans cette Carrière
D’Aumône, de Jeûne et Prière,
LOUIS servir de Parangon,
Ce MONARQUE, excellent et bon,
Dont les Vertus sont si fleuries,
Ayant, depuis ses Tuileries,
Été de l’un à l’autre bout,
Aussi comme un Piéton partout,
Aux Églises plus éloignées,
À ce Jubilé destinées,
Et visité tout ce grand Lieu
Que l’on appelle l’HÔTEL-DIEU,
De même qu’un Lieu de Plaisance,
Y distribuant sa Finance
À pleines mains, ce m’a-t-on dit,
À chaque Tronc, à chaque Lit,
Arrêtant sur tous les Malades
Longtemps ses royales œillades,
Avecque douceur leur parlant,
Les exhortant, les consolant,
Notamment Ceux de qui la Vie
Était réduite à l’agonie,
Voyant mêmes, ce ROI DES LYS,
Les pauvres Morts ensevelis,
Et faisant plusieurs autres choses
Dignes d’être en l’Histoire encloses
Pour servir de Matière un jour
Au CHEF DE LA ROMAINE COUR
À canoniser ce grand SIRE,
Que l’on admire et qu’on peut dire
Propre, par ses Faits inouis,
À faire un second SAINT-LOUIS.

La Reine, si sage et si belle,
Digne de Lui, comme Lui d’Elle,
Semant tout le Chemin d’Appas,
Dont ses beaux pieds furent bien las,
Fit aussi de même manière
Ladite pieuse Carrière,
Et, qui plus est, fut visiter,
Pour davantage mériter,
L’Hôpital de ces Misérables
Qui pour le Corps sont Incurables.
Et Cil des petites Maisons,
Qui contiennent dans leurs Cloisons
D’autre Incurables encore,
Pour l’Esprit, que tout l’Hellébore
Ne peut remettre en leur bon Sens.
Mais, justes Dieux ! qu’il est de Gens
À guérir non moins difficiles
Hors de ces petits Domiciles !
Hélas ! tout ce vaste Univers
Est l’Hôpital de Fous divers,
Dont, sans qu’en détail je les cote,
Chacun a, certes, sa Marotte.

Mais retournons à nos Moutons,
Et, bien et dûment, ajoutons
Que MONSIEUR, le cher FRÈRE UNIQUE,
Lequel de Piété se pique,
Ainsi que des autres Vertus
Dont les Héros sont revêtus,
En a fait en cette Rencontre
Une très belle et digne montre,
Et MADAME pareillement,
Non à pied, véritablement,
Mais assise, assez à mon aise,
Dans une magnifique Chaise,
Pour l’Empêchement des neuf mois,
Qui d’un autre DUC de VALOIS
Nous entretient dans l’espérance,
Par un nouvel heur pour la France.

Au reste, pendant les huit jours
Où le Carême est en décours,
J’entends dans la Semaine sainte,
Où, soit tout de bon, ou par feinte,
Chacun en Pénitent agit,
La COUR très bien son devoir fit,
Comme le ROI, comme la REINE,
Qui firent dans cette Semaine
Ce qu’ils font tous les ans tous deux.

Le ROI toucha d’Écrouelleux
Mille cinq cent, et la douzaine,
Tout d’une traite et d’une haleine,
Avecque ses Doigts Souverains,
En qui ces malheureux Humains
Trouvent, par la Vertu divine,
Ce qui manque à la Médecine,
Pour les affranchir de ce Mal
Et si maussade et si fatal.

ITEM, ce MONARQUE et la REINE
Firent leur coutumière Cène,
Où notre beau DAUPHIN sans pair,
Qui de l’Amour a beaucoup d’air,
Et MAD’MOISELLE, sa Cousine,
Qui d’une Grâce a fort la mine,
Portèrent dextrement les Plats,
Que l’on servait en ce Repas,
Avec MONSIEUR, Princes, Princesses,
De qui j’honore les Altesses,
Et d’autres Gens de Qualité,
Dont, de peur de prolixité,
Sans nulle façon je décharge
Les noms en la prochaine Marge :
[À la Cène du Roi les Plats étaient portés par Monseigneur le Dauphin, Monsieur, M. le Prince, M. le Duc et plusieurs autres Seigneurs, et à la Cène de la Reine, par Mademoiselle, Madame de Guise, la Duchesse d’Enguyen, la Princesse de Conty, la Duchesse de Longuevlle, la Princesse de Carignan, la Comtesse de Soissons, Mademoiselle d’Elbeuf, la Maréchale de la Mothe, etc.]

ITEM, et je le tranche court,
Ces MAJESTÉS avec leur Cour,
Furent assister aux Ténèbres,
Toujours brillantes et célèbres,
Tant chez nos illustres FEUILLANTS,
DOMS tous bien faits et des plus blancs,
Que chez ces augustes VESTALES
Qui, par les Vertus libérales
De la REINE-MÈRE du ROI,
Se voient en un si bel arroi
Dans leur VAL-DE-GRÂCE, Demeure
Tout à fait charmante, ou je meure.

À ces Articles mettant fin,
Je dois, de notre grand DAUPHIN,
Mettre encor un dévot Chapitre,
Doit-on dire de mon Épître,
Où j’ai si saintement chanté,
Qu’elle est du Mont de Piété
Plutôt que du Mont de Parnasse.

C’est ce que PRINCE, plein de grâce,
Se fit, à Pâques, insérer,
Ou, pour mieux dire, enregistrer,
Dans la célèbre CONFRERIE
Du Grand SAINT-JOSEPH, si chérie,
Et de qui l’Établissement
S’entretient si pieusement
Chez les susdits Feuillants Pères,
Très appliqués aux Sainte Mystères.

Le brave DUC, son GOUVERNEUR,
Et si digne d’un tel honneur
Par qui son Nom s’immortalise,
Le présenta, dans cette Église,
A DOM ANTOINE GABRIEL,
Sage, bénin, spirituel,
Et Provincial du même Ordre,
Qui lui fit lire, selon l’ordre,
Sa pétition par Écrit.
Après quoi, ce cher DAUPHIN mit
Son Nom, en distincts Caractères,
Sur le Registre des Confrères,
Dont LOUIS et THÉRÈSE sont,
Qui leurs Affaires si bien font
Pour le progrès de leur Lignée,
Ayant remis leur Hyménée
Sous les Auspices de ce SAINT,
Dont le Pouvoir n’est pas succinct.

-Le renfort français et l'attention personnelle de Beaufort, après Mayolas, sont rapportés par Robinet :

NAVAILLES, Duc fort sage et preux,
Et dans la guerre assez heureux,
Qualités d’un grand Capitaine,
Est parti dès l’autre semaine,
Pour aller, moyennant bon vent,
De TOULON, bien vite au LEVANT,
Commander les Troupes Royales,
Qui seront aux Turbans fatales.

Les Sieurs COLBERT et CASTELAN,
Poussant maint martial élan,
Ont aussi pris la même route,
Et, finissant ceci, j’ajoute,
Que notre AMIRAL DE BEAUFORT,
Que sur la Mer on craint si fort,
Par l’Ascendant de son Étoile,
Est prêt de se mettre à la Voile.

Après quoi, quasi je conclus
Que les Turcs sont Enfant perdus,
Ou que, du moins, quoi qu’on en die,
Tout franc ils perdront la CANDIE.

On m’apprend que dix CAPUCINS, [Des Couvents de Paris.]
Plus ardents que des Séraphins,
Et choisis par la PROVIDENCE,
Y vont pour donner assistance
À nos Malades et Blessés ;
Mais, si mes vœux sont exaucés
Ces bons et charitables Pères
N’auront pas là grandes Affaires.

Lettre du 4 mai 1669, par Robinet.

-Au détour de propos sur le sujet de Candie, Robinet explique que Beaufort commanderait également la flotte vénitienne si son chef, le neveu du Pape, devait en être empêché :

Le secours décisif de FRANCE,
Auquel git toute l’Espérance
Et la bonne Corde de l’Arc
S’en va, cette nouvelle Lune,
S’embarquer chez le Dieu Neptune,
Avec notre illustre AMIRAL [M. le Duc de Beaufort]
Qu’à déclaré son GÉNÉRAL
Le rare et merveilleux SAINT-HOMME,
Autrement, le PAPE de ROME,
Ainsi que l’est, par son aveu,
ROSPIGLIOSI, son Neveu ;
De manière qu’il pourra même,
Par une gloire toute extrême,
Comme le contient un beau Bref,
Commander lui tout seul en Chef
Dans l’une ou dans l’autre Occurrence,
Ou de maladie, ou d’absence,
Du brave ROSPIGLIOSI.

-Le roi, toujours animé de cette flamme belliqueuse que nous évoquions plus haut, a visité un dépôt d'armes :

Dimanche, notre rare AUGUSTE,
Digne Fils de LOUIS le JUSTE,
Avecque son charmant GERMAIN,
Alla voir le grand Magasin
Qui d'Armes luisantes fourmille
Et qu'en la Cour de la Bastille
A fait dresser, en bon arroi,
Monsieur le MARQUIS DE LOUVOY,
Qui mieux que Mortel sur la Terre
Entend le Tracas de la Guerre.

On ne put pas sans s'étonner
Y considérer et lorgner
De quoi mettre dessous les Armes
De cinquante mille Gens d'armes,
Et, voire, en deux jours seulement,
Ni le bel ordre mêmement
Auquel un très excellent Homme,
Lequel le sieur TITON se nomme,
Tient tout cet Attirail guerrier,
Propre à moissonner le Laurier.

-La famille royale a retrouvé le séjour de Saint-Germain :

Le ROI, la REINE et leur FAMILLE,
Où la plus fine Gloire brille,
Nous ayant pour six mois laissés,
Dès Lundi dernier, sont passés
En leur beau Saint GERMAIN-EN-LAYE,
Où maint Sanglier a sa Laye,
Et, bientôt, nous verrons encor
Au même Lieu prendre l’essor
À MONSIEUR, avecque MADAME,
Qu’unit une si noble Trame,
Et leur très belle INFANTE aussi.
Ô Paris, pour toi quel souci !
Il n’est plaisir ou Comédie
Pour chasser ta mélancolie.

-Robinet revient sur les comédies de Poisson qu'il a évoquées quelques lettres auparavant :

À propos, de gaie façon,
J’ai lu les deux du sieur POISSON,
Pour les Auteurs un peu piquantes,
Au reste fort divertissantes ;
Et, pour l’Épître seulement,
Qu’il remplit de tant d’enjouement,
Au Lieu que je vais vous apprendre,
Si vous daignez lire, ici près,
L’Adresse que j’y mets exprès :
[Le Poète Basque et Les Moscovites, chez G. Quinet, au Palais, en la galerie des Prisonniers.]

Lettre du 5 mai 1669, par Mayolas.

-Le "retour" de la cour à Saint Germain vu par Mayolas :

Allons, Muse, vite à cheval !
Allons voir notre Objet Royal.
En carrosse, ou bien en litière,
Suivant votre humeur douce et fière,
Faisons un tour à Saint Germain
Pour saluer mon Souverain.
Monarque aussi Puissant que Brave,
Elle prétend, comme un esclave
Qui chérit sa captivité,
Vous suivre de chaque côté,
Et de vous rendre partout hommage,
En vous présentant son Ouvrage.
Pour quelque lieu que vous partiez,
Dans quelque endroit que vous restiez,
Quand vous étendriez votre trône
Jusqu’au delà de Babylone,
En Orient, en Occident,
Son zèle, également ardent,
L’obligerait bien à vous suivre,
Car sans vous elle ne peut vivre.
Ce dessein étant résolu
Et dans mon cabinet conclu,
Cette CLION, constante et gaie,
Va droit à Saint Germain en Laye.
Sans délai donc je vous écris
Et vous offre, comme à Paris,
Au beau Palais des Tuileries,
Ces nouvelles Galanteries.

L’aimable beauté du Printemps,
Qui va ramener le beau temps,
Que la jeune Flore accompagne
Pour mettre ses fleurs en campagne,
Vient d’obliger Sa Majesté
A sortir de notre Cité
Pour prendre le plaisir aimable
Qu’offre la saison agréable.
Gardes du corps, Chevaux légers,
Bien montés, richement couverts,
Les Gens d’armes, les Mousquetaires
Et quantité de Volontaires
Escortèrent mon Souverain
Jusqu’au Château de Saint Germain.
À voir cette Troupe Héroïque,
Fort guerrière et fort magnifique,
Tant de Maîtres, tant de valets,
Tant de Chevaux, tant de Mulets,
Carrosses et chaises roulantes,
Des calèches les plus brillantes,
Des charrettes, des chariots,
Coffres, valises et ballots,
À voir, dis-je, ce train suprême
De notre porte Diadème,
On croirait que c’est à la fois
La marche de cinq ou six Rois ;
Ce n’en est qu’un, pour qui je rime,
Et que plus que trente j’estime.

Notre REINE, notre DAUPHIN,
Le Duc d’Anjou, Madame, enfin,
Et toute la Maison Royale,
Qu’aucune autre Maison n’égale,
Seigneurs et Dames de la Cour
Partirent encor à leur tour.
Ici je ne dois point omettre
Qu’après que j’eus donné ma Lettre
À mon ROI, ce dernier Lundi,
Tous partirent après midi
De la Capitale de France,
Qui souffre à regret son absence,
Puisque la joie et les appas
Marchent sans cesse sur ses pas.

-Même nouvelle que la précédente lettre est rapportée par Mayolas au sujet du possible commandement de Beaufort sur la flotte pontificale :

Le Pape, ayant la connaissance
De l’adresse et de la vaillance
Du Prince et du Duc de Beaufort,
Par un Bref que j’estime fort,
Et qui pour lui me paraît rare,
Général enfin le déclare,
En l’absence de son Neveu,
Des troupes qui feront grand feu ;
Et le Saint Pontife avec joie
À cette Altesse encor envoie
Quelque Étendard rouge incarnat
Qu’il a béni pour ce combat.
Hélas ! que fera la Turquie
Si le Ciel protège Candie ?

Messieurs Turelle et Gabaret,
De la Rochelle, au même effet,
Vont joindre la Royale flotte
Avec maint navire qui trotte,
Et le Chevalier de Bouillon,
Prenant la route de Toulon.
Le Commandeur de Lahillière
Y marche pour la même affaire.

-Et même nouvelle de la visite d'un dépôt d'armes par le monarque, narrée en mêmes termes :

Le ROI, qui prend bien garde à tout,
De l'un jusques à l'autre bout,
Par sa prudence non petite,
Avant partir fit la visite
Des armes et du Magasin,
Que l'on a mis dans un couffin,
Dedans la court de la Bastille,
Où ce fer paraît, lui et brille.
Cet Invicible Potentat
Le vit en un si bon Etat,
Qu'en deux jours on peut mettre en armes
Cinquante mille bon gens d'armes.

Lettre du 11 mai 1669, par Robinet.

-Robinet subit le départ de la cour pour Saint-Germain. Nonobstant l'abattement qui domine, il compose son épître comme il se doit et remplit dignement son office de gazetier :

Encor que la Cour soit absente,
Qui pour l’ordinaire m’enchante ;
Encor que je ne voie plus
(Dont j’ai de deuil les Sens perclus)
LOUIS, ce PHŒNIX des Monarques,
Qui des Dieux porte tant de marques,
Que nul, après ces immortels,
Ne mérite mieux des Autels ;
Encor que l’auguste THÉRÈSE,
Qui vaut des Reines plus de seize,
Ait fait éclipser de ces Lieux
Tous ses Appas si glorieux,
À qui l’on doit tant de Merveilles
Que l’on peut dire nonpareilles ;
Encor que le DAUPHIN charmant,
Qui de tous les Cœurs est l’Aimant,
Ait sa belle Maman suivie,
Qui de le voir est si ravie,
Avecque son Frère et sa Sœur,
Deux autres Sources de notre Heur,
Encor que MONSIEUR et MADAME,
Qui de ma Poétique Gamme
Sont les deux Objets capitaux,
Ou, pour mieux dire, Principaux,
Nous aient, pour remplir nos Alarmes,
Tout de même enlevé leurs Charmes
Avec ce jeune Ange incarné
Qui de leur noble Flamme est né :
Encor que Princes et Princesses,
Encor que Ducs et que Duchesses,
Et tous autres semblables Gens
Que la Fortune et ses Régents
Entraînent en foule leur Suite,
Cherchant faveur, grande ou petite,
Aient pareillement détalé ;
Encor que tout s’en soit allé,
Les Phylis, les Daphnés, les Flores,
Les Amarantes, les Aurores,
Les Dorimeines, les Cloris,
Les Sylvies et les Iris,
Et qu’aujourd’hui les Tuileries,
Quoique si vertes et fleuries,
Paraissent un triste Séjour,
En l’absence de notre Cour
Si faut-il, malgré ce Désastre,
Suivant l’Ascendant de mon Astre,
Que je fasse ma Lettre en Vers,
Qui court en maints Cantoris divers
Sous la Faveur de l’Héroïne
À qui PRIMO je la destine.

Notre grand SIRE, Mercredi,
À quatre heures après midi,
Vint, de façon commode et gaie,
Du Château SAINT GERMAIN EN LAYE,
Au plaisant PALAIS de SAINT CLOUD,
Où les Cascades font glou-glou,
Où l’aimable Déesse Flore
Fait ses plus belles Fleurs éclore ;
Où des Amants, les doux Zéphirs,
De Parfums forment leurs Soupirs
Où des Amants, les doux Zéphirs,
De Parfums forment leurs Soupirs ;
Où le Murmure des Naïades
Et la Verdure des Driades
Ont des charmes délicieux
Pour les Oreilles et les Yeux ;
Où les Choristes de Nature,
Suivant sa seule Tablature,
Soir et matin chantent des Airs
Passant les plus rares Concerts ;
Où les Grottes, les Palissades,
Les Faux-fuyants, les Esplanades
Et tous les autres Ornements
Sont comme autant d’Enchantements ;
Où, bref, les mignardes Structures,
Et les Meubles et les Peintures,
Font un terrestre Paradis
Qui vaut bien celui de jadis.

Les deux éclatantes ALTESSES,
Qui sont les aimables Hôtesses
De ce Lieu de Félicité,
Y reçurent SA MAJESTÉ,
Avec une allégresse extrême,
Et la traitèrent, dit-on, même
De très opulente façon
À Souper et Collation,
Où se trouva toute l’Élite
Des Dames de brillant mérite,
ID EST, des Beautés de la Cour,
Qui, ne vont guères [sic] sans l’Amour.

Après ces repas d’importance,
Où parut, avec l’Abondance,
La Politesse et l’Ornement ;
Après, je pense, mêmement
Les Musicales Sérénades
Et les plaisantes Promenades,
Cet adorable Souverain
Retourna droit à Saint Germain
Où l’on avait ouvert la veine
A notre belle et sage Reine,
Seulement par précaution,
Non pour indisposition.

Comme alors la Dame Diane
Était au Ciel très diaphane,
Elle joignit ses Rais plus beaux
À la Clarté de maints Flambeaux,
Dont la route était éclairée,
Et partout en cette Contrée
L’Air parut calme et les Zéphirs
L’agitaient seuls par leurs Soupirs.

Jeudi, pour faire aussi gogailles,
Il se fit Partie à VERSAILLES,
Cet autre lieu délicieux,
Si propre à recevoir des Dieux,
Et, d’illec, après grand FRAIRIE,
Ayant vu la Ménagerie,
On reprit encor le Chemin
Du fameux Bourg de SAINT-GERMAIN,
Ô l’heureuse et charmante Vie !
À qui ne ferait-elle envie ?
Mais, las, hélas ! en bonne foi,
Tels Plaisirs sont Plaisirs de ROI.

Lettre du 12 mai 1669, par Mayolas.

-Le roi a été reçu chez son frère, à Saint-Cloud :

Le ROI fut à Saint Cloud souper,
Et MONSIEUR sut le festiner
Dans son beau Palais de plaisance,
Avec cette Magnificence
Et cet appareil rare et grand
Dont on régale un Conquérant.
Madame, d’attraits assortie,
Était aussi de la partie.

-L'Orient est définitivement d'actualité en cette année 1669 ! Ainsi :

Trois Navires sont arrivés,
Ayant été bien éprouvés
Par les vents et par l’onde amère,
À la barbe de maint corsaire,
Ce qui leur arrive souvent,
Venant des Indes du Levant.
Du brave Larson le courage
Les conduisant dans ce voyage,
Avec encor plusieurs Génois
Qui s’étaient joints à nos Français,
Il alla contre des barbares
Plus dangereux que des Tartares,
Et les suivit si hardiment
Qu’il les fit fuir bien promptement.
Ainsi nos vaisseaux, par merveille
Sont saints et sauves à Marseille,
De quoi nos trafiquants Marchands,
Tant de la Ville que des champs,
Montrent de la réjouissance
Du fameux commerce de France,
Que le ROI, juste et généreux,
Protège d’un air merveilleux,
Et dont Colbert, par sa prudence,
Augmente la magnificence.

Lettre du 18 mai 1669, par Robinet.

-Si, comme de coutume, Robinet consacre dans sa lettre un long développement aux événements en cours à Candie, il n'en fait pas moins référence, au début de ce développement, au futur secours français qui bientôt donnera du fil à retordre aux troupes musulmanes :

Le VIZIR, qui ne s’étudie
Qu’à prendre promptement CANDIE,
Avant que le SECOURS FRANCAIS
(Car tout son dessein je conçois)
Lui puisse tailler des Croupières,
Se voulut hasarder, naguères,
À quelque Action de Vigueur,
Pour montrer qu’il avait du cœur.

[...]

-Les occupations diverses, d'état ou de religion, des Grands français :

Le ROI, qu’on craint jusqu’au LEVANT,
Va son Camp visiter souvent,
Ce qui fera bien dire gare
A DOM ESTEBAN DE GAMARRE.

La REINE, si digne d’amour,
Vint voir, naguère, avec sa Cour.
Les chastes NONNES CARMÉLITES,
Du Ciel les chères favorites.

MONSIEUR, par un pieux Souci,
Au VAL DE GRÂCE vint aussi,
Assister à l’Anniversaire
Qui s’y fait pour le ROI son Père,
Dont la Mémoire hautement
Sait triompher du Monument.

-Ribou a fait parvenir à Robinet une Satire qui s'imprime en sa maison :

Le Sieur RIBOU, Marchand Libraire, [Au Palais, devant la Ste Chapelle.]
Qui me régale d’ordinaire,
Ainsi que quelques autre font,
Des belles Nouveautés qu’ils ont,
Vient, comme j’achevais d’écrire,
De m’envoyer une Satire
Dont chez lui se fait le Débit.
Je m’en vais voir ce qu’elle dit
Et, pour cet effet, je vais mettre
Promptement la Date à ma Lettre.

Lettre du 19 mai 1669, par Mayolas.

-Et d'un gazetier à l'autre, à chaque fois qu'il est question de Candie, la prochaine expédition du roi de France est dans tous les esprits :

La République de Venise,
Que tout le monde loue et prise,
Pour témoigner son agrément
Et le juste contentement
Du secours de Notre Saint Père,
Quelque beau présent a fait faire
Au Neveu Rospigliosi,
Que ce Saint Pontife a choisi
Pour bien conduire ses Galères,
A Candie assez nécessaires,
Et je crois qu’à la fin du mois
Celles du Monarque Français
Les joindront de fort bonne grâce,
Pour chasser les Turcs de la place.

-Le comte de Saint Paul, qui s'est illustré à Candie contre les Turcs, revient en France :

Le Comte de Saint Paul revient
Et pour certain ici l’on tient
Qu’ayant visité la Florence,
Il mettra pied à terre en France,
Chargé du nombre de Lauriers
Qu’il a cueillis en ces quartiers,
Et du renom de sa vaillance,
Qui répond bien à sa Naissance.

