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Le meilleur ami de toute la famille


"Est-il possible que cinq ou six années m'aient ôté de votre mémoire? et que vous ne reconnaissiez pas le meilleur ami de toute la famille des Pourceaugnac? - Pardonnez-moi. Ma foi, je ne sais qui il est. - Il n'y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connaisse depuis le plus grand jusques au plus petit; je ne fréquentais qu'eux dans le temps que j'y étais, et j'avais l'honneur de vous voir presque tous les jours."
Monsieur de Pourceaugnac, I, 4

Un jeu de scène semblable à celui qui est développé dans la sc. I, 4 de Monsieur de Pourceaugnac peut être relevé dans le scenario de commedia dell'arte napolitain "Pulcinella pazzo per forza".

Florindo feint de connaître Pulcinella et d'être le meilleur ami de sa famille. Il tire tous les noms des parents de sa bouche, sans que Pulcinella s'aperçoive de l'artifice. Il insiste pour qu'il loge chez lui :

Florindo, in vederlo, s’imagina per le relazioni havute che quello sia Policinella, e li fa complimenti ; Policinella si vede imbrogliato, e sedendosi sopra le balice, domanda al servo chi sia quello ? Florindo mostra maravigliarsi che non lo conosca, dicendoli essere il maggiore amico che lui habbia, come ancora era amico di suo padre, che si chiamava il signor (e si ferma non sapendo il nome) ; Policinella repiglia, dicendo il nom del padre, e Florindo s’attacca sempre al partito cacciandoli il tutto da bocca e fingendosi amico di tutta la sua casa, Policinella crede che sia il vero, benchè non se lo ricordi ; Florindo che vuol che stii in sua casa, e dopo cerimonie Policinella accetta.
(I, 8)

Le même stratagème est utilisé par un personnage de la nouvelle Ne pas croire ce qu'on voit (1670) de Boursault :

Il s'en retournait, consolé de toutes les disgrâces qui lui étaient arrivées, quand le valet du jaloux Dom Diègue, nommé Ordogno, qui passa auprès de lui, fit semblant d'avoir une idée confuse de sa personne, et commença de l'appeler pays, quoiqu'il ne l'eût jamais vu que cette fois-là. "Je ne sais, lui dit Mandoce, si je suis de votre pays ou non, mais j'ai bien de la peine à vous reconnaître. - Vous, de la peine à me reconnaître, bon Dieu ! répondit l'artificieux Ordogno, je n'en crois rien : vous n'oubliez pas vos amis si facilement, et je vois bien que présentement vous commencez à me remettre. - Je voudrais bien, dit Mandoce, que vous me donnassiez quelques enseignes pour me rafraîchir un peu la mémoire touchant notre connaissance ; car plus je vous regarde, moins je me souviens de vous avoir vu. - S'il ne tient qu'à cela, répliqua le perfide Ordogno, vous m'allez connaître à la moindre chose que je dirai. De quel pays êtes-vous ? - Arragonais, répondit Mandoce. - Justement, reprit le fripon d'Ordogno, voyez ce que c'est d'être quelque temps sans se voir : je l'avais déjà oublié. Et votre nom est, poursuivit le traître. - Mandoce, répartit bonnement celui qui avait ce nom-là. - Quoi, mon cher Mandoce, interrompit au plus vite le cauteleux Ordogno, celui avec qui j'ai tant de fois... Il ne faut pas nous séparer sans renouer notre vieille connaissance. Je prétends vous régaler pendant que je vous tiens, et je ne veux pas qu'il soit dit que deux amis, qui avaient tant d'envie de se revoir, se soient rencontrés pour se faire amplement la révérence". A ce mot de "régaler" Mandoce, qui avait une faim cruelle, et qui par conséquent fut touché par son endroit sensible, ne douta point que l'autre ne le connût le mieux du monde. Sa mémoire avait de la peine à en demeurer d'accord; mais il trouva sa faim plus croyable que sa mémoire, et le suivit aussi familièrement que s ils n'eussent jamais bougé d ensemble.
(éd. de 1739, p. 61-63)

On le trouvait auparavant dans la satire I ("Des marchands") de Furetière (Poésies diverses, 1658) :

A peine est-il entré qu'aussitôt il s'arrête
Pour me considérer des pieds jusqu'à la tête,
Puis d'un geste attentif m'aborde, et me dit : "Vois !
Je suis trompé, Monsieur, si je ne vous connais;
Je le viens de juger à votre seule mine,
Est-ce que vous logiez à la place Dauphine ?
Chez Monsieur ? attendez, ah ! oui, je m'en souviens,
C'est vous-même, Monsieur, je vous reconnais bien,
Je vous ai vu souvent que vous étiez bien jeune
Vous aviez, ce me semble, une jaquette brune,
Et fréquentiez alors chez un de vos cousins,
Qui fut de nos amis, et de nos bons voisins.
Vous avez bien perdu, c'était un honnête homme,
Qui pour faire plaisir eût été jusqu'à Rome.
Il me souvient encore du dernier mercredi
Que nous fûmes ensemble aux foires du Landy,
Où buvant tête à tête, et compère à compère,
Votre cousin et moi fîmes très bonne chère;
En récompense aussi je fus bien mal couché;
Je veux en sa faveur vous faire bon marché."
(édition de 1662, p. 5)




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