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Le Médecin volant de Boursault
Edmé BOURSAULT, Le Médecin volant, Paris, N. Pépingué, 1665.
Seule version française imprimée du sujet du "médecin volant", cette comédie a été composée en puisant la plupart de ses éléments dans Le Médecin volant de Molière.
Les principaux points de rencontre avec les textes de Molière sont les suivants :
- LE MEDECIN VOLANT
- COMEDIE
- Par Mr BOURSAULT
- A PARIS,
- Chez N. PEPINGUÉ, à l'entrée de la rue de la Huchette. Et en sa Boutique au premier Pilier de la grande Salle du Palais, vis-à-vis les Consultations, au Soleil d'or.
- M. DC. LXV.
- AVEC PRIVILEGE DU ROI.
- A MONSIEUR C* * * * * * *,
- Médecin de mon Pays.
- MONSIEUR,
- Soit par coutume, ou soit par générosité, je n'ai jusqu'ici dédié aucune Pièce, que l'on ne m'ait fait quelque Présent ; et à dire vrai l'on m'attraperait bien, si on venait à perdre une si bonne habitude. Cependant je vous dédie le MEDECIN VOLANT, qui assurément n'est pas le moindre de mes Ouvrages, à condition seulement que si jamais je vais au Pays, et que je sois assez heureux pour y devenir Malade, vous aurez assez de bonté pour moi pour ne me pas faire languir longtemps. Remarquez s'il vous plaît, MONSIEUR, que je ne veux pas dire que vous aurez la bonté de m'expédier le plus tôt qu'il vous sera possible : et souffrez que je vous avertisse de peur d'équivoque, que je n'estime la Médecine qu'en ce qu'elle peut être utile à la conservation ou au recouvrement de ma Santé, parce que je mourrai bien sans le secours de personne, et particulièrement de votre Faculté, pour qui j'ai trop de vénération pour ne pas lui en épargner la peine. Il meurt plus de Monde en ces quartiers par la faute des Médecins, que vous n'en ressuscitez par votre capacité; et Paris est si misérable pour les Malades, que l'on prend plus de soin pour les faire mourir que vous n'en prendriez pour les faire vivre. Je vous proteste que, si l'on m'appelait à la Police, j'y donnerais si bon ordre, qu'il ne serait plus permis d'assassiner impunément un homme; et ces Messieurs qui ne sont Médecins que par la Soutane, seraient obligés durant quelques années que je limiterais, de faire l'épreuve de leur Science sur les Animaux qui ne sont plus propres au travail. Si cela était, les habiles comme vous n'en seraient pas plus mal, et les malades en seraient beaucoup mieux ; vous en auriez plus de pratique, et ceux qui meurent avec tant de précipitation entre les mains de ces Ignorants, ne mourraient peut-être pas si vite entre les vôtres. Enfin, MONSIEUR, j'ai tant d'estime pour votre Personne, et tant d'inclination pour le Pays, que si jamais il me prend envie de sortir du monde, j'aime mieux mourir de votre main que de pas une autre; quand ce ne serait qu'à cause qu'il y a de mes parents qui en sont déjà morts, et que par conséquent je suis obligé d'être,
- MONSIEUR,
- Votre très humble, et affectionné Serviteur,
- BOURSAULT.
- AVIS AU LECTEUR
- LE MEDECIN VOLANT que j'expose à ton jugement, mon cher LECTEUR, est l'une des plus aimables Pièces qui soit au Théâtre, et j'en puis parler de la sorte sans choquer la bienséance, puisque ce n'est pas moi qui en suis l'Auteur. Le sujet est Italien; il a été traduit en notre langue ; représenté de tous côtés ; et je crois qu'il est plus beau de ma façon que d'aucune autre, à cause qu'outre la Traduction qui en est fidèle, il a encore la grâce de la Poésie. Il est vrai qu'on le représente au Marais ; mais quoi qu'il soit en vers, on peut dire que la Poésie ne lui a point donné de grâce : véritablement les nouveaux Acteurs qui sont entrés dans cette Troupe, l'ont apporté de Flandres, et c'est pour cela que le langage de cette Pièce est si corrompu. Je te fais juge de ce Médecin Volant-ci, et c'est tout ce que j'ai à te dire.
- Extrait du Privilège du Roi
- Par Grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le dernier Octobre mil six cens soixante-quatre. Signé, Par le Roi en son Conseil, GUITONNEAU. Il est permis à NICOLAS PEPINGUÉ, Imprimeur et Marchand Libraire à Paris, d'imprimer, faire imprimer, vendre et débiter une Pièce de Théâtre intitulée* Le Médecin Volant, Comédie, composée par le Sr Boursault, pendant le temps et espace de sept années, à commencer du jour que ladite Pièce sera achevée d'imprimer pour la première fois; et défenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, d'imprimer, ni faire imprimer, vendre et débiter ladite Pièce sans le consentement de l'Exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de trois mil livres d'amende, confiscation des exemplaires, dépens, dommages et intérêts, ainsi que plus au long il est porté audit Privilège.
- Registré sur le Livre de la Communauté.
- Achevé d'imprimer pour la première fois le quatorzième Janvier 1665.
- Les Exemplaires ont été fournis.
- ACTEURS
- CLEON, Amant de Lucresse.
- LISE, Servante de Lucresse.
- LUCRESSE, Maîtresse de Cléon.
- CRISPIN, Valet de Cleon, Médecin Volant.
- FERNAND, Père de Lucresse.
- PHILIPIN, Valet de Fernand.
- CANTEAS, habile Médecin.
- La Scène est devant la Maison de Fernand.
- LE MEDECIN VOLANT,
- COMEDIE
SCENE PREMIERE
LISE, CLEON.