-Puis, après des considérations sur le grand vizir, on en revient à Beaufort :

L’Ambassadeur Vénitien,
Morosini, qu’on aime bien,
Ayant favorable Audience
Du Puissant Monarque de France,
Lui fit part sans nul contredit
De ce que ci-devant j’ai dit,
Au nom de cette République ;
Et constamment elle s’applique
À faire des provisions
De grains et de munitions
Pour le secours considérable
Et l’assistance favorable
Que le ROI lui doit envoyer,
Et, pour son service employer,
Huit Vaisseaux tous pleins, à la rade,
Sont prêts pour cette promenade,
Avec deux cent mille ducats,
Ce qui ne leur déplaira pas.

Le Duc de Beaufort a fait dire
À mon incomparable SIRE
Que les Navires de Ponant
Se sont joints aux siens maintenant,
Tant de Brest que de la Rochelle,
Et que son Courage fidèle
N’attend dans son Illustre emploi,
Pour partir, que l’ordre du ROI.

-Déplacement dévot de la Reine aux Carmélites :

Notre auguste et charmante REINE,
Pieuse et belle Souveraine,
Et très digne Épouse du ROI,
Aux Carmélites du Bouloy
Vint, pour y faire sa prière,
Et dans ce fameux Monastère
Elle eut la bonté de dîner,
Où l’on sut bien la festiner.
De Soissons l’Illustre Comtesse,
De Créqui l’aimable Duchesse,
Avec respect et gaieté,
Y suivirent Sa Majesté.

Lettre du 26 mai 1669, par Mayolas

-Retour sur les activités martiales du roi :

Sire, cette humeur martiale
Qui règne en votre Âme Royale
Et si digne d'un puissant Roi,
Charme tout le monde avec moi,
Ne se plaire qu'à la victoire,
Ne chérir que la belle gloire,
Ne s'appliquer qu'à de hauts faits ;
Au milieu même de la Paix,
Tenir sa Milice éclatante
En état d'être triomphante,
C'est surpasser tous les plus Grands,
Tant Monarques que Conquérants,
De qui les Romans et l'Histoire
Immortalisent la mémoire ;
Et vos actions tous les jours
Prennent ce que dit mon Discours,
Car, Lundi, vous prîtes la peine
De la voir au Camp, dans la Plaine,
Et, tout étant leste et complet,
Cela fit un fort bel effet.
Votre grâce, votre sagesse,
Votre valeur et votre adresse
Firent autant d'admirateurs
Qu'il s'y trouva de Spectateurs.

-Plus bas, le gazetier nous conte que le roi et sa famille ont poussé leur application à cette "rumeur martiale" jusqu'à dîner au milieu de la troupe :

Le ROY, des grands Rois le modèle
Avec la REINE, aimable et belle,
Et le DAUPHIN rempli d'attraits,
Allèrent pour prendre le frai,
Avec quantité de beau monde
(En qui la Cour toujours abonde),
Souper au Camp, Lundi dernier,
Dans une Tente du Quartier.
Le bruit de plusieurs Mousquetades,
Joint à celui des cannonades,
Des fifres, trompettes, tambours,
A leur arrivée, eut grand cours,
Et les Soldats et la Noblesse
Marquaient en tous lieux l'allégresse
Que l'aspect de ce ROI vainqueur
Fait naître partout dans le coeur.
Cette pompeuse mélodie
Valait bien une symphonie,

Auparavant, Leurs Majestés,
Qu'on admire de tous côtés,
Sur une pompeuse Galère,
Aussi brillante que légère,
Se trouvèrent en moins de rien
Au Fort de Saint Sébastien.
Plusieurs Princes, plusieurs Princesses,
Quelques Ducs et quelques Duchesses,
Des objets aussi grands que beaux,
Au gré du vent, sur des bateaux,
Les suivirent dans ce voyage,
Sans crainte de faire naufrage.

Lettre du 1er juin 1669, par Robinet.

-Robinet rapporte en guise d'historiette une anecdote dont la trame rappelle celle du Tartuffe :

Un Vert-Galant de septante ans,
À qui défaut, outre les dents,
D’autres choses de conséquence,
Mais, au reste, homme d’importance
Et, bonne foi, cousu d’écus
Ainsi que l’était feu Crésus,
Prit, sur la fin de l’autre Année,
Pour mieux borner sa Destinée,
Une assez passable Dondon,
Par les Yeux de qui Cupidon
Avait féru sa Seigneurie,
Par une pure momerie.
Lorsqu’il fallut s’aller coucher,
La Belle, sans s’effaroucher,
Entre en la Chambre nuptiale ;
Mais, à l’approche Conjugale,
On entend de loin une voix
Laquelle, jusques à trois fois,
Apostrophant le charmant Couple :
« À l’ordre du Ciel, d’un cœur souple, »
Ce leur dit-elle, « obéissez
» Et pas plus outre ne passez.
» Si par l’Hymen il vous assemble,
» C’est pour chastement vivre ensemble
» Et seulement dessus le pied
» D’une sainte et pure Amitié,
» Sans qu’entre vos Sens il s’exerce
» Aucun voluptueux Commerce.
» En Lit à part retirez-vous,
» Et craignez le divin Courroux
» Si vous osez action faire
» Qui soit à cet Ordre contraire. »
Ayant dit, avec un grand bruit,
La Voix se retire et s’enfuit,
Laissant bien surpris le bon Homme,
Que, par respect, point je ne nomme,
De voir, à contre temps, le Ciel
Contre lui si rempli de fiel.

Pour la belle Dame Consorte,
Il n’en alla pas de la sorte,
Car elle connaissait la Voix
Et de son Esprit, fin matois,
C’était un tour d’Espièglerie
Pour laisser, par cette industrie,
Le Pénard tout seul s’ébaudir,
Et planté là pour reverdir.

Pour mieux pousser son stratagème,
Elle feint un regret extrême
D’être obligée à le quitter,
S’efforçant de lui protester
Que cet Obstacle l’embarrasse ;
Mais là-dessus, c’est votre grâce,
Elle va coucher plaisamment,
Dedans un autre Appartement,
Avecque cette Voix céleste,
Laquelle, ainsi qu’on me l’atteste,
Avait un corps de chair et d’os,
Étant un Galant, très dispos,
Que la femelle, bonne et sage,
Avait avant le Mariage,
Et qui, toujours son Favori,
Est encor son Vice-Mari.

Mais elle voile ce Mystère
(En vrai Tartuffe de Molière)
D’un beau semblant de Piété,
Adroitement d’Elle affecté,
Et parlant souvent de l’Oracle,
Qu’elle oppose comme un Obstacle
Quand son Époux sent dans ses Sens
Quelques rebelles mouvements.
Souvent le pauvre Homme en murmure
Et maudit sa triste Aventure,
D’avoir acheté chèrement
Ce qui ne lui sert nullement,
Ayant à sa Sainte-nitouche,
Qui dédaigne si fort à sa Couche,
Fait un avantage très grand ;
Mais c’est en vain qu’il s’en repent.

-Où il est question de Saint Paul, de retour de Candie :

Aujourd'hui, dedans cette Ville,
Doit retourner ce jeune Achille,
Lequel s'est chez les Candiots
Acquis tant de gloire et de los,
Par son Zèle, par son Courage
Et par sa Conduite si sage,
Outre maints autres Attributs,
Qui l'ont fait, mais tant que rien plus,
Admirer sur Terre et sur l'Onde,
Et, d'un bout à l'autre du Monde,
Font, en un mot, voler son Nom
Sur l'aile d'un brillant Renom.
C'est SAINT PAUL, c'est le jeune COMTE,
Dont des merveilles on raconte,
Qui, soit en détail, soit en gros,
Le mettent parmi les Héros.

-Toujours à Saint-Germain, la cour tient banquet :

Naguère, à SAINT-GERMAIN-EN-LAYE,
Où la Cour, si belle et si gaie,
Tient, comme l’on sait, ses grands Jours,
Le plus beau de tous les Amours
Fit à sa très charmante MÈRE
Une grande et splendide Chère,
Et même il parut si galant
Dedans ce Banquet opulent,
Il y montra tant d’accortise
Tant de grâce et de mignardise,
Que chacun fut l’Admirateur
De ce petit Amour Traiteur.

Vous savez, charmante PRINCESSE
À qui ces miens Discours j’adresse,
Si je mens d’un mot en ceci,
Car votre ALTESSE était aussi
De ce Régale magnifique,
Et je crois, sans que je m’explique,
Que tout Lecteur d’entendement
Devinera facilement
(L’Énigme étant tout à fait, claire)
Que ledit Amour et sa Mère
Sont la REINE et son beau DAUPHIN,
Et ne faut pas être fort fin,

Pour finir, je dois encor fire
Que notre magnanime SIRE,
De qui le Cœur tout belliqueux
Cherche Mars, même dans ses Jeux,
Toujours vers son Fort se promène,
Où sa brillante COUR il mène
Et la traite au bruit des Canons,
Qu’il aime mieux que les Violons.
Voilà tout l’ébat qui le charme
Autant, je pense, qu’il alarme
Certaines Gens des Pays-Bas.

Mais beaucoup il ne m’en chaut pas,
Pourvu que ce rare MONARQUE,
Lequel conduit si bien sa Barque,
S’y délasse un peu des grands Soins
Qu’il prend sans fin pour nos Besoins.

-Pendant ce temps à Paris, la troupe italienne représente. Ainsi :

En cette Ville de LUTÈCE,
Toujours par quelque gaie pièce
Les COMIQUES AUSONIENS,
ALIAS les ITALIENS,
Nous divertissent à merveille,
ID EST, de façon nonpareille,
Et leur CINTHIO, grand Auteur
Aussi bien comme grand Acteur,
Leur en fournit chaque Semaine
Une neuve sans nulle peine,
De qui les Incidents joyeux
Font sans doute rire des mieux,
Témoin est sa Pièce dernière,
Qu’on nomme la FEMME GUERRIÈRE.

Lettre du 2 juin 1669, par Mayolas.

-Beaufort n'est pas le seul grand français à partir sur le chemin des armes, pour Candie. D'autres nobles font revivre, à leur manière, l'antique souvenir des croisés :

J'appris hier, jouant au tric-trac,
Que le Comte de Frontenac,
Rempli de Zèle, de Prudence,
De Valeur et d'Expérience,
Est parti de cette Cité,
A l'honneur de la Chrétienté,
Pour s'aller jeter dans Candie,
Exposant hardiment sa vie,
Et qu'on lui destine en ces lieux
Un range illustre et glorieux.
Son Fils, aussi plein de courage,
L'accompagne dans ce voyage,
Où tant de nos braves Guerriers
Vont se Couronner de Lauriers.

-Le départ de Beaufort est imminent.

À Toulon notre Flotte est prête :
Le Duc de Beaufort est en tête,
Et pour partir, en bonne foi,
Il n’attend que l’Ordre du ROI,
avec le retour agréable
De quelque vent très favorable.
Dans le moment de son départ,
On doit arborer l’Étendard,
Composé d’une fine soie,
Que le Pape Clément envoie,
Pour paraître avec plus d’éclat
Dans un si saint et beau COmbat.
Treize Galères sont parties,
Du Port de Marseille sorties,
Pour se joindre avec gaieté
À celle de Sa Sainteté.

-Le roi, accompagné de son fils et de membres de sa famille, visite le Camp Sébastien pour une revue de troupes :

Mercredi, le ROI très-Chrétien
Fut au Fort Saint Sébastien
Avec notre DAUPHIN aimable
Et Monsieur, Prince remarquable.
Des personnes de qualité
Y suivirent Sa Majesté.
Les Gardes du Corps, tous en armes,
Les Chevau-Légers, les Gens d’armes,
Ceux du DAUPHIN, en bel arroi,
Comme les Régiments du ROI,
Sans oublier encor les Suisses,
Y firent bien leurs exercices,
Aux yeux de ce grand Potentat,
Qui fait bien fleurir son État,
Et dont toute la Terre admire
L’adresse, la grâce et l’empire.

-En digne fils de reine, le dauphin sait recevoir :

Le DAUPHIN, adroit et charmant,
Qu’on instruit admirablement
Et d’une Royale manière,
A traité la REINE, sa mère,
Et sut, l’autre jour, lui donner
Magnifiquement a dîner.
Son esprit et sa gentillesse,
Son agrément et sa sagesse
Font voir aux gens les mieux appris
Qu’il est digne d’être son Fils ;
Et MADAME, que chacun prise,
Ainsi que Madame de Guise,
S’étant trouvée à ce repas,
Admiraient ces divers appas.

-Quant à Mademoiselle, revenue de son fief, elle a visité le roi et la reine :

MADEMOISELLE, revenue
De Comté d’Eu, est bien venue
Chez l’une et l’autre Majesté,
Qui lui firent civilité,
Et montrèrent à cette Altesse
Beaucoup d’estime et de tendresse.

Lettre du 10 juin 1669, par Mayolas.

-Entretenant toujours cette rumeur de guerre, le roi passe en revue ses troupes :

Monarque aussi juste qu'aimable,
Adroit, prudent et redoutable,
Peut-on trouver un Potentat
Dans le plus florissant Etat,
De qui la puissance féconde
Entretienne si bien son monde
Et conserve en toute saison
En si bon ordre sa Maison ?
Lorsque vous fîtes la Revue
Que les Grands de la Cour ont vue,
Et rangeâtes les Escadrons,
Aussi bien que les Bataillons,
Votre illustre Cavalerie
Et la gaillarde Infanterie,
Soumise à l'équitable Loi
Que lui donne un si brave ROI,
Ne parut pas moins orgueilleuse
Qu'elle était et leste et nombreuse.
Cet air agréable et charmant
Qui vous suit partout constamment,
Au Louvre comme à la Campagne,
Royalement vous accompagne.
Ne pouvant avoir le bonheur,
Le contentement, ni l'honneur,
D'avoir un rang dans la Milice,
Ma main, faisant son exercice,
Marque du moins vos faits divers
Par un grand Régiment de Vers.

-Un dîner de la reine en pieuse compagnie :

Notre pieuse et belle REINE,
Dont l'âme de vertus est pleine,
Vint à Paris, Lundi dernier,
Et dîna dans ce beau quartier,
Dans le Couvent des Carmélites,
Qui du Ciel sont les Favorites
Ainsi que de Sa Majesté,
De qui la grande piété,
La modestie et l'excellence
Eclatent aux yeux de la France.
On l'accueillit civilement
Et sans doute joyeusement ;
Mainte considérable Altesse
Y suivit ma grande Princesse.

-Saint Paul, l'un des volontaires français engagé en Candie sous la bannière du Pape est de retour en France et reçoit les honneurs du roi :

Le Comte de Saint Paul, enfin,
Arriva Vendredi matin ;
Notre Monarque incomparable
Lui fit un accueil favorable,
Aussi bien que toute la Cour
Le voyant ici de retour ;
Mais Madame de Longueville,
Vertueuse, juste et civile,
Le reçut avec gaieté,
Comme l’illustre Parenté,
Revenant de ce grand Voyage,
Ou sa valeur et son courage,
Son esprit et son jugement,
Éclatèrent publiquement,
Dedans la Ville de Candie
Exposant hardiment sa vie ;
Et, sans un ordre exprès du ROI,
Pour la défense de la Foi,
Ce Prince, que beaucoup d’honore,
Y voulait retourner encore.

-Un certain Gobin, auteur littéraire, reçoit un éloge de Mayolas pour les connaissances que ce dernier a pu tirer de ses écrits :

Comme j’estime les Auteurs,
Les Poètes, les Orateurs,
Et que mon humeur complaisante
Paraît toujours reconnaissante,
J’expose, sans faire le fin,
Que l’habile et pieux Gobin
M’a donné LES SAINTES IDÉES
Qu’il a dignement possédées,
LES ÉLÉVATIONS D’ESPRIT
Qu’il a parfaitement décrit
Sur l’Oraison Dominicale,
Oraison qui n’a point d’égale.
De ce Livre publiquement
Je lui fais mon remerciement.
Quoiqu’il soit un petit volume,
Ses pensers, son style et sa plume
Le rendent toutefois fort grand
Par les mystères qu’il comprend.
Puisque quatre illustres personnes,
Vertueuses, doctes et bonnes,
Tant Abbés, Curés, que Docteurs,
Ont été ses Approbateurs,
Et, puis qu’excellent je le trouve,
À mon tour aussi je l’approuve.

-La cour est passée de Saint-Germain à Versailles puis est finalement revenue à son point de départ :

Versailles, ce riant Palais,
Dont la douceur et les attraits
Sont joints à la magnificence,
Qui pare un beau Lieu de plaisance,
Eut l’honneur d’y voir l’autre jour
Le ROI, la REINE, avec la Cour.
Ayant pris le plaisir aimable
Qu’offre ce séjour agréable,
Cet invincible Souverain,
Avec son magnifique train,
D’un air pompeux, d’une humeur gaie,
Revint à Saint-Germain-en-Laye.

Lettre du 15 juin 1669, par Robinet.

-Au détour du désormais très coutumier passage sur Candie, des nouvelles des renforts :

Mais c’est bien là pitié pour lui,
Et je crois qu’il s’en meurt d’ennui
Que les Galères du SAINT-PÈRE
Voguent en Mer enfin, belle erre,
Sous le grand ROSPIGLIOSI,
Que l’on tient brave en Cramoisi ;
Que celles de notre MONARQUE,
Dont le Secours est de remarque,
Les vont joindre diligemment,
Ayant pour Chef pareillement
Un franc Nourrisson de Bellone,
Savoir le COMTE DE VIVONNE,
Et qu’enfin les Vaisseaux du ROI,
Autant nombreux qu’en bon arroi,
Ont pris (qu’on n’en soit plus en doute)
Depuis dix jours la même route,
Avec le grand DUC DE BEAUFORT,
Que chez Neptune on craint si fort.
Sur cette Flotte, sans mécompte,
Dix mille Combattants l’on compte,
Lesquels en valent près de vingt,
Tant ils sont d’un Vaillant instinct ;
Et si l’on avait voulu croire
Tous ceux que le désir de Gloire
Et la belle émulation
On en eut eu bien davantage ;
Mais, n’en déplaise à leur Courage,
Nos Vaisseaux, quoique spacieux,
Se trouvaient sans place eux.

Au reste cette vaste Flotte,
Qui sur la Mer à présent flotte,
Est, en Galères et Vaisseaux,
Tartanes, Barques et Brûlots,
De prêt de cent cinquante Voiles,
Qui vont presque jusqu’aux Étoiles ;
Si bien que ce grand Armement,
Qu’on vit partir joyeusement,
À tous avecque pompe marque
Qu’il n’est point de pareil MONARQUE
À notre merveilleux LOUIS,
Dont tous les Faits sont inouïs,
Et qu’il est redoutable, en Guerre,
Sur l’Onde ainsi que sur la Terre.

-Louis XIV a ordonné la création d'une Académie en Arles. Une vingtaine de "Happy few" en composent le conseil :

Les MUSES qui, sous son Appui,
Pullulent partout aujourd’hui
(Soit dit sans faire ici le Charles) ;
S’en vont avoir aussi dans ARLES
Un beau Lycée, en vérité,
Par l’ordre de sa MAJESTÉ,
C’est-à-dire, une Académie,
De leur Gloire la bonne amie,
Que vingt (le compte est ainsi fait)
De Gens triés sur le Volet
Et tous enfin bien Gentilshommes,
S’il en est au Siècle où nous sommes,
Composeront avec honneur,
Ayant pour leur Chef ce SEIGNEUR
Qui de Mars et Phœbus ensemble
Est Camarade, ce me semble,
Savoir, le DUC DE SAINT AIGNAN,
Tout à fait galant Courtisan.

-La Cour goûte au divertissement au Fort Saint Sébastien, précédemment évoqué :

La COUR se divertit très bien,
Souvent, au FORT SAINT SÉBASTIEN,
Où le célèbre DUC DE CHAUNE
A traité tout du long de l’aune
Les MAJESTÉS, leur grand DAUPHIN
Et tous les MINISTRES, enfin,
De mainte étrangère PUISSANCE
Qui cherche l’amour de la FRANCE.

MADAME, à propos de traiter
(Car nous devons bien le noter) ;
A régalé, certe, à merveilles
Quantité de Bouches vermeilles
Et des plus belles de la Cour,
A SAINT-CLOUD, si riant Séjour,
Ajoutant à ce beau Régale
Celui de la TROUPE ROYALE,
Qui joua bien le nouveau CID,
Ce m’a dit un nommé David.

Lettre du 15 juin 1669, par Mayolas.

-Le roi a été salué par un grand du clergé :

Le très Révérend Père Aujas,
Dont tout le monde fait grand cas,
Le Général de la Doctrine
Qui dans la vertu s'achemine,
A salué sa Majesté,
Dont il fut fort bien écouté,
Et de ce Prince favorable
Il eut un accueil favorable.

-Mayolas rapporte sa visite à l'une de ses connaissances qui possède chez lui un véritable musée des beaux-arts :

Étant avec des Curieux
Et des esprits ingénieux,
Des plus honnêtes gens de France,
Qui chérissent par excellence
Les perfections des beaux Arts,
J’allai chez le fameux Essarts,
De qui la maison enrichie
De tableaux et de Pierreries,
Ivoire, Glaces et Cristaux,
Admirables par leurs travaux,
Nous présente mille merveilles
Et des raretés sans pareilles,
Surtout trois riches Cabinets,
Qui produisent de beaux effets,
Où sont plusieurs vases d’agate,
Dont la beauté d’abord éclate,
Des Pierres de plusieurs couleurs,
Qui charment les yeux et les cœurs.
Il faudrait un plus long ouvrage
Pour en écrire davantage ;
Mais tout le monde qui va là
Est si fort surpris de cela,
Qu’on dit, d’un aveu véritable,
Qu’on ne peut rien voir de semblable,
Dans la rue de Richelieu
On le voit bien mieux qu’en ce lieu,
Et certainement il mérite
Que l’on y fasse une visite.

-Le roi loué par le gazetier pour son action en faveur de la Chrétienté :

Grand Monarque, la Chrétienté
Connaît que votre Majesté,
Aussi sincère que Chrétienne,
Ne promet rien qu’Elle ne tienne,
Et que les effets tous les jours
Surpassent encor les discours.
Certes, il semble que la France
Soit propre à donner assistance,
Sous le beau Règne de mon Roi,
Contre l’ennemi de la Foi :
Naguères, on vit en Hongrie
Marcher votre troupe aguerrie ;
Pour votre gloire, non pour l’honneur
Et poru le bien de l’Empereur,
Combattre d’une telle sorte,
Contre les Sujets de la Porte,
Que sa victoire et ses hauts faits
Forcèrent de faire la paix ;
Aujourd’hui, contre la Turquie
Et pour le secours de Candie,
Vos Galères et vos Vaisseaux
Cinglent hardiment sur les eaux.
Ce secours par mer et par terre
Pourrait bien terminer la guerre.
Les Royaumes et les États
Sont protégés par votre bras
Lorsqu’une juste et bonne cause
Parfaitement vous y dispose :
Et sous votre protection
Je poursuis ma Narration.

-Après le compte-rendu consacré au siège, Mayolas donne lui aussi des nouvelles des différents secours en route pour Candie :

Le vaillant Comte de Vivonne,
Courant dans la champ de Bellonne,
Fit arborer à son départ,
Au bruit du Canon, l’Étendard
Envoyé par Notre Saint Père,
Sur la Capitaine Galère,
Qu’il monta d’un air Martial ;
Et, comme il en est Général
Je puis assurer que les treize
Sous un tel chef en battront seize.

Le Neveu de Sa Sainteté,
Ayant été complimenté
Des Princes et des Grands de Rome,
Prit enfin congé du Saint-Homme,
Et, de Civitavecchia,
Au secours de Candie il va.

