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Les fêtes de l'amour et de Bacchus


Les fêtes de l'amour et de Bacchus

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LES FESTES DE L'AMOUR ET DE BACCHUS

PROLOGUE Le théâtre représente une grande Salle de Spectacle, où l'on voit une Troupe de Peuples de différents Provinces, qui forment le début de ce Prologue.

Choeur A moy, Monsieur, à moy de grâce, à moy Monsieur, Un livre, s'il vous plaît à votre serviteur.

Homme du Bel air Monsieur, distinguez nous parmy les gens qui crient, Quelques livres icy, les Dames vous en prirent.

Autre homme du Bel air Hola, hola, Monsieur, ayez la charité D'en jeter de nôtre côté.

Femme du Bel air Mon Dieu! qu'aux personnes bien faites On sçait peu rendre honeur céans? Ils n'ont des livres & des bancs Que pour Mesdames les Grisettes.

Un gascon A Ho! l'homme aux libres, qu'on m'en baille, J'ay déjà le poumon usé, Bous Boyez que chacun me raille, Et je fis escandalisé De Boit les mains de la canaille Ce qui m'est par Bous refusé.

Autre gascon Eh cadedis, Monseu, boyez qui l'on peut être, Un livret, je bous prie, au Baron Dasbarat; Je pense, mordy, que le fat N'a pas l'honneur dé mé connoître.

Un suisse Monsieur le donneur de papir, Que veul dir fly façon de fifre? Moy l'écorchait tour mon gozieir A crieir, Sans que je pouvre afoir ein lifre: Pardy, mon foy, Monsieur, je pense fous l'être ifre.

Vieux Bourgeois De tout cecy franc & net Je suis mal satisfait, Et cela sans doute est laid. Que nôtre fille Si bien faite & si gentille De tant d'amoureux l'objet, N'ait pas à son souahit Un Livre de Ballet Pour livre le sujet Du divertissement qu'on fait; Et que toute notre famille Si proprement s'habille, Pour être placée au sommet De la Salle, où l'on met Les gens de lentriguet. De tout cecy franc & net Je suis mal satisfait, Et cela sans doute est laid.

Vieille bourgeoise babillarde Il est vray que c'est une honte, Le sang au visage me monte. Et ce jetteur de Vers qui manquent au capital L'entends fort mal; C'est un brutal. Un vray cheval, Franc animal, De faire si peu de comte D'une fille qui fait l'ornement principal Du quartier du PAlais Royal, Et que ces jours passez un Comte Fut prendre la première au Bal.

Hommes & femmes du Bel Air Ah quel bruit! Quel fracas Que cahos! Quel mélange! Quelle confusion! Quelle cohue étrange! Quel désordre! Quel embarras! On y sèche, L'on y tient pas.

Le Gascon Bentre, je fuis à bout. J'enrage, Dieu me damne.

Le suisse Ah que luy faire foif dans fiy fal de cians.

Le Gascon, l'autre Gascon Je murs. Je perds la tramontane. Mon foy, moy le foudrois être hors de dedans.

Vieux bourgeois Allons, ma vie, suivez mes pas, Je jous en prie, et ne me quittez pas; On fait de nous trop peu de cas, Et je fuis las de ce tracas; Tout ce fatras, cet embarras, Me pèse pas trop sur les bras; S'il me prend jamais envie De retourner de ma vie A Ballet ny Comedie, Je veux bien qu'on estropie.

Vieille bourgeoise babillarde Allons, mon Mignon, mon fils, Regagnons notre logis, Et sortons de ce taudis Où l'on ne peut être assis; Ils seront bien ébobis Quand ils nous verront partis. Trop de confusion règne dans cette Salle, Et j'aimerois mieux être au milieu de la Halle: Si jamais je reviens à semblable régale Je veux bien recevoir des souflets plus de dix.

On reprend le Choeur, "A moy, Monsieur, à moy." Le Donneur de Livres & les quatres Importuns forment la Première Entrée.

Polymnie Elevez, Elevez vos concerts Au dessus du chant ordinaire: Songez que vous avez à plaire Au plus grand Roy de l'Univers. Le grand Titre de Roy n'est que la moindre gloire, Il est encor plus grand par les travaux guerriers; Et sa propre valeur a cueilly les lauriers Dont il est couronné des mains de la victoire. Suivez la noble ardeur Qu'il vous inspire Tout ce qu'on voit dans son Empire Se doit sentir de sa grandeur.

