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Le Mercure galant, octobre 1678


"Fêtes galantes données sur les bords de la Marne", Le Mercure Galant, octobre 1678, p. 91-112.

Une représentation de la comédie Les Fâcheux fut donnée à l'occasion de ces fêtes.


Fêtes galantes données sur les bords de la Marne.

Je vous ai déjà fait part de plusieurs Fêtes, mais je crois qu'il ne s'en est guère fait de plus agréablement diversifiée que celle dont je vais vous entretenir. Elle s'est donnée il y a peu de jours sur les bords de la Marne à douze lieues de Paris. Sa magnificence vous persuadera aisément qu'il n'y a eu que des Personnes de qualité qui s'en sont mêlées.

Six ou sept Bergers, et autant de Bergères, s'étant assemblés dans un Hameau, où ils avoient accoutumé de venir faire Vendanges tous les ans, résolurent de faire parler d'eux dans le voisinage. Ils concertèrent leurs divertissements, et cherchèrent surtout les moyens de les faire partager à deux aimables Personnes, dont le trop de beauté causait le malheur. Cette beauté était soutenue de beaucoup de bien ; et comme on avait fait déjà quelque entreprise pour les enlever, ceux dont elles dépendaient y avaient pourvu, en les enfermant dans un Château dont on ne les laissait jamais sortir. La prison se pouvait nommer agréable, à considérer la promenade qui leur était permise dans un grand Parc ; mais elle était tellement prison à l'égard des visites qu'on leur rendait, qu'elles n'en pouvaient recevoir aucune qu'à la manière des Filles Cloîtrées. Une Cloison grillée séparait deux Chambres. Elles étaient dans l'une, on les entretenait dans l'autre, et toujours en présence de témoins. Jamais Prisonnier d'état ne fut si soigneusement gardé à vue. Ces précautions n'allaient pas jusqu'à les priver de ce qu'il y a d'innocents plaisirs. On souffrait qu'on amenât des Violons à leur Grille ; et comme cette sorte de divertissements et d'autres semblables leur étaient permis, il n'y avait personne aux environs qui ne cherchât à leur en fournir. Ce fut par cette raison que la galante Troupe dont je vous parle, ayant médité une longue Fête, n'en voulut exécuter le dessein que dans ce Château. Tous ceux qui la composaient vinrent rendre visite à ces deux belles Personnes le matin du Lundi 3. jour de ce Mois. Les Hommes étaient vêtus partie en Vendangeurs et partie en Hotteurs. Il n'y avait rien de plus propre que leur équipage. Les Femmes ne leur cédaient ni en galanterie ni en propreté. Elles avaient toutes des habits de Vendangeuses, avec des Chapeaux, des Paniers, et des Serpettes qui soutenaient admirablement le Personnage qu'elles prenaient plaisir à jouer. Cette première entrevue se passa toute en compliments. Les belles Cloîtrées témoignèrent beaucoup de joie de cette visite, et accordèrent avec plaisir le rendez-vous qu'on leur demanda pour l'après-dinée. Il fit bruit dans toute la Noblesse des lieux voisins. On vint au Château de toutes parts. L'Assemblée fut grande, et l'heure qu'on avait marquée étant venue, la même Troupe arriva au même équipage, mais ce fut au son des Violons, des Flûtes-douces et des Hautbois. Les Hotteurs et les Vendangeuses commencèrent à faire voir par une Danse fort plaisante qu'ils savaient autre chose que vendanger. Les Hottes qui se rencontraient avec les Paniers, marquaient la cadence, et ils ne faisaient aucun pas qu'avec la plus exacte justesse. Une fort agréable symphonie suivit la Danse. Elle était composée de six Violons, de quatre Flûtes et de deux Hautbois. Un Concert de Voix toutes charmantes lui succéda. On chanta plusieurs Chansons sur la Vendange, et après que ce Régal eut duré deux heures, on le finit par une nouvelle Danse qui ne divertit pas moins que la première. Les belles Recluses trouvèrent ce temps si court, qu'elles ne purent s'empêcher de le témoigner ; mais elles furent fort consolées, quand un des Vendangeurs les pria de faire dresser un Théâtre pour une Comédie qu'ils viendraient représenter le lendemain. Ils prirent congé après cette Annonce (vous voudrez bien me souffrir ce mot) et après avoir soupé tous ensemble dans le Hameau, ils donnèrent un Bal en forme, où tout ce qui se présenta d'honnêtes Gens fut reçu.

