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La fable du Corbeau et du Renard


" N'avez-vous rien à me dire? - Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d'âne, ou bien la fable du Corbeau et du renard, qu'on m'a apprise depuis peu."
Le Malade imaginaire, II, 8

La valeur éducative des fables, en particulier dans la perspective de l'instruction du Dauphin, est déclarée dans


(1)

Mais ce n’est pas tant par la forme que j’ai donnée à cet Ouvrage qu’on en doit mesurer le prix, que par son utilité et par sa matière. Car qu’y a-t-il de recommandable dans les productions de l’esprit, qui ne se rencontre dans l’Apologue ? C’est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l’Antiquité ont attribué la plus grande partie de ces Fables à Socrate, choisissant pour leur servir de père celui des mortels qui avait le plus de communication avec les Dieux. Je ne sais comme ils n’ont point fait descendre du ciel ces mêmes Fables, et comme ils ne leur ont point assigné un Dieu qui en eût la direction, ainsi qu’à la poésie et à l’éloquence. Ce que je dis n’est pas tout à fait sans fondement, puisque, s’il m’est permis de mêler ce que nous avons de plus sacré parmi les erreurs du Paganisme, nous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par Paraboles ; et la Parabole est-elle autre chose que l’Apologue, c’est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet qu’il est plus commun et plus familier ? Qui ne nous proposerait à imiter que les maîtres de la Sagesse nous fournirait un sujet d’excuse ; il n’y en a point quand des Abeilles et des Fourmis sont capables de cela même qu’on nous demande.

C’est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homère de sa République, y a donné à Esope une place très honorable. Il souhaite que les enfants sucent ces Fables avec le lait ; il recommande aux Nourrices de les leur apprendre : car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu ; plutôt que d’être réduits à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu’elles sont encore indifférentes au bien ou au mal. Or, quelle méthode y peut contribuer plus utilement que ces Fables ? Dites à un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s’engagea dans leur pays sans considérer comment il en sortirait ; que cela le fit périr, lui et son Armée, quelque effort qu’il fît pour se retirer. Dites au même enfant que le Renard et le Bouc descendirent au fond d’un puits pour y éteindre leur soif ; que le Renard en sortit s’étant servi des épaules et des cornes de son camarade comme d’une échelle ; au contraire le Bouc y demeura pour n’avoir pas eu tant de prévoyance ; et par conséquent il faut considérer en toute chose la fin. Je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d’impression sur cet enfant. Ne s’arrêtera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins disproportionné que l’autre à la petitesse de son esprit ? Il ne faut pas m’alléguer que les pensées de l’enfance sont d’elles-mêmes assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu’en apparence ; car dans le fond elles portent un sens très solide. Et comme, par la définition du Point, de la Ligne, de la Surface, et par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le Ciel et la Terre, de même aussi, par les raisonnements et conséquences que l’on peut tirer de ces Fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses.
(éd. de 1668, n. p.)

(2)

Cette morale qui s'apprend par la lecture des Fables qu'on nomme vulgairement Esopiques, a été tellement estimée dans tous les Pays, et dans tous les Siècles, qu'il n'est pas besoin d'un longue Préface pour la rendre recommandable. Cet applaudissement universel est une marque de son excellence, et de son mérite. C'est aussi le seul genre d'écrire qui a servi également à instruire le Peuple et les Rois. Les Poètes Dramatiques n'ont pas eu le même avantage. Il leur a fallu faire des Tragédies pour instruite les Héros, et des Comédies pour enseigner les gens du commun. Mais les Fables s'étant trouvées du goût des honnêtes gens, aussi bien que des personnes les moins éclairées ; une même leçon a profité aux uns et aux autres. C'est aussi ce qu'il y a de plus ancien dans l'empire des Lettres, puisque les Fables viennent originairement des Orientaux, et qu'elles ont été en vogue chez les Indiens, les Hébreux, les Perses, et les Egyptiens, avant que les Sciences eussent passé en Grèce et en Italie. Presque toute la sagesse de ces peuples y était renfermée, aussi bien que dans les Paraboles, les Enigmes, et les Hiéroglyphes. Quelques-uns ont cru que leurs savants avaient été obligés d'envelopper leurs préceptes dans ces fictions, pour les insinuer plus doucement dans l'esprit de leurs Princes, en des pays où la plupart des gouvernements étant Despotiques, il faisait dangereux de dire des vérités toutes nues. Mais à mon avis on en peut donner une raison plus générale. C'est qu'il n'y a point d'instruction qui soit plus naturelle, ou qui nous touche plus vivement que celle-ci.
("Au lecteur", n. p.)

(3)

(Phaedri fabularum aesopiarum libri quinque ; interpretatione et notis illustravit Petrus Danet, in usum serenissimi Delphini, 1675)




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