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La vie théâtrale et musicale selon Loret en 1659


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre I, du samedi 4 janvier 1659, « Antécédente ».

-Loret semble déçu de n'avoir reçu aucune étrenne à la suite des fêtes de fin d'année. Il en fait part à sa protectrice, Marie d'Orléans-Longueville, duchesse de Nemours (1625-1707) à qui ses lettres sont dédiées et qui le pensionne pour son office :

Voici l'obligeante semaine
Où, tous les ans, chacun s'étrenne ;
Depuis, pourtant, que je suis né,
Vous ne m'avez point étrenné ;
C'est-à-dire, en peu de paroles,
Donné Bijoux, ni Babioles :
Je reçois bien, de temps en temps,
De Vous, quelques deniers comptant,
En titre de Pensionnaire ;
Mais, jamais, rien d'extraordinaire.
Belle Princesse, néanmoins,
En vous consacrant tous mes soins,
Pour n'être fier, ingrat, ni lâche,
Je vais travailler à ma tâche.

-L'abbé de Tonnerre a fait un sermon mémorable :

Cet Abbé d'illustre Maison,
Qui, tant d'esprit et de raison,
Dans sa noble cervelle enserre,
Savoir est l'Abbé de Tonnerre,
Aux Jésuites, sacré Lieu,
Fit en l'honneur du Fils de Dieu,
Et de son Nom suradorable,
Un Sermon si considérable,
Que tout chacun, qui l'écouta,
Merveilleusement l'exalta ;
Et telles Gens n'étaient pas minces,
Mais des Seigneurs, des Ducs, des Princes,
Et ces Dames, en quantité,
De mérite et de qualité,
Qui ce Sermon magnifièrent
Et son Auteur glorifièrent ;
Bref, plusieurs dirent, jusques-là,
» Ha, foi d'Homme d'honneur, voilà
» Un Prédicateur, de naissance,
» Des plus disserts qui soient en France.

-Des nouvelles de quelques Grands français : Anne-Marie Louise d'Orléans, la "grande Mademoiselle", tout d'abord. Ainsi :

Pour vraie et certaine nouvelle,
On m'a dit que Mademoiselle
Est allée, en solennité,
Visiter sa Principauté, [Dombes.]
De laquelle elle n'est pas Reine :
Mais, du moins, Dame Souveraine ;
Et dont les fidèles Sujets
Ont d'affectionnés projets
De recevoir cette Princesse
Avec tous signes d'allégresse,
Honneurs, respects et compliments,
Et de grands applaudissements.

-... Puis Charles-Emmanuel II de Savoie, que l'on dit accidenté :

Ce Prince, de belle espérance,
Cousin Germain du Roi de France,
Duc de Savoie et de Piémont,
Naturellement vif et prompt,
Par une espèce de disgrâce,
L'autre jour, courant à la chasse,
Sous lui, son cheval s'abattit,
Qui lui fit douleur, un petit :
Mais on m'a dit, pour chose sûre,
Que légère fut sa blessure ;
On avait rapporté, d'abord,
Qu'il était en danger de mort,
Et chacun, avecques détresse,
Plaignait le sort de cette Altesse :
Mais, pour détromper l'Univers,
Je publie, exprès, en ces Vers,
Que la chute de ce cher Prince
Ne fut qu'un accident bien mince,
Et puis jurer, foi de Chrétien,
Qu'à présent, il s'en porte bien.

-Loret évoque un ouvrage censuré par l'Église de France : il estime ne pouvoir à proprement parler donner son avis puisqu'il n'a pas lu ledit ouvrage. Ainsi :

Les Sieurs Curés de cette Ville,
Dont chacun passe pour habile,
Et tous remplis d'assez bon sens,
Ayant su que Monsieur de Sens,
Archevêque célèbre et sage,
Avait fait à Paris voyage,
Eux, pour lui, d'estime comblés,
S'étant, bonnement, assemblés,
Ont, entre eux, avec diligence,
Député, vers sa Révérence,
Pour lui faire un remerciement
D'avoir, Episcopalement,
(Et, presque, jusqu'à la bougie)
Censuré cette Apologie,
Dont les discours examinés
Par les Pasteurs subordonnés,
A savoir Curés et Vicaires,
Ont un peu semblé téméraires.
Plusieurs grands Prélats d'aujourd'hui
Poussez du même instinct que lui,
A ce qu'un commun bruit rapporte,
Ont agi de la même sorte.

Si ce Livre dit mal, ou bien,
C'est dont je ne décide rien,
Je ne fais, jamais, la lecture
Des Ecrits de cette nature ;
Ils sont trop relevés pour moi,
Je m'en tiens à la simple foi ;
Je n'entre point en connaissance
Des oeuvres de telle importance ;
Sur les sujets contentieux
Je ferme doucement les yeux ;
Le Symbole, plein d'énergie,
Est toute ma Théologie,
Et, sans faire l'évaporé,
Je crois ce que croit mon Curé.
Ainsi, cet avis que je donne,
N'est pas pour picoter personne,
Et, l'écrivant, je ne prétends
Que marquer l'Histoire du temps.

-La mort de l'un des membres de l'administration royale :

Samedi, Monsieur Perrochel, [Doyen de la Chambre des Comptes.]
Nommé François, Pierre, ou Michel,
Ou de quelque autre nom, encore,
Car, enfin, c'est ce que j'ignore,
Fut, par la Mort, rendu perclus,
Ayant quatre-vingts ans, et plus ;
Fort regretté de ses Confrères,
A qui ses vertus étaient chères,
C'est, avec raison, que je dis
Que son âme est en Paradis :
Car un mien Ami, bon et sage,
M'a, de lui, rendu témoignage
Que comme un Saint, presque, il mourut,
Quand Dame Atropos le férut.

Lettre II, du 11 janvier 1659, « Honnête ».

-Le roi et la reine sont absents de la cour pour des raisons "politiques", semble-t-il :

Nos deux Majestés, et leur Cour,
Songent, souvent, à leur retour :
Mais les Affaires survenues
(Qui sont partout assez connues)
N'étant pas, encore, en l'état
Que requiert le bien de l'Etat,
Joint que le temps est un peu rude,
On ne peut, avec certitude,
Savoir le jour qu'on partira ;
Mais, dans fort peu, l'on le saura.

-La Grande Mademoiselle est revenue de son séjour en terre lyonnaise :

Du Grand Gaston, la Fille Aînée,
Audit Lyon est retournée,
N'ayant, dans sa Principauté,
Que dix ou douze jours été.

-Une marquise a été attaquée par des malandrins :

Quelques Personnes inconnues,
Mais qui n'ont pas tombé des nues,
Voulait enlever, l'autre jour,
Par avarice, ou par amour,
(O la téméraire entreprise !)
Une Veuve riche et Marquise,
Et jeune et belle, à l'avenant,
Savoir Madame de Nonant :
Mais quelques Fauteurs de la Troupe
N'ayant pas eu le vent en poupe,
Pour achever leur trahison,
Ont été conduits en prison,
Comme des intrigants iniques,
Etant, dit-on, ses domestiques.

-Décès d'un abbé de Saint-Germain :

Monsieur l'Abbé de Saint-Germain,
Noble et prudent Ultra-montain,
Et Fils d'un des Grands de Savoie,
De Paradis, a pris la voie,
Etant mort à Paris, Mardi ;
C'est avec raison, que je dis
Que, là-haut, il prit sa volée,
Etant de vertu signalée ;
Et, de plus, ayant le bonheur
De plaire à bien des Gens d'honneur
Tant de la Cour, que des Provinces,
Y compris Princesses et Princes.

Madame, l'on m'a fait savoir
Qu'il avait l'honneur de vous voir,
Et que vous en faisiez estime ;
Il m'a, donc, semblé légitime,
Maintenant qu'il est devant Dieu,
De lui donner place en ce Lieu,
Afin d'allonger sa mémoire,
Qui pourra vivre en notre Histoire.

Lettre III, du samedi 18 janvier 1659, « Ténébreuse ».

-Le mari de madame de Longueville, Henri II de Savoie-Nemours, est passé dans l'autre monde. Loret tente par ses vers de consoler sa protectrice :

PRINCESSE, dont les tristes pleurs
Marquent les sensibles douleurs ;
Vous faites, maintenant, épreuve
De ce qu'on sent quand on est veuve,
En perdant la chaste amitié
D'une illustre et chère Moitié
Qui n'a pas eu longue durée,
Et dont vous étiez adorée.
Sans doute, le coup de la Mort
Qui par un trop subit effort
De ses beaux jours coupa la trame,
Vous navre, aussi, le Coeur et l'Âme ;
Et ce serait, en vérité,
Une injuste témérité
De condamner l'inquiétude
Que vous donne un malheur si rude.
Non, non, Madame, soupirez,
Gémissez, sanglotez, pleurez ;
Le deuil n'est que trop légitime
Pour un Epoux que l'on estime :
On doit s'affliger quand on perd.
Le Temps, seul, Médecin expert,
Peut adoucir de Votre Altesse
L'équitable et juste tristesse.
C'est, pourtant, un penser bien doux
De savoir que ce Noble Epoux
(Théâtre éternel de la Guerre)
Possède, à présent, dans les Cieux,
Un bonheur qui l'égale aux Dieux ;
Pour moi, qui le crois dans la gloire,
Afin d'honorer sa mémoire,
Je m'en vais apprendre, aux Vivants,
Quel il fut, dans les Vers suivants.

EPITAPHE.

Henri, Duc de Nemours, du beau Sang de Savoie,
De l'aveugle Atropos ayant été la proie,
Fut mis dans ce Tombeau, de tout le Monde, plaint ;
D'une humeur bienfaisante, il fut le vrai modèle,
Il était Généreux, il avait l'Âme belle,
Il vécut comme une Prince, et mourut comme un Saint.

-Cette nouvelle a d'ailleurs interrompu les ris et les jeux chez bon nombre de grands de Paris :

Lundi, Madame de Gouville,
Des plus aimables de la Ville,
Ayant, outre quelques Messieurs,
Convié chez elle plusieurs
Duchesses, Dames, Damoiselles,
La plupart, Illustres et Belles,
Leur donnait Comédie et Bal :
Mais oyant un rapport fatal
Que du susdit Prince la vie
Courait danger d'être ravie
Par un défaut de son poumon,
Cette Dame, de grand renom,
Aussi prudente que charmante,
Ayant les plaisirs à dédain,
Fit cesser le Bal, tout soudain.
Messieurs les Violons se turent,
La joie et les ris disparurent,
Le chagrin, qui maint coeur fendit,
Dans la Salle se répandit,
La Troupe devint taciturne,
Cupidon fit place à Saturne,
Et tous, étant en désarroi,
Retournèrent chacun chez soi.

-La mort de la femme d'un membre de l'administration, mort un mois avant elle :

La Veuve de Monsieur Bailly, [Maître des Comptes.]
Après lui n'a guères vieilli ;
Si ma Muse, bien s'en remembre,
L'un mourut au mois de Décembre,
L'autre, en Janvier, le mois d'après,
Non sans causer bien des regrets
(Et, mêmes, des plus pitoyables)
A leurs Enfants, Gens honorables,
Dont l'un d'eux est Homme de Cor,
Qui m'aime, un peu, depuis maint jour.
Je ne vois donc, qu'un mot qui serve ;
Dieu les console et les conserve.