- LISE
- N'insultez point, de grâce, au malheur de Lucresse,
- Je sais qu'elle a pour vous une forte tendresse;
- Mais enfin de son père elle craint le pouvoir,
- Et ne peut se résoudre au plaisir de vous voir.
- Une fille bien née a toujours de la crainte... 5
- CLEON
- Que veux-tu ? la douleur dont mon âme est atteinte,
- Rend ma plainte équitable, et me fait murmurer
- Contre un Objet charmant que je dois adorer.
- Mais Lise, à sa fenêtre une prompte escalade
- Peut m'ouvrir une voie...
- LISE
- Elle fait la malade,
- Monsieur, et le vieux Reître est parti du matin
- Pour chercher par la ville un expert Médecin.
- Sans rien escalader, pour voir une Maîtresse,
- Un Amant dans sa manche a toujours quelque adresse ;
- Mettez tout en usage, et puissance, et savoir,
- Sans choquer son honneur essayez de la voir.
- Il n'est point de moyens que l'amour n'autorise;
- Sur tout... mais du vieillard je crains une surprise,
- Adieu, pensez à vous, et vous ressouvenez,
- Qu'il n'est rien d'impossible aux cœurs passionnés.
SCENE II.
- CLEON seul.
- Aux cœurs passionnez il n'est rien d'impossible,
- Je l'avoue; et je trouve un moyen infaillible
- De donner à mon âme un moment de repos ;
- Il faut... mais, ô Crispin, que tu viens à propos .
SCENE III
CRISPIN, CLEON.
- CRISPIN
- Je vous cherche partout pour vous rendre réponse ,
- Monsieur.
- CLEON
- Si tu savais ce que Lise m'annonce,
- Cher Crispin...
- CRISPIN
- Il m'a dit que tantôt sur le soir...
- CLEON
- Quand on a de l'amour, et qu'on a de l'espoir...
- CRISPIN
- Je vous dis, et redis qu'il m'a dit de vous dire...
- CLEON
- Pour des charmes si doux lorsqu'une âme soupire.
- CRISPIN
- Vous plaît-il que je parle, ô babillard maudit ?
- Ou ne dirai-je mot ?
- CLEON
- Tu m'en as assez dit.
- Le temps m'est précieux, et ma flamme me presse;
- Raisonnons entre nous ; je me meurs pour Lucresse.
- CRISPIN
- Mourez-vous ?
- CLEON
- Son visage a des attraits puissants,
- Elle asservit mon âme, elle charme mes sens,
- En un mot je l'adore, et son père me l'ôte,
- Tu le vois.
- CRISPIN
- Il est vrai, mais ce n'est pas ma faute.
- CLEON
- D'accord, de mon malheur je ne puis t'accuser,
- Mais tu connais son père, il le faut abuser,
- Qu'en dis-tu ?
- CRISPIN
- Moi, Monsieur ? abusez, que m'importe ?
- CLEON
- Il la tient enfermée, et je veux qu'elle sorte :
- Mon cœur pour cet effort ne s'adresse qu'à toi,
- Car enfin...
- CRISPIN
- A présent il m'importe, ma foi.
- A moi, Monsieur ?
- CLEON
- A toi, rends mon âme charmée.
- CRISPIN
- Ne me dites-vous pas qu'il la tient enfermée ?
- CLEON
- Oui.
- CRISPIN
- Je n'y puis que faire. En quel lieu du logis ?
- CLEON
- C'est dessus le derrière.
- CRISPIN
- Oui ?
- CLEON
- Oui.
- CRISPIN
- Oui ?
- CLEON
- Oui.
- CRISPIN
- Tant pis.
- CLEON
- Je t'ai dit ma pensée, instruis-moi de la tienne.
- CRISPIN
- Elle est enfermée ?
- CLEON
- Oui.
- CRISPIN
- Que la belle s'y tienne,
- Voilà ce que je pense.
- CLEON
- Ah ! c'est trop s'amuser;
- Ecoute, sans scrupule il te faut déguiser.
- CRISPIN
- Me déguiser, Monsieur, et pourquoi ?
- CLEON
- C'est pour cause.
- Je veux bien en ce lieu t'informer de la chose :
- Pour faire pleinement réussir mon dessein,
- Il faut être aujourd'hui Médecin.
- CRISPIN
- Médecin. Bons Dieux !
- CLEON
- Sans perdre ici d'inutiles paroles,
- Ce service rendu te vaudra six pistoles.
- Si le gain t'encourage, avise, les voilà,
- Examine.
- CRISPIN
- Mon Dieu, ce n'est pas pour cela.
- Médecin !
- CLEON
- Médecin, je n'ai point d'autre ruse.
- CRISPIN
- Mais il faut de l'esprit, et je suis une buse,
- Et de plus...
- CLEON
- C'est à tort que tu prends de l'effroi,
- Le père de Lucresse a moins d'esprit que toi,
- Ce vieillard chassieux connaît peu ton visage,
- Et tu sais... Il avance, il me voit, j'en enrage,
- Je le vais aborder, va m'attendre chez moi,
- J'aurai soin de m'y rendre aussi vite que toi.
- CRISPIN
- Mais, à moins de m'instruire, apprenez ...
- CLEON
- Va, te dis-je,
- Je te suis.
- Il sort.
SCENE IV.
CLEON, FERNAND, PHILIPIN.
- CLEON
- La douleur de Lucresse m'afflige,
- Monsieur, quoi que mes soins lui soient indifférents,
- Je viens vous informer de la part que j'y prends :
- Heureux, quoique toujours sa beauté me captive,
- Si pour d'autres que moi j'aperçois qu'elle vive,
- Et toujours trop heureux si les voeux que je fais
- D'un secours nécessaire avancent les effets.
- Adieu.
SCENE V.
FERNAND, PHILIPIN.
- FERNAND
- Ma pauvre fille, elle va rendre l'âme,
- Philipin.
