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La parfaite raison fuit toute extrémité


"Il faut, parmi le monde, une vertu traitable,
À force de sagesse on peut être blâmable,
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Le Misanthrope, I, 1, v. 149-152

L'idée selon laquelle on doit, sur le plan des vertus, se tenir "dans le milieu qu'il faut" (Le Tartuffe, v. 1624) est une idée sceptique défendue par La Mothe le Vayer.

Ainsi dans le "petit traité" "Du sommeil et des procès" (Nouvelle Suite des petits traités , 1659) :

Entre toutes les philosophies, la sceptique nous peut être la plus utile, par le moyen de la retenue de sa suspension. Elle fait comme un certain milieu agréable entre les extrémités fâcheuses où se portent toutes les autres.
(éd. de 1756, VI, 1, p. 255)

Egalement :

Les vertus morales consistent dans une certaine médiocrité qui fait un milieu entre deux extrêmes.
(VII, 1, p. 383)

Elle avait également été longuement discutée dans la philosophie de Gassendi, ainsi que le confirme le chapitre II, 2 du Livre VIII de l'Abrégé (1674-1678) qu'en propose François Bernier :

Comment la vertu est dite consister dans le milieu ou dans la médiocrité.

Aristote enseigne donc que la vertu consiste non dans le milieu de la chose, mais dans le milieu à notre égard ou, ce qui est le même, dans le milieu de raison. [...] Le même Aristote enseigne conséquemment que la vertu, eu égard à l'excellence et à la perfection est quelque chose de très relevé, et au-dessus de tout, aliquid summum, mais qu'étant occupée à prescrire un milieu qui soit entre deux extrêmes, l'on peut dire qu'elle est elle-même une certaine médiocrité, c'est-à-dire une habitude moyenne entre deux vicieuses, dont l'une tende à l'excès et l'autre au défaut.
(p. 239-240)

[...]

Ajoutons, à l'occasion des Stoïciens, qu'il y a cela de différence entre eux et Epicure, qu'ils soutiennent que le sage doit absolument être exempt de passion, au lieu qu'Epicure, distinguant les passions ou cupidités en vaines et non nécessaires, et en naturelles et nécessaires, tient que les premières doivent véritablement être bannies du sage, mais que les dernières doivent être de telle manière retenues qu'elles soient réduites à une juste médiocrité.
(p. 243)

C'est lorsque [les choses] nous touchent que nous devons nous défier le plus de nos sentiments, et qu'entre toutes les philosophies, la sceptique nous peut être la plus utile, par le moyen de sa retenue et de sa suspension. Elle fait comme un certain milieu agréable, entre les extrémités fâcheuses, où se portent toutes les autres. Et c'est pourquoi l'on ne s'ennuie jamais de son entretien, d'autant que la médiocrité a cela de propre en toutes choses, qu'elle ne donne point de dégoût. On ne se lasse guère du pain fait comme il faut, à cause qu'il n'est ni doux, ni aigre, ni salé, n'ayant aucune des qualités extrêmes.
("Du sommeil et des procès", dans Petits traités en forme de lettres, dans Oeuvres, VI, 2, p. 255)

La non observation de ce principe désquilibre la structure de l'individu, lequel s'avérera, à l'instar d'Arnolphe, "ridicule en de certaines choses, et honnête homme en d'autres".




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