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Le témoignage de l'Antiquité


"Si nous voulons ouïr là-dessus le témoignage de l'antiquité, elle nous dira que ses plus célèbres philosophes ont donné des louanges à la comédie, eux qui faisaient profession d'une sagesse si austère, et qui criaient sans cesse après les vices de leur siècle; elle nous fera voir qu'Aristote a consacré des veilles au théâtre, et s'est donné le soin de réduire en préceptes l'art de faire des comédies; elle nous apprendra que de ses plus grands hommes, et des premiers en dignité, ont fait gloire d'en composer eux-mêmes, qu'il y en a eu d'autres qui n'ont pas dédaigné de réciter en public celles qu'ils avaient composées, que la Grèce a fait pour cet art éclater son estime par les prix glorieux et par les superbes théâtres dont elle a voulu l'honorer, et que, dans Rome enfin, ce même art a reçu aussi des honneurs extraordinaires: je ne dis pas dans Rome débauchée, et sous la licence des empereurs, mais dans Rome disciplinée, sous la sagesse des consuls, et dans le temps de la vigueur de la vertu romaine."
Le Tartuffe, Préface

L'argument du goût de l'Antiquité pour le théâtre avait été avancé comme justification du bien-fondé de l'activité théâtrale par


(1)

Mais pourquoi me voulez-vous faire passer pour un ennemi déclaré du théâtre et de ses représentations, moi qui n'en ai jamais condamné que les abus, dont les meilleures choses, et même les plus saintes ne sont pas toujours exemptes ? Les Grecs, entre tous les Anciens, ont excellé aux comédies et, parmi eux, les Athéniens s'y plaisaient de telle sorte que si nous en croyons Plutarque, ils y ont plus dépensé qu'en toutes leurs guerres, qui ont été grandes et presque continuelles. Si est-ce qu'enfin les aréopagites furent contraints d'en défendre la composition. Les Romains véritablement n'ont jamais déféré tant d'honneurs ni tant de privilèges à leurs acteurs que les Grecs, quoiqu'on ait vu un de leurs empereurs réciter sur le théâtre et le seul Roscius touchât trente six mille écus par an de l'épargne ou trésor public, pour jouer durant ce temps-là une douzaine de fois devant le peuple.
(éd. des Oeuvres de 1756, VI, 2, p. 261) (voir également "sans injustice" et "son origine de la religion" et "ses plus grands hommes")

(2)

L’antiquité, si sage en toutes choses, ne l’a pas été moins dans celle-ci que dans les autres ; et les païens, qui n’avaient pas moins de respect pour leur religion que nous en avons pour la nôtre, n’ont pas craint de la produire sur leurs théâtres : au contraire, connaissant de quelle importance il était de l’imprimer dans l’esprit du peuple, ils ont cru sagement ne pouvoir mieux lui en persuader la vérité que par les spectacles, qui lui sont si agréables C’est pour cela que leurs Dieux paraissent si souvent sur la scène, que les dénouements, qui sont les endroits les plus importants du poème, ne se faisaient presque jamais de leur temps que par quelque divinité, une preuve exemplaire de la clémence ou de la justice du Ciel envers les hommes. Je sais bien qu’on me répondra que notre religion a des occasions affectées pour cet effet, et que la leur n’en avait point ; mais outre qu’on ne saurait écouter la vérité trop souvent et en trop de lieux, l’agréable manière de l’insinuer au théâtre est un avantage si grand par dessus les lieux où elle parait avec toute son austérité, qu’il n’y a pas lieu de douter, naturellement parlant, dans lequel des deux elle fait plus d’impression.
(p. 557)

(3)

c'est une chose indubitable que la Grèce et l'Italie, sont les Mères de toutes les sciences, et les inventrices de tous les beaux Arts : et c'est dans elles aussi que la Comédie, à reçu le plus d'éclat et le plus de gloire, et qu'elle a été suivie, avecques le plus d'ardeur.
(p. 25)