Melpomène Joignez à mes chants magnifiques, La pompe de vos ornements;

Euterpe Joignez à mes concerts rustiques, Vos agréments les plus charmants.

Melpomène Vostre secours m'est nécessaire, Je cherche à divertir le plus Auguste Roy Qui méritât jamais de tenir sous sa Loy Tout ce que le Soleil éclaire

Melpomène & Euterpe C'est à moy De prétendre à luy plaire,

Melpomène C'est moy dont la voix éclatante A droit de célébrer les exploits les plus grands, Les nobles récits que je chante Sont les plus dignes jeux des Fameux conquérants.

Euterpe C'est un doux amusement Que d'aimables chansonnettes; Les douceurs n'en sont pas faites Pour les bergers seulement: Les tendres chansonnettes Que l'on chante à l'ombre des bois Sur les Musettes, Ne sont pas quelques fois Des jeux indignes des grands Roys.

Polymnie Il faut entre mes soeurs que mon soin se partage: Préparez tour à tour vos plus aimables jeux; Pour vo'accorder, je m'engage Avo'seconder toutes deux. Commencez de répondre à mon impatience. Vos premiers soins sont dûs à ce que j'entreprends. Terminez tous vos différents. Souffrez qu'en sa faveur aujourd'huy je commnce, Je réserve pour vous mes travaux les plus grands.

Les trois muses ensemble. Que nôtre accord est doux! Que tout ce qui nous fuit s'accorde comme nous.

Quatre héros, quatre Pâtres & quatre ouvriers forment la seconde entrée.

Les Trois muses ensemble Joignons nos soins & nos voix Pour plaire au plus grand des Roys.

Choeurs Joignons nos soins & nos voix Pour plaire au plus grand des Roys.

Melpomène Chantons la gloire de ses armes.

Choeurs Chantons la gloire de ses armes.

Euterpe Chantons la douceur de ses loix.

Choeurs Chantons la douceur de ses loix.

Polymnie Faisons tout retentir du bruit de ses exploits.

Melpomène Formons des concerts pleins de charmes. Faisons entendre nos Hautbois.

Symphonie pour les Hautbois & les Musettes qui se répondent pendant que les Muses & leur suite se réunissent pour former le dernier Divertissement de ce Prologue, par leurs danses & par leurs Chants.

Melpomène Faisons tout retentir du bruit de ses exploits.

Tous ensemble Faisons tout retentir du bruit de ses exploits.

Polymnie Préparons des fêtes nouvelles

Melpomène Que nos chansons soient immortelles. Que nos airs soient doux & touchants. Meslons aux plus aimables chants Les danses les plus belles.

Tous ensemble Meslons aux plus aimables chants Les danses les plus belles.

ACTE I

Le Théatre représente une épaisse forest, où ces chûtes d'eaux coulent entre les arbres: on voit dans l'enfoncement deux montagnes séparées par une belle vallée où tombe une rivière par diverses cascades qui produisent plusieurs effets agréables & différents.

Scène 1

Tircis Vous chantez sous ces feuillages, Doux rossignols pleins d'amour, Et de nos tendres ramages, Vous réveillez tour à tour Les Echos de ces boccages: Hélas! petits oyseaux, hélas! Si vous aviez mes maux vous ne chanteriez pas.

Scène 2

Licaste, Ménandre, Tircis

Licaste He quoy, toujours languissant, sombre & triste?

Ménandre He quoy, toujours aux pleurs abandonnés?

Tircis Toujours adorant Caliste, Et toujours infortuné.

Licaste Domte, Berger, l'ennuy qui te possède.

Tircis He le moyen, hélas!

Ménandre Fais-toy quelque effort.

Tircis He le moyen, hélas! Quand le mal est si fort!

Licaste Ce mal trouvera son remède.

Tircis Je ne guériray qu'à la mort.

Caliste et Ménandre Ah! Tircis, Prends sur toy plus d'empire.

Tircis Ah! Bergers, rien ne me peut plus secourir

Caliste et Ménandre C'est trop céder

Tircis C'est trop souffrir.