La flotte doit être partie
Et du Port de Toulon sortie,
Car on n’attendait qu’un bon vent
Pour la conduire plus avant,
Et joindre vite nos Galères
Aussi brillantes que légères.
Le triomphant Duc de Beaufort,
Que les Barbares craignent fort,
Les battant lorsqu’il les attrape,
Doit rencontrer celles du Pape.
Ce Duc mène seize vaisseaux,
Des plus puissants et des plus beaux ;
Il en monte un, bien de remarque,
Qu’on appelle le Grand MONARQUE,
Car il est muni, tout de bon,
De six vingt pièces de Canon.
Quelques-uns en portent nonante,
Et les moindres en ont quarante.
Plusieurs barques, plusieurs brûlots,
Plusieurs bateaux, plusieurs bachots,
Les accompagnent dessus l’Onde
Pour mieux favoriser le monde,
Et dix mille hommes bien comptés
Se sont là bravement postés.

-Le don d'un roi aux Récollets :

Le ROI, de qui l’âme Royale,
Par ses rares bienfaits étale
Sa grande libéralité,
Aussi bien que sa piété,
Fit donner sans nulle remise,
Pour une pieuse entreprise
Et pour un louable dessein,
Aux Recolets de Saint Germain,
De qui la vie est exemplaire,
Mil écus, pour le Monastère
Et pour accroître largement
De l’Église le bâtiment.
Le Gardien, plein d’éloquence,
Pour marquer leur reconnaissance,
À ce Monarque si charmant
Alla faire un remerciement.

Lettre du 22 juin 1669, par Robinet.

-Robinet est le premier a annoncer une nouvelle qui va avoir, dans les semaines suivantes, une importance grandissante en France : la venue d'un ambassadeur de l'Empire ottoman. Ainsi, explique-t-il, Fazil Ahmed Köprülü, grand vizir de Mehmed IV, a mandaté l'un de ses serviteurs pour venir discuter avec le roi de France des conditions de paix, au sujet d'une éventuelle reddition de l'île de Candie :

Ce VIZIR aux valeureux Faits
Ferait mieux de faire la Paix
Avant que notre Armée arrive,
Laquelle, ayant quitté la Rive,
Ou bien la Rade, de TOULON,
A vogué par un Vent si bon,
Qu’on la croit, sans avoir fait halte,
Du moins à la Hauteur de MALTE.
Mais j’apprends que le GRAND SEIGNEUR,
Prenant icelle Paix à cœur
Pour mainte raison qui l’y porte,
Envoie Quelqu’un de sa PORTE
Ambassadeur vers notre ROI,
Exprès pour en parler, je crois,
Sachant qu’il est à juste Titre
De Guerre et Paix le grand Arbitre.
On dit que cet Ambassadeur
Doit paraître avecque splendeur,
Et qu’il est un Seigneur de marque,
Comme il le faut pour un MONARQUE
Qu’on doit adorer en tous Lieux,
Et non de ces Chiaoux si gueux
Qu’on envoie ailleurs d’ordinaire,
Dont nous disons Lère-lanlère.

Concernant cette lettre et les autres occurrences de l'ambassade du grand turc en France, on se reportera aussi à Autour du Bourgeois gentilhomme

-Une grande dame de la cour est passée dans l'autre monde :

La safranière de Cloton,
Qui nous serre à tous le bouton,
L'a, bonne foi, serré, naguère,
A Dame de grand caractère,
Savoir, Madame de CHOISI,
Habile Femme, en cramoisi,
Pour bien causer et bien écrire.
Or, quoiqu'à le franchement dire,
L'âge eût emporté ses Appas,
Elle a trop tôt passé le pas,
Et, certes, la SULTANE Mère,
A qui la Défunte était chère,
Et la Reine de PERSE encor,
La FEMME aussi du Grand Mogor
Et, bref, tout plein d'autres Princesses,
Qui recevaient de ses largesses
Et de ses Lettres, bien souvent,
En divers Cantons du Levant,
Diront ce que je viens de dire.

Mais, Lecteur qui me pourrez lire,
Je crois que ces Princesses-là
Ne diront pas pour tout cela,
En faveur de la bonne Dame,
Un seul : "Dieu veuille avoir son âme !"
Daignez donc prendre ce Souci,
Disant DE PROFUNDIS aussi.

Lettre du 22 juin 1669, par Mayolas.

-Au fort Saint-Sébastien, le duc de Chaune a régalé ses souverains :

Le Duc de Chaune a traité
Avecque somptuosité,
Profusion et politesse,
Par sa magnificence largesse,
Au Fort de Saint-Sébastien,
L'autre jour, le ROI Très-Chrétien.
Il traita, la même semaine,
Notre charmante et belle REINE,
Ainsi que notre beau DAUPHIN,
Et, pour vous dire tout enfin,
Ce Duc fit encore un régal,
Après cette Fête Royale,
Au Nonce de Sa Sainteté,
A force gens de qualité,
A des personnes excellentes,
Fort illustres, fort éclatantes,
Ambassadeurs et Résidents,
Et tous en furent fort contents,
Louant avec réjouissance
Son extrême magnificence,
Qui, dans Rome comme à Paris,
Emporte également le prix.

-Des nouvelles de Beaufort et de sa flotte :

Le cinquième du mois, sans faute,
Notre belle et puissante Flotte
Délogea d’auprès de Toulon,
Au tintamarre du Canon,
Aux cris de joie et d’allégresse
Que fit le Peuple et la Noblesse,
Qui s’étaient rendus sur le bord
Pour la voir partir de ce port.
Le Cardinal Duc de Vendôme,
Estimé partout le Royaume,
Avec son fils le Chevalier,
De qui l’air est fort cavalier,
Accompagna, loin de la Ville
Environ dix ou douze mille,
Le brave et grand Duc de Beaufort,
Suivi d’un favorable sort.
Ce Duc monte le Grand Monarque,
Vaisseau très digne de remarque,
Et je souhaite que jamais
Il ne trouve de vent mauvais,
Ains, au contraire, favorable,
Pour un voyage si louable.
Plus de dix mille hommes y vont,
Et triomphants s’en reviendront.

Lettre du 29 juin 1669, par Robinet.

-Où en est la glorieuse flotte française en route pour Candie ?

On n’a rien su de notre ARMÉE
Par la Déesse Renommée ;
Mais plusieurs s’en vont concluant,
Ayant bien observé les Vents,
Qu’elle est, comme l’on le souhaite,
Fort près des Murailles de CRÈTE. [Candie.]
Que le DIEU, non pas Jupiter,
Lequel en venait là conter,
Au temps jadis, à ses Maîtresses,
Dans ses amoureuses prouesses,
Mais le DIEU qu’on adore Ici
Veuille que cela soit ainsi !

-Le dauphin a chassé à l'arme à feu dans le parc de Saint-Germain et sa moisson de gibier fut bonne :

Votre charmant NEVEU, MADAME,
Ce m’écrit un Maître de Gamme,
S’étant, l’autre jours, dans le Parc, [de Saint-Germain.]
Avec l’Arquebuse, et non l’Arc,
Mis quelque part en embuscade,
Ou bien même à battre l’estrade,
Mal en advint à six Lapins,
Des plus polis et plus poupins,
Que ses Coups privèrent de Vie.
Mais leurs sort est digne d’envie
Parmi leurs semblables, vraiment,
Et par un Trépas plus charmant
Ladite Lapinesque Engeance
Ne saurait mourir, que je pense ;
Et je pourrais gager qu’un jour
Ce Dauphin, plus beau que l’Amour,
Fera bien, dans ses grandes Fêtes,
Choir dessous ses Coups d’autres Bêtes.

-Monsieur, frère du roi, a fait le déplacement jusqu'à Paris pour visiter sa tante jusqu'alors aux portes de la mort. Le vin émétique l'a guérie :

Mercredi, MONSIEUR vint Ici
Et, par un obligeant Souci,
Alla rendre, tout d’une suite,
À sa chère TANTE visite, [Madame Duchesse douairière d’Orléans.]
Qui de l’Apoplectique Mal,
Avait senti l’Assaut final,
Mais de qui l’Art hippocratique
L’a guérie avec l’Émétique.

Le lendemain, dévotement,
Et mêmes exemplairement,
Il se rendit en sa Paroisse,
L’une des grandes qu’on connaisse ;
Et ce PRINCE, de DIEU béni,
Suivit le CORPUS DOMINI
En son Triomphe tout auguste,
Autant comme équitable et juste,
Et ravit par sa Piété
Tout un grand Peuple, en vérité.

Lettre du 30 juin 1669, par Mayolas.

-La reine a fait acte de dévotion chez les Récollets :

J’écris ici, suivant ma piste,
Que, le Jour de S. Jean Baptiste,
La REINE, dont la piété
Éclate de chaque côté,
Alla, pour faire sa Prière,
À Saint Germain, au Monastère
Des très bons Pères Récolets,
Qui disent bien leurs Chapelets,
Dont la dévotion attire
Et de beaux sentiments inspire
À ceux qui sont dans ce saint Lieu
Afin d’offrir leurs vœux à Dieu,
Et leur soin pieux sa signale,
Priant pour la Maison Royale,
Pour sa précieuse santé,
Comme pour sa prospérité
Mademoiselle très pieuse,
Altesse aimable et généreuse,
Dont je reçois un bon accueil
Et qui voit mes Vers de bon œil,
Cette illustre et parfaite Altesse,
Y fut avecque ma Princesse.

-La flotte française près de Candie :

Nos Galères et nos Vaisseaux
Fendent pompeusement les eaux ;
Le bon vent et la bonne Étoile
Les font voguer à toute voile.
On les vit, huit jours il y a,
Aux environs de Spétia,
Venant passer quelque bruine.
Pour le secours des Candiots
Elles cinglèrent fort à propos,
Et joindront celles du S. Père
Pour bien dépêcher cet affaire.

Lettre du 6 juillet 1669, par Robinet.

-Deux représentations dramatiques comiques de la troupe des Italiens ont manqué de tourner au drame : les acteurs, pris de boisson, se sont battus en scène. La foule leur a asséné de puissantes protestations :

Lundi, le Bourgeois de Lutèce, [Paris.]
Lequel aime un peu la liesse,
Était allé, pour en avoir,
Messieurs les ITALIENS voir,
Qui savent, pour le dire en somme,
Piquer le Risible de l’Homme
D’une merveilleuse façon,
Et sur cela faire Leçon ;
Mais leur plaisante Comédie
[C’était Scaramouche Pédant et Arlequin Écolier.]
Se vit changée en Tragédie
Par sept ou huit nouveaux Acteurs
Qui, surprenant les Spectateurs,
Firent choix du même Théâtre
Pour ferrailler et pour se battre.

La plupart, dit-on, de ces Gens
Sortaient de chez les Bons-Enfants,
Et Monseigneur le Dieu Bachique
Les mit en cette humeur Bellique
Assez hors de temps et de Lieu.
Quoi qu’il en soit, leur Trouble-jeu
Et martiale frénésie
Déplaisant à la Bourgeoisie,
Elle leur cria hautement
Qu’ils ne l’entendaient nullement,
Que, ni pour Amour, ni pour Haine,
On n’ensanglantait plus la Scène,
Et contre eux, bref, en grand courroux
D’avoir payé leurs quinze sols
Sans avoir eu la Comédie,
Au premier Acte ainsi finie,
Les envoya faire panser,
Sans crainte de les offenser.

Aussi, je vous proteste et jure,
Que ce n’était pas une injure,
Car j’ai su de plus d’un Témoin
Qu’ils en avaient tous grand besoin.

Lettre du 7 juillet 1669, par Mayolas.

-Le roi et la reine font toujours du Fort Saint-Sébastien l'une de leurs étapes : entraînements militaires et revue de troupe y sont organisés. Ainsi :

Jeudi, notre ROI très chrétien
Fut au Fort Saint-Sébastien,
Où se rendit aussi la REINE,
Et, près d’Andresy, dans la Plaine,
Ce Prince, des plus obligeants,
Fit la Revue de ses Gens,
De son monde et de sa milice,
Qui fit fort bien son exercice,
Et parut dans le même état
Où l’on triomphe avec éclat.

Auparavant, ce Prince Auguste,
Vigilant, héroïque, juste,
Et qui ne trouve point d’égal,
Avait pris l’air sur le Canal
Qui coule le long des murailles,
Ou du beau Jardin, de Versailles,
Le long de ces feuillages verts.
Des charmantes voix des Concerts,
Qui pourraient guérir un malade,
Le suivaient dans la promenade.

Lundi dernier, ce Souverain
Vint gaiement à Saint Germain.

-La flotte française n'est pas encore en Candie. Elle progresse chaque jour :

Nos Vaisseaux, que la gloire exalte,
Ont passé la hauteur de Malte,
Ayant de vivres à gogo.
A Corfou, soit à Cérigo,
Au gré des Vents ils se vont rendre
Pour cette Place bien défendre.
Le secours de sa Sainteté
Et celui de Sa Majesté
Contre les Turcs allant ensemble,
Quel est-ce d’entre eux qui ne tremble ?

Lettre du 13 juillet 1669, par Robinet.

-A propos de Péréfix :

Notre grand PRELAT PEREFIX,
Remportant aujourd'hui le prix
Qu'il mérite à si juste titre,
Etend le pouvoir de sa Myrte,
Par un heureux succès, enfin,
Dans le beau Faubourg à Germain.
Dimanche, avec son Chapitre,
Sujet digne de mon Epître,
Il alla partout ce grand Lieu,
Paré comme à la FÊTE-DIEU,
Et dans l'EGLISE SAINT SULPICE
Célébra le Saint Sacrifice
Pour marquer, de belle hauteur,
Qu'on l'y reconnaissait PASTEUR ;
De quoi ses heureuses Ouailles,
Jusques au fonds de leurs Entrailles,
Ressentirent en ce moment,
Un merveilleux ravissement.

-La Cour goûte le divertissement dans une des anciennes demeures du Duc de Richelieu :

Ainsi que je l’apprends, MADAME,
Notre COUR, en très belle gamme,
Se réjouit et d’ébaudit,
Mercredi, comme on me l’a dit,
Elle s’égaya d’importance
En cette Maison de Plaisance
Dont, avant qu’aller devant Dieu,
Jouit l’ÉMINENT RICHELIEU.

Après le plaisir des Cascades,
Où les Crystalines Naïades
Firent, aux yeux des MAJESTES,
Eclater leurs franches beautés ;
Après les gaies Promenades
Entre les hautes Palissades,
Enfin, sous le Feuillages verts,
Il se fit de cent Mets divers
Un pompeux et charmants Régal,
Ou bien une Chère Royale,
Que donna notre Grand LOUIS,
Dont tous les Faits sont inouis.

Je crois que vous savez de reste,
ALTESSE d'un aspect céleste,
Que MONSIEUR, votre illustre EPOUX,
Illec éclatait entre tous,
Et que cette auguste Héroïne
De vous et de lui la COUSINE,
MADEMOISELLE D'ORLEANS,
Etait pareillement léans.
Je n'en dis donc pas davantage,
Et je vais finir mon Ouvrage.

-C'est sans compter que ces festivités ont vu la représentation de l'Alexandre de Racine :

J'ajoute pourtant que d'ANJAU,
Marquis de coeur et de cerveau,
Et bien connu de votre ALTESSE,
Lequel va signalant sans cesse,
Les beaux Talents de Cour qu'il a,
L'autre Samedi, régala,
D'une façon toute galante,
Les belles DAMES, sous sa Tente,
Au FORT DE SAINT-SEBASTIEN.
Tous y fut par ordre et très bien,
Et mêmes la TROUPE ROYALE
Accompagna ledit Régale
De son Alexandre le Grand. [Tragédie de Racine.]
Ah ! je meure, s'il ne l'entend.

- Une grande dame de la cour s'en est allée rejoindre ses ancêtres :

La DUCHESSE la VIEVILLE,
Qui fut charmante et bien civile,
L'autre jour, malgré ses Appas,
S'en alla de Vie à Trépas.
Ce n'est pas, certe, une Nouvelle
Qui semble aux Dames bonne et belle ;
Mais, sans m'en donner aucun tort,
Qu'elles s'en prennent à la Mort.

Lettre du 13 juillet 1669, par Mayolas.

-Mayolas annonce lui aussi la nouvelle relative à Péréfixe :

Avec un grand plaisir j'appris
Que l'Archevêque de Paris, [Hardouin de Beaumont de Péréfixe.]
Qui porte dignement ce titre
Accompagné de son Chapitre,
Alla prendre possession
Du droit ou juridiction,
Qui n'est pas moins bonne que belle
Et tout à fait spirituelle,
Dans tout le Faubourg S. Germain,
Selon le pacte, le dessein,
Ou bien la transaction, faite
D'une manière fort discrète,
Entre l'Abbé, riche et fameux,
Et tous ces bon Religieux,
Le Grand Pasteur de Saint Sulpice, [M. Reguier de Poussé.]
Qui ne fait rien qu'avec justice,
Accueillit d'un air merveilleux
Ce Prélat très docte et pieux,
Qui dit la Messe en son Eglise
Pour couronner cette entreprise,
Et l'on sut fort bien tapisser
Les lieux où l'on devait passer.

-Le secours français a fait escale à Civitavecchia :

Les fortes Galères de France
Arrivèrent avec bombance,
Plus d’un mois entier il y a,
Au Port Civita-vecchia
Le brave Comte de Vivonne,
Qu’aucun danger jamais n’étonne,
Malgré les vents impétueux,
Les a conduites en ces lieux.
Par trois diverses saluades
De plusieurs coups de canonades,
Aussitôt qu’on les aperçut,
Civilement on les reçut ;
Dès qu’elles furent à la rade,
Pour mieux faire leur promenade,
Le Général Provéditeur
Fit dépêcher quelque Orateur
Pour bien complimenter ce Comte
Qu’aucun en valeur ne surmonte ;
Lui-même, après, y vint bientôt
Pour lui dire le petit mot,
Suivi du Comte de Gonzagues,
Et, nonobstant les ondes vagues,
Ils trouvèrent ce Général,
Par son courage martial
Et ses soins extraordinaires,
Visitant toutes nos Galères.
Ils se firent cent compliments
Et mille beaux remerciements,
Qui seraient un peu lons à mettre
Dedans l’abrégé de ma Lettre ;
Mais disons que Sa Sainteté,
Apprenant cette nouveauté,
Par un exprès et prompt message,
Le Pape, ce Saint Personnage,
Envoya d’abord Gastaldy,
Diligent, prudent et hardi,
Rempli de cœur et de sagesse,
Pour témoigner son allégresse
À ce Comte, dont le renom
Élève hautement son nom,
Qui, marquant sa reconnaissance,
Fit un festin plein d’opulence
A Guastaldy, homme d’honneur,
Conjointement au Gouverneur
De ce port et de cette place,
Où l’on but de fort bonne grâce,
Au bruit du canon, la santé
Du ROI et de sa Sainteté.
Il partit de là le quinzième,
Avec une ardeur tout extrême,
Ayant reçu civilement
Quelque doux rafraîchissement,
Pour oindres celles du Saint Père,
Qu’il trouvera sans tarder guère,
Avant que d’être au Rendez-vous
Où courageusement vont tous.

Les Vaisseaux Ecclésiastiques,
Ou les galères authentiques,
Qui vont sur mer fort à propos
Pour le secours des Candiots,
Le deuxième du mois, partirent,
Du Port de Nisita sortirent.
Le Vice-Roi Napolitain,
Ayant fait un accueil humain,
Humble, civil et débonnaire
Au Neveu de notre Saint Père,
Qui va commander tout cela,
Largement il le régala
D’une soixantaine d’Esclaves,
Des plus gaillards et des plus braves ;
Comme de rafraîchissements
Qu’il lui fallait en ces moments ;
Mais Vincenzo, plein de mérite,
Qui de tout dignement s’acquitte,
Par des transports reconnaissants,
Lui fit aussi divers présents.

Lettre du 20 juillet 1669, par Robinet.

-Le dauphin, malade est soigné par saignée :

Comme le Grand DAUPHIN DE FRANCE
Est Prince actif à toute outrance,
Son Sang, par ce vif mouvement,
S’est enflammé dernièrement,
Et même Madame la Fièvre,
Qui se plaît fort dans un Sang mièvre,
A prétendu s’y cantonner
Et pour quelque temps y régner
En qualité de Continue ;
Mais, à cette très mal venue,
Phlébotomie a promptement [la Saignée.]
De partir fait commandement.
Et, de ce royal Domicile,
Je crois qu’elle a déjà fait gille.

-Touchant toujours la faculté, Robinet explique combien café, thé et chocolat ont été l'objet d'une démonstration latinisée par un nouveau :

L’autre jour, un MONSIEUR D’AQUET,
Prenant le Médical Bonnet,
Régala, dessus ma parole,
À ravir MESSIEUR DE L’ÉCOLE, [de Médecine.]
Si qu’il en eut l’APPLAUDITÉ.
Ce fut de Tabac et de Thé,
Et mêmement de Chocaulaste [sic],
Boisson qui le Goût beaucoup flatte,
Dont il parla, tout un matin,
En élégant et beau Latin,
Car ce fut dans une Harangue
En cette latiale Langue
Que j’entends qu’il les régala
Admirablement de cela.

-La troupe italienne représente :

L’admirable TROUPE ITALIQUE,
Dont le Théâtre est si comique,
Nous y donna une Nouveauté
Pleine de grâce et de beauté.
Le Sérieux et le Risible
Y cause un Plaisir concertés
Dans toutes les Diversités
Qui fourmillent dans ce Spectacle,
Que c’est un vrai petit Miracle,
Dont CINTHIO, fécond Auteur,
Est encor le digne Inventeur,
Et dans lequel toute la Troupe
Fait, certe, aussi miracle, ou jamais je ne soupe.

Lettre du 21 juillet 1669, par Mayolas.

-Mayolas annonce, non sans enthousiasme, que le dauphin est en passe de recouvrer la santé :

Je chante la convalescence
Du Dauphin, Fils aîné de France ;
Monarque aussi sage qu’heureux,
Pour lui j’ai fait souvent des vœux,
Comme beaucoup je m’intéresse
Dans le joie et dans la tristesse

Lettre du 27 juillet 1669, par Robinet.

-Avec la même joie que son confrère, Robinet chante à son tour la santé retrouvé du fils de Louis XIV :

Notre illustre et charmant DAUPHIN
A mis dehors la Fièvre enfin
(Pire parfois que les Pirates),
Par l’aide des deux HIPPOCRATES
Qui veillent dessus la santé
De l’une et l’autre MAJESTÉ,
Et même aussi de la Nature,
Qui, dans pareille conjoncture,
Doit agir aussi de sa part
Pour mieux faire réussir l’Art.

Au reste la Convalescence
De ce rare DAUPHIN DE FRANCE,
Dont elle attend beaucoup d’Appui,
Casse en COUR grand joie aujourd’hui.
Elle en reprend ses Promenades
Dans le vert Séjour des Dryades
Et même au Fort Saint Sébastien,
Où le POTENTAT TRÈS-CHRÉTIEN
Fait à ses brillantes Milices
Souvent faire les Exercices,
Et, bref, où le MARQUIS D’ANJAU
A continué son Cadeau
Qui contenait chère plénière,
Je pense, à la COUR toute entière,
Ou (dont il est partout loué)
À la plus charmante Moitié,
Qui toujours a le vent en poupe
Et les Amour dedans sa Troupe.

Lettre du 28 juillet 1669, par Mayolas.

