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L'ambassade de Süleyman Ağa (Soliman Aga) dans la Gazette de l'année 1669


La Gazette (N° 103) du 18 août 1669, p. 857.

De Toulon, le 18 août 1669.

Un des Vaisseaux de l’Escadre du Sieur d’Almeras, est arrivé, depuis quelques jours, en cette ville : où il a amené une Personne de haute condition, que le Grand Seigneur envoie au Roi, en qualité d’Ambassadeur.
À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue Saint Thomas, le 18 Août 1669.
Avec Privilège.

La Gazette (N° 129) du 2 novembre 1669, p. 1049.

De Paris, le 2 Novembre 1669.

[...]
Cette semaine, le Ministre que le Grand Seigneur envoie au Roi, est arrivé proche cette ville : où il a été amené de Fontainebleau, par le Sieur de Lagiberdie, Gentilhomme Ordinaire de la Maison du Roi, qui l’avait été prendre à Toulon, et l’a fait défrayer sur sa route, par l’ordre de Sa Majesté.
À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue Saint Thomas, le 2 Novembre 1669.
Avec Privilège.

La Gazette (N° 132) du 9 novembre 1669, p. 1076.

De Paris, le 9 Novembre 1669.

[...]
Cette semaine, le Ministre de la Porte, a été conduit au Village d’Issy, proche cette ville, où il attend les ordres du Roi, pour son Audience : et, cependant, il est toujours, traité splendidement, par ordre de Sa Majesté.
À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue Saint Thomas, le 9 Novembre 1669.
Avec Privilège.

La Gazette (N° 138) du 23 novembre 1669, p. 1124.

De Paris, le 23 Novembre 1669.

[...]
Le Ministre de la Porte, qui est, toujours, à Issy, a eu cette Semaine, une seconde Audience du Sieur de Lyonne, Secrétaire d’État, en la manière que vous l’apprendrez par la Feuille ci-jointe.
À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue Saint Thomas, le 23 Novembre 1669.
Avec Privilège.

N. 139.
RELATION DE L’AUDIENCE donnée par le Sieur de Lyonne, à Soliman Musta-Féraga, Envoyé au Roi, par l’Empereur des Turcs, le Mardi 19 Novembre 1669, à Suresnes. (p. 1125-1128)

