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Le Portrait du peintre ou la Contre-Critique de l'Ecole des femmes


LE PORTRAIT DU PEINTRE, OU LA CONTRE-CRITIQUE DE L’ÉCOLE DES FEMMES.

COMÉDIE.

Représentée sur le Théâtre Royal de l’Hôtel de Bourgogne.

Par le Sieur BOURSAULT.


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À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME

MONSEIGNEUR LE DUC.

MONSEIGNEUR,

Je n’aurais jamais osé prendre la liberté de lever les yeux jusques [page suivante] sur VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME, pour lui faire un Présent si peu digne d’Elle, sans la Permission qu’elle semble m’en avoir donné par les généreux Applaudissements dont Elle a eu la bonté d’honorer un Ouvrage qui n’est considérable que par l’avantage de ne lui avoir pas Déplu. Je sais MONSEIGNEUR, que la seule Gloire de votre Suffrage peut remplir la respectueuse attente d’une Personne aussi ambitieuse que moi ; mais quiconque a l’honneur de connaître combien il y a de plaisir à vous être redevable, ne peu s’empêcher de rechercher l’Occasion [page suivante] de vous être obligé plus d’une fois. Jamais Pièce n’eut si besoin d’Appui que celle que je vous consacre ; Et je ne vois point de Protecteur qui soit si Auguste que Vous. Car enfin, MONSEIGNEUR, si l’on considère VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME du côté du Sang, celui dont elle est formée ne produit que des Héros qui naissent pour immortaliser les Siècle qui auront eu le bonheur de les posséder ; et pour ce qui est de la capacité, il semble qu’il n’y ait que ces mêmes Héros qui aient mérité de faire voir à la Postérité que la Naissance Royale n’est pas incompatible [page suivante] avec les sublimes Clartés que l’on remarque en Eux. À toutes ces illustres vérités, MONSEIGNEUR, je n’en veux joindre qu’une ; Je suis avec tout le respect imaginable,

MONSEIGNEUR,

De V. A. SÉRÉNISSIME,

Très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,

BOURSAULT.

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AU LECTEUR.

Je ne me serais jamais avisé, mon cher Lecteur de vouloir t’ennuyer par une espèce de Préface, si je n’étais obligé d’en faire le sacrifice à la Gloire outragée des plus honnêtes Gens de notre Siècle. Si l’on s’était contenté de me ravir l’avantage d’avoir attaqué Molière, et de l’avoir réduit à la honteuse nécessité de recourir aux invectives pour repousser la Satyre spirituelle qui a mis en plein jour les défauts du plus considérables de ses Ouvrages, j’eusse laissé la liberté du doute à tous ceux à qui [page suivante] l’on a voulu persuader que je n’étais pas l’Auteur de la moindre chose que je sois capable de produire ; Mais il n’est pas juste que je me laisse dépouiller d’un bien qui ne peut enrichir personne, et je suis contraint de défendre tout le Parnasse contre l’injurieuse charité qu’on lui a voulu prêter. Les grands Hommes n’ont point d’occupations si basses, ils ne travaillent qu’alors qu’il y a de la gloire à acquérir ; et c’est dire assez clairement que Molière n’a rien à craindre d’Eux. Pour moi je suis redevable à l’Ouvrage qu’il m’a voulu faire : croire ma Pièce digne de ceux qui sont accusés d’y avoir mis la main,c’est demeurer d’accord de son mérite, et toutes les injures qu’on me dit dans le Galimatias que Molière appelle Impromptu ne peuvent détruire la bonne Opinion qu’il a fait concevoir de mon Ouvrage. Je pourrais repousser ces injures par [page suivante] d’autres injures plus piquantes, si j’en avais aussi bien la volonté que j’en ai le droit, mais je n’y suis pas accoutumé comme lui ; Et puis cette sorte de vengeance est si indigne d’un honnête homme, que la sienne n’a pas eu lieu de me surprendre.

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PERSONNAGES.

DAMIS, Baron, Amant d’Amarante.
AMARANTE, Maîtresse de Damis.
CLITIE, Cousine d’Amarante.
LE COMTE,
} Courtisans Ridicules.

LE CHEVALIER DORANTE,
LA MARQUISE ORIANE, qui fait la Précieuse.
LISIDOR, Poète.
PETIT-JEAN, Page d’Amarante.
LA RAMÉE, Laquais du Comte.

La Scène est dans une Salle du Logis d’Amarante.

[page 1]

LE PORTRAIT DU PEINTRE,OU LA CONTRE-CRITIQUE DE L’ÉCOLE DES FEMMES.
COMÉDIE.

SCÈNE PREMIÈRE.

CLITIE, DAMIS.

CLITIE.

Ma Cousine s’habille, et je viens vous apprendre
Qu’elle a bien du regret de vous tant faire attendre ;
Car de votre présence elle aura du plaisir ;
Pour venir vous le dire elle a su me choisir.

[page 2]

Votre retour la charme, et sa joie est extrême.

DAMIS.

La charmante Clitie est toujours elle-même,
Toujours l’âme sensible, et le cœur obligeant,
Il ne sort de sa bouche aucun mot affligeant.
Plut au Ciel qu’en revanche une fille si belle
En semblable rencontre eut besoin de mon zèle !
Il n’est soins ni devoirs que ne dût éprouver...

CLITIE.

Patience ; Il n’est rien qui ne puisse arriver,
Je me sens dans un âge à ne plus guère attendre,
Vous avez un Cousin dont le cœur paraît tendre,
Et s’il était d’humeur à languir sous ma loi
Ce que je fais pour vous, vous le feriez pour moi.
Quand ma Cousine aussi daigne ouïr ma harangue
À lui parler de vous je prépare ma langue ;
De mon zèle assidu son esprit est confus ;
Eussiez-vous des défauts, j’en ferais des vertus ;
Je charme par là (car je sais par moi-même
Qu’on oblige une fille en louant ce qu’elle aime,
Et que lorsqu’un Amant s’est rangé sous nos lois,
Qui nous vante sa grâce applaudit notre choix.)
J’ai cent fois d’Amarante affermi la tendresse,
Et du courtois Damis si j’étais la Maîtresse,
Peut-être que...