-De Mayolas à Robinet et de Robinet à Mayolas, la même bonne nouvelle est reprise en écho :

SIRE, je bannis le chagrin,
Sachant que votre beau DAUPHIN
Reprend sa santé printannière,
Et qu’elle est presque tout entière.
Quoique vous soyez sans égal,
Et qu’un si rare original
Ne puisse trouver de copie,
Vous agréez ce que je die
Que nous remarquons aujourd’hui,
Tant de perfection en lui,
Que je puis dire en mon ouvrage
Que le DAUPHIN est votre Image,
Et qu’en peu de temps on verra
Que son bras vous secondera.
Les remèdes plus énergiques,
Joints au prières authentiques
Que l’on fait de chaque côté,
Lui redonneront la santé,
Et, d’ailleurs, il est véritable
Que le destin, très favorable
Aux désirs du ROI très-Chrétien,
Ne saurait lui refuser rien.
Dans quelques jours doncques j’espère
Que ce Prince extraordinaire
Dansera, jouera, chassera
Et surtout étudiera,
Ainsi qu’il avait de coutume,
Bannissant la fièvre et le rhume.
Je renouvelle mes souhaits
Pour le voir sain, riant et frais.

Comme toutes les bonnes âmes,
Hommes, garçons, filles et femmes,
Ont fait incessamment des Vœux
Pour tâcher d’obtenir des Cieux
Une prompte convalescence
Pour le plus charmant Fils de France,
CAGNYÉ, Curé de Saint-Germain,
Suivant son louable dessein,
A fait prier dans son Église,
D’une manière fort exquise,
Et lui-même, en particulier,
D’un air tout à fait singulier,
A fait à Dieu mainte prière
Pour voir sa guérison entière ;
De sorte que ce bon Pasteur,
Plein de doctrine et de douceur,
Soit dans la Ville et dans le Temple,
Aux autres a servi d’exemple.
Tout Paris et toute la Cour
En ont fait de même à leur tour.

Lundi soir, MONSIEUR et MADAME,
Qui n’ont tous deux qu’une même âme,
Délogèrent de Saint Germain
Avec un magnifique train,
Comme cette belle Princese
Est sur la fin de sa grossesse,
À Saint Clou, plus commodément,
Dans un superbe appartement
Et dans ce Palais de plaisance,
Elle attendra sa délivrance.
Je souhaite dans mes écrits
Que cette Altesse fasse un Fils
Aussi généreux que le Père,
Comme aussi charmant que la Mère.

Lettre du 3 août 1669, par Robinet.

-Le roi continue de présider aux entraînements militaires du Fort Saint Sébastien. Il est restauré, avec son monde, de ses épuisements martiaux par le Sieur de La Salle qui fait donner le spectacle en son honneur :

Ce ROI, qui sur les Plaisirs glisse,
Et qui dans la Guerrière Lice
Voudrait respirer l’Air toujours,
A passé les derniers sept jours
En de belliques Exercices,
Faisant à ses belles Milices
Attaquer sans manquer à rien,
Le Fort de S. SÉBASTIEN,
La REINE, présente, et les DAMES,
Ne craignant ni Boulets ni Flammes
Qui font moins de mal en ce Lieu
Que n’en font, sous l’aimable Dieu
Les plus petites étincelles
Du feu de leurs vives Prunelles.

Le sieur de la SALLE, en son jour,
Y régala toute la COUR
Avecque beaucoup de Louanges
De la bouche de maints beaux Anges ;
Mais on dit toujours que d’ANJAU
A fait miracle en son Cadeau ;
Que le Bal et la Comédie,
Avecque grande mélodie,
Les Feux d’Artifice plus beaux,
Où craquaient les Serpenteaux,
Accompagnaient la bonne Chère
Que durant maints jours il fit faire ;
Que le Lieu même était paré
De Buffets de vermeil doré ;
Qu’on y voyait partout encore
Plus de Fleurs qu’on en voit chez Flore,
Et qu’enfin les Eaux de Liqueurs,
Par leurs admirables fraîcheurs,
Y ravissaient, chose certaine,
Par les soins de SAINTE-FONTAINE
Qui, dedans Rome, en Homme adroit,
De les faire a su le Secret.

-Saint-Germain, également, a connu fêtes et divertissements, à l'organisation desquels le jeune Corneille a participé par la représentation de son Baron d'Albikrac :

Mais, à propos de grand Régale,
On en a fait à la Royale,
Un merveilleux à SAINT GERMAIN,
En un Lieu rempli de Jasmin,
De Fleurs d’Orange et de Verdure
Et, bref, ou l’Art et la Nature
Produisent mille Enchantements
Par leurs mutuels Ornements,
Qu’avait unis ce beau GÉNIE
Qui nous est venu d’Italie.

L’ALBIKRAC, par un doux Destin,
Précéda l’opulent Festin,
Joué par l’HÔTEL, à merveille,
Et l’AUTEUR, le CADET CORNEILLE,
En reçut de notre HÉROS
Un glorieux et charmant Los.

Le Bal termina cette Fête,
Que l’on m’a dit, dans mon Enquête,
S’être faite pour la Santé
(Après le TE DEUM chanté)
De notre DAUPHIN admirable,
Ou, pour mieux dire, incomparable.

Lettre du 3 août 1669, par Mayolas.

-Sont-ce les mêmes divertissements dont il est ici question ? Certainement, car la convalescence du dauphin et les exercices militaires à Saint Sébastien y sont repris par Mayolas :

Le Bal, Comédie et Festin,
À la Cour, nous prouvent enfin,
Par leur juste réjouissance,
Du DAUPHIN la convalescence.

Nos Troupes s’escrimeront bien
Au Fort de Saint Sébastien,
Puisque la Tranchée est ouverte,
Et, là tout le monde est alerte.

Lettre du 10 août 1669, par Robinet.

-A force de répétition, on pourrait croire que le roi a quelque conquête en tête et les exercices du Fort Saint Sébastien de passer pour une préparation à la guerre plus que pour un entretien physique et technique de ses troupes ou un spectacle destiné à chanter la gloire des armes royales :

À propos de beaux Exploits d’Armes,
Comme ils feraient les plus doux charmes
De notre ROI si belliqueux,
S’ils ne sacrifiaient aux Vœux
De l’EUROPE toute la Gloire
Dont Mars remplirait son Histoire,
Il continue, en ses ébats,
De chercher ce Dieu des Combats,
Et de s’en tracer une Image
Qui puisse plaire à son courage.

Ces jours-ci donc, il fut encor
Voir attaquer son petit Fort,
Tenant, par tels Exercices,
Toujours alertes ses Milices
Et, bref, en état, pour le sûr,
De servir au besoin futur,
Car Dame Paix et Dame Guerre
Sont successives sur la Terre.

-Loin de toute querelle armée, L’Avare et le Tartuffe joués à la Cour, constituent des divertissements plus doux :

Outre ces Plaisir martiaux,
On en prend de plus joviaux :
Le Bal, la Chère et Comédie
Réjouissent la Compagnie,
Et MOLIÈRE, le dernier jour,
À ravir divertit la COUR
Par son AVARE et son TARTUFFE
(Auquel rime la seule Truffe),
Sur un Théâtre verdoyant,
Tout à fait pompeux et riant.

Lettre du 11 août 1669, par Mayolas.

-Le Jonatas est joué au Collège de Clermont. Loin d'être seulement un exercice scolaire destiné à un rayonnement limité, il a les honneurs de Beauchamp, si l'on en croit Mayolas, qui a composé son ballet :

Mardi, j’allais d’un pas fort prompt
Dans le Collège de Clermont [des Jésuites.]
Y voir Jonatas, Tragédie
Plus belle qu’une Comédie,
Qui fait paraître que l’Auteur
Est un bon Versificateur,
Et son esprit scientifique
Fait dignement la Rhétorique.
Le Fils d’un Duc et Maréchal
La Ferté, d’un air sans égal,
Fut un des premiers Personnages
Avec de très grands avantages.
Dans la fleur de ses jeunes ans,
Il a de si rares talents,
Que chacun justement espère
Qu’il suivra les traces du père.
Cet aimable et charmant Marquis
L’admiration s’est acquis,
Paraissant encore à la danse,
Faisant tous ses pas en cadence.
Le Marquis de Gesvres aussi
Dansa mieux qu’on ne voit ici,
Et de Pianais, Comte ilustre,
Augmenta la grâce et le lustre
De ce Ballet, fait par Beauchamp,
Un des Maîtres des plus savants.
La Ferté, qu’encore je nomme,
Finit le divertissement
Et conclut agréablement ;
Récitant une Ode admirable,
D’une façon incomparable,
À l’honneur de mon POTENTAT
Qui, tous les ans, avec éclat,
Par un effet de sa largesse,
Donne les prix à la jeunesse.
Ledit Marquis que j’ai cité
Qui brille de chaque côté,
Qui sort d’un très illustre lieu,
L’Abbé Molé, très noble et sage,
Eurent tous quatre un bon partage,
Les trompettes, les violons,
Touchant d’agréables chansons,
Divertirent cette Assemblée,
Qui ne fut nullement troublée,
Et les glorieux Spectateurs,
De cet Ouvrage admirateurs,
Sortirent de la Compagnie
Remplis d’une joie infinie.

Lettre du 17 août 1669, par Robinet.

-Pèle-mêle, des nouvelles de la Cour sont jetés sur le papier par notre gazetier. Tantôt touchant au "politique" (gestion de l'Etat), tantôt à "l'artistique", elles ont pour toile de fond le déplacement du monarque de Paris à Saint-Germain qui préside aux unes et aux autres :

MONSIEUR, ainsi, pendant cela,
Alla dans la CHAMBRE DES COMPTES,
En laquelle l’on voit des Comtes,
Et ce FRÈRE UNIQUE DU ROI,
Lequel voit au-dessous de soi
Tous les plus grands CADETS de France,
Ayant en ce Lieu pris Séance,
Y fait savoir la Volonté
De notre auguste MAJESTÉ,
Avec la grâce singulière
Qui lui paraît si familière.

D’autre part, l’illustre Condé,
Dont LOUIS serait secondé,
Fît-il la Guerre même aux MÈDES,
Se rendit en la Cour des AIDES
Pour y faire, pareillement,
Savoir intelligiblement,
L’intention de ce grand SIRE,
À quoi partout, sans contredire,
On se soumit, on obéit,
Et ce qu’il voulut on le fit,
Avec d’autant plus d’allégresse,
Et de franchise et de tendresse,
Que juste était la Volonté
De ce ROI plein de MAJESTÉ.

Ensuite, il vint aux Tuileries
Qui sont si vertes, si fleuries,
Fit dîna dans ce beau Palais,
Au lieu plus commode et plus frais,
Ayant la fleur de sa Noblesse
Et toute la belle Jeunesse
Autour de sa Table, avec Lui,
Qui, là, faisant nargue à l’ennui,
Jouait des dents, certe, à merveille,
Pillant de façon nonpareille,
Afin d’obliger le TRAITEUR,
Lequel leur faisait tant d’honneur.

Enfin, à SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
Sa MAJESTÉ retourna gaye,
Comme l’illustre REINE aussi,
Ayant dîné de même ici,
Mais chez ces chères Favorites,
Les dignes Nonnes Carmélites.
MONSIEUR, dans le Palais Royal,
Ayant aussi son régal,
Vers MADAME retourna vite,
À Saint-Cloud, leur aimable gîte,
Où l’on attend toujours l’Amour
Que doit mettre bientôt au jour
Cette ALTESSE, qui ferait honte
À la Déesse d’Amathonte,
Par un nombre infini d’Appas
Qu’elle a, que l’autre n’avait pas.

Dimanche, notre dit GRAND SIRE,
À qui, certe, l’on voit tout rire
Par un sort des plus accomplis
Que n’eût jamais ROI des LYS,
Alla dans son charmant Versailles,
Où la Cour rit et fit gogailles.

On s’y promena dans le Parc,
Où l’Amour vint jouer de l’Arc
Parmi nos charmantes Chrétiennes,
Avec qui ce Dieu fait des siennes.

On visita la Grotte après,
Dans lequel lieu, si beau, si frais,
On ouit une belle Églogue,
Où des Bergers, par Dialogue,
Mille tendres choses chantaient
Dessus les Flammes qu’ils sentaiet,
Secondés d’une Symphonie
Exempte de cacophonie.

On y trouva force Bonbons
Préparés sur des Guéridons,
Et des Bassins de grand calibre
Où de pêcher on était libre.

Au sortir de ce Lieu charmant,
Qui semble d’une enchantement,
On passa dans l’Orangerie,
Ou la même Galanterie
Avait fait, de Feuillages vers,
Mieux qu’on ne peut le dire en Vers,
Ni par le plus grand préambule,
Théâtre, Salle et Vestibule ;
Où la Comédie et le Bal,
Et même un Cadeau tout royal,
Avec des Concerts magnifiques
Qu’on prit pour Concerts Angéliques,
Extasièrent les cinq Sens
De ces illustres Assistants.
[Ces Décorations et illuminations se firent par les soins des Srs Jeslé et Vigarani.]

Enfin, mille feux d’artifices,
Pour comble de tant de délices,
Aux Fanfares de vingt Clairons,
Éclatèrent aux environs,
Qui, secondés par de grands Thermes,
Pour qui me manquent les beaux termes,
Produisirent, jusques au Ciel,
Un beau jour artificiel
Qui passait celui de Diane.

Or le cher PRINCE DE TOSCANE,
Pour qui se faisait tout cela,
Et lequel, partant, était là,
Fut tout surpris en conscience,
Avouant que le ROI de FRANCE
Pouvait seul régaler ainsi
Et chacun l’avouerait aussi.

-Robinet annonce la représentation d'une pièce de Hauteroche, Le Souper mal apprêté, au vu de ce qui est dit. Ainsi :

En finissant, je vous convie,
Si de rire il vous prend envie,
D’aller en bon nombre, à l’HÔTEL ;
Je ne sais point de secret tel
Pour vous désopiler la Rate,
Et même défunt Hippocrate,
Je pense, aussi n’en aurait pas.
Allez-y donc, tout de ce pas,
Ou, sans tarder, demain, Dimanche,
Sans oublier la Pièce blanche.
HAUTEROCHE y donne un souper
Qui, sans l’estomac occuper,
N’étant fait que pour les Oreilles,
Vous y fera rire à merveilles,
Et vous reviendrez à la fin
Avecque grand joie et grand faim.

Lettre du 17 août 1669, par Mayolas.

-Fête à Versailles :

Il ne suffit pas que la France
Sache votre magnificence
Et remarque de tous côtés
Vos belle somptuosités,
Grand ROI, que tout le monde honore ;
Il faut que l’Étranger encore
Admire de ses propres yeux,
Et soi témoin en divers lieux
De ce que peut et que sait faire
Un Monarque extraordinaire.
Il confesse après ces beaux coups
Qu’il n’a rien vu d’égal à vous,
Durant la route et le voyage,
Près du Rhin, du Tibre et du Tage :
Tout à l’heure dans mes écrits
Je vais prouver ce que je dis.

Approchons un peu des murailles
Du fameux Château de Versailles,
De ce rare et riant palais,
Où l’on prend un air doux et frais,
Où l’aimable et plaisant zéphire,
Est le seul vent que l’on respire
Parmi les suaves odeurs
De bons fruits et de belles fleurs.
Dans ce lieu, le dernier dimanche,
Jour à prendre chemise blanche,
Les Princes, les Ambassadeurs,
Les Dames comme les Seigneurs,
Agréablement se rendirent,
Se parlèrent et s’entrevirent.
Tous étaient vêtus richement,
Tous étaient vêtus galamment,
Et les habits en broderie,
Rehaussés par la pierrerie,
Produisirent un éclat si beau,
Qu’ils formaient un lustre nouveau,
Nous faisant voir, dans la nuit sombre,
Mille petits Soleils à l’ombre,
Quoiqu’en ce Lieu, de tous côtés
On ne manquât pas de clartés.

Dans une Salle préparée
Et de verdure diaprée,
On eut, pour le commencement,
Le joli divertissement
D’une Comédie admirable,
Dont l’ouvrage était remarquable,
Bientôt après, vint le Ballet,
Où l’on joua bien son rôlet.
Chacun y marchant en cadence,
On eut le plaisir de la danse,
Et les superbes vêtements
En augmentaient les agréments.
Les violons, la symphonie,
Les instruments, la mélodie,
Semblaient porter jusques aux Cieux
Ces concerts si délicieux.
Ensuite de tant de merveilles
Qui charmaient les yeux, les oreilles,
À propos on ouvrit le Bal,
Que nous pouvons nommer Royal,
Tant pour les Royales personnes,
Dignes de cinquante Couronnes,
Que pour la grâce et le maintien,
En un mot, il n’y manqua rien,
Car ceux et celles qui dansèrent
Parfaitement s’en acquittèrent.
Ce n’est pas encore là tout,
Et, pour aller jusques au bout,
Moi ROI, qu’aucun Prince n’égale,
Fit un magnifique Régale
Aux principaux de cette Cour,
Qui s’y trouvèrent en ce jour.
Une quantité de viandes,
Plus exquises et plus friandes :
Perdrix, lapereaux et faisans,
Confitures sèches, liquides,
Des meilleures, des plus solides,
Des fruits de toutes les façons,
Même de toutes les saisons,
Et le reste de l’équipage
Y régnait avec avantage.
Tout était si bien ajusté,
Que l’appareil, la propreté
S’accordait avec l’abondance
De cette Royale dépense,
Et cent agréables liqueurs
Égayaient et flattaient les cœurs
A la fin, un feu d’artifice
Fit galamment cet exercice,
Remplissant la plaine des airs
De lumineux et prompts éclairs.
Un nombre infini de fusées,
Avec les poudres infusées,
Semblaient voler subtilement
Vers la voûte du Firmament,
Et, serpentant aux yeux du monde,
D’une vitesse sans seconde,
Publiaient de tous les côtés
Du ROI les libéralités,
En des caractères de flammes,
Qui marquaient dans le fonds de l’âme
Le généreux et beau dessein
De mon triomphant Souverain.
L’Assemblée, auguste et parfaite,
Sortit de là fort satisfaite.
Le Prince de Toscane aussi,
Qui prenait sa part de ceci,
Ravi de la Cour magnifique,
Avoua, d’une voix publique,
Que mon ROI, plein d’attraits divers,
Est le plus grand de l’Univers.

Lettre du 31 août 1669, par Robinet.

-Quinze jours auparavant naissait Anne-Marie d'Orléans, fille de Monsieur et Madame. La glorieuse accouchée est au repos :

MADAME, à présent bien couchée,
Et sans aucun mal accouchée,
Grâce au Ciel, depuis quinze jours,
Dans le plus riant des Séjours,
D’un Ange, de ce sexe aimable
Qui rend l’Amour si redoutable ;
PRINCESSE, ainsi Mère, en ce jour,
Dont est ravi ledit Amour,
De deux Grâces, de deux Mignonnes,
Qui multiplieront ses Couronnes,
Voici pour Vous nouvel Écrit ;
Mais je me sens encor l’esprit
Tout émoussé de ma disgrâce,
Et si, par singulière grâce,
Phœbus ne me prête un secours
Qui ne soit pas de tous les jours,
Je crois, dans ce Préliminaire,
Par Précaution nécessaire,
Devoir, comme dernièrement,
Vous déclarer ingénument
Que je crains fort que cette Épître
Ne soit jusqu’au dernier Chapitre
Sans feu, sans sel, sans nul brillant,
Et sans le moindre trait galant.

Le Dieu des Vers, que je réclame,
M’échauffant de sa noble flamme,
Fasse pourtant obligeamment
Que le cas arrive autrement,
Et que de cette Lettre nôtre
On me die, ainsi que de l’autre,
Que rien n’y sentait la langueur
Que Cloton, pleine de rigueur,
Par son Assaut m’avait laissée.
Mais, Héroïne bien sensée,
Cet Exorde est un peu trop long ;
Çà, vite, nouvellisons donc.

-La Princesse d’Élide est représentée à plusieurs reprises à Saint-Germain :

Notre belle et riante COUR
Des mieux se grandit chaque jour,
Et maintenant elle s’égaie,
AU CHÂTEAU SAINT GERMAIN EN LAYE,
Dans son Spectacle très charmant,
Composé magnifiquement
De ravissantes Mélodies,
De Ballets et de Comédies,
Où la digne TROUPE du ROI
Fait miracle, en très bonne foi,
Jouant la PRINCESSE D’ÉLIDE,
Pièce d’un style fort fluide,
Partie en Prose et l’autre en Vers,
Et pleine d’Ornements divers,
Que, par l’ordre de notre SIRE,
MOLIÈRE a faite, et c’est tout dire.

Lettre du 1er septembre 1669, par Mayolas.

-Après Robinet, c'est au tour de Mayolas de conter la nouvelle de la naissance de la fille de Madame :

Madame, si pleine de charmes,
Ayant senti quelque alarmes
Et quelque agréable tourment,
Accoucha fort heureusement
D’une aimable et belle Princesse,
Qui sème partout l’allégresse.
Le ROI, la REINE, avec la Cour,
A Saint Cloud lui font tour à tour,
Dans son beau Palais de plaisance,
Compliment de conjouissance.

-Un abbé auteur d'une harangue élogieuse destinée au roi s'est vu remercié par celui-ci :

Le Père Julien Goisot,
Qui sait la doctrine d’Escot,
De sa part et du Monastère,
Qui justement le considère,
Complimenta mon Souverain
Dans le Château de Saint Germain,
Le jour de sa fête pompeuse,
Et sa harangue merveilleuse
Pleut d’une agréable façon
À ce grand ROI, leur bon Patron,
De qui la bonté singulière,
Comme LOUIS Treize, son père,
Leur vénérable Fondateur,
Fait voir qu’il est leur Protecteur,
Ainsi que l’on voit sa personne
Héritière de sa Couronne.
Ce Gardien, rempli d’esprit,
Achevant son discours, lui dit
Que surtout, en cette journée,
Des plus célèbres de l’année,
Il prierait pour la santé
Et l’entière prospérité
De ce PRINCE qu’aucun n’égale,
Pour toute la Maison Royale ;
Et le ROI fort civilement
Répondit à son compliment.

-Mayolas confirme, avec beaucoup de retard sur l'épître de Robinet du 22 juin dernier, la venue d'un ambassadeur ottoman :

Monsieur l’Empereur Ottoman,
Le grand Seigneur, le grand Sultan,
Envoie au puissant Roi de France
Un Seigneur de haute importance
Pour traiter ou parler de Paix,
Et pour arrêter les effets
Que produit la guerre authentique
Entre eux, entre la République
Et tout l’État Vénitien,
Qui contre lui se défend bien.
À Toulon il prendra la peine
De reposer quelque semaine ;
Ensuite il viendra jusqu’ici,
Où nous l’attendons sans souci,
Et LOUIS, selon son langage,
Pourra faire ce grand Ouvrage,
Accommodement et traité
Que souhaite la Chrétienté.

Lettre du 7 septembre 1669, par Robinet.

-Les Jacobins ont été honorés par la contribution de Robert Cambert pour une fête au sein de leur confrérie :

J’oubliai, je ne sais comment,
De remarquer dernièrement
Que d’une façon magnifique
Les ENFANTS de Saint DOMINIQUE,
Autrement Jacobins nommés
(J’entends ici les Réformés),
Avaient solennisé leur ROSE,
Dont on dit mainte belle chose
Qu’on n’a dit des autres jamais,
Tant elle les passe en attraits.

L’Église de ces pieux Moines,
À ces Solennités idoines,
Semblait, vrai comme je le dis,
Un raccourci du Paradis,
Par ses riches Tapisseries,
Ses Lustres et ses Pierreries :
Et, ce qui le fit croire mieux,
Est qu’on oyait là, comme aux Cieux,
Et ces Concerts et des Musiques
Tous divins et tout angéliques.

CAMBERT, ce grand Compositeur,
Dont chacun est admirateur,
Battait en ce Lieu la Mesure ;
Ayant donné la Tablature
Et réglant tous les mouvements,
Tant de voix que des Instruments,
Faisait derechef bien connaître
Qu’il pouvait passer pour un Maître.

Lettre du 8 septembre 1669, par Mayolas.

