Content-Type: text/html; charset=UTF-8

L'esprit doit sur le corps prendre le pas


"Mais si vous en croyez tout le monde savant,
L'esprit doit sur le corps prendre le pas devant;"
Les Femmes savantes, II, 7 (v. 544-545)

Le principe que formule Philaminte

Cette vision des choses est contestée dans l'homélie "Du corps humain" (Homilies académiques (1666) de La Mothe le Vayer (3)


(1)

C'est la marque d'une âme basse de s'arrêter trop aux choses corporelles, comme être assidu aux exercices, de boire et de manger beaucoup, de s'adonner trop aux femmes et d'employer trop de temps aux autres fonctions du corps. Tout cela se doit faire à la hâte, et comme en passant, et c'est à l'esprit que nous devons donner tous nos soins.
(p. 165)

(2)

Ce n’est pas ici le lieu d’apporter toutes les autorités et toutes les raisons qui peuvent porter à croire qu’il est plus de la nature de notre esprit d’être uni à Dieu que d’être uni à un corps. […] Cependant il n’est pas aisé à les prouver à des esprits attentifs, et qui sont instruits de la véritable philosophie. Car il suffit de les faire souvenir que la volonté de Dieu réglant la nature de chaque chose, il est plus de la nature de l’âme d’être unie à Dieu par la connaissance de la vérité par la connaissance de la vérité et par l’amour du bien que d’être unie à un corps, puisqu’il est certain, comme on vient de le dire, que Dieu a fait les esprits pour le connaître et pour l’aimer, plutôt que pour informer des corps.
(n. p.)

L’esprit devient plus pur, plus lumineux plus fort et plus étendu à proportion que s'augmente l'union qu'il a avec Dieu, parce que c'est elle qui fait toute sa perfection. Au contraire, il se corrompt, il s'aveugle, il s'affaiblit et il se resserre à mesure que l'union qu'il a avec son corps s'augmente et se fortifie, parce que cette union fait aussi toute son imperfection. Ainsi un homme qui juge de toutes choses par ses sens, qui suit en toutes choses les mouvements de ses passions, qui n'aperçoit que ce qu'il sent, et qui n'aime que ce qui le flatte, est dans la plus misérable disposition d'esprit où il puisse être; dans cet état il est infiniment éloigné de la vérité et de son bien. Mais lorsqu'un homme ne juge des choses que par les idées pures de l'esprit, qu'il évite avec soin le bruit confus des créatures, et que rentrant en lui-même il écoute son souverain maître dans le silence de ses sens et de ses passions, il est impossible qu'il tombe dans l'erreur.

Il est visible par toutes ces choses qu'il faut résister sans cesse a l'effort que le corps fait contre l'esprit, et qu'il faut peu à peu s'accoutumer à ne pus croire les rapports que nos sens nous font de tous les corps qui nous environnent, qu'ils nous représentent toujours comme dignes de notre application et de notre estime; parce qu'il n'y a rien de sensible à quoi nous devions nous arrêter, ni de quoi nous devions nous occuper.

On y combat plusieurs erreurs, et principalement celles qui sont les plus universellement reçues ou qui sont cause d'un plus grand dérèglement d'esprit ; et l'on fait voir qu'elles sont presque toutes des suites de l'union de l'esprit avec le corps. On prétend en plusieurs endroits faire sentir à l'esprit sa servitude et la dépendance où il est de toutes les choses sensibles , afin qu'il se réveille de son assoupissement et qu'il fasse quelques efforts pour sa délivrance.

(3)

Mais n'est-il pas constant que ces deux pièces, l'âme et le corps, qui font notre tout, se doivent des devoirs réciproques et sont obligés par leur intérêt commun de vivre en bonne intelligence ? Théophraste se plaignait de ce que le dernier faisait souvent payer à l'esprit son louage trop chèrement. D'un autre côté Sénèque accuse celui-ci de tyrannie s'il traite mal le corps qui lui est soumis, et qu'il n'ait pas tout le soin qu'il doit prendre de sa subsistance. [...] Car de présupposer qu'en contemplation de l'excellence de l'âme et des avantages qu'elle a comme divine sur le corps, il n'y ait nulle mesure à garder entre l'une et l'autre, ce serait être peu équitable et peu judicieux, à les considérer non pas séparément, mais dans l'union où ils sont constitués pour faire un seul composé. Ils conservent alors chacun son avantage, et il arrive assez souvent que nous devons plus déférer aux sens corporels qu'aux raisonnements de la partie supérieure, quelque spirituelle qu'elle soit.
(éd. des Oeuvres de 1756, III, 2, p. 230-231)




Sommaire | Index | Accès rédacteurs