Le Sieur de Lyonne, Ministre et Secrétaire d’État, qui a le Département des Affaires Étrangères, ayant fait savoir le Lundi 18 de ce mois, audit Musta-Feraga, par le Sr de la Gilbertie, l’un des Gentilshommes ordinaires de la Maison du Roi, qui est auprès de lui, à Issy, qu’il pourrait venir à son Audience, pour la seconde fois, le lendemain, à 9 heures du matin, à sa Maison de Suresnes, ledit Envoyé s’y rendit à l’heure qui lui avait été marquée, avec toute sa Suite, dans trois carrosses à six chevaux. Les carrosses étant entrés dans la Cour, et ledit Envoyé ayant mis pied à terre, il monta l’Escalier, sans avoir été reçu par aucune Personne de la Maison dudit Sieur de Lyonne. Il entra, ensuite, dans une première Salle, dans laquelle était, avec plusieurs Domestiques dudit Sieur de Lyonne, le Sieur de Rives, qui, en cette Occasion, faisait comme le Kiaya, ou Intendant du Grand Vizir, en use avec les Ambassadeurs, alla trois ou quatre pas, à la rencontre dudit Envoyé : puis l’ayant fait [page 1126] asseoir avec lui, sur deux Sièges égaux, après quelques paroles de compliment, il lui fit apporter du Cavé [sic pour "café"]. Ledit Musta-Féraga ayant, ensuite, envoyé le Sr. de la Fontaine, son Drogman, au Sieur de Lyonne, pour savoir quand il pourrait avoir Audience, ledit Sieur de Lyonne le reçut assis, dans se découvrir : et lui dit qu’il était alors occupé à quelque chose, mais que son Maître serait, dans peu, admis à l’Audience. À quelque temps de là, on vint dire à l’Envoyé qu’il pouvait venir. Il partit de la Salle où il était : et passant par une grand Galerie, à moitié remplie de Monde, il arriva au Salon, dans lequel ledit Sieur de Lyonne lui devait donner Audience. Il était là, avec plusieurs Personnes de sa Suite, s’entretenant debout avec l’un d’eux, lorsque l’Envoyé entra. Au fond du Salon, était un Lit de repos de Drap d’or, sur lequel étaient, aussi, plusieurs Carreaux de Brocart d’or, et au pied, en matière d’Estrade, un Tapis de Perse d’or, et soie. Le Sieur de Lyonne était sur ce Tapis : et dès que le Turc fut au milieu du Salon, il fit de grand inclinations de tête, pour saluer à la mode de son Pays. À quoi le Sieur de Lyonne répondit en ôtant son Chapeau, qu’il remit aussitôt. Ledit Sieur de Lyonne s’étant d’abord assis sur ce Lit de repos, le dos appuyé sur les Carreaux de Brocart, il fit apporter pour ledit Envoyé, un Tabouret de Damas, garni de franges d’or, qu’il fit poser hors de dessus le Tapis. Le Ministre Turc s’étant, aussi, assis, tous ceux de leur Suite, se répandirent à l’entour, ceux du Sieur de Lyonne, à la Droite, et les Turcs, à la Gauche. Le Sieur de Lyonne fit approcher le Sr d’Ervieux, Écuyer de la Maréchale de la Motte, lequel sachant, parfaitement, la Langue Turque, lui servit de principal interprète. Ledit Sieur de Lyonne commença d’abord un Discours, au Ministre Turc, que ledit Sr d’Ervieux expliquait par Article, à mesure qu’il le prononçait : et ce fut à peu près, ainsi que l’a rapporté l’un de ceux qui étaient présents, en ces termes que ledit Sieur de Lyonne parla. Ayant appris que quand vous m’envoyez demander Audience, vous me qualifiez du Titre de Grand Vizir, et que quelqu’un vous a dit qu’il y a en France, trois Grands Vizirs, je me crois obligé, [page 1127] avant toutes choses, de vous détromper d’une si fausse opinion, qui est, d’ailleurs, injurieuse à la gloire de l’Empereur mon Maître. Je vous apprends, donc, qu’il n’y a, dans cet Empire, ni un Grand Vizir, ni trois, ni autre Autorité que celle de l’Empereur même, dont tous les Ministres ne sont que simples Exécuteurs des ordres qui partent tous les jours, et à tous moments, de sa propre bouche, en toutes sortes d’Affaires, soit Ecclésiastiques, comme il est fort pieux envers Dieu, soit Politiques, et d’État, soit de Marine, de Justice, de Commerce, de Finances, soit, enfin, de Guerre, comme il est fort belliqueux, avide de gloire, et incessamment, prêt à protéger ses Amis, par la force de ses Armes, toujours victorieuses, soit qu’il les commande en Personne, où par ses Lieutenants, quand elles combattent sous son Nom, et sous ses Étendards. Il est vrai que pendant son bas âge, la Reine sa Mère ayant l’Administration de son État, s’était confiée de toutes les Affaires, à une Personne seule, à qui Elle avait donné une Autorité à peu près, égale à celle que les Grands Vizirs ont dans l’Empire Ottoman. Mais, aussitôt que notre Empereur a eu atteint l’Âge de gouverner par lui-même, il s’est réservé à sa Personne seule, toute l’Autorité, n’en communique aucune portion à qui que ce soit, voit tout, entend tout, résout tout, ordonne tout, travaille sans discontinuation [sic], huit heures chaque jour, à ses Affaires, et à rendre la Justice à ses Sujets, et s’est rendu lui-même, par cette Conduite, les Délices de ses Peuples, et l’étonnement et l’admiration de toute la Chrétienté. Moi-même que vous voyez ici, placé, comme un Grand Vizir le serait à Constantinople, je ne suis qu’un petit Secrétaire de Sa Majesté Impériale, qui n’ai d’autre Fonction que d’écrire soir, et matin, les Résolutions qu’Elle prend dans les Affaires qui regardent l’Emploi particulier que j’ai. Après les avoir mises sur le papier, je les lui porte, pour savoir si j’ai bien compris sa Volonté, et ses intentions, et Elle corrige ou passe ce que je lui présente, selon qu’Elle le trouve bien ou mal. Ses autres Secrétaires en usent de même, chacun dans l’étendue de l’Emploi dont l’Empereur les honore. Mais, comme [page 1128] il n’y a aucun Ministre supérieur à nous, ni Personne entre l’Empereur, et ses Secrétaires, pour ce qui regarde l’exécution de ses Volontés, dans les Affaires, et que celles des Étrangers me sont particulièrement, commises, notre Empereur ne voulant souffrir aucune différence de traitement entre ses Ambassadeurs, et ceux de votre Maître, comme il n’y en a aucune entre les deux Empereurs, pour leur Dignité, leur Grandeur, et leur Puissance, il m’a commandé de traiter avec vous, soit que vous soyiez Ambassadeur, ou seulement Envoyé, de la même manière que font les principaux Ministres de votre Empereur, avec ses Ambassadeurs, et Envoyés, c’est-à-dire de m’asseoir sur un Lit de repos, ne vous donner qu’un Placet, et de ne m’avancer point pour vous recevoir, ni pour vous accompagner. Je dois, même, vous déclarer que je ne sais si quand le mot d’Elchi, qui veut dire Ambassadeur, se trouvera dans votre Lettre de Créance, l’Empereur mon Maître vous recevra en cette qualité, si vous ne lui apportez des Présents, comme il a accoutumé d’en envoyer à votre Maître, par ses Ambassadeurs, d’autant plus, qu’on lui a dit que les Ministres de la Porte font entendre à votre Empereur, que ce sont des Tributs que les autres Potentats lui envoient, ce qui, dans mon Maître, ne sont que des marques de sa générosité, et de son affection. Après que le Sieur de Lyonne eut fait ce Discours au Ministre Turc, voulant entrer en Négociation avec lui, il fit retirer tout son Monde : et le Turc ayant ordonné la même chose à ses Gens, il ne resta dans le Salon, que les Srs d’Ervieux, et la Fontaine, Drogman du Ministre Turc, pour servir d’Interprètes. Ils furent plus de deux heures en Négociation : après laquelle le Sieur de Lyonne fit apporter du Cavé [sic], et du Sorbet, qu’on lui présenta, à lui à genoux, et ensuite, debout au Ministre Turc, lequel témoigna être sorti fort content de cette Audience.