-Mayolas revient sur l'ambassade ottomane dont il a précédemment fait mention :

Votre Nom et votre Puissance
Rendent si fameuse la France,
Que, non seulement les voisins
De nos frontières et confins,
Les Alliés de la Couronne
Et de votre Auguste Personne,
SIRE, vous aiment tendrement
Et vous estiment justement ;
Mais, passant au-delà du More,
Aujourd’hui nous voyons encore
Que le grand Turc même veut bien
Rendre hommage au Roi Très Chrétien,
Qui porte dignement ce Titre,
En vous rendant l’Illustre Arbitre
De ses intérêts différents,
Des plus petits et des plus grands,
Touchant une fâcheuse guerre,
Puisqu’il mande sur votre terre
Un Authentique Député
Pour dire à votre Majesté,
En son Jargon, en son Langage,
Qu’il vous réserve cet Ouvrage.
Aussi vos rares qualités,
Vos douceurs, vos civilités,
Qui triomphent des plus rebelles,
Peuvent toucher des Infidèles
Et, selon nos communs souhaits,
Procurer une heureuse Paix
Par votre crédit et sagesse,
Et par la force ou par l’adresse,
Car j’entends dire tous les jours
Que votre généreux secours
Vient d’arracher à la Turquie
La Capitale de Candie.

-Dévotion de la reine :

La Reine, dont la piété,
L’esprit, la grâce et la beauté
Marquent son âme grande et bonne
Et ne quittent point sa personne,
Fut, suivant son pieux dessein,
À la Paroisse Saint Germain,
Faire sa dévote Prière,
Selon sa coutume ordinaire,
Et, comme elle a le Ciel pour but,
Elle ouït aussi le SALUT,
Pour rendre grâces singulières
De ses faveurs particulières,
Et pour le retour souhaité
De la précieuse santé
Et l’entière convalscence
Du premier et beau Fils de France,
De l’aimable et charmant DAUPHIN,
Que nous voyons gaillard enfin.
Cette Princesse, que l’on aime,
Le jour de Saint Louis, de même,
Était allée en ce saint lieu
Prier et recevoir son Dieu.
Le Curé de cette paroisse, [XXX.]
Un des bons Pasteurs qu’on connaisse,
S’est signalé pendant ce temps,
Faisant des vœux très importants
Pour obtenir de l’Empirée
Une santé si désirée,
Qui fait et produit en ce Jour
Le plaisir de toute la Cour.

-Un savant a soutenu une thèse de théologie qu'il a dédié au Roi :

La Hoguète, illustre et savant,
Soutint, d’un air fort ravissant,
Avec grâce, avec énergie,
Sa Thèse de Théologie, [Une tentative.]
Dédiée à mon Potentat,
Où le Burin plus délicat
A si bien gravé son image
Que l’on admire cet ouvrage.

Première Épître à Monseigneur Talon, 11 septembre 1669.

-Un déplacement du roi pour Chambord évoqué de façon très furtive dans cette épître :

[...] saches encor
Qu’au seize du courant le Roi part pour Chambord.

Lettre du 14 septembre 1669, par Robinet.

-La reine-mère d’Angleterre, Henriette-Marie de France, mère de Madame passe de vie à trépas : des jours sombres de deuil s'annoncent pour le royaume de Louis. Ainsi :

Cette REINE, en Vertus fleurie,
Nommée HENRIETTE-MARIE,
Dernière Fille de HENRI,
Savoir le GRAND et l’aguerri
(Assez ample Éloge pour Elle),
De cette Vie temporelle
Passa dedans l’autre, Mardi,
Huit heures avant le Midi,
Par un Trépas presque insensible,
Sans rien de have et de terrible,
Et que l’on peut dire pareil
Au plus doux et charmant Sommeil,
Avec lequel la Mort du JUSTE,
Par l’Écriture, Oracle auguste
Qui ne dit rien qu’avec raison,
Se voit mise en comparaison.

Aussi, cette PRINCESSE illustre,
Défunte en son douzième lustre,
Avait, par un glorieux Sort,
Mérité cette même Mort,
Ayant essuyé tant d’Orages,
Qui font peur aux plus fort Courages,
Et tant de Persécutions,
Dans les cruelles Factions
Et les Révoltes d’ANGLETERRE,
Dont eût horreur toute la Terre.

Mais dessus tirons le Rideau
Et, sans en faire le Tableau,
Disons que les Grâces Célestes,
Dedans tous ces Revers funestes,
Soutenant cette MAJESTÉ,
En rendirent sa Piété,
Qu’on pouvait dire Militante,
Plus illustre et plus éclatante.

Au reste, toute notre COUR,
Depuis quelques ans son Séjour,
Ainsi que son charmant Azile,
Et même toute cette Ville,
Qui la chérissait tendrement,
La regrette sensiblement,
Et chacun y prend l’Atour sombre,
Envoyant des Soupirs sans nombre
En Tribut à son Monument,
Où, tout à fait pompeusement,
Un de ces soirs on l’a conduite,
Avec une nombreuse Suite,
En l’Église de SAINT DENIS
Où de tant de ROIS réunis
S’ensevelit toute la Gloire,
Hors leur triomphante Mémoire.

Ô quelle Catastrophe, hélas !
Quelle est la Grandeur d’Ici bas,
Cette belle et noble Fumée
Mêmement sitôt consumée !

Je dois dire encore, en un mot,
Que les NONNES de CHALIOT,
Nonnes ayant de grands Mérites,
De la Défunte Favorite,
Ont en partage eu son beau Cœur,
Qu’elles ont placé dans leur Chœur,
Avec beaucoup de révérence,
Pour être, par reconnaissance,
Vertu bien louable, à mon gré,
Sans cesse, d’elles, honoré.

Lettre du 15 septembre 1669, par Mayolas.

-Le voyage du roi à Chambord, évoqué dans l'épître à Monseigneur Talon citée précédemment est confirmé par Mayolas :

Si je pouvais par industrie
Faire porter l’Imprimerie
Sur le croupe de mon cheval,
Pendant ce voyage Royal,
Je la ferais suivre sans doute
Jusqu’à Chambord, dans cette route,
Afin que de ma propre main
Grand ROI, comme dans S. Germain,
Vous eussiez ma Lettre ordinaire,
Imprimée en beau caractère.
Si je n’y vais pas par hasard,
Elle ira chez vous, tôt ou tard,
Pour continuer mon hommage
Et vous dire dans son langage
Que les maux les plus grands de tous,
Sont de se trouver loin de vous,
Quoique sans cesse ma pensée,
De votre absence embarrassée,
Et mon cœur vous suive toujours ;
Et ce prélude et ce discours,
Remplis de respect et de zèle,
Partent d’un sujet très fidèle.

-Mais la triste nouvelle du décès de la reine-mère d'Angleterre vient rompre la présente lettre :

La Reine-Mère des Anglais
Fille d’un grand Roi des Français,
La Reine-Mère d’Angleterre,
Est décédée en notre terre.
A Colombe, Mardi dernier,
Elle abandonna ce quartier.
Cette Princesse magnifique,
Dont la vie était angélique,
Est regrettée en ce moment
Et plainte généralement.
Ses vertus et ses grands mérites,
Qui ne trouvaient point de limites,
Sa constance et asa piété,
Sa douceur et sa fermeté,
Me font dire que cette Reine,
Très digne d’être Souveraine,
Va jouir en quittant ces lieux
D’un Royaume plus précieux.

Monsieur, sachant cette nouvelle,
Sentit une douleur mortelle
Et, quittant d’abord Saint Germain,
De Colombes prit le chemin
Pour mieux témoigner sa tendresse
Envers cette grande Princesse ;
Puis à Saint Cloud il se rendit
Et, de sa propre bouche dit,
Ce triste trépas à Madame,
Qui fit voir soudain que son âme,
Par des pleurs et par des soupirs,
Recevait mille déplaisir
Dans une seule et telle perte
Des plus grandes qu’elle ait soufferte.
Le ROI, plein de civilité,
D’affection et de bonté,
Le même jour, alla lui-même
Assurer son Frère, qu’il aime,
Aussi bien que sa Belle Soeur,
Qu’il prenait part à leur douleur,
Et je pense que je visite
D’un Prince de si grand mérite,
Et son entretien sans égal
Auront bien adouci leur mal.
THÉRÈSE, notre Reine auguste,
Qui ne fait rien qui ne soit juste,
Alla, le même jour les voir,
Pour avec eux se condoloir,
Et sa parole et sa présence
Peuvent donner quelque allégeance,
Car la raison veut jusqu’au bout
Que l’on se console de tout
Lorsque l’ennui qui nous possède
Ne saurait trouver de remède.

La Maréchale du Plessis
Dont les Vertus sont d’un grand Prix,
Avec une suite fort belle,
Accompagna son cœur fidèle
Au Monastère de Chaliot,
Ce qui fait connaître en un mot
Qu’Henriette, des plus pieuses,
Aimait fort ces Religieuses,
Puisque souvent, dans ce Saint Lieu
Elle offrait son cher Cœur à Dieu.

Seconde Épître à Monseigneur Talon, du 20 septembre 1669.

-Il serait faux de croire que le roi est parti seul à Chambord : Molière était aussi de sa suite. Ainsi :

Le Roi partit lundi de la même semaine
Que j’écris la présente, et dans son char emmène
Les plus brillants des Astres de sa cour.
Vingt jours au plus rempliront ce séjour.
On m’a dit que la joie y sera toute entière,
Car on y fait marcher les vingt-quatre et Molière.

-L'Abbé Bossuet a été nommé évêque de Condom :

L’abbé de Bossuet, qui fait dedans la chaise
Plus de bruit que vingt clercs de notre diocèse,
Si l’on en croit tout à fait ce dit-on,
Est fait depuis dix jours Évêque de Condom.

-Ce sera bientôt au tour de Colbert de rejoindre son monarque au séjour de Chambord. Pour le moment, il goûte aux plaisirs de Diane en forêt de Vincennes :

Monsieur Colbert, pour prendre un peu sa bisque,
Est pour deux ou trois jours à Vincennes, ou, sans risque
De s’échauffer aux chasses de Chambord,
Il goût la douceur d’un air plus pur que l’or
Et fait tout préparer pour mettre en évidence
Du grand arc triomphal la postiche semblance.

Lettre du 21 septembre 1669, par Robinet.

-Le roi bientôt rejoint à Chambord par toute sa maisonnée :

Notre admirable et digne SIRE,
Qui sur nous tout Bonheur attire,
La charmante REINE et MONSIEUR,
De si brillant extérieur,
Partirent tous l’Âme très gaie,
Lundi, de Saint GERMAIN EN LAYE,
Pour aller se divertir fort,
Environ un mois, à CHAMBORD,
Du moins, c’est la mienne croyance
Et, si là quelqu’un a moi pense,
J’en apprendrai tout ric à ric
Pour en faire part au Public.

Troisième Épître à Monseigneur Talon, du 25 septembre 1669.

-Du retour de l'inquiétude : le dauphin, que l'on croyait guéri, a fait une rechute. Ainsi :

Monseigneur le Dauphin, qui, comme on sait, essaye,
De reprendre sa force à St Germain en Laye,
Depuis deux ou trois jours s’est un peu trouvé mal.
Dieu sait si Médecins et l’art médicinal
Y feront de leur mieux ! Ce n’est pas que je crois
Que métier soit que tant d’art on emploie ;
Mais quelquefois, par la précaution,
On échappe à plus grand Indisposition.

-La cour se divertit à Chambord :

Quant à Chambord, on y rit, on y chasse,
On y boit, on y mange, et pas un ne s’en lasse.
Les Dames à l’envi, dans un superbe arroi,
Tous les jours, à cheval, accompagnant le Roi,
Je vous laisse à juger si, parmi tant de charmes...
Mais, mon cher Mecenas, mettons fin à nos carmes !

Lettre du 28 septembre 1669, par Robinet.

-Robinet fait écho à l'épître précédente en rapportant les nouvelles des divertissements pris par la cour à Chambord :

La Nôtre, à ce que l’on me mande
Est dans une Liesse grande
Et prend d’importance l’essors
En son beau Désert de CHAMBORD.
Chasse, Jeu, Chère, Mélodie,
Avec enfin la Comédie
Par la propre TROUPE du ROI,
Font là tout son charmant Emploi,
Fors de l’auguste et grand MONARQUE,
Lequel, de sa royale BARQUE,
Quelque part qu’il soit, près ou loin,
Et quoi qu’il fasse, prend le soin.

-Bien que resté à Paris, notre gazetier ne manque pas, lui non plus, de se distraire : le théâtre du Marais propose Le Faux Tibérinus de Quinault. Un Robinet enchanté en produit une relation enthousiaste :

Dimanche, je fus aux Marais,
De Dessein fait, et tout exprès,
Pour voir la Troupe entretenue, [Du Roi.]
Depuis naguère revenue,
Et, certainement, j’eus sujet
D’être pleinement satisfait
D’avoir visité son Théâtre,
Qu’avec raison l’on idolâtre,
Comme on fait pendant les Hivers,
Dans les Enchantements divers
De ses grands et pompeux Spectacles,
Où l’on découvre cent miracles.

J’y vis lors, si bien que rien plus,
Jouer le Faux TIBÉRINUS
De l’Auteur au Style si tendre
(Quoi disant, je fais bien entendre,
Ce me semble, que c’est QUINAULT),
Qu’au Théâtre on porte si haut.

Tous les Acteurs, sur ma parole,
Y jouèrent très bien leur Rôle
Et les Actrices, notamment,
Me charmèrent extrêmement.

Toujours la grave DESURLIE
A ce qui les cœurs si bien lie,
C’est-à-dire de ces Appas
À qui les cœurs n’échappent pas,
Et mérite dessus la Scène
Le rang d’Héroïne et de Reine.

On se sent le Sang tout mêlé,
Voyant la belle CHAMPMESLÉ,
Aimable en toute sa Personne,
Et si bien faite et si pouponne.

Mademoiselle LOISILLON,
Qui, loin d’avoir un seul Sillon,
A le Teint tout comme une Glace,
Ne paraît pas moins qu’une Grâce ;
Et sur sa Gorge et dans ses Yeux
A maints Attraits délicieux.

Enfin la Pucelle MAROTTE
D’un Amant serait la Marotte,
Ce m’est avis, avec bon droit
Et n’a point l’Esprit maladroit
Pour seconder, en ce rencontre,
Les Appas dont elle fait montre.

Au reste, leur digne ORATEUR [Le Sr La Roque.]
Me rendit son Admirateur
Par son Annonce, valant, certes,
Une Harangue bien diserte,
Quoique sans préparation
Ni nulle méditation,
Ayant ce beau Don de Nature,
Don précieux, je vous assure,
De parler juste à tout moment
Sans s’y préparer nullement.

Lettre du 29 septembre 1669, par Mayolas.

-Après Robinet qui déjà l'a évoqué plus haut, c'est au tour de Mayolas d'annoncer la nomination de Bossuet au diocèse de Condom :

Avec plaisir ma Muse met
Que le docte Abbé Bossuet,
Très illustre, savant et sage,
Et sans mentir grand personnage,
Ayant en divers lieux prêché,
De Condom obtient l’Évêché.
Connaissant fort bien sa personne,
Pieuse, généreuse et bonne,
Je puis dire avec vérité
Qu’il l’a hautement mérité,
Et sans doute son Diocèse
Ainsi que moi sera fort aise
De l’avoir enfin pour Pasteur,
Car sa doctrine et sa douceur
Avec éclat, avec justice,
En feront fort bien l’exercice.

-Et la cour est toujours à Chambord :

Notre ROI se mit en chemin
Sur les neuf heures du matin,
Le premier jour de la semaine,
Avec notre charmante REINE,
Et force gens de qualité
Y suivirent sa Majesté.
S’arrêtant devant les murailles
Du fameux Château de Versailles,
Dans son carrosse on lui porta,
Ou pour mieux dire présenta,
Cent sortes de fruits agréables,
Rares, friands, exquis, aimables ;
Et de là, passant plus avant,
Courant vite comme le vent,
Il s’en alla dîner à Bièvre,
Manger perdereaux caille, lièvre,
Et je puis jurer sur ma foi
Qu’on y dîna mieux que chez moi.
Puis, continuant son voyage
Avec un pompeux équipage,
A Chartres on alla souper,
Et je pense sans me tromper
Qu’on y fit aussi bonne chère,
Ce qui leur est fort ordinaire,
Car le saison, par tout quartier,
Fournit quantité de gibier.
Mardi, vers Toury ils allèrent.
Tout aussitôt qu’ils arrivèrent,
Ils reçurent les compliments
De quantité d’illustres gens,
Entre la troue préparée,
Marin de la Chastaignairée,
Qui dans ces leiux est Intendant,
Et pour son Prince fort ardent,
Voulant en donner une marque
Alla saluer mon Monarque,
Qui le reçut d’un air charmant
Et tout à fait civilement.
Mais, pour le suivre file à file,
Passant encore dans la Ville,
Que l’on appelle d’Orléans,
Le Prélat, des plus importants,
Plein de sagesse et de prudence,
De piété d’intelligence,
Petit fils du Fameux Séguier,
De notre France Chancelier,
A toute la Troupe Royale
Devait faire un pompeux régale,
Et, selon qu’on me l’a conté,
S’en doit être bien acquitté.
Et maintenant je puis vous dire
Ou sans hésiter vos écrire
Que, dans Chambord, Sa Majesté
Est très parfaitement santé,
Ainsi qu’à Saint Germain en Laye
Le DAUPHIN est d’une humeur gaie,
Passant le temps avec douceur,
Comme son cher Frère et sa Sœur.

-La Reine-Mère d’Angleterre est mise au tombeau dans un grand vent de solennité :

La Reine Mère d’Angleterre
Fort estimée en cette terre,
Fut portée avec Appareil,
Après le couchant du Soleil,
C’est-à-dire dans la nuit sombre,
Dont les étoiles chassent l’ombre,
Dans l’Église de Saint Denis,
Où son corps en dépôt fut mis.
Quoique la pompe fût funèbre,
Cette marche fut très célèbre
Et digne de sa Majesté,
Ainsi que de la Royauté.
Les Carrosses et l’attelage,
Couverts d’un lugubre Équipage,
Sans parler nous marqueraient le deuil
Qu’on a de la voir au cercueil.
Cent Pages de mon ROI suprême,
Qui porte bien le Diadème,
Tenant un flambeau dans leur main,
Éclairaient partout le chemin,
Et de la défunte les Gardes,
Beaucoup plus tristes que gaillardes,
En ayant aussi, dans ce cas,
Sur leur teint comme dans leur pas,
Marquaient de la douleur et la peine
Qu’on a de la mort d’une Reine
Dont la constance et piété
Ont paru de chaque côté.
Plusieurs de nos grands Princesses
Et de nos fameuses Duchesses
L’accompagnèrent en ce lieu,
Pour lui dire un dernier adieu,
Son grand Aumônier, que j’estime,
Esprit généreux et sublime,
Milord Montaigu, l’y suivit
Et, là, des premiers on le vit.
Les Religieux de l’Église
Ou de cette Abbaye exquise,
Sachant bien faire leur devoir,
L’allèrent d’abord recevoir
Et sans doute jusqu’à la porte,
Comme une Dame de sa sorte,
Le tout étant bien ordonné,
Par l’ordre qu’en avait donné
Le Marquis de Rhodes très sage,
Plein de Prudence et de courage.

Quatrième Épître à Monseigneur Talon, du 30 septembre 1669.

-De Chambord, la cour passera bientôt à Saumur, malgré l'inquiétude pour la santé du dauphin qui, toujours, la taraude :

On dit donc que Chambord se transfère à Saumur
Et que bientôt après le retour est coup sûr,
D’autant que du Dauphin la santé vacillante
Rappelle avec regret cette cour ambulante.
Qui dit que seulement la Dame de Vaujour,
S’éclipsant pour un temps de cette aimable cour
Va porter en ce lieu ses vœux et ses offrandes,
Qui, comme vous jugez, seront belles et grandes,
XX l’heureuse santé de Monsieur le Dauphin,
Qui ne peut manquer d’être après cela bien sain,
Et, de la doit tirer la Duchesse chez elle
Pour attendre le Roi qui, dans parque séquelle,
va visiter ce Duché nouveau-né
Qu’aucun disent pourtant être assez bien tourné.

Lettre du 5 octobre 1669, par Robinet.

-Où il est de nouveau question de l'ambassade ottomane en France :

L’AMBASSADEUR du GRAND SEIGNEUR,
Qui, venant pour nous faire honneur,
Est, ce dit-on, un Turc d’élite
Et pourvu d’un rare mérite,
Ayant, même, un si grand Nom
Qu’il a, du moins, huit pieds de long,
En sorte qu’il faut pour le mettre,
Comme vous allez voir, un MÈTRE
S’appelant et rimant en si : [Mètre c’est un Vers, et ceux-ci sont ses pieds.]
CARASTAPHAMARABASSI ;
Cet Ambassadeur-là, vous dis-je,
Dont, en ces Vers, je vous rédige
Le Panégyrique à peu près,
Sans en faire de plus grand frais,
Naguère est parti de MARSEILLE,
Ayant le Turban sur l’Oreille,
Pour continuer son Chemin,
Avec son grand ou petit Train,
Et venir faire son Entrée,
Qui sera bien considérée,
En la Capitale des Lys,
Que partout on nomme Paris.

Lettre du 12 octobre 1669, par Robinet.

-Robinet donne une relation détaillée des plaisirs pris, à Chambord, par la cour :

Mais parlons un peu de CHAMBORD,
Dont je devais jaser d’abord,
Car, sans doute, de mon Épître,
C’est le grand et royal Chapitre.

Ailleurs, j’ai marqué que le Jeu,
L’Escarpoulette, Queue-Leu-leu,
La Chasse, Chère, et Mélodie,
Et, tous les Soirs, la Comédie,
Sont le Plaisir Quotidien [Par la Troupe du Roi.]
De la COUR, où ne manque rien.

Or, du mois courant le sixième,
Pour empêcher qu’on ne s’y chême,
Elle eut un Régale [sic] nouveau,
Également galant et beau,
Et même aussi fort magnifique,
De Comédie et de Musique,
Avec Entractes de Ballet,
D’un genre gaillard et follet,
Le tout venant, non de Copiste,
Mais, vraiment, du Seigneur BAPTISTE
Et du Sieur MOLIÈRE, Intendants,
Malgré tous autres Prétendants,
Des Spectacles de notre SIRE,
Et, disant cela, c’est tout dire.

Les Actrices et les Acteurs
Ravirent leurs grands Spectateurs,
Et cette merveilleuse Troupe
N’eut jamais tant de Vent en poupe.

On admira les Baladins,
Plus souples que Cerfs ni que Daims ;
On fut charmé des Dialogues,
Où, comme dedans les Églogues,
On s’entendait sur les douceurs
Que produit le beau Dieu des Cœurs :
Concluons que, sans lui, la Vie
N’est pas un Bien digne d’envie.
On fut ravi des belles Voix
Qui chantaient ses divines Loix. [Mlle Hilaire, les Srs Gayes et Langes.]
Force Masques, non pas célestes,
Mais, à ce qu’on écrit, très lestes,
Venant illec montrer leur nez,
Avec plaisir furent lorgnés.

Des Avocats y faisaient rire
Plus cent fois qu’on ne saurait dire,
Citant, de plaisante façon,
Et mêmes dans une Chanson,
Tous leurs Docteurs, vieux et modernes,
En les traitant de Gens à Bernes,
Par exemple, Justinian,
Ulpian et Tribonian,
Fernand, Rebufe, Jean, Imole,
Paul, Castic, Julian, Barthole,
Jason, Alciat et Cujas,
Et d’autres qui font un gros tas.

Enfin, maints autres Personnages
Firent là rire les plus sages,
Tout de même que les plus Fous,
Et leur Sagesse eut du dessous.

