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Les puces qui m'ont inquiétée


"Vous êtes-vous toujours, comme on voit, bien portée ?
- Hors les puces, qui m'ont, la nuit, inquiétée.
- Ah ! vous aurez dans peu quelqu'un pour les chasser.
- Vous me ferez plaisir.
- Je le puis bien penser."
L'Ecole des femmes, I, 3 (v. 235-236)

Les "puces" renvoient souvent à des démangeaisons amoureuses. C'est le cas dans

C'est ce que montrent également certains emplois érotiques de l'expression "avoir la puce à l'oreille"

(Voir aussi par l'oreille)

Les "démangeaisons", chez les jeunes filles, ont traditionnellement un sens sexuel dans la littérature comique, par exemple

(Voir aussi "me chatouille")

Dans Le Portrait du peintre (1663) de Boursault, Lizidor qualifie cette réplique d'Agnès de "trait galant" (13).

La réponse d'Arnolphe, et le petit dialogue qui suit, si l'on en croit le sens de l'expression "secouer les puces à une femme" donné par le dictionnaire Oudin (14), ne font qu'alimenter l'équivoque de la scène.


(1)

Bruscambille, dans son texte "Des Puces", fait parler la puce du chat en ces termes :

je descends de la première puce, et celle qui m'a donné la vie a toujours tenu bonne compagnie à Diane, tandis qu'elle fut chaste en Egypte, pour s'exempter de la colère de Thiphenb, et depuis elle a élu son domicile dans le caleçon de Junon.
(Les Nouvelles et plaisantes imaginations de Bruscambille, p. 156)

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(2)

De même, dans un poème de La Muse folâtre (1611) intitulé "La Puce", on peut lire :

Gardez-vous bien que la friande
Encore plus bas ne descende
Et comme elle a fait du dehors
Après le dedans elle mange :
Sentez-vous point déjà le corps
Vers le milieu qui vous démange ?,
( p. 16)

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(3)

Dans le Parnasse des Muses, ou Recueil des plus belles chansons à danser (1628), un jeune homme est tenu éveillé par des "puces" :

Comme j'étais endormi (bis)
L'autre jour dessus mon lit (bis)
Une puce par merveille
Me vint picotter l'oreille
Tant et tant me picotta
Qu'enfin elle m'éveilla.

Comme je fus éveillé (bis)
Pour cette puce chercher ; (bis)
Mais cette maudite puce,
Qui se cache et qui se musse
En un lieu si écarté
Que je ne l'ai pu trouver.

En m'en allant recoucher (bis)
Pensant un peu sommeiller, (bis)
Cette puce misérable,
Qui tant et tant me travaille,
Enfin elle m'a contraint
De vêtir chausses et pourpoint.

Mon valet oyant cela, (bis)
Tout soudain il s'éveilla, (bis)
Et puis après me vint dire :
Mon maître il y a à rire ;
La puce que vous cherchez
N'est pas ce que vous pensez.

C'est une puce à deux pieds, (bis)
Portant chausses et souliers, (bis)
Un menton et des mammelles
Tout ainsi qu'une pucelle,
Une niche où l'amour
Fait bien souvent son séjour.

Je lui dis : paix, babillard, (bis)
Tu es par trop frétillard ; (bis)
Désormais je me veux plaindre,
Afin de faire contraindre
Cette puce à l'avenir
Qui m'empêche de dormir.

(chanson 124)

--

(4)

Dans un poème des Satyres bâtardes (1615), la métaphore de la puce est également sans ambiguïté :

Jamais ce gai calçou ne cesse
De rendre à sa belle maîtresse
Nouvelle preuve de sa foi,
Et si rien salit sa charnure,
Soudain il en ôte l'ordure,
Retenant la tache sur soi.

