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Les heureux succès


"Soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art."
L'Amour médecin, III, 1

"Par quelle raison n'aurais-tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres médecins? Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard, et des forces de la nature."
Don Juan ou le Festin de pierre, III, 1

L'idée et certains détails de la formulation proviennent de l'essai "De la ressemblance des enfants aux pères" (II, 37) de Montaigne :

Ils ont une façon bien avantageuse de se servir de toutes sortes d'événements : car ce que la fortune, ce que la nature, ou quelque autre cause étrangère (desquelles le nombre est infini) produit en nous de bon et de salutaire, c'est le privilège de la médecine de se l'attribuer. Tous les heureux succès qui arrivent au patient qui est sous son régime, c'est d'elle qu'il les tient. Les occasions qui m'ont guéri, moi, et qui guérissent mille autres qui n'appellent point les médecins à leurs secours, ils les usurpent en leurs sujets : Et quant aux mauvais accidents, ou ils les désavouent tout à fait, en attribuant la coulpe au patient, par des raisons si vaines, qu'ils n'ont garde de faillir d'en trouver toujours assez bon nombre de telles :
(éd. Journel, 1659, p. 791)

On trouve également la même dénonciation formulée

S'il advient d'aventure que le malade, par bonheur, échappe entre leurs mains, vous verrez un battement de mains insupportable en signe de réjouissance. L'on ne pourra assez prêcher la gloire ou louange d'un si grand miracle. [...] Si le malade est si peu heureux qu'il expire entre les mains des médecins, ce qui advient le plus souvent, ils se déchargent sur le défaut de nature et sur la malignité du mal ou encoulpent la désobéissance du malade et disent que les remèdes de leur art ne s'étendent point jusques à ce secret de nature exerçant sa rigueur.
(édition de 1582, p. 427-428)

Mais voilà comme l'on fait maintenant, c'est que le malade guerisse ou non, vous ne laissez d'estre bien payez ; et le malade retournant en santé, vous en attribuez la louange à vous; et ne le guerissant, ayans vous autres commis l'erreur en la maladie, vous en tournez le blasme sur le povre patient.
("Lettre au seigneur Melgar, medecin, en laquelle est gracieusement recité le dommage et proufit que font les medecines", 27 décembre 1525, Épistres dorées, moralles et familières de don Antoine de Guevare,...traduites d'espagnol en françoys par le seigneur de Gueterry, 1558, p. 199)

Leur art n'est qu'un amusement de plusieurs paroles et de plusieurs remèdes, s'il faut appeler remèdes ceux que l'on rend avec l'âme. Leur témérité apparaît d'abord à quiconque dans les maladies observe les choses passées ou se donne la peine d'attendre les autres. Ne croient-ils pas avoir guéri toutes les personnes qu'ils n'ont pas tuées ? Ne confondent-ils pas les effets de la nature et de leurs médicaments ? Quelque malheur qui arrive aux malades qu'ils traitent, ne disent-ils pas que, sans leur secours, il aurait été, et plus tôt et plus grand ?
(éd. de 1683, p. 13)

Ainsi donc le sujet étant variable a rendu par conséquent l'art plein de conjecture et l'art étant conjectural, a fait qu'on a laissé plus de place à l'imposture. Car presque tous les autres arts et sciences se jugent par actes ou principales pièces (s'il faut ainsi dire) et non pas par les succès et événements. L'on juge de l'avocat par la vertu de son plaidoyer, et non pas par l'issue de sa cause ; l'on juge du maître du navire par la conduite de sa course à droit, et non pas par la fortune du voyage. Mais le médecin, et peut-être le politique, n'ont point de particuliers actes démonstratifs de leur habileté, qu'on ne les juge le plus souvent par l'événement, qui n'est toujours que tel qu'il arrive ; car qui peut dire si un particulier meurt, s'il revient en convalescence, ou si si c'est par art ou par accident qu'un état est préservé et ruiné ?
(Le Progrès et avancement aux sciences divines et humaines, 1624, Livre Second, p. 316-317)

discunt periculis nostris et experimenta per mortes agunt, medicoque tantum hominem occidisse inpunitas summa est. quin immo transit convitium et inteperantia culpatur, ultroque qui periere arguuntur.
(Historia naturalis, XXIX, 8, 18 [traduction française])




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