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Le nom de ridicule et misérable auteur


" [...] mais, enfin, lui disais-je,
Quel besoin, si pressant, avez-vous de rimer?
Et qui, diantre, vous pousse à vous faire imprimer?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre,
Ce n'est qu'aux malheureux, qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au public, ces occupations;
Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que, dans la cour, vous avez d'honnête homme,
Pour prendre, de la main d'un avide imprimeur,
Celui de ridicule, et misérable auteur."
Le Misanthrope, I, 2, v. 362-372

Cette idée circule dans la littérature mondaine.

La remarque d'Alceste rejoint les réflexions contemporaines sur le motif du récitateur importun.


(1)

Est-il possible qu'un homme qui n'a pas appris l'art d'écrire, et à qui il n'a point été fait de commandement de par le roi et sur peine de la vie de faire des livres, veuille quitter son rang d'honnête homme qu'il tient dans le monde pour aller prendre celui d'un impertinent et ridicule auteur ?
(Balzac, Lettre du 23 novembre 1637, p. 194-195)

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(2)

J'avoue, reprit-elle, que l'amour en musique et l'amour en vers est une galante chose, mais il est bien difficile à un homme de condition de se servir bien à propos de ces deux qualités. Encore pour chanter, je n'y vois pas une si grande difficulté, mais un homme de qualité qui fait le poète public est ordinairement un fort étrange homme. - Il est vrai, Madame, qu'il y a bien de la différence entre un honnête homme qui fait bien des vers et un vrai poète. - Croyez-moi, dit-elle, il est plus dangereux qu'on ne pense de s'exposer à une pareille aventure; car enfin, si on fait de mauvais vers, c'est une pitoyable chose; si on les fait bons, on les montre, on trouve doux d'être loué, et en moins de rien on devient poète de profession; on vous prie de réciter vos vers, on vous demande des copies, on vous propose même d'en faire sur divers sujets qu'on vous donne, on vroit qu'on vous fait trop d'honneur pour vous en prier, et on vous traite enfin comme un homme à qui on n'ose presque plus parler en prose. C'est pourquoi je trouve qu'il est assez fâcheux à un homme de condition de s'aller exposer à de si bizarres aventures.
(Clélie, III, 2, p. 1074)

Il suffit de dire seulement qu'il faut qu'un homme de condition ne se mêle point de faire de vers, s'il n'y est forcé par son inclination, et s'il ne les fait bien ; et c'est la plus mauvaise raison du monde de dire pour excuser un homme de qualité que ce n'est pas son métier ; car s'il est excusable de ne pouvoir faire de bons vers, il ne l'est pas de se mêler d'en faire, puisqu'il les fait mal.
(Ibid., p. 1085)

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(3)

J’avoue, interrompit Alcidamie, que tous ceux qui font des vers impromptus s’exposent au hasard de les voir censurés ; mais cependant cette sorte de petits vers libres faits sans préparation sont presque les seuls qu’un galant homme qui ne fait point profession d’être auteur peut impunément faire ; car je crois que toute la compagnie, et Philimène en particulier, tomberont d’accord avec moi qu’il ne serait pas bienséant à un homme d’une grande qualité d’entreprendre un poème épique, ou quelque autre ouvrage de cette force.
( .. .)
Mais Philimène, interrompit Lisicrate, nous avons pourtant des exemples fameux des chevaliers romains et d’autres grands personnages de l’Antiquité, qui donnaient une partie de leur vie à l’étude de la poésie. – Cette partie de leur vie que les personnages dont vous parlez donnaient à l’étude de la poésie, répliqua Philimène, ne pouvait assurément être employée à rien de meilleur ; et, en ce cas, il est non seulement permis à un homme de qualité de faire des vers, mais il est même très louable qu’il en use de cette sorte ; car la poésie est d’elle-même la plus belle chose du monde, et pourvu qu’elle ne détourne point un roi du soin de son état, un général d’armée de celui de sa charge, je crois qu’on ne la peut assez chérir ; mais je voudrais q’on la considérât comme un divertissement plutôt que comme une occupation et qu’on ne fit pas son capital d’une chose que le dernier des hommes peut avoir en commun avec un grand héros.
(…)
Il faudrait qu’il fût permis à un homme de qualité qui aurait de l’esprit et un talent particulier pour la poésie (car il ne suffit pas toujours d’être spirituel pour être bon poète) de faire des vers ; mais je voudrais qu’il n’en fît jamais que pour sa maîtresse ou pour ses amies et qu’il les fît pourtant avec la même justesse que s’ils devaient être vus de tout le monde ;
(…)
Pour donner juste modèle que les gens de qualité peuvent faire impunément,il ne faut que presser Ozomar et Lisicrate de satisfaire à ce qui leur est ordonné ; car je m’imagine qu’il faut que l’occasion, plutôt que le dessein, fasse faire des vers aux gens de qualité, qu’ils doivent être faits sans façons, lus et récités de même ; et qu’encore qu’on s’efforce de les rendre beaux et qu’on les connaisse tels, il ne faut pourtant non plus s’en glorifier que s’ils étaient les plus méchants du monde. ; car je crois qu’il n’y a point de si bons vers qu’un homme qui ne se pique pas d’en faire ne doive laisser usurper aux gens affamés de fausse gloire, avec le même sens froid que s’il n’y avait aucun intérêt.
(Alcidamie, in Oeuvres, 1720, p. 346-352)

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(4)

Honnête homme et mauvais poète

Eraste aime la vertu
Il est de bonne famille.
Sa soeur est fort belle fille,
Et lui propre et bien vêtu.
S'il m'accoste en ta présence,
Damon, je souffre l'offense
De ton regard de travers.
Soudain ta colère éclate.
Quoi veux-tu que je le batte,
Pource qu'il fait mal les vers ?
(Gombauld, Epigrammes, 1657, II, CI, p. 117)

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(5)

Celui de qui vous m'avez envoyé les compositions [...] n'est pas à beaucoup près si recommandable. [...]. Je vous dirai [...] que les moins étendues m'ont semblé les moins mauvaises, par la raison portée dans le proverbe, qui dit que les plus courtes folies sont les meilleures. Vous ne vous étonnerez pas que j'en parle ainsi, si vous vous souvenez qu'on a bien osé dire de certains demi-vers de Virgile Dimidium plus toto. Le retranchement des choses même excellentes est souvent avantageux, à plus forte raison le doit-il être de celles qui n'ont rien de recommandable. [...] Philoxène ne put jamais approuver la mauvaise veine de ce roi de Syracuse, qui lui demandait son avis d'une élégie plaintive, et d'une description de quelque grande calamité ; il lui répondit avec équivoque que la première était véritablement très pitoyable, et qu'à l'égard de l'autre, son expression de tant de misères était sans doute fort misérable. [...]
Son Centon n'est pas plus à priser : il met des trois et quatre vers de suite pris d'un même lieu, contre la règle qu'il devait avoir apprise d'Ausone, Duos junctim locare, ineptum est : et tres una serie, merae nugae. En vérité, c'est la preuve de ce qu'a prononcé cet ancien sur ce genre de poésie, Peritorum concinnatio miraculum est : imperitorum junctura ridiculum.
(La Mothe le Vayer, "Des poètes", Oeuvres, 1756, VII, 2, p. 195-197)




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