Content-Type: text/html; charset=UTF-8

Les bêtes ne sont pas si bêtes


"Et dans les mouvements de leurs tendres ardeurs
Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense."
Amphitryon, Prologue, v. 106

Dans son traité De l'art de régner (1665), dédié à Louis XIV, le Père Le Moyne avait dénoncé les plaisirs du corps comme dégradants et bestiaux, par conséquent indignes d'un souverain :

Qui aurait ôté au prince cette vertu et la gloire qui la nourrit, que lui resterait-il qui le distinguât des autres hommes ? Serait-ce la chasse ? Ses veneurs y peuvent mieux faire que lui. Serait-ce la danse? Les enfants des bohémiens seraient ses maîtres. [...]Seraient-ce les plaisirs ? [...] Ceux du corps sont le partage des bêtes et des hommes qui approchent le plus de la bête.
(p. 36)

La spontanéité de la sexualité animale, également illustrée par l'exemple des "oiseaux amoureux", est vantée dans le dialogue érotique anonyme de L'Ecole des filles (1667) :

As-tu jamais vu les bêtes parmi les champs, combien amoureusement le mâle grimpe sur la femelle, le taureau sur la génisse, le cheval sur la cavale ? C'est ainsi qu'il en prend des amours des hommes, et quelques simagrées que fasse un amant devant nous, quelques larmes qu'il répande et quelques protestations d'honneur, d'amitié et de respect qu'il nous fasse [...], tout cela ne va qu'à nous renverser sur le lit.
(éd. J. Prévot, Paris, Gallimard, 19, t. II, p. 1174)

Ce propos sera explicitement condamné par Bossuet dans ses Maximes et réflexions sur la comédie (1694) :

Les discours qui tendent directement à allumer de telles flammes, qui excitent la jeunesse à aimer, comme si elle n'y était pas assez insensée, qui lui font envier le sort des oiseaux et des bêtes que rien ne trouble dans leurs passions et se plaindre de la raison et de la pudeur si importunes et contraignantes.
(IV, p. 14)

Il sera également combattu par Pierre Nicole dans son essai "De la faiblesse de l'homme" (Essais de morale, 1671) :

Il y a des gens qui, voulant vivre comme des bêtes, ne trouvent rien de fort humiliant dans les opinions qui les rendent semblables aux bêtes ; au contraire, ils y trouvent un secret soulagement, parce que leurs dérèglements deviennent moins honteux en paraissant plus conformes à la nature.
(éd. de 1672, p. 6)

Les pratiques sexuelles zoomorphes des dieux du panthéon antique seront vilipendées dans le sermon "Sur l'impureté" de Bourdaloue :

C'est de là, remarque Clément Alexandrin, que les poètes, qui furent les théologiens du paganisme, lorsqu'ils décrivaient les pratiques honteuses et les infâmes commerces de leurs fausses divinités, ne les représentaient jamais dans leur forme naturelle, mais toujours déguisées et souvent métamorphosées en bêtes. Pourquoi cela ? "Nous les blâmons, dit ce Père, d'avoir ainsi déshonoré leur religion et outragé la majesté de leurs dieux ; mais, à le bien prendre, ils en jugeaient mieux que nous : car ils voulaient nous dire là que ces dieux prétendus n'avaient pu se porter à de telles extrémités sans se méconnaître, et qu'en devenant adultères, non seulement ils s'étaient dépouillés de l'être divin, mais qu'ils avaient renoncé à l'être de l'homme".
(éd. de 1707, p. 83)




Sommaire | Index | Accès rédacteurs