-Loret annonce le retour de la cour :

La Cour est, maintenant, en voie
Pour venir vous combler de joie ;
Malgré les passages scabreux,
Sur son chemin assez nombreux,
Cette Cour, faite à la fatigue,
A Monsieur Hiver fait la figue.
Ha qu'impatiemment j'attends
De repaître mes yeux contents
Des plus charmants Objets de France,
Notre gloire, et notre espérance :
Mais, ce que j'y vois de meilleur,
Ce sera vers la Chandeleur.

Lettre IV, du samedi 25 janvier 1659, « Remplie ».

-Loret annonce la création de la nouvelle tragédie de Corneille. Il s'agit de l'Œdipe. Notre gazetier n'était pas présent mais il croit savoir que le succès de cette pièce est retentissant :

Monsieur de Corneille, l’Aîné,
Depuis peu de temps a donné
A ceux de l’Hôtel de Bourgogne,
Son dernier Ouvrage, ou Besogne
Ouvrage (dis-je) Dramatique,
Mais si tendre et si pathétique,
Que, sans se sentir émouvoir,
On ne peut l’entendre, ou le voir.
Jamais Pièce, de cette sorte,
N’eut l’élocution si forte,
Jamais, dit-on, dans l’Univers,
On [n’]entendit de si beaux Vers.
Hier, donc, la Troupe Royale,
Qui, tels sujets, point ne ravale ;
Mais qui les met en leur beau jour,
Soit qu’ils soient de Guerre, ou d’Amour
En donna le premier spectacle,
Qui fit, cent fois, crier miracle.
Je n’y fus point : mais on m’a dit
Qu’incessamment on entendit
Exalter cette Tragédie
Si merveilleuse et si hardie ;
Et que les Gens d’entendement
Lui donnaient, par un jugement
Fort sincère et fort équitable,
Le beau titre d’inimitable.

Mais cela ne me surprend pas
Qu’elle ait d’admirables appâts,
Ni qu’elle soit rare et parfaite ;
Le divin Corneille l’a faite.

-Le roi, annoncé dans la lettre précédente, est retardé par le mauvais temps :

Air glacé, vents froids, pluie et fange,
Frimats d'Hiver, saison étrange,
Vous ne vous opposez, qu'en vain,
A la Marche du Souverain,
Qui vient, de sa splendeur Royale,
Orner sa chère Capitale.
Rien ne saurait le retenir,
Sa longue absence va finir :
Et, du moins, dans l'autre semaine,
Nous verrons Roi, nous verrons Reine.

Lettre V, du samedi 1er février 1659, « Superficielle ».

La Cour grosse, et non pas menue,
Depuis cinq jours est revenue ;
Et le Louvre, qui, l'autre jour,
Paraissait un triste séjour,
Avec juste raison se pique
D'être à présent, bien magnifique :
C'est un Ciel, semé de clartés,
Dont nos Augustes Majestés,
Avec leurs splendeurs ordinaires,
En sont les deux grands Luminaires ;
Dont, du Roi, le Frère charmant
Est, du moins, le tiers ornement ;
Dont, mêmement, Son Eminence,
Fond de lumière et de prudence,
Et, bref, (sans dire ici, leurs noms)
Dont quantité d'Objets mignons,
Que Dieu préserve de désastres,
Sont les chers et radieux Astres,
Qui, comme dans leur Elémént,
Eclatent admirablement.

O Cour si brillante et si belle !
Où je comprends Mademoiselle,
Pour vous témoigner mon amour,
Je consacre à l'heureux retour
Du beau monde qui vous compose,
Ce compliment, non pas en prose ;
(Car je ne prose pas des mieux)
Mais en pur langage des Dieux;
Puisque plusieurs, par fantaisie,
Nomment, ainsi, la Poésie.

- On a fêté un saint :

De Janvier, je jour vingt et neuf,
Dans ce Temple, presque, tout neuf,
Que de la Merci l'on appelle,
Se fit la fête solennelle,
D'un Saint, de réputation,
Qui fut de notre Nation,
Soit Provençal, Gascon, ou Basque,
Nommé Saint Pierre de Nolasque,
Qui comme prudent favori,
D'un Roi d'Aragon fut chéri,
Qui portait le grand Nom de Charles,
Et lequel Saint dont je vous parle
Moral, Politique et Docteur,
Se rendit premier Fondateur
De cet Ordre, qui, des entraves
Délivre les Chrétiens Esclaves,
Savoir (pour expliquer cei)
Les bons Pères de la Merci.
Enfin, on célébra sa Fête,
Où mainte sage et belle Tête,
Id est, Gens de condition,
Allèrent, par dévotion,
Monsieur d'Amiens, dont la doctrine
Est Théologique et Divine,
Y prêcha, ce dit-on, des mieux,
Au gré des plus judicieux,
Qui n'étaient pas de simples Âmes ;
Mais deux Princesses, trente Dames,
Six Evêques, ou Grands Pasteurs,
Quatorze Abbés, douez Docteurs,
Seize Nobles Mangeur d'Epices,
Bref, sans comprendre les Novices
Plus de cent Gens Spirituels,
Tant Mondains, que Conventuels ;
Enfin, l'Eglise était si pleine,
Qu'on ne s'y grouillait, qu'avec peine ;
Et pour, à bonne intention,
Profiter de l'occasion,
La discrète Infante, ou Pucelle
De Novion, aimable et belle,
Avec des mots exortatifs,
Quêta pour les pauvres Captifs ;
Et présentant, de bonne grâce,
A tous les Assistants, sa Tasse,
Par ses jeunes appâts vainqueurs
Attiraient l'argent et les coeurs.
Bref, pour n'oublier rien, du reste,
La Musique, presque, céleste,
De Dumont, dont on fait grand cas,
Y charma les plus délicats.

Lettre VI, du dimanche 9 février 1659, « Sage ».

-La reine a assisté dans la mort une religieuse agonisante :

La Fête de la Chandeleur,
Notre Reine, non sans douleur,
Regardait, dans le Val-de-Grâce,
De quelle façon l'on trépasse.
Une Fille de ce saint Lieu,
Dévote Servante de Dieu,
Approchant de l'heure dernier
Où du jour on perd la lumière,
Agonisant et haletant,
Et contre la Mort combattant,
Ce Parangon des bonnes Reines
Plaignant ses angoisseuses peines,
Charitablement l'assista,
Doucement la réconforta
Par des discours remplis de charmes,
Elle l'honora de ses larmes,
Elle pria, pour elle, Dieu,
Et lui dit, tendrement, adieu ;
Mais, sans détourner son visage
De cette embarrassante image,
Par un ferme et constant effort,
Elle vit triompher la Mort ;
Son Âme en parut attristée,
Mais, point du tout, épouvantée ;
Bref, dans ce lugubre moment,
Philosophant chrétiennement,
S'entretint, longtemps, en soi-même,
De cet Objet mourant et blême,
Sans montrer un coeur abattu,
Exerçant, par là, sa vertu,
Qui, sans mentir, est plus qu'humaine
En cette Grande Souveraine.

-D'autres décès ont émaillé la vie de la cour :

Suivant, de tous, le commun sort,
Monsieur de Saint-Géran est mort,
Il était, de grande naissance,
Seul Fils d'un Maréchal de France,
Et, de plus, ce Noble Seigneur,
Du Bourbonnais, fut Gouverneur,
Dont on a fait, au bout du compte,
Un présent à Monsieur le Comte,
Prince, qui reçut ce beau don
Comme un honorable guerdon
Des services que sa Personne
A rendus à notre Couronne
Par plusieurs exploits hasardeux,
En des Campagnes plus de deux.

Cet ornement de la Famille
Qui porte le nom de Castille,
Savoir Madame de Chalais,
Qui, dans les Cours et les Palais,
Etait, jadis, considérée
Par sa beauté, presque, adorée,
Dont naissaient mille et mille amours,
Est morte, depuis peu de jours.

O Nature ! divine Ouvrière,
Qui d'une fragile matières,
Fais, assez souvent, de beaux Corps,
Ornés de précieux trésors ;
Las ! toutes ces aimables choses,
Ces lys, ces oeillets et ces roses,
Ce vif corail, ces yeux brillants,
Qui font gémir tant de Galants,
Ces cheveux frisottés en ondes,
De teintures brunes ou blondes.
Bref, tant d'autres appâts divers,
Sont, enfin, l'aliment des viers.

O Beautés superbes et fières
Qui nous donnez dans les visières,
Et dont les moments sont si courts,
Rêvez un peu sur ce discours.

D'Abel, illustre Personnage, [M. le Comte de Servienne.]
Le Frère si bon et si sage,
Savoir l'Evêque de Bayeux,
Qu'on estimait dès plus pieux,
Qui fussent entre ses Confrères,
Est aussi mort, depuis naguères.
Chacun regrette ce Pasteur ;
Voilà bien des morts, cher Lecteur :
Mais, toutes, morts de conséquence,
Et par cette raison, je pense
Que je devais, en ce moment,
En parler nécessairement.

-Quelque grand du clergé a tenu des discours particulièrement appréciés par les souverains, en cette période de fêtes :

Quoi que j'eusse pris des bésicles
Faisant les deux premiers articles,
Je confesse, en Homme ingénu,
De ne m'être pas souvenu
Que Rouillard, Homme de science,
Aussi bien que de conscience,
Elu, pour sa capacité,
Recteur de l'Université,
Dimanche, Fête de la Vierge,
Donnant, aux Majestés, un cierge,
Et, même, aux Premiers Présidents,
Leur fit des discours si prudents,
Qu'enfin, en chaque Compagnie,
On admira son beau génie,
Qui, dans cette grande action,
Réussit en perfection.

-En cette période de carnaval, défense a été faite à tous de se déguiser en prêtre :

Monsieur Daubray, Chef de Police,
Homme de droit et de justice,
Autrement, Lieutenant Civil,
Jugeant l'acte assez incivil,
Scandaleux, impie et fantasque,
De s'accoutrer en portant masque,
En Cordelier, ou Théatin,
En Ermite, ou Bénédictin,
Avec robe minime, ou grise,
Ou bien en autres Gens d'Eglise,
Comme quantité d'insensés
Faisaient aux Carnavals passés ;
Par une équitable Sentence,
A fait, expressément, défense
A tout Homme, Fille ou garçon,
De s'habiller de la façon,
A peine, en faisant le contraire,
De punition exemplaire.

Tout Homme de bon jugement
Doit approuver ce Réglement,
Car, jamais, Thémis, Dame auguste,
N'en a prononcé de plus juste.

-Un Saint-Simon a donné le bal et la fête chez lui :

Monsieur le Duc de Saint-Simon,
Qui de Louis, treize du nom,
Fut, jadis, les chères délices,
Par ses vertus et ses services,
Dignes d'un renom immortel,
Mardi dernier, dans son Hôtel,
Où toute politesse abonde,
Reçut quantité de Beau monde,
Que, dans un riche appartement,
On festoya splendidement ;
Des Dames, d'aimable prestance,
Y dansèrent la belle danse,
Faisant, par ordre et par compas,
Admirer leurs divins appâts :
Mais, entre toutes, la Duchesse,
Du Lieu, la ravissante Hôtesse,
Y fut le Paradis des yeux,
Par mille agréments précieux,
Et par les grâces naturelles
Qui la font mettre au rang des Belles.
D'autre part, cet Objet Mignon,
Son Infante de Saint-Simon,
Qui par son admirable enfance
Pourrait charmer toute la France
Par ses roses et par ses lys,
Par mille et mille attraits jolis,
Et par sa douceur, sans pareille,
Parut une jeune Merveille
Dont tout chacun était ravi ;
Et Messieurs du Bal, à l'envi,
Firent un cas extr'ordinaire
Et de la Fille et de la Mère.