DAMIS.

Peut-être en amour n’est pas bon,

Vous m’aimeriez peut-être, et peut-être que non :
Quand d’un cœur une fois l’Amour s’est rendu maître,
Il ne veut rien devoir au secours d’un peut-être,
Et quand d’une Maîtresse on souhaite la main,
Un bonheur dont on doute est un malheur certain.
De ma chère Amarante un semblable peut-être...

[page 3]

CLITIE.

Amarante vous aime, et j’ai su le connaître,
À pouvoir de sa bouche arracher cet aveu,
Vous n’aurez point de peine, ou vous en aurez peu :
Adieu mon Cher ; souffrez qu’un moment je vous laisse,
Je viendrai vous rejoindre avec votre Maîtresse,
À certaine Marquise elle donne à dîner
Et touchant ce repas j’ay quelque ordre à donner :
Entre Amis tout s’excuse, et chacun s’accommode...

DAMIS.

Je m’en vais ; Je vois bien que je suis incommode,
Sur le soir Amarante aura plus de loisir...

CLITIE.

Vous n’auriez qu’à nous faire une pareil déplaisir,
Ma charmante Cousine en serait si surprise...

DAMIS.

Mais paraître en désordre auprès d’une Marquise,
M’exposer de la sorte à des yeux délicats !

CLITIE.

Si Damis l’appréhende il ne la connaît pas :
Vous ne vîtes jamais Dame plus incommode,
Jusqu’au ton de la voix elle observe la mode,
À la nature même elle impose des lois,
En user autrement c’est sentir le Bourgeois,
Jamais ce qui vous plaît n’a l’honneur de lui plaire,
Ce qu’on croit naturel lui paraît trop vulgaire,
Et c’est à cette belle une espèce d’affront
Que de boire et manger comme les autres font.
Aussi quoi qu’elle fasse à toute heure on la joue,
Mais alors qu’on la raille elle croit qu’on la loue,
Elle tourne à son gré tous les mots qu’on lui dit,
Si l’on rit de la voir c’est que l’on l’applaudit,
Quand on la contrefait elle croit qu’on l’imite,
Elle affecte des mots qu’elle seule débite,

[page 4]

Et comme si son Âme agissait par ressorts
Son esprit se démonte aussi bien que son corps.
Sur tout ce qui la choque on sait bien qu’elle glose,
Mais lui plaire, et déplaire est une même chose,
Vos soupirs à ses yeux ne sont pas adressés,
Amarante vous ayme, et cela c’est assez.
Jusqu’au revoir.

DAMIS.

Ma joie est enfin apparente...


SCÈNE II.

LE COMTE, DAMIS.

LE COMTE, en entrant.

Oh quelqu’un, fait-il jour chez la belle Amarante ?
Ah, Ah, C’est toi Baron, ne fais pas le surpris ;
Et depuis quand, Mon cher, es-tu donc à Paris ?
Parbleu de ton voyage il faut dire la cause ;
Entrons.

DAMIS.

Tu peux entrer, mais pour moi je ne l’ose.

On habille Amarante, et je viens de savoir
Que dans quelques moments j’aurai l’heur de la voir,
Par respect l’un et l’autre attendons qu’elle sorte.
Mais peut-on me connaître à me voir de la sorte ?

LE COMTE.

Parbleu, Baron, tout autre y serait attrapé ;

[page 5]

Te voilà Dieu me damne, assez bien équipé,
Têtebleu ! des Colets de Dentelle de Flandre !
Justice.

DAMIS.

Quoi...

LE COMTE.

Parbleu, je ne veux pas t’entendre,

Justice, Baron.

DAMIS.

Mais...

LE COMTE.

Mais Justice.

DAMIS.

Dis-moi...

LE COMTE.

Si tu m’en crois, Mon cher, ne va pas chez le Roi,
Tu n’entrerais jamais dans la Salle des Gardes
Qu’il ne plût sur ton nez plus de mille nasardes.

DAMIS.

Quoi les Gardes...

LE COMTE.

Baron, moi qui te parle, moi,

Je te dis en Ami, si tu vas chez le Roi
Que tu n’entreras point sans un Point de Venise.

DAMIS.

Et s’il arrivait donc que par une surprise...

LE COMTE.

Quelque sot ! Sur mon âme on ne me surprend point,
J’ai parbleu dépensé dix mille écus en Point.
Mais le bon de cela, Baron, quand je m’ajuste
Pour me tirer du pair je calcule si juste
Que parbleu, notre Ami, chez les gens comme toi
Quand la mode commence elle est vieille pour moi.
Il me serait beau voir les Dentelles de Flandres !

[page 6]

DAMIS.

N’ai-je que ce défaut que tu puisses reprendre ?
De ces riches Collets si tels est le pouvoir
Aussi bien comme toi j’ai moyen d’en avoir :
Mais dis-moi dans Paris n’a-t-on pas la franchise ?
Ce qui fait l’honnête homme est-ce un Point de Venise ?
C’est un faible avantage à ces gens du bel air
Qu’emprunter du secours pour se tirer du pair :
Quand d’un sang assez bon nous avons l’heur de naître
Notre éclat naturel bous doit faire paraître :
C’est mon sentiment, Comte, et tu dois m’avouer...

LE COMTE.

Dieu me damne, Baron, tu te feras jouer,
Prends garde à toi.

DAMIS.

Pourquoi ?

LE COMTE.

Pourquoi !

DAMIS.

Daignes me dire...

LE COMTE.

Par ma foi cher Baron, ton pourquoi me faire rire,
Il est bon.

DAMIS.

Mais pourquoi...

LE COMTE.

Continue.

DAMIS.