Aussi la tragédie fut traitée avec tant d'honneur, parmi les Athéniens, que par un décret des Amphictions il était permis en termes exprès, à ceux du corps de l'Aréopage d'en composer, quelques importantes que fussent les occupations de leurs charges : Et cette sage République, ordonna même des prix, pour le Poète qui travaillerait le mieux.
(p. 26-27)

(4)

Les Sages allaient voir sans scrupule et sans gêne
Les théâtres pompeux de la superbe Athènes,
Les plus sévères même en remplissaient les lieux,
Ils ne dédaignaient pas de leur prêter les yeux ;
Et trouvant sa conduitte aussi pure que belle,
Ils ne remarquaient rien que d’excellent en elle.
(éd. de 1655, sous le nom de Dorimon, p. 5)

Chez les Athéniens ceux de l’aréopage,
Ces mortels respectés, ce corps savant et sage,
Relâchoient quelquefois leurs occupations
Afin de l’honorer de leurs productions ;
C’était un avantage assez noble pour elle,
Que ces esprits brillants d’vne gloire immortelle,
Qui ne tournent jamais les regards de leurs yeux
Que vers de beaux objets, que du côté des cieux,
Et qui pour y monter, détachés de la terre,
Font à leurs passions une cruelle guerre,
Aient cru le théâtre un savant entretien,
Et l’ennemi du mal comme l’auteur du bien.
Passons chez les Latins, et faisons voir dans Rome
Comme il est honoré du plus excellent homme,
Dessous le consulat de Quintus Fabius,
Lorsqu’on en bannissait les plaisirs superflus,
Lorsque plus fleurissait la sage république,
On vit fleurir aussi l’aimable jeu scénique.
Ces grands hommes d’état, ces graves sénateurs
Qui n’avaient de l’amour que pour les bonnes mœurs,
Crurent-ils établir des choses vicieuses
En plaçant ce noble art entre les vertueuses ?
Non, mais pour les porter dans la perfection,
Ils mêlaient les plaisirs avec l’instruction :
Pompée ayant bâti de superbes théâtres,
Rendit de ses vertus les peuples idol^tres :
Le grand Jules César en fit vu fort charmant :
Le sévère Caton fit voir son jugement
Quand de ses propres mains il décora la scène,
Lui dédiant ses soins, ses trésors et sa peine :
Mais Scaurus en fit un bien plus pompeux encore,
D’ivoire, de cristal, d’argent, de bronze et d’or,
De colonnes de prix, d’excellente peinture,
Bref, de tout ce que l’art peut avec la nature :
Le grand Vespasien, ce prudent Empereur,
Qui toujours du prodigue a condamné l’erreur,
Lui qui fit jamais une dépense injuste ;
Mit ordre d’achever le théâtre d’Auguste :
Un autre souverain en fit un de tel prix,
Que de son seul aspect il charmait les esprits,
Et même les Romains voyant tant de richesse,
Nommèrent ce jour-là, jour d’or et d’allégresse.
Ces pompeux ornements qui ravissaient les yeux,
N’étaient pas les effets d’un désir vicieux ;
C’est qu’on prenait plaisir à maintenir l’école
Où la vertu produit une docte parole,
Qui touche assurément l’âme plus que les sens,
Et par qui les humains se rendent plus savants ;
Ces discours éloquents qui charment les oreilles,
Enchantent les esprits par leurs douces merveilles.
(ibid., p. 8-10)

(5)

[...] et pour faire voir à ce pauvre mélancolique de Brionte que son esprit est malade, dictes-lui Mesdemoiselles que la Comédie a commencé chez les Grecs ; et chez les Athéniens du temps de Thésée furent ceux qui commencèrent à donner la grâce au Théâtre, parce qu'outre leur inclination à cet honorable exercice leur langage était plus propre que celui des Latins, le bon Brionte ne sut pas que Solon ayant reconnu le mérite et l'importance de la Comédie l'introduit par ses lois, tant pour divertir les peuples des factions, que pour les former aux bonnes moeurs.