Un petit Livre dont je tire
Tout ce qu’ici je viens d’écrire
Se tait des Décorations
Dans ses belles Narrations ;
Mais, aux Fêtes du grand MONARQUE,
Pour l’ordinaire l’on remarque
Que ce sont des Enchantements,
Et non de communs Ornements.
Il passe encore sous silence
Ce qui n’est pas moins de l’essence,
À savoir la Collation ;
Mais, sans faire une Fiction,
Je soutiens qu’elle y fut servie,
Et, quoique je ne sache mie
Le détail de ce beau Festin,
Je ne dirai rien d’incertain
En disant qu’il fut magnifique,
Ou même qu’il fut déifique,
Puisque notre HÉROS complet,
Lorsqu’il se mêle d’un Banquet,
Le fait, c’est une chose claire,
Comme les Dieux le pourraient faire.

Au reste, toutes les Beautés,
Ces Terrestres Divinités,
Qui sont comme l’Âme et le lustre
De notre COUR, la plus illustre
Qui soit sous le Lambris des Cieux,
Parurent là tout de leur mieux,
En Amazones accoutrées,
Mais dix mille fois plus parées,
Environnant leur TALESTRIS,
Qui surpasse en grâce Cypris,
L’auguste THÉRÈSE d’ESPAGNE,
De LOUIS la digne COMPAGNE.

PRINCESSE, qui, depuis trois jours,
Avec les Ris et les Amours
Qui vous accompagnent sans cesse,
Faites revoir Ici votre ROYALE ALTESSE,
Ces Vers, moins gais que sérieux,
S’y présentent à vos beaux yeux.

Lettre du 13 octobre 1669, par Mayolas.

-Le Dauphin semble avoir retrouvé sa bonne santé. Il a visité Madame en son château de Saint-Cloud :

Notre Rare et Charmant DAUPHIN,
Qui se porte fort bien enfin
Et dont on vante le mérite,
Ces jours passés rendit visite,
À Saint Cloud, dans un beau Palais,
À Madame, dont les attraits
Et les vertus incomparables
Ne trouvent guères de semblables.
Elle reçut d’un air joyeux
Son Neveu, beaucoup précieux ;
Puis, ce Prince, d’une humeur gaie,
Revint à Saint Germain en Laye.

Lettre du 19 octobre 1669, par Robinet.

-L’arrivée du Roi Casimir de Pologne à la Cour donne lieu à des festivités et des représentations. Le magnifique château du Grand Condé à Chantilly l'a accueilli comme il se doit :

L’admirable ROI CAZIMIR,
Lequel sut si bien s’affirmer
Dans le mépris du Diadème
Qu’il l’abandonna tout de même
Qu’il aurait fait un vieux Castor,
Loin de VARSOU [sic] prenant l’essor
A tant changé de Domicile,
Faisant chemin de Ville en Ville,
Qu’il arriva Dimanche au soir
A CHANTILLY, pompeux Manoir,
Accompagné de l’Hôte illustre
De cette Maison à Balustre,
A savoir le Grand de CONDÉ,
De Monsieur le DUC secondé,
Qui l’avaient, par un soin bien tendre,
Jusqu’à Meaux, je pense, été prendre.

Il fut reçu dans ce beau Lieu,
J’en puis jurer ma foi de Dieu,
Par trois excellentes ALTESSES
[Madame la Princesse Palatine, Madame la Duchesse et Madame la Princesse Marie.]
Qui valent quasi trois Déesses,
Et le grand Hôte dessus dit
L’a, de bel air, sans contredit,
Traité, couché, cinq jours de suite,
Tout ainsi qu’un Roi le mérite,
Et diverti même, des mieux,
Par des Concerts mélodieux,
Par des Concerts mélodieux,
Par les Chasses, les Promenades,
Dans les Parcs et les Esplanades,
Et par la Comédie enfin,
Savoir celle où l’on rit à plein,
La Comédie Ausonienne,
Ce qui veut dire Italienne,
Où les Acteurs facétieux
Et de même les Sérieux
Font également des merveilles
Qu’on peut appeler nonpareilles.

Ainsi, ce Roi fut si content
Que jamais on le fut tant.

-Seconde étape dans le voyage de ce roi avant Versailles : Evreux.

Jeudi, quittant cette Demeure
Qui semble enchantée, ou je meure,
Et faisant de doux Compliments
En forme de Remerciements
À ses Hôtes et ses Hôtesses
Qui sont grands Princes et Princesses,
Des bon Traitements, reçus d’Eux,
Il prit le droit chemin d’Évreux,
Où notre ROI le gratifie
D’une assez charmante Abbaye, [De Saint Thomas.]
En laquelle, avecque sa Cour,
Il fera, dit-on, son Séjour.

-Mais Casimir viendra-t-il à Paris ? Cela réjouirait grandement notre gazetier :

Je crois que, dans quelque Semaine,
Ce POTENTAT prendre la peine
De venir voir aussi PARIS,
Cité de si vaste pourpris,
Qui, ce me semble, assez mérite
L’honneur d’une sienne Visite,
Et que même, au ppermier jour,
Il verra notre belle COUR,
Qui dans toutes les COURS du Monde
Ne saurait trouver de seconde.

-La cour, précisément, a quitté Chambord pour Versailles. Ce n'est qu'une étape : tout bientôt, Saint-Germain lui servira de séjour. Ainsi :

Ayant comme il faut pris l’essor
Dans le gai Désert de Chambord,
Et fait là tout ce qu’on peut faire
Pour pleinement se satisfaire,
Elle en partit, diton, Jeudi,
Avant, ou bien après midi,
Et, ce soir, au charmant VERSAILLES,
Où l’on ne voit point de Broussailles,
Elle arrive, non pas sans bruit,
Afin d’y faire la Minuit,
Avecque la chère angélique
Dont d’ordinaire elle se pique,
Et puis reprendre, dès demain,
La route aussi de SAINT-GERMAIN,
Où d’autres non moins douces Fêtes
Pour la bien divertir sont prêtes.

Que telle Vie aurait d’appas,
Si la Mort n’intervenait pas !

MONSIEUR, le charmant FRÈRE unique,
Qui fait à tous Cadets la nique,
Dans son royal et noble Sort,
partit des Premiers de Chambord,
Pressé par une illustre Flamme
De venir rejoindre MADAME,
Et, comme il arriva Lundi,
Ils furent ensemble, Jeudi,
Ayant ainsi l’Âme bien gaie,
Au susit Saint Germain en Laye,
Voir et leur NIÈCE et leur NEVEUX,
Vrais charmes des Cœurs et des Yeux.

Leurs merveilleuse GOUVERNANTE,
Si bien disante et bienfaisante,
Les reçut et les régala,
Et, m’étendant dessus cela,
J’en pourrais faire un beau Chapitre ;
Mais plus que pleine est mon Épître.

Lettre du 20 octobre 1669, par Mayolas.

-Les même étapes des mêmes pérégrinations du même roi de Pologne sont narrées, mais plus succinctement, par Mayolas :

Casimir Roi des Polonais,
Dont les vertus sont de grand poids,
Et de qui l’âme, grande et bonne,
Quitte hardiment la Couronne,
Dimanche arriva sur le soir
Dans un superbe et beau manoir,
Dans une Maison remarquable,
Dans un Palais considérable,
Vaste, pompeux, riant, poli,
Puisque c’était à Chantilly ;
Là ce Potentat héroïque
Fut traité d’un air magnifique.
Le vaillant Prince de Condé,
De son digne fils secondé,
Fit un accueil incomparable,
Comme une chère inexplicable
A la susdite Majesté,
Qui les vit avec gaieté ;
Et la Palatine Princesse,
Pleine d’esprit et de sagesse,
Avec deux Princesses encor
Qui valent bien leur pesant d’or,
Savoir Madame la Duchesse
Et sa sœur, très parfaite Altesses,
S’y rendirent diligemment,
Pour lui faire leur compliment.
Elles reçurent mainte marque,
De ce sage et puissant Monarque,
Et d’estime et d’affection,
Selon leur inclination,
Des personnes de haut mérite
Lui rendirent aussi visite ;
L’Illustre Évêque de Béziers
S’y rendit encor des premiers,
Et dans ce beau lieu de plaisance
On reçu bien son Excellence.
Mercredi, ce ROI Généreux
Partit pour aller, vers Évreux,
Dans une maison très jolie
Qui dépend de son Abbaye,
Où sans doute on l’accueillera
Et de même on le traitera
Comme on a fait, dans son voyage,
Dans tous les lieux de son passage.
Vantelet, de la part du ROI,
S’est acquitté de son emploi,
D’une commission si belle,
Avec adresse, grâce et zèle,
MONSIEUR, Frère unique du ROI,
Qui reçoit ce qui vient de moi
Par une bonté non petite,
Plus grande que je ne mérite,
Lundi vint au Palais Royal,
Et MADAME, objet sans égal,
D’esprit et de beauté pourvue,
Audit Palais s’était rendue.
Tous deux furent Mardi matin
Visiter notre beau DAUPHIN.

Lettre du 26 octobre 1669, par Robinet.

-La cour est enfin de retour à Saint-Germain :

À présent notre belle COUR
Est dans son Poste de retour,
ID EST à Saint Germain en Laye,
Où plus que jamais elle est gaie,
Y continuant des Ébats
Qui, sur mon âme, ont plus d’appas
Que toutes les charmantes choses
Dont parlent les Métamorphoses
Concernant les Plaisirs des Dieux,
Qui furent si délicieux.

Lettre du 27 octobre 1669, par Mayolas.

-A la suite du décès d'Henriette d'Angleterre, la cour est, comme on disait alors, "tendue de deuil" :

Adieu tous les bouquets de plumes,
Soient en petits ou grands volumes ;
Adieu les plus vives couleurs,
Adieu le beau Brocard à fleurs,
Adieu les jupes guipurées,
Adieu les robes bigarrées,
Velours, Satin et Taffetas ;
A présent on ne s'en sert pas ;
Adieu passements et dentelles,
Des plus fines et des plus belles :
Votre usage est un peu banni,
Car on porte du linge uni.
Et on coup, on rogne et l'on taille
Tant de crêpe et de crepaudaille,
Et tant de noir et de beau drap,
Qu'on en est plein de pied en cap.
On renonce même à la moire,
Soit grise, verte, blanche ou noire ;
On ne vous voit plus d'un bon oeil,
Car toute la Cour est en deuil,
Et moi, qui suis aussi la mode,
A l'habit noir je m'accommode.

-Ce deuil est tellement prégnant qu'il déborde, dans le récit du gazetier, sur l'un des fameux dialogues épistolaires entre Cliante et Célidie dont Mayolas enrichie systématiquement la fin de ses lettres :

LETTRE XLI.

De Cliante à Célidie

Sur le deuil.
On vient de me donner la plus fâcheuse alarme du monde, puisqu'on vient de me dire, qu'on vous a vue en grand deuil et tous vos gens aussi ; comme j'en ignore la cause, et qu'elle peut être funeste ou favorable, je ne sais si je dois m'en affliger ou m'en réjouir ; mon esprit est entre la crainte et l'espérance ; car d'abord j'ai appréhendé que vous eussiez fait une perte considérable de quelqu'un de vos plus chers parents, et un moment après je me suis imaginé que vous pouviez avoir reçu quelque grand héritage qui pouvait vous avoir obligée à vous mettre en ce triste appareil : ma créance penche fort de ce côté, n'étant pas d'humeur à me chagriner, et j'aime mieux croire pour votre avantage et pour ma satisfaction le dernier que le premier. Vous m'ôterez de ce doute quand il vous plaira, et votre bonté l'éclaircira de mon erreur aussitôt que vous le jugerez à propos. Cependant permettez-moi de vous dire, quoi qu'il en puisse arriver, que cette pompe funèbre servira du moins à vous rendre encore plus belle, s'il est vrai que la parure puisse donner de nouveaux agréments à votre beauté. Comme les feux brillent beaucoup plus durant la nuit, et que les choses éclatent plus vivement par l'opposition de leurs contraires, je ne doute pas que la blancheur de votre teint et sa vivacité, de même que les rayons de vos yeux ne paraissent avec plus d'éclat à l'ombre de votre habit. Quand vous en deviendrez cent fois plus aimable et plus charmante, je ne saurais vous aimer plus que je vous aime, ni vous faire un nouveau sacrifice, puisque je vous ai déjà tout donné.

EL LUTO LA HERMOSA.

Le deuil ne servira qu'à la rendre plus belle.

REPONSE

De Célidie à Cliante.

Votre sentiment a été assez bon de ne pas vous désespérer aux premières nouvelles que vous avez eues du changement de mes livrées. Quoiqu'elles soient changées en noir depuis peu, elles ne me causent qu'une douleur générale, qui néanmoins peut être assez grande pour me causer de l'ennui. La mode a beaucoup contribué à cela, et, tout le monde étant vêtu de cette manière, j'ai cru que je le devais imiter. Je pense que votre surprise est à présent passée, et que vous êtes vous-même dans cet équipage funèbre, où je vois tous les autres. Ne croyez pas que j'aie assez de simplicité pour m'imaginer que vous m'ayez écrit tout de bon, et que vous ignorassiez une chose qui est publique ; mais vous avez voulu tourner votre pensée d'une manière plus galante et plus enjouée, afin de ne pas renouveler ma peine, ou de m'en divertir par vos flatteries. Vous me consolez d'une façon assez extraordinaire, et, commençant le premier de ne vous pas étonner d'une infortune apparente, vous avez voulu par là m'obliger à prendre ce parti. Je ne suis pas assez malheureuse pour avoir rien perdu, ni rien gagné, quoique j'aie prie le deuil. Ne croyez pas que je sois intéressée pour vous persuader qu'une succession fût capable de diminuer mes regrets, ni je ne crois pas que vous soyez si peu éclairé que vous puissiez vous figurer que cette sorte de vêtements soit capable de donner des charmes à celles qui n'en ont pas, puisqu'une personne serait bien à plaindre si elle devait emprunter sa beauté des agréments d'un habits ; et les grâces étrangères ne sont pas assez solides pour fonder là-dessus une ferme amitié.

NO BUSCO GRACIAS AGENAS.

Je ne fais point état des grâces étrangères.

Lettre du 2 novembre 1669, par Robinet.

-Robinet avance une description physique et morale du fameux ambassadeur ottoman envoyé par le sultan. La curiosité semble de mise face à cet étrange étranger que l'on s'apprête à accueillir et qui est signalé tout proche de Paris :

L’AMBASSADEUR de Sa HAUTESSE,
Qu’on tient pourvu d’esprit, d’adresse
Et d’autres assez beaux Talents,
Tant politiques que galants,
Comme aussi d’une noble barbe,
Plus large que n’en a nul Barbe,
Au reste ayant peu de souci,
Est arrivé proche d’Ici,
Et nous pourrons bientôt en somme
Lorgner comme il faut ce rare Homme ;
Mais, en Historien adroit,
Finissons par le bel endroit.

-A peine arrivée, la cour quitte Saint-Germain pour Versailles. S'adonnera-t-on à la chasse ? Cela, pour Robinet, ne fait aucun doute :

Leurs MAJESTÉS, MONSIEUR, MADAME,
Tous quatre, d’assez haute gamme,
Partirent hier de SAINT-GERMAIN,
Après les Vêpres, tout soudain,
Pour aller au riant VERSAILLES,
Où n’entre point la Truandaille,
Passer la Fête Saint Hubert.

Le Cerf y sera pris sans vert
Par quelque clabaudante Meute,
Parmi le vacarme et l’émeute,
Pour les beaux Yeux de maints Objets
Qui de sa mort seront tous gais,
L’étant bien alors qu’au pauvre Homme,
Qui dans leur amour se consomme,
Expire enfin à leurs genoux ;
Mais il est peu de pareils fous.

Lettre du 2 novembre 1669, par Mayolas.

-Mayolas annonce la parution de l'ouvrage de Nicolas de Hauteville intitulé L'Origine de la très ancienne et illustre Maison de S. François de Sales :

Le nom de Saint François de Sales
Et ses vertus Episcopales,
Ses actions et ses écrits,
Font partout éclater son prix,
Et mon grand ROI, par sa puissance
Montrant sa pieuse clémence,
Agit avec affection
Pour sa Canonisation.
C'est avec un dessein bien juste
Qu'à ce Monarque très Auguste ;
C'est avec beaucoup de raison
Que l'histoire de sa maison
Est entièrement consacrée
Et de son nom Royal parée,
Par les voeux d'un docte écrivain,
Par les soins d'une docte main,
Et par un homme fort habille
Que l'on nomme la Hauteville,
De qui les ouvrages divers
Sont connus partout l'univers.
Cette histoire est si bien dépeinte
Qu'on y voit aucune contrainte.
Il l'a faite fidèlement
Et fort ingénieusement ;
De sorte que ceux qui l'ont vue,
Qui l'ont ou lue ou parcourue,
Lui donnent l'applaudissement
Que j'y donne présentement.
Les curieux ayant envie
De voir sa naissance et sa vie,
Pour l'admirer, tout de ce pas,
Iront chez Josse et chez Debats [rue S. Jacques.]

-Bossuet, dont Mayolas rappelle la récente nomination au diocèse de Condom en qualité d'évêque, a fait un beau sermon pour la Toussaint :

J’ai su que l’Abbé Bossuet,
Éloquent, Savant et discret,
Et qui mérite à juste titre
De Condom la brillante Mitre,
Étant du ROI bien estimé,
Audit Évêché fut nommé,
Fit un Sermon, sans nulle peine,
Devant le ROI, devant la REINE,
Le jour de la Fête des Saints,
Qui font valoir nos bons desseins ;
Son discours emporta la gloire
De ravir tout son Auditoire ;
Et pour ma part j’ouis enfin
A Saint Paul l’Abbé Gobelin,
De qui la Science et la flamme
Ne songe qu’à toucher un âme.

-Après Condom, retour à Paris, où l'on annonce l'arrivée du Turc effective :

Le Ministre du grand Seigneur,
Soit Envoyé, Ambassadeur,
De sa Hautesse très civile,
Est venu près de cette ville,
Attendant cet heureux moment
De faire au ROI son compliment ;
L’illustre de Lagiberdie,
De qui l’esprit ne s’étudie,
Qu’à plaire à notre Potentat,
L’ayant conduit avec éclat
Depuis le Toulonnais rivage,
L’a défrayé en son voyage,
Et partout il l’a bien traité
De la part de sa Majesté.

Lettre du 10 novembre 1669, par Mayolas.

-A la Toussaint aux sermons transportés, succède la Saint-Hubert à la chasse féconde :

Comme vos fidèles sujets
Ne font des vœux ni des projets
Que dans le dessein de vous plaire,
D’obéir et de satisfaire
À vos justes commandements,
À vos louables sentiments,
Et qu’ils se règlent avec zèle
Sur un si ravissant modèle,
Grand LOUIS, votre Majesté
Travaille aussi de son côté,
Par un excès de sa clémence,
Ou plutôt de sa complaisance,
A leur donner obligeamment
Un rare divertissement,
Témoin cette dernière chasses,
Où votre adresse et votre grâce
Firent paraître en bel arroi
Que partout vous être le ROI
Et qu’en tout aucun ne seconde
Le plus grand Monarque du monde.

À la fête de Saint Hubert,
Le chemin de la chasse ouvert,
Les Seigneur à cheval montrèrent
les balle Dames se parent,
Les Amazones et les Mars,
Qui ne craignent point les hasards,
Prirent la route de Versailles,
Non pas pour y chasser aux Cailles,
Mais aux animaux les plus fiers
Qu’ils trouvèrent en ces quartiers.
Le ROI de qui l’air et la mine
Témoignent bien son origine,
Et qui, dans son maintien Royal,
Est parfaitement à cheval,
Suivi d’une nombreuse suite,
Fut des premiers à la poursuite
Du Cerf plus vite et vigoureux
Qui se rencontra dans ces lieux.
Après une petite course,
Qui de ses plaisirs est la source,
Après qu’une troupe de chiens,
Où n’étaient nullement les miens,
Eurent tous fait leur chien d’office
Et donné bien de l’exercice
À ce dangereux animal,
Qui certes ne courait pas mal,
Il fut pris aux yeux d’un Monarque
Que par dessus tous on remarque,
Et trois autres pareillement
Furent pris fort gaillardement.
Après cette bonne conquête
Le ROI, paraissant à la tête
Avec ses traits resplendissant,
S’en alla chasser aux Faisans,
Et, leur tirant à la volée,
Soit à part ou dans la mêlée,
Plusieurs furent pour le certain
Tués par son adroite main,
Et je trouve leur mort heureuse,
Tout à fait douce et glorieuse,
De pouvoir mourir sous la loi
Et sous le bon plaisir du ROI.
Je crois que cette compagnie,
Dont la tristesse était bannie,
Après la chasse, après son soin,
A souper goûta de sa prise
Assez friande, assez exquise,
Ou le lendemain à dîner,
Si ce ne fut à déjeuner ;
Car le ROI vint d’une humeur gaie
Souper à Saint Germain en Laye ;
Mais par le chemin qu’on chassait
Et plusieurs Lièvres on prenant.
Ainsi cette belle partie
Fut agréablement suivie.
Pour moi, qui n’ai qu’un petit chien
Qui me flatte et que j’aime bien,
Qui n’ai ni Maisons de campagne,
Ni de grands Châteaux en Espagne,
Qui n’ai des forêts ni des bois,
Je vous écris en bon Français
Qu’à la vallée ici je chasse
Et prends Levreaux, perdrix, bécasse
Alors que j’ai quelque téton
Qui me pèse dans mon bourson.

Lettre du 16 novembre 1669, par Robinet.

-Décidément, notre Turc installé au sud-est de la capitale suscite bien de la curiosité :

J’appris hier, sous une porte,
Que le MINISTRE de la Porte
Séjourne toujours près d’Ici
Dans le beau Village d’Issy,
Où l’on le traite, on le régale
Et lui fait la Chère Royale,
En attendant que l’on ait su
Comment il doit être reçu
Sur le pied de son Caractère,
Dont il fait un obscur Mystère.

Cependant, les GENS de la COUR
Vont là le lorgner tour à tour,
Et de ceux des premiers Rangs mêmes,
Mais qui sont pour lui des Emblèmes,
Des Énigmes à débrouiller,
Que l’on lui laisse démêler,
Par l’INCOGNITO dont se couvre
Tout ce brillant Monde du Louvre.

Au reste, il a, parmi ses Gens,
Qui la plupart ont des Turbans,
Un jeune Turc fort agréable
Et qui plus est fort sociable,
Lequel, s’érigeant en Galant,
Comme il en a quelque talent,
Conte en sa Langue des Fleurettes
Et spirituelles Sornettes
À nos plus aimables Beautés,
À qui, dans ces naïvetés,
Parfois mêmes il s’émancipe
D’appliquer sa Turquesque Lippe,
En baisant de bon cœur leurs bras,
Et leur témoignant l’embarras
Et les langueurs et les alarmes
Où l’ont réduit leurs puissants Charmes.

Ses Compagnons, en général,
Se lamentent aussi du mal
Que leur font ces belles Chrétiennes,
Qu’ils ne trouvent nullement Chiennes,
Et souhaiteraient franchement
Que quelques-unes bonnement,
Des plus gentes et mieux frisées,
Voulussent être turquisées.

-Activités dévotes de la Reine et des siens :

Le susdit jour de SAINT MARTIN,
La REINE Ici vint le matin,
Au Saint Couvent des CARMÉLITES,
Qui sont toujours ses Favorites,
Et cette aimable MAJESTÉ,
Où l’on voit sagesse et beauté,
Leur fit redoubler la Pitance
En les festinant d’importance.

MONSIEUR et MADAME, sans pair,
Couple à notre Muse si cher,
Et qu’elle caresse sans cesse,
Vinrent avec cette PRINCESSE
Et dînèrent tous en ce lieu,
Tout à fait béni du bon DIEU,
Où la jeune MADEMOISELLE,
Si fine et si spirituelle,
Et si charmante outre cela,
Avecque sa Minerve alla,
[Madame la Marquise de S. Chamont, sa Gouvernante.]
Et fut, de Tante et Père et Mère,
Bien reçue, et la chose est claire.