Apprends-moi...

LE COMTE.

On te jouera, te dis-je, Hé demande pourquoi
Je t’en prie, Allons donc, Soutiens ton caractère.

[page 7]

DAMIS.

Ou sois plus raisonnable, ou bien songe à te taire.

LE COMTE.

On te jouera.

DAMIS.

Dis donc quel sujet on aura...

LE COMTE.

On te jouera, Morbleu, parce qu’on te jouera.

DAMIS.

Mais...

LE COMTE.

Mais prends garde à toi, car nous avons un homme

Qui fait mieux des portraits que les Peintres de Rome ;
Il vous dépeint, Morbleu, mais je dis traits pour traits ;
Il est vrai, quelques sots ne s’en doutent jamais ;
Quoi que des spectateurs tous les traits y paraissent,
Plus ils sont ressemblants, moins ils les reconnaissent ;
Ce qu’on a fait pour eux leur paraît pour autrui,
Et tel y rit souvent de voir rire de lui.

DAMIS.

À ce compte, ce Peintre en Badins vous érige ?
Mais se voit-on jouer sans que l’on se corrige ?
En est-il d’assez sots pour ne pas s’abstenir...

LE COMTE.

S’il est des sots, ma foi tu m’en fais souvenir
Des sots ; Pour t’en montrer, et de plus d’une espèce.
Si tu veux dès tantôt nous irons voir sa Pièce,
Mais il faut, notre Cher, me promettre ce point
Si tu vas autre part que tu ne riras point.

DAMIS.

Pourquoi cela ?

[page 8]

LE COMTE.

Pourquoi ? Je ne puis te le dire,

On m’a dit seulement que c’est là qu’on va rire,
Et j’ai fait, Têtebleu des serments qui tiendront
De ne rire jamais qu’où les autres riront.

DAMIS.

Moi qui hais ta manière, et qui suis équitable,
Je ris quand j’ai de rire un sujet raisonnable,
Et je tiens que tout homme à moins d’être brutal
Doit rire de la chose, et non pas du signal.
Car tu ris de voir rire, et ma foi je parie...

LE COMTE.

Et de quoi donc Baron, prétends-tu que je rie ?

DAMIS.

De quelque endroit risible où paraisse l’esprit.

LE COMTE.

Parbleu l’endroit risible est l’endroit où l’on rit,
Je le soutiens.

DAMIS.

Soutiens, je suis prêt d’y souscrire ;

Mais rit-on de l’endroit quand on rit d’y voir rire ?
Pour juger d’un Ouvrage il faut lire...

LE COMTE.

En effet ;

Et voit-on en lisant les grimaces qu’on fait ?

DAMIS.

Cette Pièce...

LE COMTE.

Ma foi j’en ai fait deux lectures,

Mais je n’y puis trouver ces plaisantes postures,
Eh, parlez, dépêchez, vite, promptement, tôt.
On appelle cela réciter comme il faut.
Verra-t-on en lisant, fut-on grand Philosophe,
Ce que veut dire un Ouf qui fait la catastrophe ?

[page 9]

Baron "Ouf" ! Que dis-tu de ce "Ouf", placé là ?
Par ma foi, cher Baron, il faut voir tout cela,
Viens-y tantôt, mon fils, tu verras si j’impose.
Mais venons au voyage, et m’en apprend la cause,
On habille Amarante, et tu peux en deux mots...

DAMIS.

Sa divine beauté m’a ravi le repos,
De l’oser déclarer la douceur m’est permise,
Chacun sait qu’à Damis Amarante est promise.
Et depuis mon départ jusques à mon retour
Mille Écrits de sa main ont flatté mon Amour.
La voici.


[page 10] SCÈNE III.

AMARANTE, CLITIE, LE COMTE, DAMIS.

AMARANTE, à un Page.

Demeurez pour nous donner des Sièges.

LE COMTE.

Notre Ami le Baron est tombé dans vos pièges,
Comment Diable, il vous aime, et vous n’en disiez rien,
Finette !

AMARANTE.

Je croyais que vous le saviez bien.

Damis m’aime, je l’aime ; En est-ce assez ?

CLITIE.

Cousine

Il n’appartient qu’à lui d’aimer à la sourdine ;
La Marquise d’Oriane, elle dîne chez vous,
J’y dîne aussi, ma Chère, et je suis de la bande,
Sans façon.

AMARANTE.

Trop d’honneur.

[page 11]


SCÈNE IV.

PETIT-JEAN, AMARANTE, LE COMTE, DAMIS, CLITIE.

PETIT-JEAN.

Madame, on vous demande.

AMARANTE.

Nous voulons être seuls, retourne sur tes pas,
Si c’est quelque fâcheux dis que je n’y suis pas.

ORIANE.

La voit-on, Madame ?

PETIT-JEAN.

Oui, mais je crains qu’elle crie.

Si vous êtes fâcheuse elle sera sortie.

ORIANE.

Dis que c’est Oriane.

PETIT-JEAN.

Attendez donc un peu,

Voilà qui c’est Madame, entrera-t-elle ?

AMARANTE.

Ô Dieu,

C’est Madame !

ORIANE.

Servante à ma toute adorable.

AMARANTE.

Holà, qu’on se dépêche et qu’on couvre la Table,

[page 12]

Puisque voilà Madame, il est temps de servir.
Chacun se sied.

ORIANE.

Quel est ce Gentilhomme, il est fait à ravir ?

AMARANTE.

C’est le Baron Damis.

ORIANE.

À qui vous devez être,

Madame ?

AMARANTE.

Oui, Madame.

ORIANE.

Ah, je veux le connaître.

DAMIS.

N’eût été que j’ai craint de vous être suspect
J’eusse précipité l’offre de mon respect,
Madame, et désormais je prétends que mon zèle...

ORIANE.

Certes sa Miniature est parfaitement belle.

CLITIE.