-En cette période de Carnaval, c'est bals sur bals et fêtes après fêtes :

Le lendemain, un autre Bal,
Chez Monseigneur de Lhôpital,
Qui de sagesse est un miracle,
Fut, encore, un rare spectacle,
Et de grande exultation,
Y comprit la Collation
Que Madame la Maréchale,
Toujours charmante et libérale,
Et qu'on ne peut trop respecter,
Aux Conviés fit présenter ;
Il ne faut pas que l'on s'étonne
Si la Collation fut bonne,
Personne n'est émerveillé
Si tout y fut appareillé
D'une exquise et belle méthode,
Car, de ce Lieu-là, c'est la mode.

-Une fête chez Philippe de France :

Jeudi, qui fut le jour d'après,
Avec de singulier apprêts,
Politesse, ordre et bienséance,
L'Illustre Philippe de France
Donna le Bal dans sa Maison,
(Maison, je n'ai pas de raison,
Ici j'apprêterais à rire,
C'est dans son Palais qu'il faut dire)
Enfin, dans ce Lieu tout Royal,
Philippes donna, donc, le Bal
A plusieurs Dames bien coiffées,
Plus belles, cent fois, que des Fées,
Et dont les appâts différents
Enchantaient les plus apparents.
Comme la Bande était fort belle,
La Collation y fut telle ;
Car ce Prince, un des plus polis
Qui soient, jamais, venus des Lys,
Avec des façons non pareilles,
Sait l'art de traiter, à merveilles ;
Et ce point n'est point débattu ;
Mais c'est là, sa moindre vertu.
Le Roi, de sa propre présence,
Honora sa magnificence,
Ce qui, très fort, le contenta ;
Et ce Grand Roi s'y transporta,
Suivi d'une Troupe si belle,
Que, jamais, la Troupe immortelle
De ces Déesses, de haut prix,
Les Junons, Pallas et Cypris,
Quoi que nous en ait dit la Fable,
Ne leur était pas comparable.

Auxquels trois grands Bals, ou Festins,
La malice de mes destins
Ne m'ont pas permis de paraître
Pour les Beautés en reconnaître :
Ces jours-là, j'étais mal bâti,
Dans les plaisirs j'eusse pâti,
J'appréhensais quelque incartade,
Car, enfin, j'étais, lors, malade,
(Sans davantage m'exprimer)
A ne pouvoir pas m'enfermer.

Si, donc, de ces trois belles Fêtes,
Où l'Amour fit bien des conquêtes,
Je ne raconte pas assez
Les divertissements passés,
O Lecteurs, plus que débonnaires,
Les raisons y sont toutes claires.

-Où il est question d'une représentation d'une pièce de Corneille :

Durant qu'auprès de mes tisons
Ma Muse se fonde en raisons,
Etant le jour où je besogne,
On joue, à l'Hôtel de Bourgogne,
Ce Poème rare et nouveau
Que tout Paris trouve si beau
Et que tout bon Esprit admire,
Devant le Roi, notre cher Sire,
Attiré par le bruit que fait
Cet Ouvrage grand et parfait,
Et d'excellence, sans pareille,
Le dernier de Monsieur Corneille.

-La grande Mademoiselle est de retour à la cour et elle a participé à la fête donnée par Monsieur :

Mademoiselle est de retour
Quelque semaine après la Cour,
Et cette éclatante Princesse
En Personne, accrût l'allégresse
Par son brillant extérieur,
Dudit Bal que donna Monsieur.

-Plusieurs grands sont de retour. Il ne manque que le souverain pour contenter le gazetier :

Monsieur le Chancelier de France,
Le Premier Chef de la Balance,
En dépit du temps mutiné,
Est, en son Hôtel, retourné.

On dit que Monsieur de Turenne
Est, ici dès l'autre semaine ;
Ainsi, Paris, présentement,
A notre grand contentement,
Au contentement des Boutiques,
Des Courtisans, des Politiques,
Voit tous ces Hôtes revenus
Autant les gros, que les menus,
Et, pour me combler de liesse,
Il n'y faudrait que Votre Altesse.

Lettre VII, du samedi 15 février 1659, « Austère ».

-Guillaume Colletet n'est plus. Il a quitté ce monde qui l'avait honoré en le faisant académicien :

Colletet, des Muses, aimé,
Depuis trois jours fut inhumé,
Colletet dont la renommée
Avec raison, était semée
En plusieurs lieux de l’Univers,
Qui dans le Métier des beaux Vers
Passa pour un excellent Maître ;
Et lequel avait l’honneur d’être
Du Corps de ces Illustres Gens [Académie française]
Qu’on peut appeler nos Régents
Touchant les Vers et l’Éloquence,
Et mainte autre belle Science.
Il a fait quantité d’Écrits
Au goût des plus savants Esprits,
Et (même) en eût fait plus grand nombre,
Si ce fantôme affreux et sombre
Que l’on nomme Dame Atropos,
Trop soudain et mal à propos,
De son corps n’eût chassé l’Hôtesse,
Car il n’est pas mort de vieillesse.
Ce qui doit, au présent malheur,
Diminuer notre douleur,
C’est qu’il laisse un Fils en sa place
Qui, sans doute, suivra sa trace,
Dans le mystérieux Vallon
Où, de tout temps, Maître Apollon
Inspire, aux Ames bien sensées,
Ses plus délicates pensées.
Touchant cette aimable Moitié
Qu’il épousa, par amitié,
Dans la tristesse qui l’accable,
Elle est, dit-on, inconsolable,
Le Monde (en perdant son Époux)
N’a pour elle, plus rien de doux,
Et ses beaux yeux, noyés de larmes,
Ont de si pitoyables charmes,
Qu’il faut, en ce lugubre ennui,
Soupirer pour elle, et pour lui.

-L'évêque de Rodez, Hardouin de Péréfixe, futur archevêque de Paris, est reçu à l'Académie française :

Jeudi dernier, dans cette Troupe, [L'Académie française]
Où les beaux Arts ont vent en poupe,
Monsieur l'Evêque de Rodez,
Digne de l'Hermine, et du Daix,
Si les vertus et la Doctrine
Obtenaient le Daix et l'Hermine,
Après un discours, bien tissu,
Fut honorablement reçu,
Non seulement par les Confrères,
Tous Esprits extraordinaires ;
Mais, avec honneur singulier
De Monseigneur le Chancelier
L'un de nos plus Grands Personnages,
Et Chef de ce Troupeau de Sages.
Certes, ce célèbre Pasteur,
Qui, du Roi, fut l'Educateur,
Etait bien capable et bien digne
De cette Compagnie insigne ;
Et je jurerais net et franc,
Qu'il y tiendra, toujours, haut rang.

-Un autre décès, à la cour :

Madame Colebert est morte,
Dame, dont l'âme sage et forte,
Exerçait fort la prudité,
La charité, la piété :
Ainsi, quoi qu'avancée en âge,
Je puis dire que c'est dommage,
Et que la Mort, trop promptement,
A hâté son dernier moment.
Hélas ! les bonnes Créatures
Vont trop tôt dans les sépultures ;
La Terre aurait besoin, toujours,
Que leur vie eût un plus long cours ;
Avec leur vertu, sans seconde,
Ce sont des Anges dans le Monde :
D'Elle, on en pouvait dire autant ;
Et quand le Ciel, en un instant,
Nous ravit ces âmes insignes,
C'est que nous n'en sommes pas dignes.

-Loret fait état d'une visite de Monsieur, frère du Roi, au Petit-Bourbon, ainsi que de la harangue improvisée par Molière en son honneur (Monsieur était le protecteur de la troupe de Molière) :

Dans Paris, perle des Cités,
Masques courent de tous côtés,
Et comme le temps où nous sommes
Provoque les plus galants Hommes
À rechercher, à qui mieux mieux,
Les divertissements joyeux,
De notre Roi, le Frère unique,
Alla voir un sujet Comique
En l’Hôtel du Petit-Bourbon,
Mercredi, que l’on trouva bon,
Que ces Comédiens jouèrent,
Et que les Spectateurs louèrent.

Ce Prince y fut accompagné
De maint Courtisan bien peigné,
De Dames charmantes et sages,
Et de plusieurs mignons visages.
Le premier Acteur de ce lieu,
L’honorant comme un demi-Dieu,
Lui fit une harangue expresse
Pour lui témoigner l’allégresse
Qu’ils recevaient du rare honneur
De jouer devant tel Seigneur.

-Plus bas, il raconte que Floridor improvisa lui aussi une harangue (mais au roi), à l'issue d'une représentation de l'Œdipe de Corneille; puis il annonce le ballet du roi qu'il décrira avec force détail dans sa lettre suivante :

Le Successeur de Bellerose,
Floridor, fit la même chose
À notre Grand Roi, l’autre jour,
À l’aspect de toute la Cour,
Y compris l’Auguste Philippe,
Ayant récité leur Oedipe,
Qui, des Majestés, fut trouvé
Si beau, si fort, si relevé,
Et si plein de grandes paroles,
Qu’il en eut, très bien, des pistoles.
Pour Floridor, on l’applaudit,
Il dit fort bien tout ce qu’il dit,
Un Orateur n’eût su mieux faire :
Mais ce n’est que son ordinaire.

On dansera, demain, je crois,
L’agréable Ballet du Roi,
Où, peut-être, sans répugnance,
Quelqu’un me donnera séance.

Enjoint, donc, à tous Officiers,
À tous Exempts, Gardes, Huissiers,
De me donner facile entrée
En cette Royale Contrée,
Et que chaque huis me soit ouvert,
Si tôt qu’on m’aura découvert,
Je leur demande cette grâce
De la part de tout le Parnasse.

Lettre VIII, du samedi 22 février 1659, « Partialisée ».

-Retour sur la mort de Monsieur Servien, évoquée plus haut :

Commençons par Monsieur Servien,
Qui ne m'a fait ni mal, ni bien.
L'autre jour, donc, ce Personnage,
Un des plus sensés de notre âge,
Un des Grands Esprits de la Cour,
Fut réduit à son dernier jour ;
Il avait éclat et richesse ;
Mais cela n'a pas empêché
Que la Parque, enfin, n'ait tranché,
Par une rigueur obstinée,
Le filet de sa Destinée.
Or, comme il a, toujours été
D'une haute capacité :
Comme il savait la Politique,
Par théorique et par pratique,
Pour tel étant préconisé,
On n'a pas cru qu'il fut aisé
De remplis sa Place vacante,
Aussi pénible qu'importance.
Ainsi, comme on n'en voit pas un
Propre à cet Emploi non commun,
On dit que cet Homme sincère,
Monseigneur Fouquet, son Confrère,
Homme, des vertus amoureux,
Eclairé, sage, généreux,
Ayant rigueur, ayant constance,
A servir dignement la France,
Bref, dont l'Esprit est transcendant,
Sera le seul Surintendant.

-Le Maréchal de Grammont a reçu le roi en grande pompe :

Lundi, ce Maréchal de France,
Courtisan, de haute importance,
Qui, de Bayonne, est Gouverneur,
Eut, de traiter le Roi, l'honneur,
Quand ce vint à l'heure dînatoire :
Et le Grand Maître eut même Gloire
Le soir suivant, dans l'Arsenal :
Car je le sais, d'Original.

