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La Morale galante de Térame


Dans la Clélie de Madeleine de Scudéry, Térame énonce les lois de sa morale galante :

MORALE GALANTE DE TERAME

[…]
I.
Il faut aimer tout ce qui paraît aimable, pourvu qu’il y ait quelque apparence de trouver plus de plaisir que de peine à la conquête que l’on veut faire.

II.
Il se faut bien garder parmi les femmes de faire l’inconstant de profession, mais il ne faut pourtant jamais être trop scrupuleusement fidèle, car il vaudrait mieux avoir mille amours, que de n’en avoir qu’une qui durât toute sa vie.

III.
Au reste quoiqu’il ne faille pas faire de scrupule de changer de maîtresse dès que la peine passe le plaisir, il ne faut jamais être indiscret à pas une, car non seulement l’honneur et la générosité ne le veulent pas, mais une raison d’intérêt ne le veut pas aussi, n’y ayant rien de si propre à faire perdre mille faveurs, qu’une indiscrétion.

IV.
Sur toutes choses un amant doit songer à divertir et à plaire, mais à plaire par lui-même, et à divertir sans faire le plaisant ; car encore qu’il ne parle point ouvertement d’amour à la dame qu’il sert, s’il vient à être nécessaire à son plaisir, il la met en état d’être aisément persuadée.

V.
Il se faut bien garder de dire ses véritables secrets à sa maîtresse, car comme un homme qui sait bien le monde, n’en doit jamais avoir aucune, sans prévoir qu’il ne l’aimera plus dans peu de temps, il doit donner sa confidence à ses amis, et à ses amies, et donner seulement ses soins, sa belle humeur, et ses chansons à ses maîtresses. Pour de petits secrets qui ne sont rien, quand on n’en a point, il en faut faire, car il est assez à propos d’accoutumer les dames à parler bas, quoiqu’il ne s’agisse que de bagatelles inutiles.

VI.
S’il est possible il faut qu’un homme se mette en état de plaire sans se ruiner, et qu’il sache si bien choisir celles qu’il aime, qu’elles se contentent de lui voir l’esprit beau, divertissant, et agréable, car il n’est pas glorieux de devoir la conquête du cœur d’une belle à la multitude de ses esclaves seulement.

VII.
Il faut principalement se garder d’être livré à ses rivaux, et il faut au contraire agir si adroitement qu’on vous livre ceux qui sont les vôtres.

VIII.
Il est encore bon que la dame que l’on aime, croie que votre cœur n’est pas si fort à elle, qu’elle ne le pût perdre si elle vous maltraitait, et qu’elle croie aussi que si elle le refusait, il y en aurait quelque autre qui ne le refuserait pas.

IX.
De plus il faut autant qu’on le peut, être instruit de toutes les galanteries du lieu où l’on est, car l’exemple sert quelquefois autant que les raisons à persuader une belle.

X.
Pour de la jalousie, il faut bien s’empêcher d’en avoir trop, ni d’en avoir longtemps ; car il vaut mieux haïr sa maîtresse, que de s’amuser à haïr ses rivaux inutilement.

XI.
Il ne faut pas faire profession publique de dire des douceurs à toutes les belles, mais il n’y a pas grand danger d’agir de façon avec toutes les jolies femmes, qu’on leur donne lieu de croire, que si on ne les aime, on les peut aimer.

XII.
Il est même assez bon d’être capable d’une certaine malice galante, qui vous rende redoutable à ceux qui vous peuvent nuire, de se savoir servir d’une espèce de raillerie ingénieuse, qui oblige votre maîtresse à rire d’intelligence avec vous.

XIII.
Il faut bien se garder d’avoir une certaine obéissance aveugle, qui n’est bonne qu’à incommoder un pauvre amant, et il faut se contenter d’obéir exactement lorsqu’on commande des choses agréables, où il n’y a ni caprice, ni tyrannie, ni injustice.

XIV.
Mais sur toutes choses il faut se souvenir que s’il est bon d’instruire en divertissant, il est encore meilleur de se divertir en persuadant, car il n’y a rien de plus injuste, que de faire l’amour pour se rendre malheureux, et que d’aimer si fort, qu’on cesse d’être aimable, et qu’on ne puisse jamais se faire aimer.
(Clélie, Troisième partie [1657], Livre 3, p. 1362-1366)




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