Miniature ! mon Dieu que ce mot est bien dit,
Et qu’il faut pour le dire avoir bien de l’esprit !
Je suis au désespoir de ne pas le comprendre.

LE COMTE.

Elle n’aperçoit pas ta Dentelle de Flandres,
Baron.

ORIANE.

Oh mon Dieu fi ! chez le monde choisi

Des beautés à la mode il faut être saisi ;
La plus claire Dentelle est la plus en usage,
Et le Point de Venise assaisonne un visage.

CLITIE.

Cousine, que Madame a de jolis détours,
Et que cet assaisonne assaisonne un discours !

[page 13]

En effet, fi ! votre Âme est une malapprise ;
Comment, faire l’amour sans un Point de Venise !

DAMIS.

Pour être en galant homme il faut donc de ce Point.

LE COMTE.

Je l’ai dit, Dieu me damne, et ne m’en dédis point,
Il en faut pour paraître, et de plus notre Singe
Fait un nouveau Tableau qui sera tout de linge.
Je ne t’en avertis que de peur d’accidents,
S’il te voit sur mon Âme il te mettra dedans.
Rien n’échappe à sa Plume, et dedans sa Critique
Il n’est point de gros Dos que sa langue ne pique :
À jouer tout le monde il a tant de penchant...

ORIANE.

Hay, hay, hay !

AMARANTE.

Qu’avez-vous ?

ORIANE.

Que vous êtes méchant

Monsieur le Comte ?

LE COMTE.

Moi ?

ORIANE.

Je n’en puis plus, vous dis-je.

AMARANTE.

Oh quelqu’un.

ORIANE.

Ne bougez.

AMARANTE.

J’ai peur qu’on vous néglige,

Un si prompt accident vous peut être fatal.

ORIANE.

Il m’a fait souvenir que me porte mal.
Hier dans une visite il se trouva des Dames

[page 14]

Qu’Alcidon régala de L’École des Femmes ;
Et qui d’intelligence avecque mon destin
Ne voulurent jamais en entendre la fin :
Comme si pour me perdre elles eussent fait pacte
On fit cesser la Pièce après le second Acte,
Et je ne remarquai des risible endroits
Que celui de la soupe où l’on trempe les doigts.
Dans un chagrin mortel ce caprice me plonge.

CLITIE.

Voyez, comme les maux viennent sans qu’on y songe.

LE COMTE.

Dans mon âme j’enrage.

AMARANTE.

Et pourquoi ?

LE COMTE.

Tout exprès,

La Marquise y courait pour voir le « Le » d’Agnès.

ORIANE.

Je l’ai vu, que je l’aime, et que j’en suis contente !
Ce « Le » c’est une chose horriblement touchante ;
Il m’a pris « Le »... ce « Le » fait qu’on ouvre les yeux.

LE COMTE.

Oui, ce « Le » Dieu me damne est un « Le » merveilleux :
Quand je vis que l’Actrice y faisait une pose
Je crus que l’innocence allait dire autre chose.
Et le Ruban, ma foi je ne l’attendais pas.

ORIANE.

Et ce « Le », pour Madame eut-il beaucoup d’appas ?

AMARANTE.

J’en dirais mon avis en pouvant m’en défendre,
Mais qui s’en ressouvient prit plaisir à l’entendre ;
Et moi de qui l’esprit s’en est peu soucié
À peine l’eus-je appris que je l’eus oublié.

[page 15]

ORIANE.

À le revoir pour moi je serais toute prête,
Ce « Le » toute la nuit m’a tenu dans la tête
Ma chère ; aussi ce « Le » charme tous les Galants.

LE COMTE.

En effet, j’en vois peu qui ne donnent dedans,
La beauté de ce « Le » n’eut jamais de seconde.

CLITIE.

Il est vrai que ce « Le » contente bien du monde ;
C’est un « Le » fait exprès pour les gens délicats.

AMARANTE.

Elle est maligne, au moins, ne vous y fiez pas.
Car je sais que ce « Le » lui paraît détectable.

CLITIE.

Il est vrai, ma Cousine, il me semble effroyable,
Mais ce « Le » par Madame est si bien appuyé
Que je meurs de regret qu’il nous ait ennuyé,
Le parti qu’elle prend est celui que j’embrasse,
Tout ce que dit Madame est de si bonne grâce
Que je veux la prier de ne pas s’irriter
Si je fais mes efforts pour la bien imiter.
Sa galante façon s’insinue en mon Âme.

ORIANE.

Oh Madame !

CLITIE.

Oh Madame !

ORIANE.

Oh Madame !

CLITIE.

Oh Madame !

ORIANE.

Quoi me railler chez vous, Madame, ah je vois bien...

CLITIE.

Vous le dites, Madame, et vous n’en croyez rien.

[page 16]

ORIANE.

Assurément Madame...

CLITIE.

Assurément...

LE COMTE.

Marquise

Savez-vous quelle gens le Matois satirise ?
Des Marquis.

DAMIS.

Des Marquis ! Il aspire si haut...

LE COMTE.

Je t’en vais montrer trois chapitres comme il faut ;
J’ai la Clef de sa Pièce.

AMARANTE.

Imprimée.

LE COMTE.

Imprimée.

Oh ! mes Laquais, Picard, Bearnois, la Ramée.
Un Laquais vient, et le Comte lui dit.
Sous la Tapisserie, au-dessous du Miroir
Tu verras cette Clef, je l’y mis hier au soir ;
À Damis.
Je croyais, palsembleu, mériter ta croyance
Baron.

DAMIS.

Quand une chose a si peu d’apparence...

LE COMTE, à son Laquais.

Va quérir cette Clef, et me l’apporte ici.
Le Laquais sort.
À Damis.
Incrédule Baron tu seras éclairci.
Mais...

AMARANTE.

Mais quoi ? Du Critique on connaît la coutume.

[page 17]

À ma Muse peut-être il donne un coup de plume ;
Avouez ; vous riez, je le verrai bientôt.

