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La plus fâcheuse de toutes les inquiétudes


"Car, enfin, ce n'est rien d'avoir à combattre l'indifférence, ou les rigueurs d'une beauté qu'on aime; on a, toujours, au moins, le plaisir de la plainte, et la liberté des soupirs. Mais ne pouvoir trouver aucune occasion de parler à ce qu'on adore; ne pouvoir savoir d'une belle, si l'amour qu'inspirent ses yeux, est pour lui plaire, ou lui déplaire ; c'est la plus fâcheuse, à mon gré, de toutes les inquiétudes."
Le Sicilien, scène II

La comparaison entre les douleurs causées par l'indifférence de l'être aimé et celles que suscite son absence, formulée ici sous forme de maximes d'amour, donne lieu à de nombreuses réflexions dans la littérature galante :


(1)

Comme il n'est rien de plus doux que de voir ce que l'on aime, il n'est aussi rien de plus cruel que de ne le voir pas. Les absences, quand elles sont courtes, augmentent l'amour ; quand elles sont longues, elles la changent en fureur et en désespoir ; quand elles ont un terme limité, l'impatience fait que l'on n'a point de repos ; et quand leur durée est incertaine, le chagrin trouble toute la douceur de l'espérance. Enfin, soit qu'elles soient longues, courtes, sans terme, ou limitées, préméditées, ou imprévues, je soutiens qu'à quiconque sait aimer, elles sont insupportables, et bref, que l'absence comprend tous les autres maux, et est la plus sensible de toutes les douleurs. En effet, celui qui soutient que n'être point aimé est le plus grand supplice de l'amour n'a-t-il pas tort de mettre sa souffrance en comparaison de la mienne ? puisqu'à parler de ces choses en général, celui qui voit ses services méprisés, durant un temps considérable doit trouver le remède de son mal dans son propre mal, et par un généreux ressentiment, se guérit d'une passion si mal reconnue. Mais, à un amant absent et aimé, que lui reste-t-il à faire qu'à souffrir ?
(p. 1514)

(2)

[question posée par Halime] lequel doit préférer un amant, ou d’être aimé, et ne voir jamais sa maîtresse, ou de n’être point aimé, et la voir toujours ? Ha ! Madame, lui répondit Abindarrays en soupirant, il paraît bien , par la demande que vous faîtes, ou que vous n’avez jamais aimé, ou que vous n’avez jamais été absente de ce que vous aimez : car rien n’approche du cruel supplice que cette cruelle absence fait endurer à ceux qui aiment, lorsqu’ils sont privés de l’objet de leur amour. Ils n’ont plus aucune satisfaction ; ils ont mille insupportables inquiétudes : et la seule pensée de ne voir jamais ce que l’on aime doit faire mourir tout cœur qui sait bien aimer. […] Quelque cruelle que soit la personne que l’on adore, quelque inexorable qu’on la trouve, celui qu’elle maltraite a d’heureux moments lorsqu’il la voit : je dis même malgré la fortune et malgré elle : et la vue de ce que l’on chérit a de certains charmes infaillibles qui ne manquent jamais d’opérer […] Ainsi je conclus, ce me semble avec raison, qu’il vaut mieux n’être point aimé, et voir toujours sa maîtresse, que d’être aimé, et ne la voir jamais. Pour moi, reprit Halime, je serais d’un autre sentiment : et la douleur de l’absence ne me paraîtrait qu’un songe en comparaison, je ne dis pas du mépris de ce que j’aimerais, mais je dis de sa simple indifférence.
(Almahide, II, 1, p. 771-773)

(3)

Mais, reprit Odomar, durant que nous parlons du mépris, je voudrais bien savoir lequel est le plus malheureux, de l’amant méprisé, de l’absent, ou du jaloux ? […] pour moi, poursuivit [Orthobule], le dépit me délivrerait du mépris et de la jalousie, et mon dernier supplice est l’absence.
(Almahide, III, 2, p. 681-682)

(4)

Maximes d'amour, Barbin, 1666 :

Il est plus doux de mourir en voyant une cruelle aimable que de vivre en ne la voyant pas
(section « présence », max. 11, p. 153)

La rigueur d’une maîtresse est supportable à son amant, pourvu qu’il la puisse voir
("présence", max. 27, p. 156)

Quelque cruelle que soit une maîtresse, il est doux de la voir.
("présence", max. 40, p. 157)




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