Si ces deux Seigneurs Héroïques,
Avec des apprêts magnifiques,
Avec splendeur et propreté,
Festoyèrent Sa Majesté,
Si la Chère fut sans pareille,
Si l'on cria, cent fois merveille,
Si ces deux Banquets furent beaux,
L'un, de jour, et l'autre, aux flambeaux,
Bref, si tout y fut délectable,
Cette chose est si véritable,
Que ce serait être étourdi,
De ne croire ce que j'en dis.

Près de la Majesté Royale,
Monsieur fut aussi, du Régale,
Brillant, presque, comme un éclair,
Avec maint Prince, Duc et Pair.

De plus, on dit que le Grand Maître,
Pour encor mieux faire paraître
Envers le Roi, son zèle ardent,
Par un effet correspondant
Aux autres plaisirs et délices,
Fit jouer des Feux d'artifices,
Qui, du moins, étant radieux
A l'égal des Astres des Cieux,
Charmaient, en diverses manières,
Quantité d'illustres Visières ;
Et c'est d'un Exempt, qui fut là,
Que j'appris et sus tout cela.

-Une cérémonie religieuse :

Mardi, la Chapelle Royale,
De forme ronde et non ovale,
Et, presque, bâtie en Salon,
Dans le Louvre, au Grand Pavillon,
Fut, en grande cérémonie,
Par Monsieur de Rodez, bénie,
Lequel était, en ce moment,
Vêtu Pontificalement,
Selon la pratique ancienne,
Il proféra mainte Antienne,
Encensa le Lieu, plusieurs fois,
Et fit de grands Signes de Croix.
Toute la Cour était présente,
La Musique y fut excellente ;
Et l'on fit tout ce que je dis,
A l'heure, environ, de midi.

Cette solennité nouvelle
Me sembla fort sainte et fort belle ;
Afin d'étrenner ce saint Lieu,
La Reine y pria, longtemps, Dieu,
En tels cas étant très fervente.
Bref, j'ai vu, par Lettre patente,
Que le pieux Abbé Du Pont,
Brun, ce me semble, et non pas blond,
Homme civil et débonnaire,
En est Chapelain titulaire.

-Le Ballet du Roi, précédemment annoncé, est décrit avec force détails :

Le dix-neuf du présent Février,
Sans obstacle et sans encombrier,
Quoi qu’assez grande fût la presse,
Je vis danser, avec allégresse,
Le Ballet de Sa Majesté,
Des plus charmants, en vérité.
Il ne contient que douze Entrées,
Mais, toutes, fort bien préparées,
Et, notamment, les trois du Roi,
Qui ravissent, en bonne foi ;
Et, surtout, quand on y remarque [Le Roi fait la première Entrée.]
L’agilité de ce Monarque,
Dont on disait, à tout moment,
Qu’il possédait visiblement,
Autant de grâce dans la Danse,
Qu’en la guerre il a de vaillance,
Qu’en son cœur il a de bonté,
Qu’en sa taille il a de beauté,
Qu’en son âme il a de sagesse,
Et, bref, qu’en tout il a d’adresse.

Pour les autres Gens du Ballet,
Ma foi, tel Maître, tel Valet ;
Les subalternes qui dansèrent,
D’exceller, aussi, s’efforcèrent,
(Mettant, en cela, tous leurs soins)
Les uns plus, et les autres moins,
Différence assez coutumière,
Mais, tous, de la belle manière.

Quatre Enfants et quatre Vieillards [2e Entrée.]
Y parurent des plus gaillards.

Trois Docteurs, trois Gens de Village [3e entrée.]
Qui vinrent après, firent rage.

Deux Braves et des plus vaillants [4e Entrée.]
Avec grande ardeur s’assaillant,
S’estocadant à toute outrance,
Et qui se battaient en cadence,
Y compris certain Fanfaron
Qui contrefaisait le poltron,
Par mainte et mainte simagrée,
Firent une admirable Entrée.

Le Personnage du Bonheur, [Représenté par le Roi.]
Dansé par un Homme d’honneur ;
S’il en fût, jamais, dans l’Europe,
Et dont, partout, le nom galope ; [5e Entrée.]
Avec deux, au pied diligent,
Qu’on nommait l’Esprit et l’Argent,
Qui se trémoussaient, d’importance,
Fut encore une rare Danse,
Où le Bonheur de cet État
Parut en un si grand éclat.

Les trois Sobres, les trois Ivrognes, [6e Entrée.]
Avec leurs dissemblables trognes,
Et leurs différences de pas,
Ma foi, ne s’épargnèrent pas.

Les Filles, de divers corsages, [7e Entrée.]
Trois de Cour, et trois de Village,
Avecque leurs attraits fripons,
Plurent, fort, je vous en réponds.

Des Contrefaiseurs, la Brigade, [8e Entrée.]
Par maint saut, et mainte gambade,
Firent comprendre aux plus Censeurs,
Qu’ils étaient d’excellents Danseurs.

Force et Raison, souvent contraires, [9e Entrée]
Que suivaient Soldats et Notaires,
À notre grand contentement,
Réussirent parfaitement.

Quatre Amants et quatre Maîtresses, [10e Entrée.]
Par leurs galantes Gentillesses
Et par leurs agréables pas,
Firent admirer leurs appâts ;
Desquelles quatre Jouvencelles,
(Ou, du moins, qui paraissaient telles)
Et qui dansaient d’un air charmant,
Je ne connus, distinctement,
À voir sa grâce singulière,
Que la très Mignonne Molière,
Objet qui n’a rien que de doux,
Et qui toucha les Cœurs de tous.

Quatre autres Danseurs rarissimes, [11e Entrée.]
Dont deux ou trois sont mes intimes
Et qu’on estime en maints endroits ;
Deux Adroits et deux Maladroits,
(Ce Ballet, ainsi, les appelle)
Par une Danse toute belle,
Firent juger aux Spectateurs
Qu’ils auraient peu d’imitateurs.

Enfin, deux François Gentilshommes,
Desquels l’un est le Roi des Hommes,
Deux Turcs et deux Italiens,
Et, mêmement, deux Indiens,
Accompagnés d’une Espagnole,
Qui sait friser la cabriole,
De la même sorte et façon
Que ferait un joli Garçon,
Dansant, non avec des sonnettes,
Mais, bien, avec des castagnettes,
Qui causaient du ravissement,
Conclurent, agréablement,
Et finirent la Danserie
Du Ballet de la Raillerie.

Outre ce que j’ay dit, ici,
Il faut prendre quelque souci
De parler de la Symphonie,
Et de cette grande Harmonie
De plus de septante Instruments,
Dont les célestes agréments
Charmaient, avec leur résonance,
Les Étrangers, et ceux de France.

Cette délicieuse voix
Qui ravit et Princes et Rois,
Et qui pourrait aux Anges plaire,
Savoir Mademoiselle Hilaire,
En ce très plaisant Ballet-là
Ses rares douceurs étala.

La Barre, cette autre merveille,
Autant des yeux, que de l’oreille,
Plus que jamais, par ses accords,
Charma toute la Cour, alors.

Anne, cette Fille étrangère,
Dont la voix, au Louvre, est si chère,
Cette aimable Bergétoty,
Dont maint coeur est assujetti,
Ce Trésor, venu d’Italie,
Dont la méthode est si jolie,
Et qui sait bien, ut, ré, mi, fa,
A n’en point mentir, triompha,
Avec le Gros, avec Saint-Elme,
Qui ne s’appelle pas Anselme,
Que l’on met, pour leurs beaux Talents,
Au dessus des plus excellents.

Bref, ce furent ces cinq Personnes,
Dignes de servir les Couronnes,
Qui, par leurs accents délicats,
Firent dire à maints Avocats,
À maint Courtisan, à Balustre,
À maint Ambassadeur Illustre.
Et, même, à maint Episcopus,
Hec finis coronat opus.

Lettre IX, du samedi 1er Mars 1659, « Fluide ».

-Loret évoque la saison du Carnaval, propice à de nombreuses festivités :

Aux jours de Carême-prenant,
Qui ne durent plus, maintenant,
Certainement, la Mommerie,
Reluisante, de pierrerie,
D'or, d'argent, perles et rubis,
Dont étaient couverts les habits,
Bien loin d'être basse et rampante,
Etait admirable et pimpante ;
Et depuis que le Carnavall,
Temps libertin, temps jovial,
Grand ami du pot et du verre,
Fut institué sur la Terre,
Escorté de jeux et de ris,
Jamais la ville de Paris
Ne vit si grand nombre de Masques,
Les uns bizarres et fantasques,
Les uns atournés en pipeux,
Et d'autres, d'habits si pompeux,
Que la Contrée Orientale
Beaucoup moins de Trésors étale,
Que trois ou quatre, de la Cour,
N'en portaient sur eux, l'autre jour.

Sa Majesté, toujours charmante,
Ne parut, jamais, si brillante,/
Monsieur avait tant d'ornements,
Que l'on disait, à tous moments,
Que l'habillement de ce Prince
Valait, du moins, une Province :
Et quand ainsi l'on le prisait,
De Mademoiselle, on disait
Que ses atours et sa Personne
Valaient, tout franc, une Couronne ;
Et, de fait, en grands diamants,
Des plus polis, des plus charmants,
En quantité de perles fines,
Amatistes et cornalines,
Et d'autres rares affiquets,
En chaînes, roses, ou bouquets
Dont on prisait fort la richesse,
On m'a dit que cette Princesse
(Comme d'Elle nous parlions)
En avait pour deux millions.
Or étant, donc, si bien ornée,
Et d'assez passable Lignée,
Si je l'estime un bon Parti,
Je n'en serai pas démenti,
Et, ceci n'est point raillerie,
Qu'à moins, souvent, on se marie.

-Loret revient sur le Ballet du Roi et l'ultime représentation qui en a été donnée :

Le très joli Ballet du Roi
Qui contenait assez de quoi,
Pour ravir les plus difficiles,
Aussi bien que les plus dociles,
Fut, le Dimanche gras, passé,
Pour la dernière fois, dansé.
L’Assemblée y fut grande et belle ;
Et je pus bien la juger telle,
Étant assis, et non debout,
En lieu, d’où mes yeux voyaient tout
Bref, quoi que je m’en crûsse indigne
J’étais placé sur même ligne
Que Monsieur l’Abbé de Bonzy,
Esprit fort prudent, et choisi
Par l’illustre Duc de Florence,
Pour être Résident en France.

Ce Ballet des plus renommés
Eut ses appâts accoutumés,
Ainsi que j’en fis la remarque ;
Et le lundi, notre Monarque,
Souverain, qui n’a point d’égal,
Dans son Louvre, donna le Bal ;
Où toutes les Dames exquises,
Princesses, Duchesses, Marquises,
Et des Pucelles, mêmement,
Charmaient les coeurs, à tout moment
Par leurs grâces, presque, célestes ;
Tous les Danseurs étaient fort lestes
Louis Quatorze y présida,
Monsieur, de près, le seconda,
Et les deux Cousines Germaines [La Princesse d'Angleterre et Mademoiselle]
(Dignes d’être, un jour, Souveraines)
Et qui le sont, aussi, du Roi,
Y parurent en bel arroi.
Si, ce soir, j’eusse eu le crédit
D’être présent au Bal susdit,
Ma Plume, ô Lecteur bon et sage,
T’en entretiendrait, davantage :
Mais, plus parler, il ne convient
De Bals, jusques en l’An qui vient.