LE COMTE.
« Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut »,
C’est vous.

AMARANTE.

C’est moi ?

LE COMTE.

C’est vous.

AMARANTE.

Ce n’est pas qu’il m’importe,

Mais l’Auteur est hardi d’en user de la sorte,
Il me doit du respect, il a dû le savoir.


[page 18]

SCÈNE V.

PETIT-JEAN, AMARANTE, ORIANE, CLITIE, LE COMTE, DAMIS.

PETIT-JEAN.

Un Monsieur est là-bas qui demande à vous voir
Madame.

AMARANTE.

Quel est-il, ce Monsieur ?

PETIT-JEAN.

C’est un homme.

AMARANTE.

Et ne t’a-t-il pas dit comme c’est qu’on le nomme ?

PETIT-JEAN.

Le Chevalier de chose... Et la...

AMARANTE.

Qui Dorante ?

PETIT-JEAN.

Oui.

AMARANTE.

Qu’il entre.
À Damis.
Il vous connaît ?

DAMIS.

Oui, Madame.

[page 19]


SCÈNE VI.

DORANTE, DAMIS, AMARANTE, LE COMTE, CLITIE, ORIANE.

DORANTE, voyant Damis.

C’est lui !

Oui, c’est lui !

LE COMTE, à Damis.

De te voir sa surprise est extrême.

DORANTE.

Est-ce Baron ?

DAMIS.

Oui.

DORANTE.

Quoi c’est toi ?

DAMIS.

C’est moi-même.

DORANTE.

Comment te portes-tu, vieil ami ? touche-là.
Tu viens incognito voir l’Objet que voilà ?

DAMIS.

Il est vrai.

DORANTE.

Dieu me damne il est beau comme un Ange.

Cet Objet.

AMARANTE.

Chevalier, mon Dieu, point de louange,

[page 20]

Un homme comme vous Critique au dernier point
Fait assez de plaisir quand il ne médit point.
La critique est blâmable après tout, et j’avoue...

DORANTE.

Ce que vous blâmez là, tout le monde le loue,
Il est vrai, je critique, et je m’en trouve bien,
De bien faire ma Cour c’est l’unique moyen ;
La Satire est en règne et le Point de Venise,
Et les reste on le nomme une pure sottise.

DAMIS.

Et pour plaire à présent il ne faut en ce cas...

DORANTE.

Que de la Médisance, et de riches Rabats.
Je plais aussi, Dieu sait.

DAMIS.

Toi, plais-tu ? Chose vraie.

DORANTE.

Si je plais ! Ce Collet est le moindre que j’aie,
J’ai ma foi chez le Roi de secrets ennemis
Mutinés contre moi de me voir si bien mis :
Moi qui vois leur envie, et qui sais leur bêtise
J’achève si souvent quelque Point de Venise
Que pour mieux les punir d’avoir cru m’outrager
Je me ruine exprès pour les faire enrager,
Dieu me damne. Vois donc si je plais. Pour médire
Tu te peux informer si Dorante s’en tire.
On me craint, sur mon Âme, et je passe en tous lieux
Pour un des Courtisans qui critiquent le mieux :
Mais aussi, je fréquente et je joue à la paume
Avec le Médisant le meilleur du Royaume :
Le Compère vous drape, et vous mord en riant,
C’est de nos Courtisans le Démon foudroyant,
Il les pique !

[page 21]

AMARANTE.

À la fin craint-il point qu’on s’en choque ?

J’en sais un enragé don souvent il se moque ;
À son meilleur Ami je veux bien l’avouer.

DORANTE.

J’en sais vingt trop heureux de se laisser jouer :
Oui, j’en sais de ravis qu’on leur fasse la guerre ;
Témoins trois l’autre jour qu’on nommait du Parterre,
Et qui dans une Loge où chacun les voyait
Riaient comme des fous de ce qu’on les jouait.
Aussi loin qu’au Critique aucune Âme s’oppose
Aussi doux que du lait il faut boire la chose ;
On ne peut l’attaquer sans en être marri ;
De tous nos Turlupins c’est un homme chéri ;
Contre qui que ce soit ils prendront sa défense.

DAMIS.

Et ces sortes de gens vous imposent silence ?
Ce que Paris peut-être a de plus odieux,
Des Turlupins...

LE COMTE.

Baron, tu pourrais parler mieux,

J’en suis un.

DAMIS.

Qui toi ?

LE COMTE.

Moi.

DAMIS.
Mais l’Ami, tu te blâmes.

LE COMTE.

Et oui, oui. Dans la Clef de L’École des Femmes
Tu verras qui de nous a le plus de raison ;
Je suis le Turlupin de la moindre Maison,
Tous les autres... Mais tiens, mon Laquais me l’apporte.


SCÈNE VII.

LA RAMÉE, LE COMTE, DAMIS, AMARANTE, DORANTE, CLITIE, ORIANE.

LA RAMÉE, au Comte.

Je n’ai point vu de Clef que la Clef de la Porte.

LE COMTE.

Peste le sot.

DAMIS.

Sait-il ce que c’est que cela ?

LE COMTE.

Je te jure Baron qu’elle est en ce lieu-là.

LA RAMÉE.

Je gage que non.

LE COMTE.

Paies.

DAMIS.

Crois-moi, Comte, allons, gagé !

LE COMTE.

L’un de nous deux, Laquais, est un sot personnage.

LA RAMÉE.

Ce n’est pas moi, Monsieur.

LE COMTE.

Tais-toi donc, s’il te plaît.

La Marquise l’a lue, elle sait ce que c’est.

[page 23]

AMARANTE.

Mais parlez de sa Pièce, et soyez équitable,
Que vous en semble ?

DORANTE.

À moi ? Je la trouve admirable.

Comment la trouves-tu, Comte ?

LE COMTE.

Admirable.

DORANTE.

Et vous ?

ORIANE.

Admirabilissime [sic].

AMARANTE.