- PHILIPIN
- C'est à vous que j'en donne le blâme,
- A la pourvoir d'un homme on a trop retardé,
- Un pucelage nuit quand il est trop gardé,
- C'est cela qui l'étouffe, et ces sortes de choses...
- FERNAND
- Point, point, sa maladie a de plus justes causes
- Mais retourne au plus vite, et va voir, Philipin,
- Si l'on attend bientôt ce savant Médecin :
- J'appréhende si fort que Lucresse ne meure...
- PHILIPIN
- S'il était de retour il viendrait tout à l'heure,
- On l'a dit.
- FERNAND
- Il est vrai, mais apprends mon souci,
- D'autres peuvent l'attendre, et l'emmener aussi,
- Et pour lors tout mon coeur accablé de tristesse
- Si Lucresse endurait...
- PHILIPIN
- Peste soit de Lucresse,
- Elle a le choix de vivre, ou du moins de mourir;
- Quel plaisir elle prend à me faire courir.
- FERNAND
- Surtout ne reviens point que tu ne me l'amènes,
- Je t'en prie.
SCENE VI.
- FERNAND seul.
- En mon âge, ô bons Dieux que de peines !
- Et que dans mes vieux ans...
SCENE VII.
CRISPIN, FERNAND.
- CRISPIN en soutane.
- Pythagore, Platon,
- Mâche-à-vide, Pancrace, Hésiode, Caton...
- FERNAND bas.
- Quel serait ce Docteur ? écoutons.
- CRISPIN
- Caligule,
- Polyeucte, Virgile, Anaxandre, Lucule...
- FERNAND bas.
- O Dieux !
- CRISPIN
- Robert Vinot, Scipion l'Africain,
- Jodelet, Mascarille, Aristote, Lucain,
- Médecins de César, Assassins d'Alexandre,
- Vous voyez un Phoenix qu'a produit votre cendre.
- FERNAND bas.
- Serait-ce un Médecin ? il en parle.
- CRISPIN
- Approchez,
- Venez voir, grands Docteurs, les mystères cachés
- De l'Encyclopédie, et de la Médecine.
- FERNAND
- C'en est un.
- CRISPIN
- Venez voir ce que c'est que racine
- De la mer Arabique, et le flux et reflux.
- FERNAND à Crispin.
- Monsieur...
- CRISPIN
- Que voulez-vous ? Ego sum Medicus,
- Médecin passé Maître, Apprenti d'Hippocrate,
- Je compose le baume, et le grand Mithridate,
- Je sais, par le moyen du plus noble des Arts,
- Que qui meurt en Février n'est plus malade en Mars,
- Que de quatre saisons une année est pourvue,
- Et que le mal des yeux est contraire à la vue.
- FERNAND
- Je ne saurais douter d'un si rare savoir,
- Si j'osais vous prier...
- CRISPIN
- De quoi ? parlez.
- FERNAND
- De voir
- Une fille que j'ai que chacun désespère.
- CRISPIN
- Vous avez une fille ! Et vous êtes son père,
- A ce compte ?
- FERNAND
- Oui, Monsieur, et j'ai peur de sa mort.
- CRISPIN
- Elle est donc fort malade ?
- FERNAND
- Oui, Monsieur.
- CRISPIN
- Elle a tort.
- Je lui veux conseiller qu'elle cesse de l'être;
- Qui domine sur nous s'en veut rendre le maître.
- Or le mal dominant par d'occultes ressorts,
- Il corrompt la matière, il ravage le corps,
- L'individu qui souffre au moment qu'il s'épure,
- D'un peu d'Apothéose entretient sa nature,
- La vapeur de la terre opposée à ce mal,
- Dans l'humaine vessie établit un canal,
- Le Cancer froidureux rend l'humeur taciturne,
- Le vaillant Zodiaque envisage Saturne,
- Et s'il faut qu'avec eux j'en demeure d'accord,
- Rien n'abrège la vie à l'égard de la mort.
- Ce sont de ces Auteurs les leçons que j'emprunte.
- Votre fille, à propos, serait-elle défunte ?
- FERNAND
- Non, Monsieur.
- CRISPIN
- Mange-t-elle ?
- FERNAND
- Un petit, grâce aux Dieux.
- CRISPIN
- Elle n'est donc pas morte ?
- FERNAND
- Elle ? Nenni.
- CRISPIN
- Tant mieux,
- Je m'en réjouis fort.
- FERNAND
- Et de quoi ? Cette vie
- Avant la fin du jour lui peut être ravie.
- CRISPIN
- Tant pis, l'a-t-on fait voir à quelque Médecin ?
- FERNAND
- Nullement.
- CRISPIN
- Elle a donc quelque mauvais dessein,
- Puisqu'elle veut mourir sans aucune ordonnance ;
- De ces sortes de morts notre Ecole s'offense :
- Quand un homme se trouve en état de périr
- Toujours un Médecin doit l'aider à mourir,
- Et c'est faire éclater des malices énormes
- Que vouloir refuser de mourir dans les formes.
- Instruisez votre fille, et lui dites du moins,
- Pour mourir comme il faut, qu'elle attende mes soins,
- Son âme à déloger est trop impatiente,
- Monsieur.
- FERNAND
- Permettez-moi d'appeler sa suivante.
- CRISPIN, bas.
- Appelez. Je le tiens, ô le franc animal.
- FERNAND
- Holà, Lise.
SCENE VIII.
LISE, FERNAND, CRISPIN.
- LISE
- Ah, Monsieur, votre fille est fort mal.
- FERNAND
- Que fait-elle ? Je tremble.
- LISE
- Elle se plaint du ventre,
- Elle sort de son lit, puis après elle y rentre,
- Se promène, se sied, veut dormir, veut veiller,
- Malgré moi de ce pas je la viens d'habiller...
- FERNAND
- D'habiller !
- LISE
- D'habiller; sa boutade m'étonne,
- Je crois...