-Où il est de nouveau question des festivités du Carnaval :

Durant ces trois jours de débauche,
Où les Mondains, à droit, à gauche,
Courent, boivent, roulent les dés,
Et deviennent dévergondés,
La Reine oyait, dans l'Oratoire,
Le Service du Dieu de Gloire,
Messes, Vêpres, Saluts, Sermons,
En dussent crever les Démons,
A qui toutes Actions saintes
Donnent de terribles atteintes.
Monsieur d'Acqs, ce digne Pasteur,
Ce célèbre Prédicateur,
Dont, partout, le renom s'épanche,
Y prêcha le jour du Dimanche,
Et par des discours contenants
Quantité d'endroits surprenants,
Charma, dans ledit Oratoire,
Plus que jamais, son Auditoire.
Lundi, jour de Saint Mathias,
Monsieur l'Abbé de Fortias,
Digne d'avoir un Diocèse,
Occupa cette sainte Chaise,
Et Monsieur Renaud, fort savant,
Y prêcha le Mardi suivant.

Lettre X, du samedi 8 mars 1659, « Languissante ».

-En cette période de fêtes, les sermons sont toujours de saison :

Catillon, Père Jésuite,
Dont l'Âme, à bien parler, instruite,
Par Sermons saints et fructueux,
Rend les Chrétiens plus vertueux,
Débite son savoir extrême,
Au Louvre, ce présent Carême.
Tout Auditeur est satisfait
Des pieuses Leçons qu'il fait,
En prêchant, trois fois, la semaine,
Devant le Roi, devant la Reine ;
Et comme ce Prédicateur,
A le don de Grand Orateur,
Et qu'on en fait bien de l'estime
Pour son Esprit rare et sublime,
C'est, ici, la seconde fois
Qu'il exerce, devant nos Roi,
Son éloquence plus qu'humaine,
Durant la sainte Quarantaine.

Bonnes et sages Majestés,
Qui, ce docte Père écoutez,
Courtisan, mâles et femelles,
Princes, Grands, Dames, Demoiselles,
Gens d'habit court, Gens d'habit long,
De ce qu'il dit, profitez-donc ;
Agissez, selon sa parole ;
Il n'est pas de meilleure Ecole.

-La cour s'est trouvée réunie lors de la nomination d'un grand du Clergé :

Dimanche, dans les Jésuites,
Ce Prélat, si plein de mérites,
Par le Monde tant estimé,
Evêque d'Agde, étant nommé,
Prélat, d'Esprit extr'ordinaire,
Dont Monseigneur Fouquet est Frère,
De sa Maison, digne ornement,
Fut sacré, solennellement,
Par le Pasteur de Rothomage [Archevêque de Rouen.]
Qu'on tient fort savant et fort sage,
Ayant alors, pour Assistants,
Deux autres Prélats importants,
Et de vertu considérée,
Savoir Evreux et Césarée.

Diverses Gens, en quantité,
Furent à la solennité
De cette Action que j'annonce,
Entre autres, Monseigneur le Nonce,
Dont l'esprit est tout-à-fait bon ;
Et l'illustre Armand de Bourbon, [M. le Prince de Conti.]
Avec son aimable Princesse,
Miroir d'honneur et de sagesse,
Et pleine d'autant de bonté
Qu'aucune de sa qualité ;
Le Surintendant des Finances,
Si propre à servir les Puissances,
Et si bien intentionné,
Qui, dudit Evêque, est l'Aîné,
Et ceux de son noble Lignage
Virent, aussi, de bon courage,
Ce Sacre qui, certainement,
Excita grand contentement
En toute la belle Assemblée,
Qui, d'allégresse, en fut comblée,
Et jugea, de belle hauteur,
Qu'un jour, cet aimable Pasteur
Serait, par sa prudence exquise,
Un des ornements de l'Eglise.

-Une autre fête religieuse est mentionnée par Loret :

Plusieurs Gens de condition,
Allèrent, par dévotion,
Voir la Fête, encor toute neuve,
De Saint Thomas de Villeneuve,
Qu'on célébra, ces jours passés,
Chez les Augustins Déchaussés.
La Reine, si sage et si bonne,
S'y transporta, même, en personne,
Ou pour y faire quelques dons,
Ou pour y gagner les Pardons,
Et servir de saint Exemplaire
A la piété populaire :
Car, touchant les dévotions,
Indulgences et stations,
Cette Âme grande et non commune,
N'en a, jamais, perdu pas une.

-Loret rapporte une querelle entre deux dames de la cour, laquelle s'est déroulée sur un mode très "mondain" :

Une querelle est survenue,
Qui, dit-on, encor continue,
Entre deux Dames de la Cour,
Pour quelques mots que, l'autre jour,
Elle dirent, l'une, de l'autre :
Mais telle est l'ignorance nôtre,
(Et j'en jure Amour et Vénus)
Que leurs noms me sont inconnus.
J'ai bien su que ce sont deux Brunes,
De perfections, peu communes,
Hier, encore, l'on m'apprit,
Qu'avec les grâces de l'Esprit,
A celles du visage, jointes,
Elles parlent, souvent, par pointes.
Or comme on voit (dans les discours)
Que les pointes blessent toujours,
Etant finement appliquées,
Ces deux Dames se sont piquées
Par des mots qui les outragea :
Mais, ainsi qu ej'ai dit, déjà,
Ne sachant pas trop bien le reste,
Ô Chers Lecteurs ! je vous proteste,
Sans m'amuser au bruit qui court,
De m'arrêter, ici, tout court.

Que si ces deux Nobles mortelles
Ne sont pas moins bonnes, que belles,
Leurs coeurs conduits par la raison,
Auront égard à la saison ;
Et ce saint Temps doit, ce me semble,
Les réconcilier ensemble,
Plusieurs Gens en seront ravis,
Je leur donne ce bon avis.

-La lettre se termine par un témoignage de gratitude de Loret à sa protectrice les subsides qu'elle lui a accordées :

Remerci'ment à Mademoiselle.

Fille du Sang Royal, éclatante de gloire,
J'ai reçu, par les mains du très sage Guiloire,
Qui, de tous vos Agents, paraît un des plus francs,
Ordre, donné de Vous, dont j'attends deux cent francs :
De ce Don obligeant je vous rends humble grâce,
Et fais des Voeux pour Vous et votre Illustre Race,
Que, pour un digne prix de vos rares bontés,
Le bon Dieu qui vous aime, et que vous respectez,
Vous préserve, cent ans, ô Princesse de Dombes,
D'ennuis et de langueurs, de cercueils et de tombes.

Lettre du 22 mars 1659

-La visite du roi à Rueil et la fête qui y a lieu est rapportée par notre gazetier :

Rueil, un des logis du monde
Où l’eau plus amplement abonde
Et dont les admirables jets
Sont aux yeux de plaisants objets,
Beau logis dont une duchesse
Est propriétaire et maîtresse, [Madame d’Aiguillon]
Qu’on ne peut estimer assez,
Reçut le Roi, ces jours passés,
Et six calèches toutes pleines
De plusieurs belles inhumaines
Et de quantité de galants
Des mieux faits et des plus vaillants.
L’hôtesse étant, possible, absente,
Lorsque se fit cette descente,
Le sieur marquis de Richelieu
Fit, dit-on, les honneurs du lieu.
La collation y fut grande
De fruit, et non pas de viande,
Et d’autres bons ingrédients.
La troupe des comédiens,
Mais j’entends la Troupe royale,
Y représenta dans la salle
(Au lieu de ballet ou de bal)
Un beau poème théâtral.

-Loret ajoute que, sur le chemin du retour, deux actrices ont eu un "accident de carrosse" — et qu'à l'heure où il écrit les deux dames n'en sont toujours pas remises :

Mais, ô fortune trop félonne !
La belle, la chère Baronne
Et l’aimable de Beauchâteau,
En retournant de ce château,
Par un accident de carrosse,
Se firent au chef plaie et bosse,
Non sans sentir grande douleur ;
Et tel fut l’excès de malheur
Que ces deux actrices charmantes
En sont encore au lit gisantes.

Lettre XIV, du samedi 5 avril 1659, « Débonnaire ».

-Notre gazetier situe son art (et se situe tout ensemble) au regard des poètes vivants ou morts (Voiture, Sarrasin) de son temps, l'occasion pour lui de louer ses contemporains :

Princesse, l’heure étant venue
Où notre Plume continue
D’écrire, avec assez d’ardeur,
Pour divertir votre Grandeur
Je m’en vais, à toute aventure,
Rimer, non pas comme un Voiture,
Ni comme un défunt Sarrasin,
Qui, des Muses, fut grand cousin,
Ni d’une aussi docte manière
Que Jules de la Ménardière,
Ni d’une aussi rare façon
Que l’illustre sieur Pellisson,
Ni comme le savant Ménage,
Un des plus polis de notre âge,
Ni comme le blond Benserade,
Qui d’Apollon est camarade,
Ni comme l’excellent Magnon,
Esprit de merveilleux renom,
Ni comme le grand Calprenède,
Dont l’Esprit, à pas un, ne cède,
Ni comme ce charmant mortel,
Que l’on nomme Charles Métel,
Comme l’Auteur de la Pucelle,
Qui Monsieur Chapelain s’appelle,
Comme le renommé Scarron,
Dans son Typhon et son Maron,
Ni comme Leclerc, dans son Tasse,
Qui, bien des Écrivains, surpasse ;
Et, bref, non pas comme un Mairet ;
Mais, seulement, comme un Loret.

-L'Académie française rend hommage à Monseigneur de Servien :

Cette Troupe de beaux Esprits,
Rares ornements de Paris,
Par un louable et Saint Office,
Aujourd’hui, font faire un Service
Pour feu Monseigneur de Servien,
Dont, encore, je me souviens
Qu’il avait l’Âme belle et grande,
Et, qui fut, je crois, de leur Bande.
C’est, (m’a-t-on juré par serment)
Aux Carmes du saint Sacrement,
Que se fait la susdite Obsèque
Où se doit trouver maint Évêque,
Dont, pas un, on ne m’a nommé :
Enfin, par Billet imprimé,
J’étais convié (quoi qu’indigne)
D’assister à cet Acte insigne :
J’avais, pour ce, dévotion,
Mais mon trop d’occupation
A rimer la Lettre Historique,
Où, le Samedi, je m’applique,
Fait qu’il n’est pas en mon pouvoir
De rendre ce pieu devoir.

Lettre XV, du 16 avril 1659

Loret relate la visite du roi au château de Chilly, à l'occasion de laquelle est joué Le Dépit amoureux de Molière.