Entre nous ?

DORANTE.

Entre nous.

AMARANTE.

Mais là, sans vous trahir, la trouvez-vous passable ?

DORANTE.

Admirable, Monsieur, du dernier admirable.

DAMIS.

Je puis, sans l’avoir vue en dire autant que toi ;
Quand on loue une Pièce il faut dire pourquoi,
Et tu dois nous donner une raison valable.

DORANTE.

Par plus de vingt raisons je la trouve admirable.

CLITIE.

Par plus de trente.

DAMIS.

Écoute, on te croit si tu veux,

Mais de tant de raisons j’en dirais une, ou deux.

DORANTE.

Te dirai-je pourquoi je la trouve admirable,
Parce que cette Pièce est admirable.

[page 24]

LE COMTE.

Diable !

Ta raison est bonne.

CLITIE.

Ah !

ORIANE.

J’allais dire aussi.

DORANTE.

Il s’en faut rapporter à Monsieur que voici,
C’est un Auteur.


SCÈNE VIII.

LISIDOR, AMARANTE, DORANTE, DAMIS, ORIANE, LE COMTE, CLITIE.

DORANTE, à Lisidor.

Mon cher, pour contenter ces Dames
Donnez-nous votre avis sur L’École des Femmes :
Vous verrez si la Pièce a pour lui des appas.

AMARANTE.

Oui, jugez-en.

LISIDOR.

Madame, on ne m’en croirait pas ;

Et puis, d’en bien juger je ne suis pas capable.

DAMIS.

Ah, Monsieur Lisidor vous êtes un fin Diable,
Au succès de l’Auteur vous prenez trop de part.

AMARANTE.

Point, Monsieur Lisidor est un homme sans fard.
J’en croirai bonnement ce qu’il en voudra dire.
On déteste sa Pièce, et chacun la déchire ;
Pour moi qui n’y vois rien que de bien assorti
Contre tous ces Messieurs je soutiens son parti.
Ils ont beau l’abhorrer je la trouve admirable.

LISIDOR.

Votre parti, Madame est le plus raisonnable.

[page 26]

Ce que vous soutenez tout Paris le soutient.

DORANTE.

Bon, ma foi, c’est bien fait la Connaisseuse en tient.

LE COMTE.

Comme tu dis, bon.

CLITIE.

Bon.

AMARANTE.

J’en parais peu marrie.

DORANTE.

Il vous vient de payer de votre raillerie.
Le Seigneur Lisidor est un homme d’esprit.

DAMIS.

Mais Monsieur Lisidor doit prouver ce qu’il dit.

AMARANTE.

S’il l’a fait trouver bonne il sera fort habile.

LISIDOR.

En vérité, Madame, il n’est rien si facile.
Jamais Scène plaisante eut-elle tant d’appas
Que la Scène d’Arnolphe à qui l’on n’ouvre pas ?
N’a-t-on pas pour Alain une estime secrète
Quand pour ouvrir la Porte il appelle Georgette ?

DORANTE.

Ah, ah, ah.

LE COMTE.

Quel Compère !

DORANTE.

Il entend soit métier.

ORIANE.

À miracle.

CLITIE.

À merveille.

AMARANTE.

Il faut...

[page 27]

DORANTE.

Point de quartier,

Allons, Allons.

LISIDOR.

Ensuite, Est-il rien qui ne plaise

Dans ce que dit Arnolphe à la fille niaise ?
Rien de plus innocent se peut-il faire voir ?
Il arrive des Champs, et désire savoir
Si durant son absence elle s’est bien portée ;
« Hors les Puces la nuit qui m’ont inquiétée »
Répond Agnès. Voyez ce qu’elle adresse à l’Auteur,
Comme il sait finement réveiller l’Auditeur.
De peur que le sommeil ne s’en rendit le maître
Jamais plus à propos vit-on puces paraître ?
D’aucun trait plus galant se peut-on souvenir ?
Et ne dormait-on pas qu’il n’en eut fait venir ?

DORANTE.

Tudieu !

LE COMTE.

C’est raisonner.

ORIANE.

Divinement.

CLITIE.

Courage.

DORANTE.

Diable ! qu’un tel ami fait valoir un Ouvrage !

LE COMTE.

Je t’en réponds.

LISIDOR.

Le Grès, n’est-il pas étonnant ?

Voit-on rien de si preste, et de si surprenant ?
Aucun des Auditeurs osait-il se promettre
Qu’Agnès sut seulement ce que c’est qu’une lettre ?
Et pour la lettre seule où l’on voit tant d’Amour

[page 28]

Faut-il pas que l’Auteur ait rêvé plus d’un jour ?
Cependant dans un heure un Innocente extrême
La compose, l’écrit, et la rend elle-même,
Quoi qu’Arnolphe l’éclaire avec un oeil perçant ;
Un pareil procédé n’est-il pas innocent ?
Lui voit-on démentir son niais caractère ?

DORANTE.

Oh, oh, Comte !

LE COMTE.

La peste !

ORIANE.

On ne saurait mieux faire.

CLITIE.

Je le crois.

DAMIS.

Mais Dorante il pouvait s’affranchir...

DORANTE.

Hé Baron !

DAMIS.

Si...

DORANTE.

Ma foi, tu ne fais que blanchir.

Près d’un homme si docte on fait mieux de se taire.

LISIDOR.

Est-il rien de si beau que l’endroit du Notaire ?
Et cet endroit charmant qu’on a tant admiré
Avec tout l’Art possible est-il pas digéré ?
Le petit Dialogue est d’une adresse extrême ;
Car ce que dit Arnolphe il le dit en lui-même,
Et les moins délicats sont d’accord de ce point
Qu’on ne peut pas répondre à ce qu’on n’entend point ;
Cependant par un jeu dont l’éclat doit surprendre
L’un ne veut pas répondre à ce qu’il doit entendre ;
Et pour des deux côtés faire voir des appas.