À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue Saint Thomas, le 23 Novembre 1669.
Avec Privilège.

La Gazette (N° 144.) du 7 Décembre 1669, p. 1165-1168

De S. Germain en Laye, le 6 décembre 1669.

[...]
Le 5, l’Envoyé du Grand Seigneur, arriva ici, à trois heures après Midi, avec sa Suite, sur des chevaux de la Grande Écurie, qui l’attendaient au bout du Pont du Pec, étant conduit par le Sieur de Berlize, Introducteur des Ambassadeurs lequel le mena au Château Neuf, à travers les Troupes de la Maison du Roi, rangées en très bel ordre, depuis la première Porte du Vieux Château, savoir, les Mousquetaires de la première Compagnie, à pied, sur une Ligne, tous en Justaucorps de velours noir, six Compagnies du Régiment des Gardes Français, au-dessus, plusieurs Escadrons des Gardes du Corps derrière, les Mousquetaires de la seconde Compagnie, aussi, à pied, et au même ordre que les autres, avec les Gens d’Armes, et Chevaux-Légers, pareillement, en Escadrons : et deux Compagnies du Régiment des Gardes Suisses, derrière lesquelles étaient, aussi, plusieurs Escadrons des Gardes du Corps, tous les Capitaines, Lieutenants, et autres Officiers à la tête, avantageusement, vêtus, et montés. Les Cent Suisses de la Garde, étaient, aussi, à droite, et à gauche, dans la petite Cour du Château-Neuf : et d’autres Gardes étaient postés à l’entrée du Vestibule, et dans la Salle.
Cet Envoyé fut conduit par cette Salle, et par plusieurs Chambres, admirablement, parées, en une Galerie de l’Appartement de Madame, qui était ornée de tout ce qu’on peut imaginer de plus superbe, et de plus magnifique ; et où le Roi était sur un Trône fort élévé, mais sur lequel ce Grand Monarque se faisait beaucoup mieux connaître par sa haute mine, que par l’éclat de ses habits, couverts de Pierreries. Monsieur était à sa droite, aussi, tout brillant de Pierreries, le Duc d’Enghien à sa gauche : et tous les Officiers de la Couronne, et les autres Seigneur de la Cour, l’environnaient dans un équipage des plus éclatants : le long de la Galerie [page 1166] étant bordé d’une triple haie de Personnes de qualité, superbement, vêtues.
L’Envoyé, à l’entrée de cette Galerie, fit passer devant lui, son Drogman, avec ses Gens, à la réserve de 4 qui le suivirent : et ayant jusques alors, porté sur ses deux mains, sa Lettre de Créance, dans un Sac de Brocart d’or, et d’argent, cacheté par le bout, il la tira, et continua de porter de la même manière : et marchant entre le Sieur de Berlize, et le Sieur de Lagébertie, il fit plusieurs profondes révérences, ainsi que ses Gens, jusques à ce qu’il fût arrivé au pied des 4 derniers degrés du Trône, dont il s’approcha avec des marques de l’admiration et du respect que Sa Majesté inspire. Aussitôt, il commença sa Harangue, qui fut interprétée par le Sieur de la Fontaine, son Drogman : et Sa Majesté y répondit par la bouche du Sr d’Arvieu, qui lui servait d’Interprète en cette Audience, et lui expliqua l’Inscription de la Lettre du Grand Seigneur. Ensuite, le Roi la remit au Sieur de Lyonne, Secrétaire d’État, qui la donna en même temps, au Sr de la Croix, Secrétaire Interprète de Sa Majesté, pour la traduire, ainsi qu’il a traduit celle que le Caimacan a écrite audit Sieur de Lyonne : puis cet Envoyé s’étant retiré avec de pareilles révérences, fut reconduit à cheval, jusques au Pont du Pec, comme il était venu, et entra dans les carrosses de Leurs Majestés, qui le remenèrent à Paris.