- apercevant Crispin.
- Mais ce gredin vous demande l'aumône,
- Monsieur.
- FERNAND
- Ah juste Ciel quel blasphème tu fais !
- C'est l'exemple parfait des Médecins parfaits.
- Que j'ai bien du sujet de louer sa rencontre.
- LISE
- Médecin ?
- CRISPIN
- Médecin, ma soutane le monstre.
- Mais sans perdre ma peine à prouver qui je suis,
- Par ma seule doctrine aisément je le puis.
- De la fille égrotante apportez de l'urine,
- Apportez.
- FERNAND à Lise.
- Allez vite en quérir.
- Lise sort.
- CRISPIN
- J'examine
- Ce que cette malade à peu près peut avoir ;
- Mais je vois de l'urine, et je vais le savoir.
SCENE IX.
CRISPIN, FERNAND, LISE.
- CRISPIN
- Approchez.
- FERNAND
- De frayeur j'ai mon âme alarmée.
- LISE, avec de l'urine.
- En voilà.
- CRISPIN
- Voyez-vous, comme elle est enflammée ?
- Mauvais signe.
- FERNAND
- O bons Dieux, il en boit.
- CRISPIN, après avoir tout bu.
- Je crois bien;
- Mais qui boit pour si peu ne comprend jamais rien,
- Allez en quérir d'autre.
- FERNAND à Lise.
- Allez vite.
- Lise sort encore.
- CRISPIN
- Mon Prince,
- Assez d'autres Docteurs d'une étoffe plus mince
- Se seraient contentés du rapport de leurs yeux;
- Mais à croire sa langue on en juge bien mieux :
- Boisrobert nous enseigne en sa Belle Plaideuse
- Que le goût est solide, et la vue est trompeuse,
- Et qu'un grand Médecin quand il fait ce qu'il doit,
- Il sent mieux une chose à la langue qu'au doigt.
- FERNAND
- A ces fortes raisons je n'ai point de réplique.
SCENE X.
LISE, CRISPIN, FERNAND.
- LISE, avec encore un peu d'urine.
- A pisser comme il faut ma Maîtresse s'applique,
- Monsieur, et cependant je n'en ai qu'un filet,
- Voyez.
- CRISPIN
- Pauvre pisseuse !
- Après avoir encore bu, il dit :
- Allez au Robinet
- En tirer.
- LISE
- Mais Monsieur...
- CRISPIN
- Mais que cette pisseuse
- Fasse une ample pissée, et qui soit copieuse,
- Copieuse.
- LISE
- Ma foi, ma Maîtresse ne peut,
- On n'a pas le pouvoir de pisser quand on veut,
- C'est donner à Lucresse une peine trop grande
- Que vouloir...
- FERNAND à Lise
- Dites-lui que Monsieur le commande,
- Courez vite.
- LISE
- Monsieur, votre fille n'a pu,
- Mais enfin pour vous plaire à l'instant elle a bu.
- Si Monsieur veut attendre à lui rendre service,
- Au plus tard dans une heure il faudra qu'elle pisse.
- CRISPIN
- Elle a raison.
- LISE
- De plus pour chasser son souci
- Elle s'est résolue à venir jusqu'ici.
- Elle vient.
SCENE XI.
LUCRESSE, FERNAND, CRISPIN, LISE.
- LUCRESSE
- Ah mon père !
- FERNAND
- Ah ma fille !
- LISE
- Courage.
- LUCRESSE
- Je me meurs.
- CRISPIN
- Je lui trouve un passable visage;
- Serviteur ; si pour vous nos remèdes sont vains,
- Vous aurez le plaisir de mourir par mes mains,
- Consolez-vous.
- LUCRESSE
- Hélas !
- CRISPIN
- Votre bras, que je tâte
- Si pour vous il est vrai que la mort ait si hâte,
- Donnez, dis-je.
- Au lieu de prendre le bras de Lucresse,
- il prend celui de son père et dit :
- Tu Dieu ! comme il bat, votre pouls,
- J'aurais bien de la peine à répondre de vous,
- Et votre maladie est sans doute mortelle,
- Prenez-y garde.
- FERNAND
- O Dieux ! quelle triste nouvelle;
- Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?
- CRISPIN
- Vous, pourquoi ?
- FERNAND
- Vous n'avez pris le bras à personne qu'à moi.
- CRISPIN
- Et cela vous étonne ! Une tendresse extrême
- Rend la fille le père, et le père elle-même.
- Entre eux deux la nature est propice à tel point
- Que le sort les sépare, et le sang les rejoint;
- Etant vrai que l'enfant est l'ouvrage du père,
- Sa douleur sur lui-même aisément réverbère,
- Et le sang l'un de l'autre est si fort dépendant,
- Que l'enfant met le père en un trouble évident.
- FERNAND
- Il est vrai.
- CRISPIN
- Cependant quoique mon savoir brille,
- Je veux bien me résoudre à tâter votre fille;
- Votre bras.
- FERNAND
- Le voilà.
- CRISPIN
- Je m'en étais douté,
- Il ne vous manque rien que beaucoup de santé.
- Sans cela ...
- LUCRESSE
- J'ai la mort sur le bord de la lèvre,
- Monsieur.
- CRISPIN
- Que je retâte. Avez-vous de la fièvre ?
- LUCRESSE
- Je ne sais.
- CRISPIN
- Non ?
- LUCRESSE
- Non.
- CRISPIN
- Fi.
- FERNAND
- De quoi ?
- CRISPIN
- Mauvais régal,
- Par fois sans qu'on le sache on se porte fort mal,
- Voyez-vous.
- FERNAND
- De ses maux que je sache la cause.
- CRISPIN
- C'est la fièvre, ce l'est, si ce n'est autre chose,
- Mais soit fièvre, ou migraine, ou cancrène, ou mal chaud,
- Allez, pour la guérir, je sais bien ce qu'il faut.