Lettre du 17 novembre 1669, par Mayolas.

-Suleyman Aga est traité en véritable roi par ses hôtes qui ne cessent de le venir voir en son antre :

Le Ministre de sa Hautesse,
Qu’on traite avec grande largesse,
Le Ministre du grand Seigneur,
Que je tiens pour homme d’honneur,
Et que tous les jours on régale
Par une Ordonnance Royale,
Se plaît passablement ici.
Faisant bonne chère à Issy,
Il s’accoutume, il s’accommode
Petit à petit à la mode.
En mangeant sur un beau tapis,
Sur ses genoux il est assis.
Des Seigneurs les plus remarquables,
Des Dames les plus agréables,
De la Cour ou de la Cité,
Il est quelquefois visité,
Dont son Âme étant fort ravie,
Il confesse que la Turquie,
Jointe avec plusieurs autres Rois,
N’a rien de pareil aux Français.

Lettre du 23 novembre 1669, par Robinet.

-Selon Robinet, la nouvelle de la chute de Candie, tombée aux mains des Turcs quelques semaines auparavant, aurait tant frappé le Pape qu'il s'en serait trouvé atteint d'un mal extrême :

Mais foin mille fois de sa Prise,
Qui fait qu’à la PORTE on le prise !
Las ! notre Saint Père CLÉMENT,
Qui, par un Soin si véhément,
Essayait de sauver CANDIE,
Ayant su ce qui s’en publie,
Fut d’une Apoplexie atteint,
Dont il pensa presque être éteint.

Tout ROME en fut alarmée ;
Mais on sait de la Renommée
Qu’elle en fut quitte pour la peur,
Qui dura moins qu’une Vapeur,
Sa SAINTETÉ, bien secourue,
Étant à l’instant revenue,
Si qu’elle est hors de tout péril,
À ce qu’on mande, Ainsi doit-il !
Car on ne saurait voir dans Rome
Encor, je pense, un tel SAINT HOMME.

-Une cérémonie religieuse a été donnée en l'honneur de La Reine-Mère d’Angleterre dans une congrégation de soeurs parisiennes. Parmi d'autres "Grands", Bossuet était présent qui prononça l'éloge funèbre :

Je dois annoncer, en tous Lieux
Où je suis lu des Curieux,
Que, pour la REINE d’ANGLETERRE,
Qui fut si grande sur la Terre
Et qui ne l’est pas moins là-haut,
Dans l’EMPIRÉE, où rien ne faut,
Samedi, l’on fit un service,
Où s’offrit le SAINT SACRIFICE,
Chez les NONNES de CHALIOT,
Un Monastère très Dévot
Et d’un indélébile lustre,
À qui cette Défunte illustre
A fait un Legs de son grand Cœur,
Qui pour lors était dans le Chœur
Exposé, dessus une Estrade,
En sombre et brillante parade.

MILORD Abbé de MONTAIGU,
Qui n’a pas l’Esprit mal aigu,
Célébra hautement la Messe,
Avec zèle, avecque tendresse ;
Les Sieurs REVEREND et TÊTU,
[Aumônier ordinaires de Monsieur et de Madame.]
Autres Abbés pleins de Vertu,Lui servant là, l’un de Diacre,
Et l’autre aussi de Sous-diacre.

Le futur Prélat de Condom,
BOSSUET, lequel a le Don
D’étaler dessus la Tribune
Une éloquence non commune
Et d’attirer le grand Concours
Par ses beaux et tendres Discours,
Prononça l’Éloge Funèbre
ans un Auditoire célèbre,
Et tel fut le succès qu’il eut,
Qu’à toute l’Assemblée il plut
Et, par de pathétiques Charmes,
De tous les Yeux tira des larmes.

-La dépouille d'Henriette de France est portée dans le "sépulcre" des rois de France : la Basilique Saint-Denis. Ainsi :

Mercredi, dedans SAINT-DENIS,
Où tous les POTENTATS des LYS,
Ont leur rendez-vous à la tombe,
Où le plus grand des Mortels tombe
Sans qu’il en reste qu’un CI-GIT,
Pour la même Défunte on fit
D’autres Obsèques magnifiques,
Et dans les formes authentiques,
Par l’Ordre de notre grand ROI,
Qui voulut même, en bonne foi,
Que cette Pompe Funéraire
Égalent celle qu’il fit faire,
Avec tant de Solennité,
Pour cette auguste MAJESTÉ,
La REINE-MÈRE incomparable
Qui nous paraissait adorable.

Là, le COADJUTEUR de REIMS,
Que DIEU garde de maux de reins
Et de tout autre Maléfice,
Fit très augustement l’Office,
Assisté de quatre Prélats,
Vêtus comme il faut en tels cas,
[De Xainte, de Cahors, de Castre et de Chartre.]
Et tous Évêque du haut style,
Nommés ici par Apostille.

Le PASTEUR du Troupeau d’Amiens,
Avecque les beaux Talents siens,
Et qu’on sait qu’il a pour la Chaire,
Destiné, comme on voit, pour faire
L’Éloge des principautés
En pareilles Solennités,
Fit une Oraison fort fluide.
N’étant pas Orateur aride,
Et, bine loin d’y demeurer court,
J’ai su de plusieurs Gens de Cour
Qu’il fut l’heure et demie entière
Pour mieux remplir cette Carrière.

-Mais du divertissement, l'on en saurait se détourner : Monsieur de Pourceaugnac est joué plusieurs fois. Ainsi :

Enfin j’ai vu, SEMEL et BIS,
La Perle et la Fleur des Marquis, [Le Marquis de Pourceaugnac.]
De la Façon du Sieur MOLIÈRE,
Si plaisante et si singulière.

Tout est, dans ce Sujet follet
De Comédie et de Ballet,
Digne de son rare Génie,
Qu’il tourne, certe [sic], et qu’il manie
Comme il lui plaît incessamment,
Avec un nouvel agrément.

Comme il tourne aussi sa Personne,
Ce qui pas moins ne nous étonne,
Selon ses Sujets, comme il veut,
Il joue, autant bien qu’il se peut,
Ce Marquis de nouvelle fonte,
Dont, par hasard, à ce qu’on conte,
L’Original est à Paris,
En colère autant que surpris
De s’y voir dépeint de la sorte.
Il jure, tempête et s’emporte,
Et veut faire ajourner l’Auteur
En réparation d’Honneur,
Tant pour lui que pour sa Famille,
Laquelle en POURCEAU-GNACS fourmille.

Quoi qu’il en soit, voyez la Pièce,
Vous tous Citoyens de Lutèce ;
Vous avouerez de bonne foi,
Que c’est un vrai Plaisir de Roi.

Lettre du 25 novembre 1669, par Mayolas.

-La Reine-Mère portée à Saint-Denis, narrée par Mayolas :

La Reine Mère d’Angleterre,
Qui décéda sur notre Terre
Et fut portée à saint Denis,
Où ses grands Ancêtres sont mis,
Le tiers jour de l’autre semaine,
Avec l’appareil d’une Reine
Et tout à fait pompeusement,
Fut mis dans le monument,
Fait de la façon la plus rare,
Qu’à des Princesses on prépare.
Le grand Coadjuteur de Reims,
[Assisté de quatre Prélats.]
Animé de pieux desseins,
Pour rendre fameux ce Service,
Y fit très dignement l’Office,
Et le docte Évêque d’Amiens,
Dont je chéris les entretiens,
Prononça l’Oraison funèbre
Devant l’auditoire célèbre,
Dont il remporta justement
Un parfait applaudissement.
Les Officiers de la Justice,
Qui font fort bien leur exercice,
J’entends notre grand Parlement,
Les autres Cours pareillement,
Dans cette Église se trouvèrent ;
Les Ambassadeurs s’y placèrent.
MONSIEUR et MADAME surtout
Tenaient en ce lieu le haut-bout,
Et l’illustre Marquis de Rhodes,
Qui sait parfaitement les modes,
Ordonna tout fort prudemment
Et fit son emploi dignement,
Au gré de cette compagnie.
Cette belle cérémonie.
Obligeant les plus curieux
De se transporter en ces lieux,
Casimir, que beaucoup j’honore,
Y voulut bien aller encore,
Et cet Auguste Potentat
Sans doute en admira l’éclat.

-La princesse Palatine en cure thermale :

J’ai su d’une illustre Héroïne
Que la Princesse Palatine,
De qui la générosité,
Les vertus, comme la bonté,
Rendent la gloire très fertile,
Est revenue en cette ville,
Des Salubres eaux de Bourbon,
Avec un visage fort bon,
Avec une santé parfaite,
Que fort longtemps je lui souhaite.
Le Roi Casimir, qui sait bien
Combien vaut son doux entretien
Et combien est grand son mérite,
Lui rend assez souvent visite.

-Suleyman Aga se déplace à Suresne où il doit s'entretenir avec le Secrétaire d'Etat De Lyonne :

L’envoyé, ou l’Ambassadeur,
Ou Ministre du grand Seigneur
Avec plaisir a pris la peine
De se transporter à Suresnes,
Qui n’est pas loin de la cité,
Pour de nouveau être écouté
De l’habile et prudent Lyonne,
Qui bien écrit et bien raisonne,
Digne Secrétaire d’État
De notre puissant Potentat.
D’Ervieux, dont l’âme est plus discrète,
Était un fidèle interprète
Des discours dudit OTTOMAN,
Qui s’en retourna fort content
De l’Audience belle et bonne
Qu’il eut dudit Sieur de Lyonne.

Lettre du 30 novembre 1669, par Robinet.

-La mésaventure d'un faux médecin :

Un Suppôt du sieur Hippocrate,
Lequel s’éparpillait la rate
A fourrager, en franc Gaillard,
Les Femmes du Tiers et du Quart,
Voulait ajouter sur la Liste
L’Épouse aussi d’un Étuviste,
À ce que l’on dit, son Voisin
Et mêmes un peu son Cousin.

L’Étuviste, instruit de sa flamme
Pour sa propre et fidèle Femme,
Pour s’en venger, médite un tour
Qu’il met incontinent au jour.

Sur une feinte maladie,
À l’aller voir il le convie,
Et lui, donnant et bien et beau
Aveuglement dans le panneau,
Ravi d’une occasion telle
De rendre visite à la Belle,
Il y va, lui tâte le poux,
Qu’il avait ému de courroux,
Et, sans connaissance de cause
(Ô combien, AB HOC et AB HAC,
Et la Saignée et le Micmac,
Nommé vulgairement Clystère,
Qui, suivant l’usage ordinaire
De la savante Faculté,
Est le grand Remède usité,
Comme on sait, en toute occurrence.

Après cette docte Ordonnance,
Le Baigneur prend aussi la main
À son habile Médecin,
Et lui tâtant le poux de même :
« Dieu ! quelle émotion extrême !
» Que votre poux est élevé !
» Voilà ce que j’avais rêvé, »
Lui dit-il, « que certaine fièvre
» Dans votre sang faisait la mièvre.
» Monsieur, vous êtes, bonne foi,
» Un peu plus malade que moi,
» Et je crois mêmes mieux connaître
» (Quoiqu’en science un moins grand maître)
» Votre grief, que vous le mien.
» La cause, si j’en juge bien,
» Procède d’amoureuse flamme
» Dont vous brûlez pour une Dame,
» Qui, vieillissant dans votre cœur,
» Or, touché de votre Aventure,
» De votre mal je fais la cure
» Avant que vous sortiez d’ici. »

Le MEDICUS, de peur transi,
Prévoyant ce que voulait dire
Par tel discours le jaloux Sire,
Ne sachant que lui répartir,
Essaya, plein de repentir,
De gagner promptement la porte ;
Mais, comme la chose on rapporte,
Des Rustres qu’on tenait là prêts,
Avecque des Houssoirs tous frais,
Pensant se sauver, l’arrêtèrent
Et de tous leurs bras l’étrillèrent,
Avec un tel heureux Succès,
Que de son amoureux Accès
Il fut guéri, comme on peut croire.
Mais voici le bon de l’Histoire :
Il fait assigner le Baigneur
En Réparation d’Honneur,
Soutient que le Cas est inique
Et fait contre la Foi publique,
Et veut qu’en la Cause, dit-on,
Il se fasse Intervention
De toute la fameuse École, [L’École des Médecins.]
Ce qui, certe, fournit un Rôle
Assez plaisant et jovial
Pour la Cause du Carnaval.

Mais après cette Historiette,
Parlons d’autres choses Musettes.

-Le Roi Casimir est régalé de plusieurs divertissements :

Le merveilleux JEAN CASIMIR,
Lequel sait si bien s’affermir
Dans le mépris des grandeurs vaines
Qui charment les Âmes mondaines,
Et qui, de puissant Potentat
Qui gouvernait un grand État,
Se contente, dans une Vie
Privée et comme ensevelie,
D’être un bon Abbé Commandant
Et de Moines Sur-Intendant,
A fait, Dimanche, son Entrée
En son Église, bien parée,
Aux Fanfares de maints Clairons,
Remplissant l’Air des environs,
Au son des Hautbois, des Musettes
Au bruit des Cloches et des Boites.

Les Moins, avec le Prieur,
Dans un modeste extérieur,
Le reçurent, complimentèrent,
Et grand Respect lui témoignèrent,
Ravis de se voir sous la Loi
Ainsi d’un Abbé fait d’un Roi.

Comme les Abbés de la sorte
Aux Plaisirs n’ont pas l’Âme morte,
Il fut le jour du lendemain,
Au grand Château de Saint Germain,
A la Comédie Espagnole,
Fort grave dessus ma parole,
Où la Reine avait invité
Obligeamment sa MAJESTÉ.

Mercredi, ledit ABBÉ-SIRE,
A qui tout bonheur je désire,
Vint à celle des Itaiens,
Bien aimés de nos Citoyens,
Et vit leur beau FESTIN DE PIERRE,
Lequel ferait rire une Pierre,
Où, comme des Originaux,
Tous les Acteurs sont sans égaux
Et font, sans doute, des merveilles
Qui n’ont point ailleurs de pareilles.

Néanmoins, MESSIEURS du MARAIS,
N’épargnant point pour ce les Frais,
L’ont représenté sur leur Scène,
Oui, c’est une chose certaine,
Avec de nouveaux Ornements
Qui semblaient des Enchantements,
Et ROSIMONT, de cette Troupe,
Grimpant le Mont à double croupe,
A mis ce grand Sujet en Vers,
Avec des Agréments divers
Qui chez eux attiraient le Monde
Dont notre vaste Ville abonde.

Aimant la Comédie assez,
Je vis aussi ces jours passés,
Dans le propre Hôtel de Bourgogne,
Où l’on ne voit plus de Gigogne,
La MORT de ce grand HANNIBAL
Qui fit aux Romains tant de mal.

L’Auteur s’est surpassé lui-même
Dans ce rare et charmant Poème ;
Les beaux Vers, les beaux Sentiments,
Les intrigues, les Dénouements
Et tout ce qui surprend et pique
Dedans le complet Dramatique,
La netteté, la Diction
S’y rencontre en perfection.

Quant aux Acteurs, on sait de reste
Qu’outre leur équipage leste,
Ils font des miracles toujours ;
Mais, pour un malheur, de nos jours,
Où le Hasard et le Caprice
Se mêlent de rendre justice,
Où de certains Approbateurs,
Qui ne sont pas censés Docteurs,
Règlent le Destin des Ouvrages
Et sont les Maîtres des Suffrages,
Ce Poème, qui m’a ravi,
N’a pas été fort bien suivi.

-La dépouille de la Reine d’Angleterre honorée d’une harangue de Péréfixe :

Encor que vous saviez, MADAME,
Ce qui s’est fait à NOTRE-DAME
Pour la Défunte MAJESTÉ
De qui vous tenez la Clarté,
Il est bon qu’Ici l’on apprenne
Qu’aux Mannes de l’auguste REINE,
On a, comme dans SAINT DENIS,
Au nom du MONARQUE des LYS,
Rendu dans cette Cathédrale,
Avec une Pompe royale,
Tous les Honneurs funèbres dus
A sa Naissance et ses Vertus ;
Que notre PRÉLAT PÉRÉFIXE
Et Patriarche y fit l’Office,
Avec éclat et piété,
Tout autant que de gravité,
Et qu’enfin la sombre Harangue
Se fit par cette belle Langue,
Par ce Crysologue du Temps,
Ce Modèle des Prédicants,
Le GÉNÉRAL de l’ORATOIRE, [Le Père Senault.]
Consommé dans l’Art oratoire,
Qui fait avec gloire imprimer
Les choses qu’il sait déclamer,
Ce que maint Diseur de Merveilles,
Qui dupe en Chaire les Oreilles,
N’oserait hasarder vraiment,
De crainte qu’il a, justement,
Qu’à ses Sermons dessous la Presse
Il ne vit pas la même presse.

-Nocret a fait le portrait d’une fille d’honneur de Madame :

PRINCESSE, en bonne foi, NOCRET
De l’illustre du LUDRE a fait [Fille d’Honneur de Madame.]
Une incomparable Peinture,
Suivant pas à pas la Nature,
Jusqu’où son merveilleux Pinceau
La pouvait suivre en son Tableau.

On y voir tout son beau Visage,
Si digne d’amoureux hommage,
Ses Cheveux, sa Gorge et ses Bras
Qui sont tout fourmillants d’Appas ;
Mais un seul cas me mit en peine,
C’est qu’il l’ait peinte en Madelaine,
Pénitente, cela s’entend,
Car, hélas ! il est bien constant
Que cette Lorraine charmante
N’est rien qu’une Belle innocente.

Mais non, juste Ciel ! qu’ai-je dit ?
La Madelaine oncque ne fit
Tant de maux, ni tant de malices,
En se plongeant dans les Délices.
On ne voit que des Soupirants,
Des Languissants et des Mourants,
Qu’elle assassine et qu’elle tue :
C’est un Basilic, dont la vue
Perce les cœurs en ce moment,
Et qui fait mourir longuement.
Qu’elle ne soit donc pas contente
D’être en Peinture Pénitente ;
Mais qu’elle le soit en effet :
Assez de péchés elle fait.

Lettre du 30 novembre 1669, par Mayolas.

-La cérémonie en l'honneur de la Reine-Mère d’Angleterre, rapportée par Mayolas :

Dans notre Église Cathédrale,
Église Archiépiscopale,
La plus grande de ce quartier,
On fit aussi, Lundi dernier,
Un Service considérable
Pour une Reine très aimable,
La Reine-Mère des Anglais
Pour qui pleurent les bons Français.
L’Archevêque de cette ville,
Qui n’est pas moins pieux qu’habile,
De Paris l’illustre Prélat,
Officiant avec éclat,
Termina la Cérémonie
Devant l’auguste Compagnie.
Le Révérend Père Senault,
Qui sait bien parler comme il faut,
Le Général de l’Oratoire,
Ravit et charma l’auditoire,
Faisant la funèbre Oraison
Avec force, grâce et raison.
Là, plusieurs Princes et Princesses,
Ducs, Duchesses, Comtes, Comtesses,
Les gens de haute qualité
De la Cour et de la Cité
En grand appareil se rendirent
Et leur devoir fort bien y firent ;
Mais surtout MADAME et MONSIEUR,
Qui tenaient là le rang d’honneur,
Faisaient paraître leur Princesse
Les Cours Souveraines aussi
Y témoignèrent leur souci,
Et plusieurs pauvres s’enrichirent ;
Fort bien habillés ils se virent,
Et l’on leur donna de l’argent
Pour leur besoin assez urgent.
Cette aumône et cette dépense
Termina la magnificence.

-Versailles, séjour provisoire du roi avant le retour à Saint Germain :

Versailles, ce mignon Château,
Aussi magnifique que beau,
Pendant deux belles matinées
Et deux longues après-dînées,
A possédé mon Souverain,
De qui l’adroite et forte main,
S’étant exercée à la chasse,
A tué de fort bonne grâce
Plusieurs Lièvres, plusieurs Faisans,
Des plus agiles, des plus grands ;
Ensuite il vint d’une humeur gaie
Dîner à Saint Germain en Laye.

-La comédie espagnole fut donnée pour la reine et le roi Casimir :

Thérèse, notre aimable REINE,
Très sage et belle Souveraine,
Pour se recréer un moment,
Reçut le divertissement
De la Comédie Espagnole,
Qui joua galamment bien son rôle.
Le Roi Casimir s’y rendit
Et fort satisfait en sortit.

Lettre du 7 décembre 1669, par Robinet.

-Robinet critiqué ?

Au moment que je me dois mettre
À vous faire nouvelle Lettre,
Princesse, je vois le danger
Où mon zèle va m’engager.
Je reconnais que je m’expose
À l’exacte et sévère glose
De Censeurs de tous les Degrés,
Et tant Ignares que Lettrés.
Les premiers sont des Cantarides
Malignes tout autant qu’arides,
Qui piquent sans nul jugement
Et par pur instinct seulement ;
Les autres, jaloux ou superbes
Mille fois plus que des Malherbes,
N’approuvent et ne trouvent beau
Que ce qui sort de leur Cerveau.
Cette sorte de maladie
S’est même depuis peu saisie
D’auteurs encore mal éclos,
Qui craignent de blesser leur Los
S’ils laissent exalter les Veilles
Des Boyers, Quinault et Corneilles.

Mais, sans faire comparaison
(Car je manquerais de raison)
De moi, Chétif, avec ces Maîtres,
Qui savent si bien tous les Êtres
Du grand Mont nommé PARNASSUS,
Je me ris des Gens ci-dessus,
S’il leur prenait la fantaisie,
Suivant leur sotte frénésie,
De syndiquer des IN-PROMPTUS
Que je vous offre de mon cru ;
Et, dans mon zèle inviolable,
Je poursuis, Altesse adorable,
Ce que pour Vous en chaque mois
Je réitère quatre fois.

-Robinet donne la suite de son historiette impliquant un médecin précédemment narrée :

J’ai su par un nouveau mémoire
Que l’on m’a fourni de l’Histoire
Du MÉDECIN et du BAIGNEUR,
Que le premier n’eût que la peur
Du Mal que l’on voulu lui faire,
Fit qu’il se tira net d’affaire,
Par le secours d’un Ami sien,
L’un des Membres de Galien
Lequel, l’attendant à la Porte,
Lorsqu’on le traînant de la sorte,
A ses cris à lui fut en bref
Et le sauva de son Grief,
C’est-à-dire de l’Époussette
Dont j’ai parlé dans ma Gazette.

Comme j’aime la Vérité
Et suis plein de sincérité,
J’ai bien voulu, dans cette Lettre,
L’Histoire en droiture remettre,
Ne voulant point, nenni, nenni,
Qu’un pauvre Homme demeure honni
Pour quelques rimes qu’il m’en coûte ;
Mais, dans le même temps j’ajoute
Que ces deux illustres Messieurs,
Pour faire taire les Rieurs,
Qui d’eux s’entretiennent sans cesse,
Devaient, par un trait de sagesse,
Se contenter d’avoir voulu,
L’un faire son Voisin cocu,
Et celui-ci, fustiger l’autre
(Tel serait du moins l’Avis nôtre),
Sans faire éclater chez Thémis,
Ce qui les rendait ennemis.
Chacun, sur tel bruit, voulant croire
Ce qui peut davantage plaire.

-Suleyman Aga, envoyé extraordinaire et plénipotentiaire du Grand Seigneur, sa Hautesse, Avcı Sultan Mehmed, quatrième de ce nom, a fait son entrée dans Paris :

SOLIMAN MUSTA-FÉRAGA,
Que l’on surnomme encor AGA,
Ministre ENVOYÉ de la PORTE,
Avec sa Domestique Escorte,
Fit son Entrée ici Mardi,
À trois heures après-midi,
Sans avoir nuls de ces Gens sages
Qu’on appelle Estafiers et Pages.