De Paris, le 7 Décembre 1669.

[...]
[page 1167]
Le même jour [le 3], Soliman Aga, Musta-Féraga, Envoyé de la Porte, étant parti d’Issy, à une heure après-midi, fit son Entrée en cette ville, précédé de douze de ses Gens, deux à deux : à vingt pas desquels ce Ministre, fort bien monté, [page 1168] marchait entre le Sieur de Lagébertie, Gentilhomme ordinaire de la Maison du Roi, et son Drogman, suivi par le reste de son Train, composé de 26 Personnes : qui venaient, aussi, deux à deux, quatre tenant des Arcs, et des Flèches dans des Carquois richement, brodés, et six armés de Carabines, tous sur des chevaux de la Grande Écurie, les Sieurs de Bournonville, et du Plessis, Premiers Écuyers, l’accompagnant, aussi : et dans cet ordre, il alla descendre à l’Hôtel de Venise, proche la Place Royale, suivi d’une foule extraordinaire de Peuple.
Le 5, le Sieur de Berlize, Introducteur des Ambassadeurs l’étant allé prendre sur les huit heures du matin, dans les carrosses de Leurs Majestés, le mena dîner à Chatou, et de là à S. Germain en Laye.
À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue Saint Thomas, le 7 décembre 1669.
Avec Privilège.

N. 148
L’Audience donnée par Sa Majesté, à Soliman Mouta-Faraca, Envoyé du Grand Seigneur : avec ce qui s’est passé en son Voyage. (p. 1193-1200)