- FERNAND, à Lise.
- Une plume, de l'encre.
- CRISPIN
- Et pourquoi ?
- FERNAND
- L'Ordonnance,
- Monsieur...
- CRISPIN
- Vous vous moquez, je les fais par avance.
- Je me tiens toujours prêt contre tous accidents,
- En voilà pour les yeux, pour le flux, pour les dents;
- Mais ignorant son mal, il lui faut, ce me semble,
- Une ordonnance propre à tous les maux ensemble;
- Il faudra que le sien se rencontre parmi.
- Il donne une Ordonnance.
- FERNAND
- Charitable Monsieur, c'est agir en ami
- Cela; quel honnête homme.
- CRISPIN
- En quel lieu couche-t-elle ?
- FERNAND
- Elle a sur le derrière une chambre assez belle.
- LISE
- Oui vraiment, une chambre assez belle en effet,
- Si sombre.
- CRISPIN
- Croyez-moi, le devant est son fait,
- Qu'on l'y mène, aussi bien la journée est malsaine.
SCENE XII.
PHILIPIN, FERNAND, CANTEAS, CRISPIN.
- FERNAND voyant venir Philipin.
- Philipin, aide à Lise.
- PHILIPIN
- A la fin je l'amène,
- Le voici.
- Après que Philipin a dit cela, il aide à remener Lucresse.
- CRISPIN
- Qui donc ? qu'est-ce ?
- FERNAND
- Un savant Médecin.
- CRISPIN bas.
- Médecin, malepeste.
- CANTEAS
- Excusez, ce matin
- L'Intendant d'un Seigneur m'a contraint de me rendre,
- Monsieur...
- FERNAND
- Mon bon Monsieur, je n’ai pu tant attendre.
- Au retour de chez vous pour causer mon repos
- Ce fameux Médecin s'est offert à propos,
- Je l'ai pris.
- CANTEAS
- Monsieur ?
- CRISPIN
- Oui, mais qu'il a de mérite,
- Si vous saviez...
- CANTEAS
- Je loue, et je plains ma visite,
- Je me tiens malheureux d'avoir pu me ravir
- Au plaisir que j'aurais de pouvoir vous servir,
- Et de voir la fortune à mes voeux trop cruelle
- M'arracher au bonheur de vous prouver mon zèle.
- Mais à voir qui pour vous a daigné s'occuper,
- Je me tiens trop heureux qu'il ait pu m'échapper;
- Le plaisir que je goûte est mêlé dans le vôtre,
- Si je perds d'un côté, je recouvre de l'autre,
- Puisque enfin de Monsieur le sublime entretien
- D'être un jour tout à vous m'offrira le moyen.
- Apercevant qu'il est au milieu, il dit à Crispin.
- Mais, Monsieur, pardonnez, ce n'est point par audace,
- Je n’ai garde avec vous d'occuper cette place,
- C'est à vous qu'elle est due.
- CRISPIN
- Ah !
- CANTEAS
- Monsieur...
- CRISPIN
- Palsembieu,
- Ah !
- CANTEAS
- Sans cérémonie, on vous doit le milieu;
- Crispin par deux fois étant au milieu, comme Canteas veut parler, il s'écoule par derrière lui, et reprend sa première place.
- Et de grâce ! Hippocrate... Hé Monsieur, je vous jure,
- Qu'au lieu de m'obliger c'est me faire une injure;
- Je vous prie. Hippocrate... A quoi bon tout cela ?
- Conservez votre place, hé Monsieur, la voilà,
- Empêchez à vos yeux que ma honte n'éclate.
- Je reprends ma parole, et je dis qu'Hippocrate,
- Qui de la Médecine est l'illustre ornement,
- De cet Art salutaire a parlé doctement.
- Médecine est, dit-il, une longue science,
- Tout à fait dangereuse en son expérience,
- Car, touchant notre vie, elle passe si tôt
- Qu'on n'a pas le loisir d'en juger comme il faut.
- Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps,
- Experimentum periculosum , judicium difficile
.
- Je me plais à l'étude, et j'ai l’âme assidue
- A vouloir de cet Art pénétrer l'étendue :
- Mais dedans cet abîme un esprit se confond,
- Plus on l'approfondit, plus il semble profond ;
- Cette utile science en enferme tant d'autres,
- Qu'il faudrait que mes yeux égalassent les vôtres,
- Ou que de leurs rayons vous pussiez m'éclairer
- Pour m'offrir un moyen de ne pas m'égarer.
- CRISPIN
- Ho, ho, ho.
- CANTEAS
- De plaisir on a l’âme ravie
- Alors que d'un malade on prolonge la vie,
- Et d'un grand Médecin rien n'égale le sort,
- Quand sa seule présence intimide la mort;
- Quand il est l'ennemi que la Parque redoute,
- Quand sa haute science en détourne sa route,
- Et qu'enfin le trépas qui nous fait tous trembler,
- Pour ne pas le combattre aime mieux reculer.
- Mortem medicamentis removet medicus expers.
- Je ne puis approuver l'importune méthode...
- Mais peut-être, Monsieur, je vous suis incommode,
- Car enfin comme vous les esprits élevés
- Aux emplois importants sont toujours réservés.
- CRISPIN
- Ho, ho, ho.
- CANTEAS
- Je sors donc, mais j'ose me promettre
- Qu'étant moins occupé vous pourrez me permettre
- De chercher un prétexte à me faire jouir
- Du plaisir qu'on reçoit quand on peut vous ouïr.
SCENE XIII.
FERNAND, CRISPIN.
- FERNAND
- Eh bien, ce Médecin, vous voyez comme il cause,
- Qu'en dites-vous ?
- CRISPIN
- Il sait quelque petite chose.