Le lendemain qui était Mardi, ils tinrent parole sur la Comédie promise. Ils avaient préparé Les Fâcheux de feu Molière. Tous les Personnages en étaient si heureusement disposés, que de véritables Comédiens auraient eu peine à s'en mieux tirer. Vous jugez bien que l'Assemblée fut encore plus grande qu'on ne l'avait vue le jour précédent. Les trois Actes eurent chacun divers Instruments pour les distinguer. Les Violons seuls jouèrent d'abord l'ouverture. Après le premier Acte les Flûtes-douces se firent entendre ; les Hautbois après le second ; une Voix avec un Thuorbe après le troisième ; et ensuite les Hautbois et les Flûtes-douces se joignirent avec les Violons pour former ensemble la symphonie de l'adieu. On ne le dit aux Belles qu'après les avoir priées d'empêcher qu'on n'abattît le Théâtre. C'était leur promettre un nouveau divertissement pour le Mercredi. Ce jour étant venu, on accourut en foule au Château. La galante Troupe y représenta une Pastorale avec le même succès qu'elle avait fait Les Fâcheux le jour précédent. Les habits des Bergers et de Bergères qu'elle avait pris rehaussaient la bonne mine des Acteurs, comme ils donnaient un nouvel éclat à la beauté des Actrices. Une Bacchanale fut promise à la même heure pour le Jeudi. On tint parole. L'arrivée de Bacchus avec sa Troupe fut annoncée de loin, par un grand bruit de Timbales, de Fifres et de Trompettes. Bacchus chanta seul d'abord. En suite deux Bacchantes dansèrent au son de leurs Tambours de Basque dont elles jouèrent divinement ; et Bacchus ayant recommencé de chanter, tous ceux de sa Troupe mêlèrent leurs voix avec la sienne, et on ne peut rien entendre de plus juste ni de plus mélodieux que fut ce Concert. Pendant qu'il se fit, les Belles qu'on avait déjà régalées de trois jours de Fête, firent apporter une Table sur laquelle il y avait un Ambigu tout dressé. Elles connaissaient l'humeur de Bacchus, et ayant consenti à le recevoir, elles croyaient qu'il y allait de leur honneur de le faire boire. Toute cette aimable Troupe se mit à table. Les Liqueurs ne lui furent pas épargnées. Ils chantèrent tous le verre à la main, et le divertissement de cette journée finit par une harmonie admirable que firent ensemble les Timbales, les Tambours de Basque, les Fifres, les Violons, les Flûtes-douces et les Hautbois. On prépara les Belles à se laisser dire leur Bonne aventure le lendemain Vendredi, par une Bande d'Egyptiens et d'Egyptiennes, qui devaient venir accompagnez d'un Opérateur. Vous jugez bien, Madame, que ce nouvel équipage fut très galant. On ne peut rien imaginer de plus agréable que l'Entrée que firent ces charmants Protées qui s'étaient faits Egyptiens et Egyptiennes. Leur langage n'était pas moins divertissant que leur danse qu'ils diversifiaient par mille plaisantes postures. Ils demandèrent la main aux belles Cloîtrées, en examinèrent toutes les lignes, et leur firent cent prédictions spirituelles et avantageuses sur le changement de fortune qui leur devait rendre la liberté. Elles répondirent obligeamment, qu'elles ne se lasseraient jamais de leur prison, si elle devait souvent leur attirer des Personnes aussi galantes que celles qui prenaient tant de soin d'en adoucir les chagrins. La conversation eût été plus loin sans de grands éclats de rire que fit l'Assemblée. Ils furent causés par un Opérateur et un Arlequin qui montèrent sur le Théâtre. Ils étaient habiles tous deux de la manière du monde la plus grotesque. La Scène qu'ils firent ensemble n'eut rien que de réjouissant. Elle fut mêlée de quantité de tours de Gobelets, de Gibecière, et de Cartes, qui divertirent fort les Spectateurs. Après que l'Opérateur eut joué quelque temps son personnage, il dit qu'il n'était pas seulement le Maître des Opérateurs, mais aussi Intendant des Poudres et des Salpêtres, et qu'ainsi il conviait tous ceux qui l'écoutaient, de venir admirer un Feu d'Artifice qui se devait faire le lendemain au soir pour prendre congé des Belles. Jamais journée ne leur fut plus longue. Elles se mirent aux Fenêtres de bonne heure, et virent apprêter le Feu, en attendant que la Galante Troupe arrivât. Elle ne vint qu'après le Soupé, dans l'équipage du premier jour, c'est à dire, qu'ils étaient tous habillés en Bergers et en Bergères. Le bruit d'une douzaine de Boîtes qui furent tirées d'abord, fit connaître qu'on allait allumer le Feu d'Artifice. Il était composé avec beaucoup d'ordre, et donna un fort grand plaisir à tous ceux qui s'étaient assemblez pour jouir de ce Spectacle. Il finit par un très grand nombre de Fusées volantes, qui firent un effet merveilleux en s'élevant, et en se perdant dans l'air. Après cet agréable divertissement on s'approcha des Fenêtres pour donner une Sérénade aux deux belles Enfermées. Elle commença par une Chanson Italienne, qu'un Berger et une Bergère chantèrent ensemble avec le Thuorbe. Les Violons jouèrent en suite les plus beaux Airs de l'Opéra. Sitôt qu'ils eurent cessé, les Belles furent régalées d'une Chanson Française par une seule Voix admirable. Elle ne charma pas moins l'Assemblée, que tout le Choeur des Bergers et des Bergères qui se firent entendre après elle. A ce Concert succéda celui des Violons, des Flûtes-douces et des Hautbois, qui en répondant au bruit des Timbales, des Fifres, et des Trompettes, terminèrent agréablement les plaisirs de cette journée et toutes les Fêtes des jours précédents.




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