[page 29]

L’autre répond sans peine à ce qu’il n’entend pas.

DORANTE.

C’est tout dire.

LE COMTE.

Fort bien.

CLITIE.

Vivat.

ORIANE.

Il extasie.

DORANTE.

Le Seigneur Lisidor comme il se mortifie.

AMARANTE.

Je pourrais lui répondre, et je crois entre nous...

DORANTE.

Dieu me damne, Madame, il en sait plus que vous,
Des raisons qu’il vous dit nulle n’est contestable.

LISIDOR.

Enfin le dénouement n’est-il pas admirable !
Le voyage d’Oronte est-il pas assuré ?
Et le retour d’Enrique est-il pas préparé ?
Vous m’allez alléguer que touchant cet Enrique
On le tire aux cheveux pour quitter l’Amérique ;
Et que durant la Pièce en aucun des endrets [sic]
On ne s’aperçoit point qu’il soit père d’Agnès ;
Mais il n’est point d’Auteurs dont la Plume m’apprenne
Que dans ce qu’on attend il n’est rien qui surprenne ;
Au contraire on croit beau ce qu’on trouve étonnant ;
Et ce qu’on n’attend pas est toujours surprenant.

DORANTE.

De s’en mieux démêler je dépite le Diable.

LE COMTE.

Répondez, Madame.

DORANTE.

Elle ! il est insurmontable.

[page 30]

ORIANE.

Il oublie un endroit effroyablement bon
Où l’on parle d’Agnès qui joue au Corbillon ;
Pour moi quand je l’ouis mon plaisir fut extrême.

DORANTE.

Vous verrez sur ma foi, que c’est « Tarte à la crème ».

ORIANE.

Oui, c’est « Tarte à la crème », et je l’aime d’amour.

LE COMTE.

Parbleu « Tarte à la crème » a fait bruit à la Cour.

DORANTE.

Pour moi, je ne vois rien qui me charme de même.

AMARANTE.

Qu’y trouvez-vous de beau ?

DORANTE.

Moi ? Rien. « Tarte à la crème »

Madame.

AMARANTE.

Il faut répondre, et je voudrais du moins

Que de bonnes raisons appuyassent mes soins,
Car enfin pour l’Auteur votre zèle est extrême.

DORANTE.

« Tarte à la crème ».

DAMIS.

Ami, tu dois...

DORANTE.

« Tarte à la crème »

Ami.

AMARANTE.

Quoi qu’il en pense il nous doit être égal,

Il aime trop l’Auteur pour en dire du mal.

DORANTE.

Je soutiens, sans l’aimer, quoi que l’Envie oppose
Que sa Pièce tragique est une belle chose.

[page 31]

AMARANTE.

Sa Pièce tragique ?

DORANTE.

Oui.

LE COMTE.

Sa Pièce tragique ?

DORANTE.

Oui.

AMARANTE.

Je n’ai jamais rien vu de tragique de lui.

LE COMTE.

Ni moi.

LISIDOR.

Ni moi.

ORIANE.

Ni moi.

DORANTE.

Qu’est-ce qu’il représente ?

AMARANTE.

Nommez-vous Tragédie une Pièce plaisante ?

DAMIS.

Tu te moques de nous, Chevalier.

DORANTE.

Pourquoi ?

DAMIS.

Bon ;

Appelle-t-on Tragique un Poème bouffon ?

DORANTE.

Vous blâmez justement ce qu’il faut qu’on admire,
Quoi, Morbleu du Tragique où l’on crève de rire,
C’est cela qu’on appelle un mélange d’appas.

AMARANTE.

Mais le Tragique est noble, et n’a rien de si bon.

[page 32]

DORANTE.

Mais je sais le Théâtre, et j’en lis la Pratique ;
Quand la Scène est sanglante une Pièce est tragique.

LE COMTE.

Oui.

LISIDOR.

Sans doute.

ORIANE.

Il est vrai.

DAMIS.

Sans contredit.

AMARANTE.

D’accord.

DORANTE.

Dans celle que je dit, « Le petit Chat est mort ».

LE COMTE.

C’est le bien prendre !

LISIDOR.

Oh, oh !

ORIANE.

Sa remarque est certaine.

DAMIS.

Quoi ? le trépas d’un Chat ensanglante la Scène ?

AMARANTE.

Dans une Tragédie un Prince meurt, un Roi.

DORANTE.

« Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi »,
Et je tiens qu’une Pièce est également bonne.
Quand un Matou trépasse, ou quelque autre personne.

LE COMTE.

Tu sais le Théâtre !

LISIDOR.

Oui.

[page 33]

ORIANE.

Son langage est profond.

DAMIS.

Mais...

LE COMTE.

Mais réponds, réponds, réponds, réponds, réponds.

DAMIS.

Quoi...

LE COMTE.

Réponds donc Baron.

DAMIS.

Tu penses me confondre,

Et tu crois...

LE COMTE.

Par ma foi, tu ne saurais répondre.

DAMIS.

Je ne le puis de vrai tant que tu parleras,
Mais enfin si...

LE COMTE.

Ma foi, si tant que tu voudras.

Sa raison...

AMARANTE.

Sa raison est aisée à combattre.

DORANTE.

Il est vrai que l’Auteur n’entend pas le Théâtre.

AMARANTE.

Mais ce n’est pas l’entendre, après tout.

DORANTE.

Oh que non ;

Quand un homme en burlesque a su faire un sermon,
Il me semble pourtant qu’on n’est pas malhabile ;
L’Auteur prend l’agréable, et le joint à l’utile ;
À ce que veut le peuple il se rend complaisant ;
Et le force de rire en le catéchisant.

[page 34]

LE COMTE.

Tudieu ! Tu l’entends.

LISIDOR.

Oh.

DAMIS, à Dorante.

Tu n’as rien dit qui vaille.

DORANTE.

Pourquoi Baron ?

AMARANTE.

Pourquoi ? Retournons la médaille.