- FERNAND
- Daignez-moi, je vous prie, informer de cela,
- Touchant la Médecine est-il expert ?
- CRISPIN
- Là là,
- Passable.
- FERNAND
- Il n'a donc pas la science parfaite ?
- Pour qui passerait-il près de vous ?
- CRISPIN
- Pour Mazette.
- FERNAND
- Mais durant qu'il parlait vous ne disiez mot ?
- CRISPIN
- Moi ? Dites-vous ?
- FERNAND
- Oui, vraiment je dis vous.
- CRISPIN
- Je le crois.
- Pour pouvoir de cet homme éprouver la science,
- J’ai voulu me résoudre à garder le silence :
- Mais enfin si le drôle eut voulu s'arrêter,
- Allez, vous m'auriez vu diablement caqueter.
- A dessein d'empêcher qu'un malade ne meure,
- J'allais débagouler du Latin tout à l'heure,
- Voir quel temps il fera dans un vieil almanach,
- Réciter tout par coeur les Quatrains de Pibrac
- Et pour mieux vous montrer qu'il est vrai que j'excelle,
- Je sais qu'un lavement fait aller à la selle,
- J'ai cent fois en ma vie acheté du séné,
- Et je dis que le diable est un diable damné ;
- Je soutiens que le corps est le frère de l’âme,
- Que Sénèque et Pauline étaient l'homme et la femme,
- Que Narcisse en personne autrefois se noya,
- Et semper quoniam tuos alleluia.
- FERNAND
- Je ne puis rien comprendre à ces phrases d'élite.
- CRISPIN
- Je m'en aperçois bien, mais adieu je vous quitte,
- Je verrai votre fille ou ce soir, ou demain.
- FERNAND lui veut bailler de l'argent.
- Monsieur...
- CRISPIN
- Ah !
- FERNAND
- Recevez ces louis de ma main.
- CRISPIN
- Je n'ai garde.
- FERNAND
- Prenez, je vous dois récompense,
- Monsieur.
- CRISPIN
- Je ne suis pas un marchand de Science.
- FERNAND
- Hé de grâce.
- CRISPIN
- Non non, je vous suis serviteur.
- Il s'en va.
SCENE XIV.
FERNAND seul.
- Que cet homme est habile, et qu'il est grand Docteur !
- Ne point prendre d'argent pour des choses si bonnes !
- Il ne ressemble pas ces tueurs de personnes,
- Ces méchants Médecins qui par un triste sort,
- En curant notre bourse enrichissent la mort.
- Voyons ce qu'au logis sa science a fait naître,
- Et sachons...
SCENE XV.
FERNAND, CRISPIN.
- CRISPIN en habit de valet.
- Au plus vite attrapons notre Maître,
- Réjouissance... ô Dieux ! C'est Fernand que je crois !
- C’est lui-même !
- FERNAND
- Est-ce pas mon Docteur que je vois ?
- C'est lui-même, c'est lui : votre mine est pleureuse,
- Qu'êtes-vous ?
- CRISPIN pleurant.
- Moi, Monsieur ? un pauvre homme qui gueuse.
- FERNAND
- Quoi, tu gueuses ?
- CRISPIN
- Monsieur, mes malheurs sont si grands...
- FERNAND
- Mais dedans cette ville as-tu point de parents ?
- CRISPIN
- Ah ! Monsieur, des parents on n'a guère de grâce,
- Je suis frère à mon frère, et c'est lui qui me chasse.
- FERNAND
- Il faut donc que sans doute il en ait du sujet;
- Qu'as-tu fait ?
- CRISPIN
- Répandu la moitié d'un Julep.
- FERNAND
- Il est donc Médecin ?
- CRISPIN
- Oui, Monsieur.
- FERNAND
- Il me semble
- Que ce frère en colère à peu près te ressemble.
- CRISPIN
- Oui, Monsieur.
- FERNAND
- Penses-tu qu'on le puisse apaiser ?
- CRISPIN
- Non, Monsieur.
- FERNAND
- Si tu veux, je lui vais proposer...
- CRISPIN
- Il ne souffrira pas que jamais je le voie,
- Monsieur.
- FERNAND
- Si je m'en mêle il aura de la joie;
- Je le viens de quitter, il est fort mon Ami.
- CRISPIN
- S'il est vrai je ne sens ma douleur qu'à demi,
- Car Monsieur, je vois bien que vous êtes brave homme,
- Vous aurez de la peine à souffrir qu'il m'assomme.
- FERNAND
- Attends-moi, de ce pas je m'en vais le chercher.
- CRISPIN
- Moi, Monsieur ? Point du tout, je m'en vais me cacher.
- FERNAND
- Mais il te faut te montrer.
- CRISPIN
- Ah ! Monsieur, je ne l'ose,
- Sans savoir si vos soins auront fait quelque chose:
- Je m'en vais, s'il vous plaît, vous attendre à l'écart.
- SCENE XVI.
- FERNAND seul.
- Ce garçon malheureux est venu sur le tard;
- Deux minutes plus tôt je l'accordais sur l'heure;
- Foin de moi ; je ne sais où son frère demeure :
- Mais toujours je l'attends sur le soir...
SCENE XVII.
CRISPIN, FERNAND.
- CRISPIN en soutane.
- Ah Maraud !
- Je vous jure...
- FERNAND
- Ah ! Monsieur, vous venez comme il faut;
- Vous pouvez en ce lieu m'accorder une grâce.
- CRISPIN
- Moi, Monsieur ? Il n'est rien que pour vous je ne fasse,
- Commandez.
- FERNAND
- Votre frère, il a tant de douleur,
- Que j’ai droit d'espérer...
- CRISPIN
- C'est un Coquin, Monsieur.
- FERNAND
- Il a tort, il l'avoue, il se nomme coupable;
- Mais, Monsieur, une faute est toujours pardonnable :
- Désormais, il en jure, il veut être meilleur,
- Vous aimer, vous servir.