S’Étant embarqué sur l’un des Vaisseaux du Roi, avec lesquels le Sieur d’Almeras s’était approché de Larissa, il arriva à Toulon, au commencement du mois d’Août dernier.
Sa Majesté en ayant été avertie, choisit le Sieur de Lagébértie, Gentilhomme Ordinaire de sa Maison, pour l’aller recevoir, le faire loger, et défrayer sur sa route, et lui faire rendre tous les honneurs dus à son Caractère.
Il reçut audit Lieu de Toulon, les Compliments, et tous les bons traitements possibles en la Maison de Ville : et, pendant le séjour qu’il y fit, visita le Port, et les Vaisseaux du Roi, dont il admira la beauté, et le grand [page 1194] nombre. Il ne fut pas moins surpris de la prodigieuse quantité de bois qu’il y avait, pour en fabriquer d’autres, auxquels étaient lors, employés une infinité d’Ouvriers : et cela joint à la réputation de notre Monarque, partout le Levant, lui fit assez juger de la Grandeur de ce premier Potentat de l’Europe.
Il en partit le 21 Septembre, pour se rendre à Marseille : où les Échevins l’ayant complimenté, et régalé des Présents ordinaires, le traitèrent deux jours en public, avec beaucoup de magnificence. Ils lui donnèrent, même, le Divertissement du Bal, auquel grand nombre de Personnes de qualité, de l’un, et l’autre Sexe, se trouvèrent en un ajustement des plus lestes. Pendant son séjour, il visita, aussi, le Port de ladite ville, et l’Arsenal, qui le confirmèrent dans l’opinion avantageuse qu’il avait, pareillement, conçue, ailleurs de la Puissance de cette Monarchie.
Le 24, il vint coucher à Aix, et continua sa route jusqu’à Lyon : où il arriva le 1er Octobre, et y demeura trois jours, pendant lesquels on lui fit voir ce qu’il y avait de plus remarquable.
Le 5, il en partit, et ayant, partout, reçu les Compliments, et les honneurs qu’on lui avait faits dans les autres Lieux, il arriva le 16, à Orléans, [page 1195] et le 20, à Fontainebleau : où il ne manqua pas de sujet d’admiration, dans la beauté des Bâtiments, et des Jardins de cette Maison Royale.
Il en partit le 31, et arriva le 1 Novembre, à Issy : d’où, après y avoir été traité, comme vous avez su, il fit son Entrée en cette ville, le 3 de ce mois, par la Porte Dauphine, et fut conduit, au travers la Place Royale, à l’Hôtel de Venise, derrière le Couvent des Minimes.
Douze de ses Gens marchaient à la tête, deux à deux, en Vestes, et Turbans de diverses couleurs, et montés sur des chevaux de la Grande Écurie, mais harnachés, et caparaçonnés à la mode de leur Pays.
Il venait à vingt pas d’eux, monté de même, la Masse d’Armes sous une cuisse, et le Sabre sous l’autre, attachés à la selle de son cheval.
En cet équipage, il marchait entre ledit Sieur de Lagébertie, et le Sieur de la Fontaine, son Drogman, suivi par le reste, de ses Gens, encor, deux à deux : le Sieur de Lassus, qui par ordre du Roi, a eu le soin de le défrayer partout, étant derrière le Drogman.
Le 5, le Sieur de Berlise, Introducteur des Ambassadeurs, l’ayant été prendre audit Hôtel de Venise, avec les carrosses du Roi, et [page 1196] de la Reine, il le mena dîner à Chatou, en une Maison qui avait été préparée à cet effet : et de là, le conduisit à S. Germain en Laye, à sa première Audience de Sa Majesté.
Étant au bout du Pont du Pec, il mit pied à terre, et avec toute sa Suite, monta, encor, sur des chevaux de la Grande Écurie, qui l’attendaient en ce Lieu-là. Il était habillé d’une Veste de satin blanc, avec la Robe de drap écarlate, doublé de Marte Zibeline, le Bonnet de velours rouge, et le Turban de Mousseline, dont les extrémités étaient d’un tissu d’or.
Il passa à travers les Troupes de la Maison du Roi, rangées depuis l’entrée de la Cour du Château Vieux, jusques au Château Neuf : savoir, les Compagnies des Gardes Français, et Suisses, derrière lesquelles étaient, à droite, et à gauche, les deux Compagnies de Mousquetaires, en Bataillons, ensuite, les Gendarmes, et Chevaux-Légers, en Escadrons, les Gardes du Corps, et les Cent Suisses, qui étaient dans la petite Cour du Château Neuf, jusques au Vestibule : toutes ces Troupes étant dans un équipage merveilleux, notamment les Mousquetaires, qui étaient en justaucorps de velours noir, garnis de Boutons d’Orfèvrerie, et les Officiers à la tête, avec des Plumes, et des [page 1197] Écharpes magnifiques.
Il mit pied à terre à l’entrée de la petite Cour : et, marchant au même ordre qu’il était allé à cheval, jusque-là, il passa par la Salle des Gardes, qui étaient, aussi, en haie, et traversant plusieurs Chambres, superbement, parées, il entra en une Galerie du Château Neuf, qui est à main droite, où il devait avoir son Audience.