Caliste et Ménandre Quelle foiblesse!

Tircis Quel martire!

Caliste et Ménandre Il faut prendre courage.

Tircis Il faut plutôt mourir

Licaste Il n'est point de bergère Si froide & si sévère, Dont la pressante ardeur D'un coeur qui persévère, Ne vainque la froideur. Il est dans les affaires Des maoureux mistères, Certains petits moments Qui changent les plus fières, Et font d'heureux amants.

Tircis Je le vois, la cruelle, Qui porte icy ses pas... Gardons d'être vu d'elle, L'ingrate, hélas! N'y viendroit pas.

Scène 3

Climène, Caliste

Climène Viens dans notre village: Voicy le jour Qu'on doit célébrer la feste de L'Amour, Que cherches-tu dans ce boccage?

Caliste J'y cherche le repos, le silence & l'ombrage.

Climène Tu devrois bien plutôt songer A t'engager: Eh! Que peut faire Une bergère, Sans un berger?

Caliste Ton malheur doit me rendre sage: Tu n'as choisi qu'un inconstant.

Climène Si mon berger devient volage Il m'est permis d'en faire autant. On goûte la douceur d'une amour éternelle, Quand on fait l'heureux choix d'infidelles Et quand on aime un infidelle, L'on a le plaisir de changer Quoy! l'amour de Tircis ne t'a point attendrie? Lorsqu'on en veut parler, tu n'écoutes jamais? Ne rêve plus où je m'en vais.

Caliste Laisse moy dans la rêverie. Ah! que sous ce feuillage épais Il est doux de rêver en paix!

Climène Je n'entre point dnas un mistère Que tu veux réserver: Mais un coeur sans affaire Ne donne point tant à rêver.

Scène 4

Caliste Ah! que sur notre coeur La sévère loy de l'honneur Prend un cruel empire! Je ne fais voir que rigueurs pour Tircis, Et cependant sensible à ses cuisants soucis. De sa langueur en secret je soupire, Et voudrois bien soulager son martire; C'est à vous seuls que je le dis, Arbres, n'allez pas le redire. Puisque le Ciel a voulu nous former Avec un coeur qu'Amour peut enflammer, Quelle rigueur impitoyable Contre des traits si doux nous force à nous armer? Et pourquoy sans être blâmable, Ne peut-on pas aimer Ce que l'on trouve aimable? Helas! petits oyseaux, que vous estes heureux De ne sentir mille contrainte, Et de pouvoir suivre sans crainte Les doux emportements de vos coeurs amoureux! Mais le sommeil sur ma paupière Verse de ses pavots l'agréable fraîcheur, Donnons-nous à luy toute entière, Nous n'ayons point de loy sévère Qui défende à nos sens d'en goûter la douceur.

La bergère Caliste s'endort sur un gazon.

Scène 5

Tircis, Licaste, Ménandre, Caliste, endormie.

Tircis Vers ma belle Ennemie Portons sans bruit nos pas, Et nous réveillons pas Sa rigueur endormie.

Ménandre, Licaste et Tircis, ensemble Dormez, Dormez beaux yeux adorables vainqueurs, Et goûtez le repos que vous vous ôtez aus coeurs.

Tircis Silence, petits oiseaux, Vents n'agitez nulle choses Coulez doucement, ruisseaux, C'est Caliste qui repose.

Ménandre, Licaste et Tircis, ensemble Dormez, Dormez beaux yeux adorables vainqueurs, Et goûtez le repos que vous vous ôtez aus coeurs.

Caliste s'éveillant. Ah! quelle pein extrême! Suivre partout mes pas?

Tircis Que vouslez-vous qu'on suive, hélas! Que ce qu'on aime.

Caliste Berger, que voulez-vous?

Tircis Mourir belle bergère, Mourir à vos genoux, Et finir mas misère: Puisqu'en vain à vos pieds, on me voit soupirer; Il y faut expirer.

Caliste Ah! Tircis, ôtez-vous, j'ay peur Que dans de jour, La pitié dans mon coeur N'introduise l'amour.

Licaste et Ménandre Soit amour, soit pitié, Il sied bien d'être tendre: C'est pas trp vous défendre, Bergers, il faut le rendre A la longue amitié.