Le roi, ces jours passés, alla
En cette belle maison-là,
Si plaisante et si renommée,
Chilly vulgairement nommée,
Auquel lieu ce seigneur bien né,
À toutes vertus adonné,
À savoir Monsieur le Grand Maître,
Fit magnifiquement paraître
Son opulence et son amour
Envers cette charmante cour.
Outre le frère du monarque
Et divers courtisans de marque,
Assez beaux et bons compagnons,
Ces visages doux et mignons,
Les nièces de Son Éminence,
Objets de rare conséquence,
Et la très belle Villeroy ,
Furent illec avec le roi,
Et même une demi-douzaine
Des filles d’honneur de la reine.
Outre leurs corps des mieux parés,
Leurs beaux chefs étaient entourés
(Comme à présent c’est leurs coutumes)
De tant de différentes plumes
Que leur belle variété
Augmentait très fort la beauté
De ces nymphes jeunes et fraîches
Qui, dans de superbes calèches
Paraissant sur les grands chemins
Autant de chefs-d'œuvre divins,
Charmaient les champs et les villages
Par leurs atours et leurs visages.
Pour mieux honorer leurs appas,
On sema des fleurs sur leurs pas
Et, par des soins inconcevables,
On couvrit quantité de tables
De tous les mets délicieux
Dont on pourrait traiter des dieux.
Quand les nappes furent levées
Et que les mains furent lavées,
On fit à chacune un présent
Assez singulier et plaisant,
À savoir de quelques corbeilles
D'un ouvrage rare à merveilles,
Dont le dedans était garni
De beaux gants de frangipani,
Et le dehors, pour petite oie,
De cent et cent rubans de soie ;
Et, de plus, on leur mit en main
(Je le sais d’un auteur certain),
Outre les gants de frangipane,
Une jolie et riche canne
Éclatante de soie et d’or
Et valant un petit trésor.
Ensuite, l’on fut à la chasse,
Suivant des chevreuils à la trace
Et pareillement quelques daims
Aux pieds étrangement soudains.
Que faut-il encor que je die ?
Les violons, la comédie,
Une grande collation
Digne aussi d’admiration
Et qui fut en un instant prête,
Finirent cette belle fête.
Après quoi, tout ce noble train,
Durant un soir calme et serein,
Avec grandissime lumière
Aux côtés, devant et derrière,
Suivit notre invincible roi,
Et chacun s’en revint chez soi.

Lettre XVI, du samedi 26 avril 1659, « Cordiale ».

-Loret évoque le passage de Jodelet de la troupe du Marais à celle de Molière :

Jodelet a changé de Troupe,
Et s’en va jouer, tout de bon,
Désormais au Petit-Bourbon.

Lettre XVIII, du samedi 10 mai 1659, « Polie ».

-Notre gazetier relate la représentation d’une pastorale comique qui a été donnée à Issy (les-Moulineaux). On considère aujourd'hui cette "Pastorale d'Issy" comme la première comédie française en musique représentée dans notre pays ; son initiateur était déjà Perrin, qui devait lancer l'opéra français en 1669 avec Pomone (et qui était déjà associé ici avec le musicien Cambert) (CB) :

J’allai, l’autre jour, dans Issy,
Village, peu distant d’ici,
Pour ouïr chanter en Musique,
Une Pastorale comique,
Que Monsieur le Duc de Beaufort,
Étant présent, écouta fort,
Et pour le moins, trois cents Personnes,
Y comprises plusieurs Mignonnes
Aimables, en perfection,
Les unes, de Condition,
Les autres, seulement, Bourgeoises,
Mais si belles et si courtoises,
Qu’à peine voit-on dans les Cours
Des Objets si dignes d’amours.
L’Auteur de cette Pastorale
Est à Son Altesse Royale
Monseigneur le duc d’Orléans ;
Et l’on estime fort, léans :
C’est Monsieur Perrin, qu’il se nomme,
Très sage et savant Gentilhomme,
Et qui fait aussi bien des Vers,
Qu’aucun autre de l’Univers.
Cambert, Maître par excellence
En la Musicale science,
A fait l’Ut, ré, mi, fa, sol, la,
De cette rare Pièce-là,
Dont les Acteurs et les Actrices,
Plairaient à des Impératrices :
Et, surtout, la Sarcamanan,
Dont grosse et grande est la Maman,
Fille d’agréable visage,
Qui fait fort bien son personnage,
Qui ravit l’oreille et les yeux,
Et dont le chant mélodieux,
Où mille douceurs on découvre,
A charmé, plusieurs fois, le Louvre.
Enfin, j’allai, je vis, j’ouïs,
D’un friand plaisir, je jouis,
Et, mêmement, j’eus deux oranges
Des mains de deux visibles Anges,
Dont, à cause qu’il faisait chaud,
Je me rafraîchis, comme il faut.
Puis, l’Action étant finie,
La noble et grande Compagnie
Se promena dans le jardin,
Qui, sans mentir, n’est pas gredin,
Mais aussi beau que le peut être
Le jardin d’un logis champêtre.

-Monsieur a régalé son monarque de frère d'un fête délicate accompagnée de comédie :

Jeudi, notre Roi fut traité
En grande somptuosité,
Par Monsieur Philippe de France,
Dans son beau Château de plaisance,
Sis au Village de saint-Cloud,
Où se remplirent jusqu’au cou,
De délicieuses pâtures,
Plusieurs charmantes Créatures,
Plusieurs de ces jeunes Beautés
Que l’on voit près des Majestés,
Que le Ciel préserve d’encombre :
Mademoiselle était du nombre,
Dont le teint frais, blanc et vermeil,
Brillait-là, comme un beau Soleil.
Divers Seigneurs de conséquence,
Bien faits et de belle apparence,
Furent du Régal susdit,
Où, sur le soir, on entendit
Sous (je pense) une grande tente,
Une Comédie excellente,
Qui, deux heures, les entretint ;
Après laquelle on s’en revint.

Lettre XIX, du samedi 17 mai 1659, « Prude ».

-Loret a assisté à une « représentation musicale » à la chapelle du Louvre. L'homme de cour qu'il est, friand de divertissement païens, se délecte aussi, on le verra de nombreuses fois, de cérémonies religieuses. Ainsi :

J’allègue, pour premier discours,
Qu’au Louvre, depuis quatre jours,
On a chanté dans la Chapelle
(Non l’antique, mais la nouvelle)
Un saint Motet si musical,
Qu’il n’eût, dit-on, jamais d’égal,
Toute la Cour en fut ravie ;
Et je vous jure, sur ma vie,
Que moi, Loret, qui l’entendis,
Je croyais être en Paradis,
À tout le moins, jusqu’aux oreilles ;
Le sieur Le Gros y fit merveilles,
Et les autres Chantres du Roi ;
On m’en peut croire sur ma foi,
Car, certes, jamais je ne jure
Que quand c’est la vérité pure :
Mais sans faire, ici, de serment,
J’en serais cru, facilement.

Ô Musiciens subalternes,
Tant les vieillards, que les modernes,
Tant Gens humbles, que glorieux,
Qui présumez réussir mieux
En la Science musicale,
Il faut céder à la Royale,
Et, pas une autre, avec raison,
N’y peut faire comparaison.

Monsieur Veillot, Maître authentique,
En ce bel Art de la Musique,
Ce Motet avait composé,
Dont il fut hautement prisé
Des Majestés, qui l’applaudirent,
Et de tous ceux qui l’entendirent.

Lettre XX, du samedi 24 mai 1659, « Laborieuse ».

-Loret évoque une fête donnée chez le Comte de Lyonne durant laquelle fut représentée la Clotilde de Boyer. Un ballet y fut également donné, vraisemblablement composé par Beauchamp :

Monsieur le Comte de Lyonne,
Qu’un éclat d’honneur environne,
Qui ne sera, jamais, terni,
Dimanche, traité dans Berny,
À mille pas du Bourg-la-Reine,
Non pas seulement le Roi, la Reine,
Mais plusieurs Belles de la Cour,
Qu’on ne saurait voir sans amour,
Et (tant en Princes, qu’en Princesses)
Pour le moins, cinq ou six Altesses ;
De plus, Monsieur le Cardinal,
Que Dieu préserve de tout mal.
Mais, outre la Maison Royale,
Pour qui l’on faisait ce Régal,
Dans ce beau Logis, à l’écart,
Et non pour le tiers, ni le quart,
Des Gens, plus de vingt et deux mille,
Tant des faubourgs, que de la Ville,
Y furent, sans être semons ;
Les uns, tranchant des Rodomonts,
Les autres par humbles prières,
Passèrent portes et barrières :
Les uns entrèrent, disant » Moi,
» Par le sang bieu, je suis au Roi ;
Les uns, en portant des bouteilles,
Les autres, chargés de corbeilles,
Les uns, soit disant Rôtisseurs,
Les autres, soit disant Danseurs,
Et plusieurs gaillards et gaillardes,
En faisant les doux yeux aux Gardes.

Pour moi, tout franc, j’y fus admis ;
Mais, par faute de vrais Amis,
(Dont j’en fus, presque, à l’agonie)
On repoussa ma Compagnie,
Qui n’était que de trois, en tout ;
On mit leur patience, à bout,
De sorte qu’ils s’en retournèrent,
Et dans tel chagrin me laissèrent,
Que parmi les contentements
Qu’on y goûtait, à tous moments,
J’avais l’esprit inconsolable ;
Et quoi que je visse d’aimable
(Soit dit sans profanation)
Je souffrais mort et passion.

On ne doit pas se mettre en tête
Que de cette admirable fête,
En beaux termes, et bien exprès,
Je déclare, ici, les progrès ?
Il ne suffirait pas d’un Tome,
Et ceci n’est qu’un Épitome
Qui, de tout, point ne parlera,
Mais qui, seulement, marquera
Les choses de plus d’importance
Qui viendraient en ma souvenance.

Au moment qu’arriva la Cour
En ce délicieux séjour,
Les canons, tambours et trompettes,
Furent les premiers Interprètes
Du plaisir, qu’avecque raison
Le Maître de cette Maison,
Et sa chère et charmante Femme,
Ressentirent, au fond de l’Âme,
De voir chez eux, les Majestés
Avec tant d’illustres Beautés.

Ensuite, on ouït l’harmonie
D’une plaisante symphonie,
Autrement, concert préparé,
Sur un grand balcon, fort paré
De riches tapis et tentures,
Et de plusieurs rares peintures
(Toutes pièces dudit Berny)
Et qui, de plus était garni
Tant enfin, qu’en vrais personnages
De plus de soixante visages,
Qui rangés, le long du balcon,
(Où l’on vida maint gros flacon)
Avec leurs habits, à l’antique,
Formaient un aspect magnifique,
Qui causa du ravissement.

Après ce divertissement,
Dont la Cour fut fort satisfaite,
On visita l’Escarpolette,
Où maint Courtisan s’exerça ;
Puis on pêcha, puis on chassa.

Ensuite, la Troupe Royale,
Dans une fraîche et verte salle,
C’est-à-dire, en un grand berceau,
Composé de maint arbrisseau,
La Clotilde représentèrent
Que les Auditeurs admirèrent,
Pièce, digne d’un grand loyer,
Dont est Auteur le sieur Boyer,
Qui, dit-on, d’une force extrême,
A réussi dans ce Poème,
Bref qui fut, lors, en vérité,
À merveilles, représenté.

Après quoi, l’on couvrit trois tables
De mets friands et délectables,
Dont l’extrême profusion
Paraissait une illusion,
Tant pour les diverses espèces,
Que pour la quantité de pièces,
Et de ragoûts bien apprêtés
Qu’on servit à Leurs Majestés ;
Et ce dans un autre bocage,
Orné d’un verdoyant feuillage,
Et de deux cents lustres, en l’air,
Où l’on voyait étinceler
Des flambeaux, en un si grand nombre,
Que malgré la nuit, assez sombre,
Aussi vrai que je vous le dis,
Il faisait clair, comme à midi :
Et, de plus, au bout de l’allée,
(Ce jour-là grandement foulée)
Une perspective on voyait,
Qui, certainement, flamboyait
D’une si brillante lumière,
Et d’une si rare manière,
Qu’on en était très réjoui,
Aussi bien que très ébloui.