Il montait lors, en noble arroi,
Les grands Chevaux de notre ROI,
Avecque tous ceux de sa Suite,
Où l’on voit peu de gens d’élite,
Mais tous semblant de fins Narquois,
Dont les uns portaient des Carquois,
Avec des Arcs, avec des Flèches,
Dont ils ne firent nulles brêches
Aux cœurs de nos jeunes Beautés,
Qui les nommaient vilains bottés.

Le brave de LAGEBERTIE, [L’un des Gentilshommes ordinaires]
Ayant mainte belle partie, [de la Maison du Roi.]
Et qui partout à convoyé,
Ledit Soliman, Envoyé
Par l’ordre de notre MONARQUE,
Qui son estime ainsi lui marque,
L’accompagnait encor alors,
Avec quelques autres Consorts.

MERCREDI, le sieur de BERLISE,
Par qui faut que l’on s’introduise,
Le conduisit à SAINT GERMAIN,
Jusqu’au Trône du SOUVERAIN,
Dressé dans une Galerie
Éclatante d’Orfèvrerie,
Et dont les divers Ornements
Paraissaient des Enchantements.

Ce Trône, dans sa pompe extrême,
Semblait celui de Jupin même,
Et notre AUGUSTE, illec placé,
L’aurait, que je pense, effacé,
Tant par sa grande et haute mine,
Bien moins humaine que divine,
Que par l’éclat des Diamants
Semés dessus ses vêtements
D’une si féconde manière,
Qu’il était couvert de lumière.

À sa droite, on voyait MONSIEUR,
Dont le brillant extérieur
Était aussi, sans menterie,
Tout composé de Pierrerie,
Et, de l’un et l’autre côté,
À l’entour de Sa MAJESTÉ,
Fourmillait la Cour toute entière
En sa lestitude plénière,
Ayant quitté le sombre atour
Pour la Pompe de ce beau Jour.

L’ENVOYÉ donna mainte marque,
En approchant de ce MONARQUE,
Qu’il passait du moins à ses yeux
Pour le plus Grand des Demi-Dieux,
Et, faisant mainte Révérence,
Fut conduit à son Audience.

En icelle, il a présenté
Une Lettre à Sa MAJESTÉ,
Au nom du GRAND SEIGNEUR, son Maître,
Dont la teneur a fait connaître
Que Sa HAUTESSE qui l’entend,
Veut, avec un HÉROS si Grand,
Rafraîchir la vieille Alliance
Et vivre en bonne intelligence,
Ce qui n’est point mal avisé
Par ce GRAND SEIGNEUR, franc rusé.

Lettre du 8 décembre 1669, par Mayolas.

-La nouvelle précédemment narrée par Robinet au sujet de Suleyman Aga est reprise par Mayolas :

Mardi, du village d’Issy,
Musta-Feraga vint ici,
Fort bien monté sans raillerie ;
Aussi de la grande Écurie
Les chevaux plus beaux et plus fiers
Lui furent gaiement offerts.
Les acceptant avec franchise,
Il vint à l’Hôtel de Venise,
De tous ses gens environné
Et de grand monde accompagné. [26 Personnes.]
L’illustre de Lagebertie,
Pour qui j’ai de la sympathie,
Marchait alors à son côté
Avantageusement monté,
Et Duplessis et Bournonville,
Premiers Écuyers de la Ville
Ou des Écuries du ROI,
Y parurent en bel arroi.
Le lendemain on fut le prendre,
Par l’ordre de mon ALEXANDRE,
Par l’ordre de mon Potentat,
Dans un Carrosse, avec éclat,
Et l’Introducteur de Berlise, [des Ambassadeurs.]
Exécutant cette entreprise,
Jusqu’à Chatou le conduisit,
A dîner grand chère lui fit,
Dans une Maison, vaste et belle,
D’un Gentilhomme très fidèle,
Dans une agréable Maison
De l’illustre et brave Buisson.
Sans délai, la même journée
Au bout du Pec, l’après dînée,
À trois heures après midi,
Cet Envoyé, assez hardi,
Trouvant des chevaux d’importance,
Adroits et beaux par excellence,
Cavalièrement y monta
Et tout son monde l’escorta.
Entrant en Saint Germain en Laye
D’une façon gaillarde et gaie,
Il alla droit au neuf-Château,
Qui jamais ne parut si beau.
Toute la Cour était remplie :
Cavalerie, infanterie,
Était, certes, en un état
Digne de notre Potentat,
Dans une justesse si leste,
Que c’est un signe manifeste
Du pouvoir de mon Souverain.
Si, de ce magnifique train
Et de cette Royale escorte,
Ledit Envoyé de la Porte
Fut agréablement surpris,
Il n’admira pas moins le prix
De la riche Tapisserie,
De la Peinture, Argenterie
Et des superbes ornements
Qu’il vit dans les Appartements ;
Mais son âme fut bien ravie,
Traversant cette Galerie,
Où le Roi, qui, comme un Soleil,
Jetait un éclat sans pareil,
Reçut sur un Trône admirable,
D’un air aussi fier qu’agréable,
Cet Envoyé du grand Sultan
Et de tout l’empire Ottoman,
Qui de la part de sa Hautesse
Lui donna avec allégresse
(Le saluant très humblement)
Sa Lettre, avec son Compliment.
Le ROI l’ayant prise, la donne
Au fidèle et prudent Lyonne,
Qu’il mit après, par un bon choix,
Dans les mains du savant Lacroix,
Étant Secrétaire Interprète
De sa Majesté très parfaite.
Mais n’oublions pas en ce lieu
L’adroit et discret Arvieu, [Écuyer de Me la Maréchale de la Motte.]
Qui, d’une manière galante,
L’inscription de la patente,
De même que le compliment,
Expliqua fort fidemment
À ce monarque incomparable,
Qui ne peut trouver son semblable.
Cet Envoyé voyant LOUIS,
Ses yeux furent tout éblouis
De sa haute mine et prestance,
Comme de la magnificence
Des perles, diamants de prix,
Qui reluisaient sur ses habits.
Monsieur, du ROI le Frère unique,
Était brillant et magnifique ;
Du Duc d’Enghien le vêtement
Éclairait encor richement,
Ainsi que de mainte personne,
Des Officiers de la Couronne,
D’un grand nombre de Courtisans,
Fort bien faits et resplendissants ;
De sorte que ce Turc peut dire,
Après avoir vu notre SIRE,
Qu’il ne saurait voir aujourd’hui
Rien qui soit comparable à lui,
Et que sur la terre et sur l’onde
Aucun Prince ne le seconde.

Lettre du 14 décembre 1669, par Robinet

-Le Pape, annoncé malade du fait de la chute de Candie par Robinet le mois précédent, est-il mort de sa première atteinte ? Ainsi :

Un bruit, depuis peu, partout court,
Tant à la Ville qu'à la Cour,
Que CLEMENT NEUF, ce très saint Homme,
S'il en fut jamais un à ROME,
Ce digne Lieutenant de DIEU,
De qui l'on parlait en tout Lieu
Avec amour et révérence,
Est mort, d'extrême déplaisance,
De n'avoir pu, selon ses voeux
Si bons et si religieux,
Sauver la Cité de CANDIE.

Or, quoiqu'en quittant cette vie,
A l'Eternelle il fut monté,
Où dure la Félicité,
Ses Vertus mettant hors de doute
Qu'il en eût pris la droite route,
L'Eglise, pour ses intérêts,
En aurait de profonds regrets ;
Car, de longtemps, aucun Pontife,
Et je ne dis rien d'apocryphe,
N'avait avecque tant de coeur
Partout soutenu son honneur.
Mais peut-être que la Nouvelle,
DIEU le veuille, n'est pas fidèle.

-Bien qu'au plus mal, le Pape a eu le temps de remplir quelques derniers offices :

On ajoute pareillement
Que, proche du dernier moment,
Imitant le Flambeau du Monde,
Qui, près de se cacher sous l'Onde,
Pare, où se termine son tour,
Tous les nuages d'alentour,
D'une belle et vive écarlate,
Par qui son couchant même éclate,
Ce brillant PAPE répandit
Sur sept grand Sujets qu'il choisit,
L'illustre POURPRE de l'Eglise,
[Le Père Bons, Feuillant, et les Sieurs Nerly, Cerry, Palaviciny, Bonscorsi, Acciaio et Altiéry.]
De qui la splendeur tant on prise ;
Si bien que, dans cet Appareil,
Il s'éteignit comme un Soleil.

-Mais cette nouvelle n'est pas très sûre :

Mais tout ce qu'on a su de Rome
Sur le sujet dudit SAINT HOMME,
[Par un courrier extraordinaire, qui était parti le 30 du passé.]
Est qu'il avait été fort mal,
Mais qu'enfin, dans son urinal
Ayant fait une grosse Pierre,
Ce vrai successeur de SAINT PIERRE
S'était ensuite mieux trouvé ;
Toutefois, qu'étant aggravé
Des grands soins qu'il a voulu prendre,
On ne pouvait pas en attendre,
Dans icelle caducité,
Une fort durable santé ;
Tellement que déjà les Brigues,
Les Cabales et les Intrigues
Se préparaient sous-main, dit-on,
Par mainte et mainte Faction,
Comme en une proche Vacance
Mais que le vingt-huit du Passé,
Le SAINT PERE, étant oppressé,
Fit la Promotion susdite,
De sept Cardinaux de mérite.

Lettre du 15 décembre 1669, par Mayolas.

-L'éloquence de Bossuet pénètre tous les esprits :

L’Abbé Bossuet fait merveilles,
Touche les cœur et les oreilles,
Prêchant toujours à Saint-Germain,
Devant mon puissant Souverain
Et mon incomparable Reine,
Belle et pieuse Souveraine ;
Pour moi, qui chéris les Sermons,
Et surtout lors qu’ils sont fort bons,
J’ouis le Père Bourdaloue [Aux Jésuites de la rue S. Antoine.]
Qu’avec raison le monde loue.
Le Roi Casimir l’entendit
Lundi dernier ; il l’applaudit,
Car son éloquence a la gloire
De charmer son grand auditoire.
Mais ce Prince, le lendemain,
Continuant son bon dessein,
Fut chez les Filles Recollectes,
Dames pieuses et discrètes.
Le docte Abbé de Moligny,
Doué d’un esprit infini,
Prêcha au gré de ce Monarque,
Dont la Piété se remarque
Et brille dans ses actions
Sur ses autres perfections.

-Retour sur les nouvelles touchant le Pape :

On écrit que notre Saint Père
Est toujours valétudinaire,
On écrit que sa Sainteté
N'est pas en trop bonne santé,
Et, reposant, sur son estrade,
Soit un peu, soit beaucoup malade,
Il a, nonobstant tous ses maux,
Fait environ sept Cardinaux,
A savoir : un Révérend Père
De science extraordinaire ;
Le Révérend Père Bona [Feuillant.]
Tout le premier il nomina ;
Et Nerli, Prélat de Florence,
Est aussi traité d'Eminence ;
Cerry, de la Rote Doyen,
En ce rang fut nommé fort bien ;
Palavicini, fut ensuite [Clerc de la Chambre.]
De cette glorieuse élite,
Et Bonarcorsi, Trésorier [de la Chambre Apostolique.]
Fut bien écrit sur le papier ;
Acciaio fut le sizième ; [Auditeur de la même Chambre.]
Altieri fait le septième. [Maître du Sacré Palais.]
Par cette nomination,
Ou par cette promotion,
Ces dignités assez jolies
Se trouvent tout-à-fait remplies.

-Le roi de France a, de son côté, rempli ses obligations morales vis-à-vis d'une église détruite dans un incendie :

Le ROI, dont la grande équité
Seconde sa rare bonté,
Le ROI, dont l'humeur héroïque
Paraît en tout temps magnifique,
Et qui, comme on voit aujourd'hui,
Est sensible au malheur d'autrui,
Par une clémence Royale,
Très généreuse et libérale,
Ayant su le triste destin
Que l'Eglise de Saint Quentin
Avait senti par l'incendie
D'une flamme par trop hardie,
A fait, par un soin diligent,
Donner une somme d'argent,
A maint Député fort habile
Du Chapitre de cette ville,
Pour faite un nouveau bâtiment
Ou le rétablir promptement.
Après ce bienfait agréable
Et ce présent considérable,
Ils ne manqueront pas ma foi,
De bien prier Dieu pour le ROI,
Comme je fais, d'un coeur sincère,
Pour sa longue vie et prospère.

Lettre du 21 décembre 1669, par Robinet.

-Robinet, qui avait le premier évoqué la mort du Pape, la confirme définitivement :

On a, depuis dernièrement,
Su que le bon PAPE CLEMENT
(Dont mon allégresse est extrême)
Etait, de ce mois le deuxième,
Encor au nombre des Vivants,
Mais qu'un Roseau, joué des Vents
Et battu d'une forte grêle,
N'était pas plus flouet et frêle
Qu'était alors sa SAINTETE.

Prions donc DIEU pour sa Santé ;
On n'en a pas, chose certaine,
Quatre comme Elle a la douzaine,
Et le SAINT ESPRIT, qui peut tout,
Ne viendra pas peut-être à bout,
En présidant dans le Conclave,
D'en trouver un autre aussi brave.

Hélas ! en achevant ces Vers,
J'apprends qu'elle est déjà des Vers
Et le sujet et la Pâture,
Etant, ô fatale Aventure !
Décédée en sept jours après.
C'est, las ! ce qu'un Courrier exprès
Vient d'en apprendre a notre SIRE,
Lequel de douleur en soupire.

Notre CARDINAL de BOUILLON,
Si digne du beau vermillon,
Ou de l'éclatante écarlate
Qui brille sur son Omoplate,
Etait parti dès Samedi,
Neuf heures avant le Midi,
Par un ordre émané du Trône,
Avec l'illustre DUC de CHAUNE,
EXTR'ORDINAIRE AMBASSADEUR,
Pour aller, avec Zèle et Coeur,
Sagesse, Esprit et Prudommie,
Dont aucun d'eux ne manque mie,
Faire à Rome ce qu'il faudrait
Selon que le cas écherrait,
Au nom de notre grand AUGUSTE,
Qui, par un souci noble et juste,
Digne d'un charmant DIEUDONNE
Et, qui plus est, d'un FILS AINE
De notre MERE SAINTE EGLISE,
Veut en cette importante Crise
Prendre soin de ses Intérêts.

Monsieur le CARDINAL de RETS,
Autre très capable EMINENCE,
Et GRIMALDI, comme je pense,
Dont l'on dit tant de biens ici,
Ont pris semblable route aussi,
Par même ordre de notre SIRE,
Pour la fin que je viens de dire,
Et c'est, pour moi, mon sentiment
Qu'ils pourront tous utilement
Servir à réparer la perte
Par l'EGLISE en CLEMENT soufferte.

-En ces temps où les Turcs seront bientôt l'objet d'une comédie de Molière, une anecdote plaisante nous est rapportée par ce facétieux Robinet, intégrant plus que jamais l'actualité "diplomatique" du temps :

L’ENVOYÉ de la PORTE Ici,
Ayant remarqué dans Issy,
Entre les Belles de LUTÈCE [Paris.]
Qui le lorgnaient ILLEC sans cesse,
Une Brune dont l’œil fendant
A sur les cœurs grand ascendant,
Se fit informer, en peu d’heure,
Des qualités, nom et demeure
De ce charmant Objet Bourgeois.

Ensuite, comme un franc Turquois [sic],
Il la fit marchander au Père,
Sans en faire plus de mystère,
Pour la conduire au GRAND SEIGNEUR,
L’assurant qu’elle aurait l’honneur
De recevoir de SA HAUTESSE
Le chef Signal de sa Tendresse :
C’est, cela s’entend, le MOUCHOIR
Qui veut dire « ... Bonjour, Bonsoir.
» Je désire, ô belle Pouponne,
» Que vous joignant à ma Personne,
» Nous puissions faire, à communs frais
» Un petit Sultanin [sic] tout frais. »

Mais le Bourgeois, tout en colère,
Lui répondit lère-lanlère [sic].

-Le Britannicus de Racine est joué à l'Hôtel de Bourgogne :

À l’Hôtel BOURGUIGNON je fus,
Dimanche, voir BRITANNICUS,
Que NÉRON, ce Fils de Mégère
Et plus scélérat que sa Mère
Fit mourir politiquement,
Par félon empoisonnement,
Pour régner en toute assurance,
Connaissant en sa Conscience
Qu’il était d’un Bien revêtu
À ce seul jeune Prince dû.
Voilà, si j’ai bonne mémoire,
En deux mots le fonds de l’Histoire.

Or, sur ce beau Canevas-là,
Je vois, étant bien assis là,
De belles et grande nuances
Des tenants et des dépendances
De cet Événement fatal,
Formant un Sujet Théâtral,
En Vers d’un style magnifique
Et tous remplis de Politique,
Qui font la nique hautement,
Du moins c’est là mon sentiment,
A plusieurs de ceux d’ANDROMAQUE,
Si qu’ils ne craignent point l’attaque,
Ou l’Examen, nenni, nenni,
De ce petit de SUBLIGNY,
Qui fit sa Critique contre elle
Sous le nom de Folle Querelle.
Qu’il aille, qu’il aille un peu là,
Ce beau Monsieur le Censeur là,
Et nous verrons s’il aura prise
Sur ces Vers que tout chacun prise !
Mais, la, la, Clion, bellement,
Car, pour en parler franchement,
C’est, je crois, grâce à sa critique
Que l’on trouve en ce Dramatique
Un style bien plus châtié,
Plus net et plus purifié.

Je me tais de l’économie,
Étant ici Juge et Partie,
Car j’ai fait aussi ce Sujet,
D’un autre ignorant le Projet,
Et je suis quasi près de croire,
Mais peut-être m’en fais-je accroire,
Que je l’ai tout au moins traité
Avec moins d’uniformité ;
Que, plus libre dans ma Carrière,
J’ai plus varié la matière ;
Qu’avecque plus de Passion,
De véhémence et d’action,
J’ai su pousser le Caractère
Et de Néron et de sa Mère ;
Qu’en chaque Acte, comme on a fait,
Je ne finis pas mon sujet,
Faute de quelques vers d’attente
Pour joindre la Scène Suivante ;
Que j’ai tout de même, à mon gré,
Chaque Incident mieux préparé,
Et qu’étant dans la Catastrophe
Un tant soit peu plus Philosophe,
Je ne la précipite point.

Mais, comme j’ai dit, sur ce point
Il peut être que je me flatte.
Sans que plus donc je me dilate
En tel examen de bibus.
J’ajoute, sans aucun abus,
Que les Acteurs et les Actrices,
Comme Enchanteurs, comme Enchantrices,
Par leur Jeu tout miraculeux
Et leurs vêtements merveilleux,
Qui sont des choses nonpareilles,
Charment les Yeux et les Oreilles,
De telle sorte en vérité
Qu’il faudrait de nécessité
Trouver maintes choses très belles,
Quand elles ne seraient point telles.

Lettre du 22 décembre 1669, par Mayolas.

-Dévotion de la reine :

Notre pieuse et belle REINE,
Aimable et prude Souveraine,
Que les vertus et les appas
N’abandonnent jamais d’un pas,
Et dont très grand est le mérite,
Ayant pour Sainte Marguerite
Beaucoup de vénération
Comme beaucoup d’affection,
A fondé une Confrérie,
Chez les Feuillants bien établie,
À sa louange, à son honneur.
Du Couvent le sage Prieur,
Y reçut avec allégresse.
Une si dévote Princesse,
Madame, qui vaut un trésor,
De la Confrérie est encor,
Et d’autres, suivant leur exemple,
Y vont s’enrôler dans ce Temple.
Je vous dirai doncques en bref
Que Dom Jacques de Saint Joseph,
Y prêchant, remporta la gloire
De ravir tout son auditoire.

-La mort du Pape :

C'est avec un chagrin horrible,
C'est avec un regret sensible,
Que j'écris bien fidèlement
Le Trépas du Pape Clément.
En fidèle Historiographe,
Je mets ici son Epitaphe
Composée en mon cabinet
Et renfermée en ce Sonnet :

Ci-gît Clément Neuf, le S. Père,
De qui la grande piété,
Le savoir et la probité
Paraissait Extraordinaire.

Il s'attachait d'un coeur sincère
Au progrès de la Chrétienté,
Et l'adresse à l'autorité
Ont fait voir ce qu'il savait faire.

Pleure-le, Chrétien aujourd'hui,
Mais espère pourtant en lui,
Quoiqu'il soit dessous cette Pierre !

Car, étant dans le Firmament
Ainsi qu'il était sur la terre,
Il sera pour nous bien Clément.

Le ROI, dont l'esprit Magnanime
Avait une parfaite estime
Pour ce Pontife, trépassé
Et, le neuf de ce mois, passé
Pour prendre une place assurée
Dans le plus haut de l'Empirée,
Montre qu'il en est bien fâché
Et très sensiblement touché,
Etant Fils Aîné de l'Eglise,
Titre que tout le monde prise.
S'intéressant avec douceur
Qu'on lui donne un bon Successeur,
A ce Prédécesseur semblable,
Par son ordre considérable,
Trois Cardinaux de grand Renom,
Grimaldi, de Retz, de Bouillon,
Sont partis, d'un air prompte et grave,
Pour prendre leur place au Conclave,
Où les Cardinaux assemblés
Sans être nullement troublés,
D'une voix et d'un coeur sincère,
Nommeront un autre Saint Père.
Dieu veuille, comme l'autre fois,
Qu'ils fassent un aussi bon choix !

-A Versailles, en cette fin d'année 1669, le roi s'est adonné aux plaisirs de la chasse. La reine l'y vint trouver avec sa suite et tout ce beau monde réuni termina à Saint-Germain :

Approchons un peu des murailles
Du riant Château de Versailles,
Et gravons dans notre discours
Que, pendant trois ou quatre jours,
Le ROI, qui tout autre surpasse,
Y prit le plaisir de la chasse.

La REINE, objet auguste et beau,
Le fut trouver dans ce Château ;
De Soissons l’illustre Comtesses,
De Bouillon la belle Duchesse,
Plusieurs Dames, plusieurs Seigneurs,
Montés sur de jolis coureurs,
N’y firent pas voir moins d’adresse
Que de parure et de justesse ;
Et, Jeudi, mon grand Souverain
S’en retourna dans Saint Germain
Avec sa suite triomphante,
Aussi pompeuse que charmante.

Lettre du 28 décembre 1669, par Robinet.

-Dans sa dernière lettre de l’année, Robinet passe en revue l’état des nations du monde et parmi celles-ci, Rome qui ne se remet pas de la perte de son Souverain-Pontife :

ROME ne se console pas
Ainsi du malheureux Trépas
De son Digne CLEMENT NEUVIEME :
Son deuil, hélas ! est trop extrême
Mais elle attend du SAINT ESPRIT,
Qui dessus le Trône le mit,
Un Successeur qui lui ressemble,
Dans le Conclave qui s'assemble ;
Car en vain tous les PURPURES
A le choisir sont préparés
Sans le CONCLAVISTE CELESTE ;
Mais passons promptement au reste.

-Mais notre gazetier rend hommage à la France, seule nation à sembler tirer son épingle du jeu en cette difficile année, et à son roi qui n'est certainement pas pour rien dans cet état de fait :

Je termine ma Vironnée
Par notre FRANCE fortunée,
En disant que ce grand État
Et son auguste POTENTAT,
Dont le Renom célèbre vole
De l’un jusques à l’autre Pôle,
Ne trouvent rien sous le Soleil
Qui puisse leur être pareil,
Et qu’ils sont les premiers du Monde
Dedans leur gloire sans seconde.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome III (années 1668-69) de l'édition du Bon Nathan-James-Edouard de Rothschild et de Émile Picot des Continuateurs de Loret, 1881-1883, Paris, D. Morgand et C. Fatout éditeurs).




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