- CRISPIN
- C'est un fripon, Monsieur.
- FERNAND
- Ne vous puis-je résoudre à la miséricorde ?
- CRISPIN
- C'est un Pendard, Monsieur, qui mérite la corde.
- FERNAND
- C'est manquer de parole aux plus rares Amis.
- S'il vous en ressouvient vous m'avez tout promis,
- Monsieur, ce n'était donc qu'une pure grimace ?
- CRISPIN
- Il est vrai, ma parole en effet m'embarrasse;
- C'en est fait, je pardonne à ce traître, il vous plaît.
- FERNAND
- Il ne tiendra qu'à vous de le voir comme il est.
- CRISPIN
- Moi, Monsieur, moi le voir en présence du monde !
- Quand je vois ce Coquin, mon courroux se débonde,
- Je ne puis.
- FERNAND
- Hé, Monsieur, il ne faut qu'un instant...
- CRISPIN
- Je ne le puis, vous dis-je, un malade m'attend :
- Mais touchant ce Maraud, je consens qu'il revienne.
- Serviteur.
SCENE XVIII.
FERNAND seul.
- Quelque effet qui jamais en advienne,
- A ce pauvre Garçon qui frissonne d'effroi
- Je veux faire accorder le pardon devant moi :
- Que son frère est honnête, il s'en vient de l'absoudre,
- Et j'ose...
SCENE XIX.
CRISPIN, FERNAND.
- CRISPIN en pleurant, et en habit de valet.
- Hé bien, Monsieur, a-t-il pu s'y résoudre ?
- Dois-je devant ses yeux ne paraître jamais ?
- Dois-je...
- FERNAND
- Ne pleure point, j’ai su faire ta paix.
- CRISPIN
- Vous croirai-je, Monsieur, n'est-ce point moquerie ?
- FERNAND
- Quoi, tu peux...
- CRISPIN
- Ah ! Monsieur, je connais sa furie,
- Il a bien de la peine à pouvoir pardonner.
- FERNAND
- Aussi ne veux-je pas te laisser retourner;
- Je veux qu'il te pardonne en ma propre présence.
- CRISPIN
- Du pardon de ma faute avez-vous l'assurance,
- Monsieur ?
- FERNAND
- Oui.
- CRISPIN
- C'est assez que mon frère ait parlé,
- De vos soins obligeants je serais querellé,
- Monsieur, votre bonté pourrait mal me remettre.
- FERNAND
- Mais il peut oublier ce qu'il vient de promettre,
- Puis après...
- CRISPIN
- Point, Monsieur, je le vois fort exact,
- Quand on a sa parole elle vaut un contrat;
- Désormais de sa part je ne crains nul outrage,
- Monsieur.
- FERNAND
- J’ai résolu d'achever.
- CRISPIN bas.
- J'en enrage.
- FERNAND
- Entre sur ce derrière.
- CRISPIN
- Hé, Monsieur, où le voir
- A cette heure ?
- FERNAND
- En tout cas, il viendra sur le soir,
- Entre, dis-je.
- Il entre, et Fernand ferme la porte à clef.
SCENE XX.
FERNAND seul.
- En ceci ma charité se montre;
- Mais de notre Docteur recherchons la rencontre,
- Il faut battre le fer cependant qu'il est chaud.
SCENE XXI.
CRISPIN à la fenêtre.
- Me voilà, grâce à Dieu, raisonnablement haut !
- Trop obligeant Grison, ta douceur m'assassine,
- Maudit Moi, maudit Maître, et maudite Doctrine,
- Et maudite Lucresse, et maudits six louis,
- Par qui mes yeux tentés se sont vus éblouis,
- Maudit...quoi ? je commence à connaître ma faute:
- Têtebleu ! d'ici là le moyen que je saute ?
- Il le faut toutefois,taupe à tout.
- Il saute de la fenêtre en bas.
SCENE XXII.
PHILIPIN qui sort.
- A présent
- Je viens dire... ma foi ce sauteur est plaisant :
- Mais il sort de chez nous, il n'a rien que je sache
- Il faut pour l'épier qu'un moment je me cache.
- Mais j'entends que l'on parle, attrapons quelque coin.
SCENE XXIII.
CRISPIN, FERNAND, et PHILIPIN au bout du Théâtre.
- CRISPIN en soutane dit à Fernand.
- Pour un gueux comme lui vous prenez trop de soin;
- Il mériterait bien qu'on punît son audace,
- Le Vaurien.
- FERNAND
- C'est là haut qu'il attend votre grâce;
- Moi je vous la demande, à la charge d'autant
- Si jamais...
- CRISPIN
- En quel lieu dites-vous qu'il m'attend ?
- Le Coquin.
- FERNAND
- Voyez-vous cette grande fenêtre ?
- CRISPIN
- Il m'entend, le bourreau; mais il n'ose paraître;
- De m'avoir offensé l'insolent est confus :
- Je n’ai pas le pouvoir de vous faire un refus,
- Ouvrez, j'entre.
- FERNAND
- Avec vous faut-il pas que je monte ?
- CRISPIN
- Pour le bien châtier faisons-lui cette honte,
- Montez; oui, montez... Non, épargnons ce Maraud;
- Ecoutez seulement, je lui parlerai haut,
- C'est assez.
- Crispin entre seul.
- FERNAND
- Je le veux; refermons cette porte,
- Et voyons...
SCENE XXIV.
PHILIPIN, FERNAND, et CRISPIN dans la maison.
- PHILIPIN à Fernand.
- Quoi, Monsieur, vous craignez qu'il ne sorte ?
- Malepeste le Drille, il sait bien d'autres tours
- Le Manoeuvre !
- FERNAND
- Pourquoi me tiens-tu ce discours ?
- Ou respecte cet homme, ou redoute ma canne.