Caliste C'est trop, c'est trop de rigueur, J'ay mal traité votre ardeur Crucifiant votre personne, Vangez-vous de mon coeur, Tircis, je vous le donne.

Tircis O ciel! Bergers! Caliste! ah! je suis hors de moy! Si l'on meurt de plaisir je dois perdre la vie.

Licaste Digne prix de ta foy!

Ménandre O sort digne d'envie!

Scène 6

Forestan, Silvandre, Caliste, Tircis

Forestan Quoy! tu me fuis, Ingrate, & je te vois icy De ce berger à moy faire une préférence?

Silvandre Quoy, mes soins n'ont rien pu sur ton indifférence, Et pour ce langoureux ton coeur s'est adoucy?

Caliste Le destin le veut ainsi, Prenez tous deux patience

Forestan et Silvandre Aux amants qu'on pousse à bout, L'amour fait verser des larmes; Mais ce n'est pas notre goust, Et la bouteille a des charmes Qui nous consolent de tout. Notre amour n'a pas toujours Tout le bonheur qu'il désire. Mais nous avons un secours, Et le bon vin nous fait rire Quand on rit de nos amours.

Tous Champêtres Divinitez, Faunes, Driades, sortez De vos paisibles retraites Mêlez vos pas à nos sons. Et tracez sur les herbettes. L'image de nos chansons.

Troisième entrée Quatre faunes, quatre driades. Les faunes sortent avec des petits Tambours, & les Driades avec des Festons de fleurs. Ils forment ensemble une entrée qui finit le premier acte.

ACTE II

Le théâtre représente u vieux château qui étoit autrefois la demeure des Seigneurs du prochain village, & qui tombe entièrement en ruines. On y voit en plusieurs endroits des arbres & des ronces, & dans l'enfoncement, au travers d'une arcade à demie rompuë, on découvre les vestiges de trois grandes allées de Cyprès à perte de veüe.

Scène première

Forestan. Je ne puis souffrir l'ouvrage Que Caliste fait à ma foy: Dans le fonds de mon coeur j'enrage Qu'elle aime un autre que moy. Deux enchanteurs m'ot fait entendre Qu'ils ont le secret de me rendre Tel qu'il faut être pour charmer; Caliste aura beau se défendre, Je la contraindray de m'aimer.

Scène 2 Forestan, Deux magiciens, Trois sorcières, Six démons dansants, et sept autres volants. C'es dans cette scène que les Lutins déguisez font une cérémonie magique pour feindre d'embellir Forestan, & pour se moquer de luy. Deux magiciens paroissent chacun une baguette à la main, ils frappent, la Terre en dansçant, & font sortir six démons qui se joignent avec eux. Trois sorcières sortent aussi de dessous terre, & faisant asseoir Forestan au milieu d'elles, mêlent leur chants aux danses des Magiciens & des Démons, pour former une manière d'enchantement.

Quatrième entrée Deux magiciens, Six démons Les trois sorcières ensemble Déesse des appas, Ne nous refuse pas La grace qu'implorent nos bouches: Nous t'en prions par tes rubans, Par tes boucles de diamants, Ton rouge, ta poudre, tes mouches, Ton masque, ta coëffe & tes gans.

Une sorcière O toy qui peux rendre agréables Les villages les plus malfaits, Répand, Vénus, de tes attraits Deux ou trois dozes charitables Sur ce museau tondu tout frais.

Les démons habillent Forestan d'une manière bizarre & ridicule, tandis que les magiciens et les autres démons dansent.

Les trois sorcières Ah qu'il est beau Le jouvenceau Qu'il va faire mourir de belles! Auprès de luy les plus cruelles Ne pourront tenir dans leur peau. Ho, ho, ho, ho, ho... beau! Qu'il est joli! Gentil, poli! Est-il des yeux qu'il ne ravisse! Il passe en beauté, feu Narcisse Qui fut un blondin accomply. hi, hi, hi, hi....Joli!

Les trois sorcières en finnissant ce trio s'enfoncent dans la Terre, les deux maginciens & les six démons dansant disparoissent, & dans le même temps quatre autres démons partent de quatre côtez différents, croisent dans l'air, & trois autres démons qui sortent de Terre, & s'élèvent en rond, après avoir fait trois tours en volant, se vont perdre dans les nuages au milieu du théâtre.

