Content-Type: text/html; charset=UTF-8

La Gravette de Mayolas, Lettre en vers du 20 septembre 1665


En cette Saison Automnale,
Belle fertile et joviale,
Qui veut disputer au Printemps
L’honneur de divertir nos sens,
Donnant des fruits pour des fleurettes,
Des pommes pour des violettes,
Poires, pêches, muscats raisins
Pour des roses et des jasmins,
Le fameux Château de Versaille[s],
Exempt de tribut et de taille,
Vaste, riche, brillant et beau
Autant qu’aucun autre Château,
Voit assez souvent du beau Monde,
Et, comme en attraits il abonde,
On va le soir et le matin
Visiter le Parc, le Jardin,
Les salons, les salles, les chambres,
Les cabinets, les antichambres
Et ses divers appartements
Parés de rares ornements.
Le ROI, qu’aucun Roi ne seconde,
La REINE, en beautés si féconde,
MONSIEUR, Prince très généreux,
MADAME, Objet si merveilleux,
Aussi bien que MADEMOISELLE,
Digne d’une gloire immortelle,
Mainte Altesse et maint grand Seigneur,
Tous Gens de bien et Gens d’honneur,
Dans ce grand Palais se rendirent,
Innocemment s’y divertirent,
Et goûtèrent tous les plaisirs
Propres à leurs justes désirs.
La chaleur étant modérée
Et la fraîcheur bien tempérée,
Rien ne troublait leur gaieté
Ni leur douce tranquillité ;
Le Soleil ombrageait leur voie,
Le Jour semblait filé de soie ;
La nuit dans ce riant séjour
Était belle comme le jour,
De sorte que, le quatorzième,
Notre Grand PORTE-DIADÈME,
Avec la REINE et le DAUPHIN,
Du beau Parc prenant le chemin,
Avec sa Suite très nombreuse,
Non moins charmante que pompeuse,
Sur leurs Chars dorés et brillants,
Légers, commodes et galants,
Fit l’ouverture de la Chasse.
Comme un Mars, le premier il passe,
Et, perçant l’épaisseur du bois,
Le reste le suit à la fois.
Les dames, galamment coiffées,
Agiles ainsi que des Fées,
Sur des chevaux vîtes [sic], fringants,
Hennissant, sautant, bondissant,
Faisaient cent petites courbettes,
Au son des cors et des trompettes.
Ces Nymphes en riches habits,
Tous couverts de bijoux de prix,
En Amazones travesties,
Étaient de ces Nobles Parties.
À leur aspect, le Rossignol
Chantait par UT, RÉ, MI, FA, SOL,
Et, dans son aimable ramage,
Tenait ce me semble, ce langage :
« Cette belle et Royale Cour
» Fait honte à celle de l’Amour. »
Les arbres, pour faire passage,
Écartaient leur penchant feuillage :
PAN, nonobstant son ferme appui,
Craignait qu’on ne s’en prit à lui.
Pendant qu’on poursuivait ces Bêtes,
Ces Belles faisaient cent conquêtes,
Et leurs armes et leurs regards
Portaient des coups de toutes parts ;
Leur bravoure et leur gentillesse,
Leur ajustement, leur adresse,
Leur fierté, jointe à leur douceur,
Égalait le plus grand Chasseur ;
Enfin ces images vivantes
De ces glorieuses vaillantes
Qui jadis tant de bruit faisaient
En ce moment les surpassaient,
Comme la REINE, dans ces routes,
Parut et brilla plus que toutes.

Après ce divertissement,
Qu’ils goûtèrent heureusement,
Une Comédie agréable,
Aussi galante qu’admirable,
Par des Actes plaisants et beaux,
Leur donna des plaisirs nouveaux.
Un Ballet de plusieurs Entrées,
En bien peu de temps préparées,
Accrut la jovialité
De l’Ouvrage peu médité [L’Amour médecin.]
De MOLIÈRE, qui d’ordinaire
A le bonheur et l’art de plaire ;
Et, pendant quatre jours entiers,
Les Festins furent singuliers
Par l’ordre de notre Grand SIRE ;
En disant cela c’est tout dire.




Sommaire | Index | Accès rédacteurs