Elle était tendue des plus riches Tapisseries de la Couronne, ainsi que le Parterre, de superbes Tapis de pied, et embellie de quantité de grands Buffets, et Vases d’argent, de Guéridons, et de Caisses d’Orangers, de Miroirs, et de tant d’autres richesses, qu’il ne se pouvait rien voir de plus pompeux.
Il y avait au bout de cette charmante Galerie, un Trône d’argent, élevé sur une Estrade de 4 Degrés : et le Roi y paraissait dans toute sa Majesté, revêtu d’un Brocart d’or, mais tellement couvert de Diamants, qu’il semblait qu’il fût environné de lumière, en ayant, aussi, son Chapeau tout brillant, avec un Bouquet de Plumes des plus magnifiques.
Sa Majesté avait à sa droite, Monsieur, aussi, tout couvert de Perles, et de Pierreries, à sa gauche le Duc d’Enghien, qui n’avait rien oublié pour contribuer à la Pompe de ce beau [page 1198] Jour : et tout à l’entour de ce Grand Monarque, paraissait les principaux Officiers de la Chambre, et tout ce qu’il y a de Seigneurs, qui ayant lors quitté le Deuil, s’étaient à l’envi, parés de ce qu’ils avaient de plus riche.
L’Envoyé étant arrivé à l’entrée de la Galerie, fit passer ses Gens, encor, deux à deux, devant lui, avec son Drogman : et s’avança, portant sur ses mains élevées, un grand Sac de Brocart d’or, et d’argent, d’environ deux pieds de long, où était la Lettre du Grand Seigneur, et qu’il avait tirée de dessous une riche Toilette.
Il fit, en entrant, une profonde révérence, et continua d’en faire plusieurs autres, jusques au premier des Degrés du Trône, sans porter ses regards ailleurs, que sur la Personne auguste du Roi, en sorte que les y tenant fixement, arrêtés, il marqua l’admiration que lui causait la Majesté de cet incomparable Monarque.
Après lui avoir, encor, fait une très profonde révérence, il commença son Compliment, que son Drogman expliqua, et qui contenant en substance, que le Très-haut, et Très-puissant Empereur Ottoman Sultan Mehemet, son Maître, l’avait envoyé à sa Très-haute, et Très-puissante Majesté Impériale, pour lui rendre la Lettre de sa Hautesse, et l’assurer qu’Elle souhaitait la continuation de la bonne [page 1199] intelligence qui avait, toujours, été entre les deux Empires.
Ensuite de ce Discours, auquel le Roi répondit par la Bouche du Chevalier d’Ervieu, l’Envoyé monta sur l’Estrade, et présenta cette Lettre à Sa Majesté : qui la remit, aussitôt, entre les mains du Sieur de Lyonne, Secrétaire d’État, lequel la donna au Sieur de la Croix, Secrétaire Interprète de Sa Majesté, pour la traduire.
Celui-ci, en présence du Roi, décacheta cette Lettre, qui était sur un Papier de soie, de près d’une aune de longueur : et suivant l’ordre qu’il avait reçu de Sa Majesté, lui en expliqua une partie, comme ledit Chevalier d’Ervieu en avait, aussi, expliqué la Suscription, qui était en ces termes.
Au plus majestueux Monarque de la Croyance de Jésus, le Choix d’entre les Princes glorieux de la Religion du Messie, l’Arbitre de toutes les Nations Chrétiennes, Seigneur de Majesté, et d’honneur, Patron de louange, et de gloire, l’Empereur de France, Louis, que la fin de ses jours, soit scellée de bonheur.
Tandis que l’on interprétait tant de beaux Titres, qui font voir en quelle estime est notre Illustre Potentat, jusques aux Lieux les plus reculés, et parmi les Nations plus barbares, [page 1200] l’Envoyé, qui avait descendu les Degrés de l’Estrade, regardant, toujours, Sa Majesté, à laquelle il fit derechef, une révérence très profonde, se retira, au même ordre qu’il était venu : repassant à travers l’éclatante foule du beau Monde de la Cour, qui bordait la Galerie, avec tant d’autres Personnes considérables, qu’il ne s’était jamais vu d’Assemblée plus nombreuse, ni plus belle.
La Reine vit sa Marche, des Balcons du Château Vieux, qui regardent la Cour du Château Neuf : où Elle était accompagnée du Roi Casimir de Pologne, de Monseigneur le Dauphin, de Madame, et de toutes les Princesses, et Dames de la Cour, aussi, dans tout l’éclat imaginable.
Lorsqu’il fut au Pont du Pec, il y remonta, avec sa Suite, dans les carrosses de Leurs Majestés, et fut ramené, par le même Introducteur des Ambassadeurs, à l’Hôtel de Venise, où il est, toujours, traité aux dépens du Roi : tout ce qu’il y a en cette ville, de Personnes de qualité, l’allant continuellement, voir en ce Lieu, de manière qu’il y est très agréablement, diverti, en attendant les Dépêches de la Cour.

À Paris, du Bureau d’Adresse, aux Galeries du Louvre, devant la rue S. Thomas, le 19 Décembre 1669.
Avec Privilège.

(Textes saisis par David Chataignier à partir de l'exemplaire 4° H-8917 de l'année 1669 de La Gazette)




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