Scène 3

Forestan Qu'un beau visage a d'avantage! Tout luy rit, Tout luy fait la cour: Que l'on vera dans ce boccage De bergères mourir d'amour Et de bergers crever de rage!

Scène 4

Silvandre, Forestant.

Silvendre forestan, Forestan, ees-tu là?

Forestan Beau comme je dois être Il va me voir sans me connoitre

Silvandre O, Forestan? Ah te voilà Pourquoy t'amuser de la sorte?

Forestan Qu'importe, qu'importe!

Silvandre He quoy! ne veux-tu pas aller Où nous devons nous assembler Ton impatience est peu forte.

Forestan Qu'importe, qu'importe!

Silvandre Veux-tu souffrir en ce jour Que le foible dieu d'amour Sur le Dieu du vin l'emporte?

Forestan Qu'importe, qu'importe!

Silvandre Allons; c'est trop railler

Forestan A qui crois-tu parler?

Silvandre Quel badinage! Tu n'es pas sage; La feste de Bacchus commencera bientôt. Allons, sans tarder davantage, Allons-y boire comme il faut.

Forestan affecte de faire l'agréable, & quitte son ton naturel de basse pour chanter en fausses.

Forestan Il est bien doux de boire; On peut en faire gloire, Quand on n'a pas dequoy charmer: Bacchus sçait consoler un Amant misérable; Mais, quand on est aimable, Il n'est rien si doux que d'aimer.

Silvandre Que veux-tu dire? D'où vient ce caprice nouveau?

Forestan Regarder, considère, admire.

Silvandre Dy-moi donc je te prie De quelle folle rêverie Ton cerveau s'est remply?

Silvandre Consulte la Fontaine La plus prochaine, Mire-toy dans son eau. Ah qu'il est beau!

Forestan s'approche d'une Fontaine qui paroït au milieu du Théâtre, & dans le moment qu'il se baisse pour le regarder dans l'eau, il en sort deux Sirenes qui luy présentent un grand miroir. Forestan s'y voit aussi laid qu'il étoit avant la cérémonie magique; & dans la rage qu'il a de la tromperie qu'on luy a faite, il veut frapper de sa massue les deux Sirenes qui se moquent de luy, mais elles évitent ses coups, en se plongeant & en se perdant dans la Fontaine, qui disparoît en un moment.

Forestan Je suis digne de railleries; On m'a fait une fourberie: Mais, si je la mets en oubly... Non, non, les Imposteurs n'auront pas lieu de rire.

Deux sorcières affreuses paroissent aux deux côtez du théâtre, & présentent chacun un miroir à Forestan.

Silvandre Regarde, considère, admire

Forestan Ah! je vais vous payer de m'avoir embelly.

Forestan s'avance vers une des sorcières, & la veut frapper de sa massue, mais la socière évite le coup en s'envolant, le Satire ne frappe que de l'air, & sa massue luy échappe des mains. Il cour vers l'autre sorcière, il l'attrappe, mais dans le moment qu'il se jette sur elle, & qu'il la tient, il ne luy demeure entre les mains qu'une figure de sorcière qui luy fait la grimace, & luy présente un miroir, tandis qu'un petit Lutin qui étoit enfermé dedans, s'envole en se moquant du Satire.

Scène 4

Silvandre Qu'il est joli! Hi, hi, hi, hi...

Forestan C'est un tour es Lutins errants dans ce Bocage Dont il faut que je sois vengé.

Silvandre Hé, hé, hé, hé...

Forestan Tu ris quand je suis outragé?

Silvandre, riant Hé, hé, hé, hé...

Forestan Ne m'insulte point davantage; Va rire ailleurs; Je fuis dans une rage Qui pourroit bien tourner sur les méchants railleurs.

Silvandre Amy, me veux-tu croire, Ne songeons plus qu'à boire; Fuyons l'amour, & le chagrin, Suivons Bacchus, courons au vin.

Silvandre et Forestan, ensemble Au vin, au vin, au vin, Fuyons l'amour & le chagrin, Suivons Bacchus, courons au vin.

Scène 5 Damon, Silvandre, Forestan

Damon Ma bergère a changé, je veux changer comme elle.

Silvandre Suy les loix de Bacchus, tu t'en trouveras bien.