- PHILIPIN
- Quand on est Baladin, porte-t-on la soutane
- A propos ? Dites donc : vous riez.
- FERNAND
- Si je ris
- Sot.
- PHILIPIN
- Votre ensoutané saute mieux qu'un cabri,
- Je le sais ; mais chez vous que peut-il aller faire ?
- Répondez, s'il vous plaît ?
- FERNAND
- Pardonner à son frère ;
- Il était en courroux pour certains accidents...
- PHILIPIN
- A ce compte, son frère est aussi là-dedans ?
- Est-ce pas ?
- CRISPIN à la fenêtre.
- Ah fripon friponnant...
- FERNAND à Philipin.
- Tiens, écoute.
- CRISPIN continuant.
- Voyez ce qu'aujourd'hui votre faute me coûte,
- J'aurais eu le plaisir de jamais ne vous voir,
- Si Monsieur dessus moi n'avait pas tout pouvoir,
- Mais je l'honore plus que personne du monde.
- FERNAND à Philipin.
- Tu vois bien.
- PHILIPIN
- Pour le moins que son frère réponde,
- Il le doit.
- FERNAND à Crispin.
- Votre frère à son tour ne dit mot,
- Qu'il parle.
- CRISPIN
- Entendez-vous, beau pleureux, maître sot ?
- Si ma juste colère est si tôt adoucie...
- Déguisant sa voix, et pleurant.
- - Monsieur, je vous rends grâce et je vous remercie,
- Je n’ai pas à dessein répandu... - Taisez-vous.
- - Si jamais... - Paix, vous dis-je, et craignez mille coups.
- - Je puis... - Taisez-vous donc. - Mais mon cher frère...- Encore ?
- PHILIPIN
- Comment diable fait-il, le futé ? je l'ignore.
- FERNAND
- Ils sont deux.
- PHILIPIN
- Il le semble; il n'en est pourtant rien,
- Mais de bien le savoir je découvre un moyen,
- Dites que devant vous il embrasse son frère.
- CRISPIN
- N'était Monsieur Fernand que je veux satisfaire,
- Pécore...
- FERNAND
- Il aurait tort de vous plus offenser;
- Mais, Monsieur, pour me plaire il le faut embrasser,
- Et toujours...
- CRISPIN
- L'embrasser !
- PHILIPIN
- Que cela l'embarrasse,
- Voyez.
- FERNAND
- De votre part je prétends cette grâce.
- CRISPIN
- Il serait trop honteux si ce bien peu commun...
- PHILIPIN
- Je vous jure, ma foi, qu'ils ne sont ma foi qu'un ;
- Le Madré ! gardez-vous des finesses qu'il brasse.
- FERNAND à haute voix.
- Seras-tu trop honteux si ton frère t'embrasse,
- L'enfermé ?
- CRISPIN
- - C'est à lui ... - Paix, Monsieur le Badaud,
- Paix fripon, paix bélître, et venez ici haut :
- Crispin met son chapeau sur son coude, et puis l'embrasse si adroitement, qu'il semble que ce soit une autre personne.
- C'est moins par amitié que ce n'est par contrainte;
- Venez, dis-je.
- FERNAND à Philipin.
- Tu vois, ce n'est pas une feinte.
- PHILIPIN
- Je n'y vois ma foi goutte, et ne sais ce que c'est.
- CRISPIN à Fernand.
- A présent...
- FERNAND
- A présent descendez s'il vous plaît,
- Je vous ouvre.
- PHILIPIN
- Epions; car ou bien je suis ivre,
- Ou bien...
- Il sort, et met bas la soutane, puis comme Fernand est entré croyant faire sortir un autre frère, Crispin prend l'occasion, et monte fort diligemment par la fenêtre, et en suite sort avec Fernand comme si en effet il était frère du Médecin.
- CRISPIN descendu.
- J’ai fait défense au Coquin de me suivre,
- J'en aurais de la honte, il viendra par après,
- Adieu.
- FERNAND
- Je suis ravi d'avoir fait cette paix :
- Mais faisons sortir l'autre.
- PHILIPIN ramassant la soutane de Crispin.
- Ah je tiens votre gaine,
- Doctissime.
- CRISPIN en habit de valet.
- Est-il loin ?
- FERNAND
- Assez loin.
- CRISPIN
- Que de peine,
- Monsieur !
- FERNAND à Philipin.
- Hé bien ?
- PHILIPIN
- Hé bien, sont-ils deux ?
- FERNAND
- Ah, vraiment...
- PHILIPIN montrant Crispin et sa soutane.
- Voilà l'un, voilà l'autre.
- CRISPIN
- Ah ! grands Dieux !
- FERNAND
- Quoi ? comment?
- Que dis-tu ?
- PHILIPIN
- Qu'à merveille il grimpe une fenêtre.
- FERNAND
- Ah perfide...
- CRISPIN
- Ah ! Monsieur, sachez tout de mon Maître,
- Le voici.
SCENE XXV. et dernière.
FERNAND, CLEON, LUCRESSE, CRISPIN, PHILIPIN, LISE.
- FERNAND
- C'est Cleon ! c'est ma fille ! Ah rusé,
- Ce Cleon l'a séduite, et tu m'as amusé,
- Médecin de malheur.
- CLEON
- Quoi, Monsieur...
- FERNAND
- Je te jure
- Que tu l'épouseras, ou je te défigure.
- LUCRESSE
- Daignez...
- FERNAND
- Point de quartier, il sera ton Epoux,
- Ou du moins...
- CLEON
- Cet hymen a des charmes si doux,
- Monsieur...
- CRISPIN
- Sans affecter compliment, ni surprise,
- Vous le fait de Lucresse, et moi le fait de Lise,
- Confondant tout ensemble et nos biens et les leurs,
- Faisons des Médecins ou Volants ou Voleurs.
- FIN.
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