Outre qu’un Satirique est un homme suspect,
Au seul mot de Sermon nous devons du respect :
C’est une vérité qu’on ne peut contredire ;
Un Sermon touche l’Âme, et jamais ne fait rire ;
De qui croit le contraire on se doit défier ;
Et qui veut qu’on en rie en a ri le premier.

LE COMTE.

C’est mal répondre !

LISIDOR.

Puth [sic].

DORANTE.

Pitoyable Critique !

DAMIS.

Dites donc ce que c’est que d’être Satirique ?

DORANTE.

Que d’être Satirique ?

DAMIS.

Oui.

DORANTE.

C’est satiriser.

AMARANTE.

Oui, mais satiriser c’est railler ; mépriser ;
Ainsi pour l’obliger quoi que vous puissiez dire,
Votre Ami du Sermon nous a fait la Satire ;

[page 35]

Et de quelque façon que le sens en soit pris,
Pour ce que l’on respecte on n’a point de mépris.

LE COMTE.

Bagatelle !

DAMIS.

Mais Comte, après tout je m’engage...

LE COMTE.

Je serais bien fâché de t’ouïr davantage,
Tu m’as trop fatigué par tes sottes raisons.

AMARANTE.

Il ne peut rien répondre à ce que nous disons ;
Mais Dorante sait bien qu’on ne peut mettre en doute.

DORANTE.

Moi ; Je n’écoute pas si le Comte n’écoute.

DAMIS, au Comte.

Tu sais...

LE COMTE.

Je n’entends pas.

AMARANTE, à Dorante.

Je crois...

DORANTE.

Ni moi non plus.

DAMIS, au Comte.

Mais...

LE COMTE, chante.

La, la, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

AMARANTE, à Dorante.

Quoi...

DORANTE, chante aussi.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

DAMIS, au Comte.

Si...

[page 36]

LE COMTE.

La, la, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la.

AMARANTE, à Dorante.

Vous...

DORANTE.

La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.

DAMIS.

Ma foi vous me rendez confus.

AMARANTE.

Pour moi, je les écoute, et je les étudie,
Car il faut de ceci faire une Comédie ;
Je crois que dans son genre elle aurait ses appas.

DORANTE.

A ce dessein, ma foi, je ne m’oppose pas,
Car je sais que mon rôle y serait raisonnable.

ORIANE.

Le mien y serait court, mais assez agréable.

LISIDOR.

Et le mien, ce me semble y serait assez bon.

LE COMTE.

Pour Damis, à merveille il ferait le Bouffon,
La Sottise en sa bouche est placée en son ccntre.
À Amarante.
Vous savez composer, travaillez-y.

AMARANTE.

Moi ? Diantre,

Je n’ai garde.

DORANTE.

Et qui donc, la fera comme il faut ?

AMARANTE.

Un Garçon que je sais qu’on appelle Boursault...

LE COMTE.

Je le connais, Pécore.

[page 37]

DAMIS.

Il est bien chez la Muse.

LE COMTE.

Il s’amuse à la Muse, et la Muse l’amuse.

AMARANTE.

Mais les Vers de Boursault sont assez bien choisis.

LE COMTE.

Je le soutiens, Madame, un Butor parisis,
Une grosse Pécore, une pure Mazette.

DAMIS.

Mais où la jouerait-on quand Boursault l’aurait faite ?

AMARANTE.

À l’Hôtel de Bourgogne, où les plus délicats...

DORANTE.

Ah, Je vous promets bien qu’on ne l’y jouera pas :
Le Critique est à craindre, on a peur qu’il n’éclate,
Et l’Hôtel de Bourgogne a passé sous sa patte.
S’ils étaient avisés de vouloir le bourrer,
Où les pauvres Acteurs pourraient-ils se fourrer ?
Toute la Normandie a-t-elle assez de Pommes
Pour jeter à la tête à ces malheureux hommes ?
Ils ne le feront pas, je te le dis encor,
Dieu me damne.

DAMIS.

Écoutez, Je connais Floridor,

Je prendrai son avis si cela se peut faire,
Et je vous l’enverrai s’il vous est nécessaire.
Un petit dénouement est utile à cela,
Que faire ?

[page 38]


SCÈNE VIII, et dernière.

PETIT-JEAN, AMARANTE, LE COMTE, DAMIS, DORANTE, LISIDOR, ORIANE, CLITIE.

PETIT-JEAN.

On a servi, Madame.

AMARANTE.

Le voilà,

Je le donne à l’épreuve au plus grand Satirique,
C’est de cette façon que finit la Critique,
Et les plus dégoûtés trouveront des appas
Quand après du Comique ils auront un Repas.

FIN.


[page suivante]

Extrait du Privilège du Roi.

Par grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le trente Octobre 1663, signé par le Roi en son Conseil, BERTAULT ; Il est permis à CHARLES DE SERCY, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une Pièce de Théâtre, intitulée, Le Portrait du Peintre, ou la Contre-critique de l’École des Femmes, composée par le Sr Boursault, et ce durant le temps et espace de sept année, à compter du jour que ladite Pièce de Théâtre sera achevée d’imprimer pour la première fois. Et défenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires, et autres de l’imprimer, ou faire imprimer, vendre, débiter, ni contrefaire ladite Pièce de Théâtre sans le consentement dudit Exposant, à peine aux contrevenants de trois milles livres [page suivante] d’amande, confiscation des exemplaires, et de tous dépens, dommages et intérêts, ainsi qu’il est plus amplement porté par ledit Privilège.

Et ledit Charles de Sercy a associé au présent Privilège Nicolas Pépingué, Jean Guignard fils, et Étienne Loison, Marchands Libraire à Paris, pour en jouir suivant l’accord fait entre eux.

Achevé d’imprimer pour la première fois le dix-sept Novembre 1663.

Les Exemplaires ont été fournis.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires, le 16 Novembre 1663.

Signé E. MARTIN, Syndic.




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