Damon Heureux qui peut aimer une beauté fidelle.

Forestan Plus heureus qui peut n'aimer rien.

Silvandre Viens avec nous goûter la vie; Quitte une volage Beauté, Comme elle t'a quitté: Profite de sa perfidie, Viens jouïr de la liberté.

Damon C'est pour servir Cloris que je quitte Climène, Et mon coeur sans aimer ne sçauroit vivre un jour. Qui s'engage une fois peut bien changer de chaine; Mais, il est mal-aisé d'échapper à l'Amour.

Silvandre Sous l'amoureux empire, On n'est point sans tourments; Je te plains pauvre Amant, Languy, gémy, soupire; Nous allons rire, Nous aimons rire. Fuyons l'amour...

Scène 6

Damon, Climène

Damon Ma volage s'avance

Climène Voicy mon infidele amant.

Damon & Climène Vengeons-nous de son inconstance. O! la douce vengeance Qu'un heureux changement

Damon Quand je plaisois à tes yeux J'estois content de ma vie, Et ne voyois Roys ny Dieux Dont le sort me fit envie.

Climène Lorsqu'à toute autre personne me préféroit ton ardeur. J'aurois quitté la couronne Pour régner dessus ton coeur.

Damon Une autre a guery mon ame, Des feux que j'avois pour toy

Climène Une autre a vengé ma flamme Des foiblesses de ta foy.

Damon Cloris qu'on vante si fort M'aime d'une ardeur fidelle; Si ses yeux vouloient ma mort, Je mourrois content pour elle.

Climène Mirtil si digne d'envie, Me chérit plus que le jour; Et moy, je perdrois la vie Pour luy montrer mon amour.

Damon Mais si d'une douce ardeur, Quelque renaissance trace Chassoit Cloris de mon coeur Pour te remettre en sa place?

Climène Bien qu'avec pleine tendresse Mirtil me puisse chérir, Avec toy, je le confesse, Je voudrois vivre & mourir.

Climène et Damon, ensemble Ah! ah! plus que jamais aimons-nous, Et vivons & mourons en des liens si doux.

Scène 7

Troupe de bergers et de bergères, Damon, Climène. Les bergers & les bergères témoignent leur joye de la réunion de Damon & Climène.

Choeur Amants, que vos querelles Sont aimables & belles;

Petit choeur Qu'on y voit succéder De plaisirs, de tendresse! Querellez-vous sans cesse, Pour vous racommoder.

Scène 8

Arcas, Damon, Climène, Troupe de bergers et de bergères.

Arcas Venez, que rien ne vous arrête, Ne perdez point d'heureux moments; Venez tous voir la fête Que l'on apprête A l'honneur du Dieu des amants: Les plaisirs où l'Amour convie Sont les plus charmants de la vie; Il en faut jouir tant qu'on peut, On ne les a pas quand on veut.

ACTE III

Le Théâtre représente une grande allée d'arbres d'une extrême hauteur, lesquels mêlent leurs branches les unes avec les autres, & forment une manière de voûte de verdure, où plusieurs pasteurs jouant de differents instruments, se rtouvent placez; Un grand nombre de bergers & de bergères paroissent sous cette voûte & commencent la fête de l'Amour, par ces chansons où les danses se mêlent de temps en temps.

Scène 1

Troupes de pasteurs, de bergers et de bergères.

Caliste Icy l'ombre des ormeaux Donne un teint frais aux herbettes, Et les bords de ces ruisseaux Brillent de mille fleurettes Qui se mirent dans les eaux: Prenez Bergers, vos musettes, Ajustez vos chalumeaux, Et mêlons nos chansonnettes Aux chants de petits oiseaux.

Climène Les zéphirs entre ces eaux, Fait mille courses secrettes, Et les rossignols nouveaux, De leur douces amourettes, Parlent aux tendres rameaux: Prenez Bergers, vos musettes, Ajustez vos chalumeaux, Et mêlons nos chansonnettes Aux chants de petits oiseaux.

Cinquième entrée Quatre bergers, quatre bergères. Les bergers & les bergères continuent de mêler les danses aux chansons.