BONI.

Je me souviens d'avoir lu qu'Aristophane, Alexandre, et une infinité d'autres bons Acteurs de l'Antiquité ont été récompensés du public et des Juges établis de tous les grands des Provinces et des villes, pour juger qui emporterait le prix ; et même les Romain représentaient aux dépens de la République.

CAPI.

Il faut que j'écorche cet excrément de Philosophie, qui blâme une condition laquelle j'ai choisie comme celle qui est un miroir universel de tous les beaux exemples de la vie. Croit-il qu'autrement je l'eusse embrassée. Scipion l'Africain duquel je suis les traces, et son ami Lelius ont le bruit d'avoir composé les Comédie qui sont aujourd'hui sous le nom de Térence. Auguste a composé la Tragédie d'Ajax, et ces grands Capitaines se tenaient bien honorés d'être quelquefois Acteurs.

BEL.

La Comédie avait tant de privilège alors, qu'il était permis de nommer sur le Théâtre les personnes qu'on voulait censurer, parce que l'utilité des action Comiques était pour la correction des vices : mais cela fut corrigé : Peut-être que votre Philosophie se fonde sur ce que Platon ôte la Comédie de sa République, mais le seigneur Brionte n'a pas vu que Platon en est fort blâmé d'Aristote, et de tous ceux qui ont écrit depuis lui.

BEAUC.

A propos du mérite et de l'antiquité de la Comédie, il me souvient d'avoir lu que Livinius Stolon étant Tribun du peuple, les Romains dressèrent quantité de Théâtres qu'on entourait de feuillages, et c'est de là qu'ils ont pris le nom de Scène à cause des ombrages qui est l'étymologie du mot Grec, qui signifie ombrage. Et pour accabler notre Philosophe, qu'il apprenne que la première institution de la Comédie fut sur l'intention d'exercer la jeunesse, soit pour la dresser à la guerre, parce qu'on y pratiquait les leçons de l'art militaire, soit pour leur apprendre les gestes et maniement du corps, et la dextérité des bonnes actions qu'on y observait soigneusement. Valère le grand nous enseigne cela, et que les Romains chérissaient tant ces exercices qu'il y joignirent ceux de la piété en l'honneur de leurs Dieux aux jours qui leur étaient consacrés.

M GAUL.

J'ai même appris que les Poètes de ce temps-là, composaient à l'envi l'un de l'autre sur les plus dignes sujets, et qu'ils tenaient à grand honneur de réciter leurs vers eux-mêmes. Je crois que le premier qui commença fut un Andronius Précepteur du Consul Salviator, lequel triompha des Esclavons, après lui Serenius se fit admirer en cet art. Et puis vint Nevius qui composa la première guerre de Carthage, aida à la représenta et fut premier récompensé.

M. BONI.

Il me semble que ceux-là ont été suivis de Plaute et Térence. Et qu'entre ceux qui ont paru ç'a été Roscie qui a excellé, il était ce dit-on natif Français, c'est lui qui enseigna Cicéron l'art de bien réciter un discours et la manière de bien composer ses gestes.

TURL.

Il est vrai, et Cicéron dit de lui au troisième livre intitulé "l'Orateur", qu'il n'avait jamais si bien récité une chose que Roscie ne la put encore mieux réciter. De son temps les Sénateurs allaient souvent voir la Comédie comme des exercices honorables et profitables, tenant ces représentations comme une école pour apprendre l'art de se bien exprimer au rapport du même Valère le grand.

GUILL.

J'ai ouï dire à mon Oncle Monsieur Christofle Bourdon le Poète et Médecin, que lorsque César, Pompée, Metellus et autre grands de leur temps voulaient gagner la faveur du peuple, ils leur faisaient des représentations Comiques, chose qu'il recevait à très grand honneur, que veut dont dire ce philosophe crotté, je veux aller disputer contre lui.
(II, 5, p. 85-91)




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