Or durant ladite soirée,
Si belle et si bien éclairée,
Plusieurs, tant connus, qu’inconnus,
Qui, sans semonce, étaient venus,
Et chacun étant fort alerte,
Voyant une table couverte
De perdrix et de perd[e]reaux,
De lapins et de lap[e]reaux,
De dindons et de crécerelles,
D’ortolans et de tourterelles,
Aucun d’eux et des plus poupins,
S’érigeant en happe-lopins,
Dans l’impatience de mordre,
Causèrent-là quelque désordre ;
Ils étaient plus de trente et six,
Qui, devant que l’on fût assis,
Quand on eut servi, desservirent,
Et toutes les viandes ravirent.
L’un emporta deux dindonneaux,
Un autre, quatre pigeonneaux ;
Un grand Plumet mit, en cachette,
Six ortolans dans sa pochette,
Un autre emporta, sur son dos,
Un pâté de lièvre sans os.
Tel, méritant vingt coups de verges,
Prit, sans respect, un plat d’asperges,
Tel, se saisit de deux canards,
Tel, d’une tourte d’épinards,
Tel, escroqua trois gélinottes,
Tel, mit un faisan dans ses bottes,
Et tel, fourra dans ses caleçons,
Une andouille et deux saucissons.
Bref, plusieurs répandant des sauces
Gâtèrent leurs beaux hauts-de-chausses
Qu’ils avaient mis, ce jour exprès,
Dont ils enragèrent après :
Enfin, sur pain et sur viande,
Arriva déroute fort grande :
Mais ne parlons plus de cela.

Or, après ce beau Festin-là,
Et qu’à Dieu, l’on eût rendu grâce,
Toute la Cour ayant pris place,
Un Ballet, certes, fort prisé
Par Beauchamp, dit-on composé,
Moitié grave, moitié folâtre.
Fut dansé sur un vert Théâtre,
Suivant les accords et les sons
Des vingt et quatre Violons.
Ses trois récits, ses sept entrées,
D’habits somptueux illustrées,
D’airs divins, d’admirables pas,
Et de tout plein d’autres appâts,
Y compris la douce cadence,
Charmèrent la noble assistance ;
Et tout fut trouvé si plaisant
D’un illustre Espagnol, présent,
Seigneur de mérite et fort sage,
Qu’on connut bien, à son visage,
Qu’il était plus que satisfait
De tout ce que l’on avait fait.

Après ces aimables délices,
On alla voir les artifices
D’un Feu merveilleusement beau,
Qui joua sur le bord de l’eau,
Après mainte et mainte fanfare ;
D’un feu transcendant, d’un feu rare,
Que je puis nommer, désormais,
Le plus beau que je vis jamais,
Tant sa beauté parut extrême,
Et chacun en disait de même.

De là, notre Roi sans égal,
Alla commencer un grand Bal
Dans une très superbe Salle,
Et, dudit Lieu, la capitale ;
Où tout fut beau, tout éclatant,
Mais où je n’entrai pas, pourtant,
À cause que Messieurs les Gardes
Tant Carabins, que Hallebardes,
(N’ayant billet, ni passeport)
Me repoussèrent un peu fort :
C’est pourquoi notre Muse absente,
Muette comme une innocente
Sur ce noble chapitre-là,
N’en saurait dire que cela.

Après cette Danse Royale,
On donna, pour dernier Régal,
Avant la séparation,
Une exquise collation,
La plus belle et mieux ordonnée,
Que l’on en ait fait, de l’année,
Dont plusieurs se trouvèrent bien,
Mais dont, non plus, je ne vis rien.

Enfin, la collation faite,
Chacun, à Paris, fit retraite
À la clarté de maints flambeaux,
Qui rendaient les chemins fort beaux,
Où j’arrivai, lorsque l’Aurore
Ne faisait que de poindre, encore,
Sans avoir rien mis sous ma dent
Depuis le midi précédent,
Que j’avais bu, prenant haleine,
Un doigt de vin, au Bourg-la-Reine.

Commençant le présent Narré,
Foi de Poète évaporé,
Je ne pensais pas tant en dire :
Mais, souvent, quand il faut écrire,
Alors que la verve me prend,
C’est un impétueux torrent,
(Ma cervelle en étant la source)
Dont j’ai peine à borner la course ;
Il faut l’arrêter, toutefois,
Aussi bien j’ai grand mal aux doigts :
Mais avant que finir ma Lettre,
Voici ce qu’encor j’y vais mettre.

Lettre XXI, du samedi 31 mai 1659, « Matérielle ».

-Loret fait le récit des fêtes offertes par Mazarin au roi et à la Cour dans son château de Vincennes: y furent données des pièces de théâtre, à nouveau la "Pastorale d'Issy", ainsi qu'un spectacle improvisé par trois comédiens italiens et trois comédiens français, parmi lesquels Jodelet et Gros-René (il évoque aussi la présence à Paris d'une célèbre comédienne italienne, Aurélia) :

La Cour a passé, dans Vincennes,
Cinq ou six jours de la semaine,
Château, certainement Royal,
Où Monseigneur le Cardinal,
(Dont la gloire est, partout, vantée)
L’a parfaitement bien traitée.
Leurs Majestés, à tous moments
Y goûtaient des contentements
Par diverses réjouissances,
Savoir des Bals, Ballets et Dances,
À faire Soldats exercer,
À se promener et chasser,
Et voir mainte Pièce comique,
Et la Pastorale en musique,
Qui donna grand contentement
Et finit, agréablement,
Par quelques Vers beaux et sincères
Que la plus belle des Bergères, [Fille de Sacamanan l’aînée.]
Avec douceur et gravité,
Chanta devant sa Majesté,
Qui, la regardant au visage,
Les écouta, de grand courage.
Ces quatre ou six Vers étaient faits
Sur le cher sujet de la Paix,
Et, plurent, fort, à l’Assistance,
Quoiqu’ils ne fissent qu’une Stance.

D’ailleurs, quelques Comédiens
Trois Français, trois Italiens,
Sur un sujet qu’ils concertèrent,
Tous six, ensemble, se mêlèrent,
Pour faire mirabilia,
Savoir l’Époux d’Aurélia, [le Seigneur Horace.]
Scaramouche, à la riche taille,
Le Seigneur Trivelin-canaille,
Jodelet, plaisant raffiné,
Item, aussi, le Gros-René,
Et Gratian, le doctissime,
Aussi bien que fallotissime.

Horace, en beaux discours fréquent,
Faisait l’Amoureux éloquent,
Pour Trivelin et Scaramouche,
Qui se font souvent escarmouche,
Ces deux rares facétieux,
Tout de bon, y firent des mieux.
Gros-René, chose très certaine,
Paya de sa grosse bedaine.
La perle des Enfarinés,
Jodelet y parla du nez,
Et fit grandement rire, parce
Qu’il est excellent pour la farce ;
Et pour le Docteur Gratian,
Estimé de maint Courtisan,
Avec son jargon pédantesque,
Y parut tout à fait crotesque.

Enfin, ils réussirent tous
En leurs personnages de fous :
Mais, par ma foi, pour la folie,
Ces Gens de France et d’Italie,
Au rapport de plusieurs témoins,
Valent mieux séparés que joints.

Aurélia, Comédienne,
Comédienne Italienne,
Comme elle est un fort bel Esprit,
Qui parle et qui bien écrit,
A fait un Présent à la Reine,
D’un Livre sorti de sa Veine
En fort beau langage Toscan,
Et dont on fait bien du can-can ;
Ce Livre est une Pastorale,
De beauté, presque sans égale,
Et dont les Esprits délicats
Feront, assurément, grand cas,
Étant si bien imaginée,
Et de si beaux discours ornée,
Que plusieurs ont intention
D’en faire la traduction,
Ayant su que ladite Reine
A dit qu’elle en vaut bien la peine.

Lettre XXIII, du samedi 14 juin 1659, « Exemplaire ».

-Les médecin n'ont pas que les défauts dont les affuble Molière. Ils ont aussi du goût, comme le Premier Médecin du roi, qui traite dignement son monarque en donnant une fête en son honneur :

Dimanche, le Roi, notre Sire,
Qui, vers lui, tous nos cœurs attire
Par la sagesse et la bonté
Que l’on voit en sa Majesté,
Avec mille grâces galantes,
Fut au Royal Jardin des Plantes,
Où l’Esculape de la Cour,
Vers la Décadence du jour,
Lui fit très magnifique chère,
Y compris son illustre Frère,
Et diverses jeunes Beautés,
Dont les aimables qualités,
Tant de l’Esprit, que du visage,
Toucheraient le plus fier courage.
Le Roi se promena partout,
Et remarqua, de bout en bout,
Les fleurs, les plantes et les herbes
De ce Jardin, des plus superbes,
Et digne d’admiration ;
Ensuite, on fit collation,
Où l’on servit, en fort bel ordre,
De quoi très bien piler et mordre ;
Des pyramides de perdreaux,
Des pyramides de levreaux,
De lapins, de jeunes outardes,
De ramereaux et de poulardes,
D’ortolans, manger souverain,
De dindons, de poulets de grain,
De tourtes, ou de tourterelles,
(Le symbole des cœurs fidèles)
De pigeons et de heutoudeaux,
De cailles et de faisandeaux,
Bref, d’autres viandes succulentes,
Outre les assiettes volantes,
Contenant des divers ragoûts
Fort délicats et de grands coûts,
Soit des hachis, soit des fritures :
Puis quand ce vint aux confitures,
Ce Patron des bons Médecins
Fit servir douze grands bassins
De douceurs sèches et liquides,
Et tout, encor, par pyramides,
D’assez notable hauteur : mais
Outre tant d’admirables mets
Si propres pour la mangerie,
Un grand rocher de sucrerie
Qui sans mentir, fut fort prisé,
Etant sur la table posé,
Jeta de longs filets d’eau d’Ange,
D’eau de jasmin et d’eau d’orange,
Qui d’une odeur, digne d’un Dieu,
Parfuma tout ce plaisant lieu,
Et, même, en profuse abondance,
Au grand plaisir de l’Assistance.
Le buffet de vermeil doré,
Qui méritait d’être admiré,
Durant qu’on mangeait ces bons vivres,
Fut estimé cent mille livres
Par plusieurs Gens, dignes de foi :
Monsieur Vallot servit le Roi,
Et, dans ce repas, eut la gloire
De lui donner trois fois à boire ;
De plus, cet absolu Seigneur
Voulut que sa Femme eût l’honneur
(Honneur, certes, considérable)
De repaître à sa propre table ;
Elle s’en excusa, dix fois ;
Mais, enfin, ce meilleur des Rois,
Qui, ce qui lui plaît, favorise,
Ordonna qu’elle y fût assise.

Quand on fut bien las de manger,
On rentra dans le grand Verger,
Où, des Violons, la grand’ Bande,
Joua gavotte, sarabande,
Et de fort beaux airs de ballets
Qui charmaient jusqu’aux oiselets,
Lesquels, de bon cœur, s’éveillèrent
Et, point du tout, ne sommeillèrent
Dans leurs bocages, ou buissons,
Durant ces agréables sons,
Qu’ils jugeaient une douce chose ;
Ou, pour le moins, je le suppose.