Sitôt qu'une puce s'arrête,
Pour pinceter sa peau douillette,
Lors il s'émeut pour la frapper,
Ou bien se recule loin d'elle,
Afin que la main de sa belle
Puisse couler pour l'attraper.
(p. 75)

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(5)

Telle est la description de la chaire du Grand Maître de l'Ordre des Cocus dans L’Ordre de Chevalerie des Cocus Réformés nouvellement établis à Paris. La Cérémonie qu’ils observent en prenant l’habit. Les Statuts de leur Ordre : et un petit abrégé de l’origine de ces Peuples (s.l.,1624, 16 pages):

Sur chacun des bras de la chaire est entaillée l’image d’une femme nue l’une desquelles ayant une main sur ses parties plus secrètes, montre de l’autre le soleil, avec ce mot, Il n’est pas moins beau pour être commun. L’autre femme couvrant le même lieu aussi d’une de ses mains, a l’autre main pleine de puces, qui lui sortent par entre les doigts, avec ce mot, La garde en est difficile.

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(6)

J'ai bien la puce à l'oreille
Depuis trois ou quatre jours ;
Toute la nuit je m'éveille
Pour songer à mes amours.
(p. 50)

(7)

Un autre poème de La Muse folâtre (1611) associe l'expression "avoir la puce à l'oreille" et le désir féminin :

Mon ami est beau à merveille,
Mais il est plein de cruauté
J’ai toujours la puce à l’oreille
Quand je pense à sa privauté.
(« Réponse réciproque de l’homme et de la femme »)

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(8)

C'est également le cas dans le Virgile travesti (1650) de Scarron :

La Didon, que l'amour réveille,
Et lui met la puce à l'oreille,
Se jette en bas de son grabat.
(p. 158)

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(9)

Dans le conte Le Rossignol, abusivement attribué à La Fontaine, on peut lire :

Mais l'amour donne de l'esprit;
Et fait faire une Agnès habile;
Voici donc comment elle s'y prit.
Elle ne dormit point durant toute la nuit,
Ne fit que s'agiter, et mena tant de bruit,
Que ni son père ni sa mère
Ne purent fermer la paupière
Un seul moment.
Ce n'était pas grande merveille :
Fille qui pense à son amant absent,
Toute la nuit, dit-on, a la puce à l'oreille,
Et ne dort que fort rarement.
(Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine, Amsterdam, Pierre Brunel, 1709)

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(10)

Dans L'Histoire comique de Francion de Charles Sorel (1626) le sens de la "démangeaison" de Laurette est clair :

aussi lui promimes-nous de le faire parvenir au but où il visait, et Laurette, à qui la coquille démangeait beaucoup, s'y accorda facilement.
(voir le texte)

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(11)

Dans Les Caquets de l'accouchée (1624), une vieille mère déplore en ces termes que sa fille en soit à son septième enfant :

Si j’eusse bien pensé que ma fille eust été si vite en besogne, je luy eusse laissé gratter son devant jusques a l’aage de vingt-sept ans sans être mariée.
(consulter l'ouvrage)

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(12)

Chez Perrault, dans Les Murs de Troie ou l’origine du burlesque (1653), on lit encore :

Ainsi de pleurs toute mouillée
La pauvre princesse éveillée
Roule en son esprit cent propos,
Sans pouvoir prendre de repos :
Sur son chevet elle s’abouche
La tête aux pieds elle se couche
Sa couverture tombe à bas
Elle s’entortille en ses draps,
Elle se frotte, elle se gratte,
Et le feu lui brûle sa rate,
La fait tourner dedans son lit
Comme un Aloyau qui rôtit.
(p. 25)

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(13)

Dans Le Portrait du peintre (1663) de Boursault, Lizidor commente ainsi cette scène :

Hors les puces la nuit qui m'ont inquiétée
Répond Agnès. Voyez quelle adresse a l'auteur,
Comme il sait finement réveiller l'auditeur.
De peur que le sommeil ne s'en rendit le maître
Jamais plus à propos vit-on puces paraître ?
D'aucun trait plus galant se peut-on souvenir ?
Et ne dormait-on pas, s'il n'en eût fait venir ?

(sc. VIII, p. 27)

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(14)




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