Cloris Ah! qu'il est doux, belle Silvie, Ah! qu'il est doux de s'enflammer! Il faut retrancher de la vie Ce qu'on en passe sans aimer

Silvie Ah! les beaux jours qu'Amour nous donne, Lorsque sa flamme unit les coeurs! Est-il ny gloire, ny couronne Qui vaille ses moindres douceurs?

Arcas Qu'avec peu de raison on se palint d'un martire Que suivent de si doux plaisirs!

Tircis Un moment de bonheur dans l'amoureux empire, Répare dix ans de soupirs.

Ensemble Un moment de bonheur dans l'amoureux empire, Répare dix ans de soupirs.

Choeurs Chantons tous de l'Amour le pouvoir adorable, Chantons dans ces lieux Ses attraits glorieux, Il est le plus aimable Et le plus grand des Dieux.

La perspective s'ouvre, & laisse paroître dans le fond du théâtre un autre manière de voûte de treille, sous laquelle une multitude de suivants de Bacchus sont placez, les uns dans des tonneaux, & les autres sur une espèce d'Amphithéâtre couvers de pampres de vigne, qui tous jouent de différents instruments, tandis que plusieurs autres satires & silvains s'avancent au mileu du théâtre pour interrompre la fête de l'Amour, & pour en célébrer une plus solennelle à la gloire de Bacchus.

Scène 2

Troupes de satires, de bacchantes, et de silvains, jouant de différents instruments, chantants, & dansants, Silvandre, Aminte, Forestan, Troupes de bergers et de bergères, & de suivants de l'Amour.

Silvandre Arrêtez, arrêtez, c'est trop entreprendre: Un autre Dieu dont nous suivons les loix, S'oppose à cet honneur qu'à l'Amour osent rendre Vos musettes & vos voix; A des titres si beaux Bacchus seul peut prétendre, Et nous sommes icy pour défendre ses droits.

Choeurs Nous suivons de Bacchus le pouvoir adorable Nous suivons en tous lieux Ses attraits précieux: Il est le plus aimable Et le plus grand des Dieux.

Les suivants de Bacchus qui dansent sont un combat contre les danseurs du party de l'Amour, tandis que les bergers & les satires disputent en chantans, en faveur du Dieu que chacun veut honorer.

Sixième entrée Quatre satires, quatre bacchantes

Aminte C'est le printemps qui rend l'ame A nos champs semez de fleurs: Et c'est l'Amour & la flamme Qui font revivre les coeurs.

Forestan Le soleil chasse les ombres, Dont le ciel est obscurcy: Et des ames les plus sombres, Bacchus chasse le soucy.

Choeurs de Bacchus Bacchus est révéré sur la terre & sur l'onde

Choeurs de l'Amour Et l'Amour est un Dieu qu'on révère en tous lieux.

Choeurs de Bacchus Bacchus à son pouvoir a soumis tout le Monde.

Choeurs de l'Amour Et l'Amour a dompté les Hommes & les Dieux.

Choeurs de Bacchus Rien peut-il égaler sa douceur sans seconde.

Choeur de l'Amour Rien peut-il égaler ses charmes précieux.

Choeur de Bacchus Fy, fy, de l'Amour & de ses feus

Party de l'Amour Ah! quel plaisir d'aimer!

Party de Bacchus Ah! quel plaisir de boire!

Party de l'Amour A qui vit sans amour la vie est sans appas.

Party de Bacchus C'est mourir que de vivre & de ne boire pas.

Party de l'Amour Aimables fers!

Party de Bacchus Douce victoire

Les deux partis ensemble Non, non, c'est un abus. Le plus grand Dieu de tous

Party de l'Amour C'est l'Amour

Party de Bacchus C'est Bacchus

Scène 3 et dernière

Le berger Licaste se mêle entre les deux patis, & les accorde.

Licaste C'est trop bergers: hé pourquoy ces débats? Souffrons qu'en un party la Raison nous assemble: L'Amour a des douceurs; Bacchus a des appas, Ce sont deux Déïtez qui sont fort bien ensemble; Ne les séparons pas. Mêlons donc leurs douceurs aimables, Mêlons nos voix dans ces lieux agréables. Et faisons répéter aux Echos d'alentour, Qu'il n'est rien de plus doux que Bacchus et l'Amour.

Septième et dernière entrée Quatre bergers, quatre bergères, quatre satires, et quatre Bacchantes.




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