Enfin, pour finir ce beau jour,
Au gré de cette noble Cour,
Mainte fusée ardente et claire,
D’artifice extraordinaire,
Parut dans l’air brun, mais serein,
Aux yeux de notre Souverain,
Et de cette Troupe mignonne
Qui brillait près de sa Personne :
Puis ils rentrèrent dans Paris,
Escortés des jeux et des ris,
Avec une joie indicible,
Et, tous, satisfaits, au possible,
Du bon accueil et beau festin,
Dudit sieur Premier Médecin.

Lettre XXV, du samedi 28 juin 1659, « Surprenante ».

-Loret revient sur la comédienne italienne Aurelia, évoquée précédemment. Elle s'apprête à quitter Paris pour s'en retourner en Italie :

Pour récompenser Aurélie,
De la Pièce belle et jolie
(Sous le nom de Comedia)
Qu’à la Reine elle dédia,
Cette Princesse libérale
Dont l’Âme est, tout à fait, royale,
Au jugement des mieux sensés,
Lui fit présent, ces jours passés,
D’une paire de Pendants d’oreilles
De diamants beaux à merveilles,
Ouvrage exquis, rare et brillant,
Travaillé des mieux, et valant
(Ainsi que m’a dit certain Homme)
De trois cents pistoles la somme.
J’ai vu, moi-même, ce beau don,
Et je jure par Cupidon,
Vainqueur des plus braves Monarques,
Que quand je vis ces riches marques
De la gratitude et bonté
De cette Auguste Majesté
Envers ladite Demoiselle,
J’en fus ravi, pour l’amour d’elle :
Car plus de deux ans il y a
Que j’aime cette Aurélia
Pour son esprit et gentillesse ;
Et je n’apprends, qu’avec tristesse,
Qu’icelle doit partir Mardi,
Soit devant, soit après midi,
Et retourner en diligence,
A Rome, Venise, ou Florence,
Pour exercer, en ces lieux-là,
Les aimables talents qu’elle a.

Lettre XXVII, du samedi 12 juillet 1659, « Tiède ».

-LeBélisaire de La Calprenède est donné à voir sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne, avec Floridor dans le rôle-titre :

Pour voir, en Tragi-Comédie,
Une Pièce grave et hardie,
Dont le sujet soit signalé,
Extrêmement bien démêlé,
Et digne de ravir et plaire,
Il faut voir le Grand Bélisaire
Que les sieurs Acteurs de l’Hôtel,
Tiennent d’un Auteur immortel,
Savoir le fameux Calprenède,
Pièce, sans mentir, qui ne cède
Aux Ouvrages les plus parfaits
Que depuis dix ans on ait faits,
Pièce, entre les plus mémorables,
Qui contient des Vers admirables,
Pièce valant mille écus d’or,
Et dans laquelle Floridor,
Qui de grâce et d’esprit abonde,
A le plus beau rôle du Monde.

Lettre XXXII, du samedi 16 août 1659, « Religionnaire ».

-Le mois d'août est aussi la fin de l'année scolaire. Comme le préconise l'idéologie jésuite, les élèves doivent célèbrer le savoir acquis par des représentations dramatiques. Ainsi au Collège de Clermont :

Selon la coutume annuelle,
Que je trouve assez bonne et belle,
Qu’en leur Collège de Clermont
Les Pères Jésuites ont,
Un Poème Latin, tragique,
Sur un Théâtre magnifique
Fut, l’autre jour, représenté :
J’y fus bien, à la vérité,
Mais à cause que c’est ma mode,
Quand je n’ai point place commode,
De n’y pas faire un long séjour,
Fût-ce même aux Jeux de la Cour,
N’étant, nullement, à mon aise,
Et n’ayant tabouret, ni chaise,
Accablé d’un chagrin profond,
Je sortis dès l’Acte second.
Plusieurs m’ont dit un bien extrême
De ce grave et docte Poème,
Plein de grande érudition,
Qui s’intitulait Pharaon ;
Que tout s’y fit avec tant d’ordre,
Qu’on n’y pouvait trouver à mordre ;
Que Messieurs les jeunes Acteurs
Plûrent, fort, à leurs Auditeurs ;
Que dans chaque Ballet, ou danse,
Tout allait si bien en cadence,
Que chacun en fut réjoui ;
Que le savant Père d’Aroui
Était l’auteur de cet Ouvrage :
Et je n’en sais pas davantage.

Lettre XL, du samedi 11 octobre 1659, « Badine ».

-Loret annonce la (prétendue) mort de Scaramouche :

Ô Vous Bourgeois et Courtisans
Qui faites cas des Gens plaisants,
Ô Tous amateurs du Théâtre,
Dont, moi-même, suis idolâtre,
Sanglotez, pleurez, soupirez,
Pestez, criez, et murmurez,
Transportés d’une humeur chagrine,
Plombez de coups votre poitrine,
Devenez mornes et rêveux,
Arrachez-vous barbe et cheveux,
Égratignez-vous le visage,
De tout plaisir, perdez l’usage,
Accusez hautement le sort,
Le fameux Scaramouche est mort,
Lui, que l’on estimait l’unique
En sa profession Comique,
Qui contrefaisait par son Art,
Si bien le triste et le gaillard,
Si bien le fou, si bien le sage,
(Bref, tout différent personnage)
Qu’on peut dire, avec vérité,
Que sa rare ingénuité
En la science Théâtrale,
N’avait point, au Monde, d’égale.

Enfin cet Homme Archi-plaisant,
Que, partout, on allait prisant,
(S’il est vrai ce que l’on en prône)
A péri vers les bords du Rhône,
Par un Torrent d’eaux, imprévu
Qui le prenant, au dépourvu,
Dans une vallée, ou fondrière,
Lui fit perdre vie et lumière.

Or comme j’aimais icelui,
Sa mort me donnant de l’ennui,
Il faut qu’au fort de ma détresse
Une Épitaphe je lui dresse.

Épitaphe
Las ! ce n’est pas Dame Isabeau
Qui gît dessous ce froid Tombeau,
Ni quelque autre sainte Nitouche :
C’est un Comique sans pareil ;
Comme le Ciel n’a qu’un Soleil,
La Terre n’eut qu’un Scaramouche.

Alors qu’il vivait parmi nous,
Il eut le don de plaire à tous,
Mais bien plus aux Grands qu’aux Gens minces,
Et l’on le nommait en tous lieux
Le Prince des Facétieux,
Et le Facétieux des Princes.

Au lieu de quantité de fleurs,
Sur sa fosse versons des pleurs,
Pour moi, tout de bon, j’en soupire :
J’en fais, tout franchement, l’aveu ;
Nous pouvons bien pleurer, un peu,
Celui qui nous faisait tant rire.

Lettre XLI, du samedi 18 octobre 1659, « Brodée ».

-Loret revient sur la mort de Scaramouche : la nouvelle était fausse. Ainsi :

Petits et Grands, jeunes et vieux,
Dont le tempérament joyeux
Aime, presque, autant qu’un Empire,
Les Personnages qui font rire,
Cessez vos pleurs et vos soupirs,
Purgez-vous de vos déplaisirs ;
Sans prendre Casse, ni Rhubarbe,
Ne vous arrachez plus la barbe,
Mettez tous vos chagrins à sac,
Ne vous plombez plus l’estomac,
Au Sort ne faites plus la moue,
N’égratignez plus votre joue,
Apaisez vos cris superflus,
Ne pestez, ne rognonnez plus,
N’ayez plus le visage blême
Comme un Bateleur de Carême,
N’accusez plus Dame Atropos,
Bref, montrez par de gais propos,
Que vous avez l’âme ravie,
Scaramouche est encore en vie ;
Et cet accident supposé
Par qui l’on m’avait abusé,
Me comblant de tristesse amère,
N’était qu’une franche chimère.

Par des soins assez diligents,
J’ai fait revivre plusieurs Gens,
Qu’on croyait dans la sépulture :
Mais notre Muse, je vous jure,
(Et je jure la vérité)
N’en a, jamais, ressuscité,
De la plume, ni de la bouche,
De si bon cœur que Scaramouche.

Lettre XLV, samedi 15 novembre 1659, « Fertile ».

-Loret évoque la création du Fédéric de Boyer à l'Hôtel de Bourgogne :

Les Grands Comédiens du Roi,
Hier, en assez bel arroi,
Jouèrent, eux et leur Séquelle,
Une Pièce fraîche et nouvelle,
Tout à fait au gré du Public,
Sous le titre de Fédéric. [Amiral de Sicile.]
Je ne l’ai point encore vue :
Mais, pourtant, je la crois pourvue
D’esprit, d’agréments et d’appâts,
Car son Auteur ne manque pas, [M. Boyer.]
De toutes les belles lumières
Qu’il faut pour de telles matières.

Lettre XLVIII, samedi 6 décembre 1659, « Figurée ».

-Dans une apostille qui suit la lettre, notre gazetier fait état du succès remporté par Les Précieuses ridicules. En cette fin d'année, on est donc témoin, si l'on en croit Loret, du couronnement de l'art comique :

Cette troupe de Comédiens,
Que Monsieur avoue être siens,
Représentant sur leur Théâtre
Une action assez folâtre.
Autrement, un Sujet plaisant,
À rire sans cesse induisant
Par des choses facétieuses,
Intitulé Les Précieuses ;
Ont été si fort visités
Par Gens de toutes qualités,
Qu’on n’en vit jamais tant ensemble
Que ces jours passés, ce me semble,
Dans l’Hôtel du Petit-Bourbon,
Pour ce Sujet mauvais, ou bon.
Ce n’est qu’un Sujet Chimérique,
Mais si bouffon et si comique,
Que jamais les Pièces Du Ryer,
Qui fut si digne du laurier ;
Jamais l’Œdipe de Corneille,
Que l’on tient être une merveille ;
La Cassandre de Boisrobert ;
Le Néron de Monsieur Gilbert,
Alcibiade, Amalasonte, [De Mr Quinault.]
Dont la Cour a fait tant de conte ;
Ni le Fédéric ce Boyer,
Digne d’un immortel loyer,
N’eurent une vogue si grande,
Tant la Pièce semble friande
À plusieurs, tant sages, que fous ;
Pour moi j’y portai trente sous :
Mais oyant leurs fines paroles
J’en ris pour plus de dix pistoles.

Lettre XLIX, samedi 13 décembre 1659, « Observée ».

-La troupe de Molière ne représente pas que les oeuvres de son auteur éponyme. Ainsi, à la mi-décembre ils donnent Zénobie, tragédie de Magnon, au théâtre du Petit-Bourbon :

APOSTILLE :
Si dans ma forte conjecture,
Je ne me trompe, d’aventure,
Je crois qu’il fera demain bon
En l’Hôtel du Petit-Bourbon,
D’autant qu’une Pièce fort belle
Venant d’une docte cervelle,
S’y joue une seconde fois,
Pour le Noble et pour le Bourgeois ;
Elle est nouvellement fourbie,
On l’intitule Zénobie,
Et l’Auteur est Monsieur Magnon,
Honnête Homme, bon Compagnon,
Dont on doit admirer les veilles,
Et qui fait des Vers à merveilles.
Ainsi ce sujet important,
Qu’encor je n’ai pas vu, pourtant,
Doit être une excellente chose ;
Avec raison je le suppose,
Et crois que ce n’est pas en vain,
Puisque de ce rare Écrivain,
Pour Poème et pour Tragédie,
La Plume féconde et hardie,
Écrit d’un style aussi savant
Que pas un autre Auteur vivant.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome III (années 1659-62) de l'édition de Ch.-L. Livet de La Muse historique de Jean Loret, 1878, Paris, Daffis éditeur).




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