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Jugement sur la comédie du Festin de pierre, 1678


"Jugement sur la Comédie du Festin de Pierre", in Dictionnaire des cas de conscience décidés suivant les principes de la morale, les usages de la discipline ecclésiastique, l'autorité des conciles et des canonistes, et la jurisprudence du royaume, Paris, Coignard et Guérin, 1733, col. 805-812.


JUGEMENT SUR LA COMEDIE DU FESTIN DE PIERRE.

I. Il n’est pas permis de représenter la Comédie qui a pour titre Le Festin de Pierre, ni d’en voir la représentation

II. Tous les Pères et beaucoup de Conciles ont condamné la Comédie et les spectacles. La Tradition n’a jamais varié sur cet article.

III. Le Rituel de Paris défend de donner les Sacrements aux Comédiens, à moins qu’ils ne renoncent à cette Profession.

IV. L’exemple de ceux qui permettent la Comédie est un abus qui ne saurait rendre licite et innocent ce qui est mauvais et condamné de tous temps par l’Eglise.

DEMANDE

On supplie Messieurs les Docteurs de décider les questions suivantes.

1° Peut-on admettre aux Sacrements une Troupe de Comédiens qui représentent et qui sont dans la disposition de représenter à l’avenir la Comédie qui a pour titre Le Festin de Pierre, sous prétexte que les Princes qui les ont à leurs gages veulent qu’elle soit représentée devant eux ?
Cette Comédie est très pernicieuse et pleine d’impiété ; car non seulement elle représente les vices les plus horribles, mais elle apprend à les commettre.
Celui qui y fait le personnage d’Athée s’y moque de Dieu ouvertement, et son fripon de valet qui fait semblant de prendre le parti de la Religion et de défendre la vertu, s’en acquitte d’une manière si impertinente et si badine, que tous ses discours font une nouvelle dérision.
Le sujet de cette Comédie, et la manière dont il est traité, sont détestables.
Il est vrai que l’Athée y est puni à la fin, mais le but de l’auteur est de réjouir les spectateurs, comme il le déclare dans sa Préface, et non de leur inspirer une véritable horreur de l’impiété et du crime.

2° Ces Comédiens ayant été avertis par les Confesseurs qu’ils ne devaient pas jouer cette Comédie, l’absolution même ayant été refusée à une des femmes qui monte avec eux sur le Théâtre, ils s’en sont plaints à leurs maîtres, et ils en ont fait des railleries publiques. Quelques-uns s’excusent sur les ordres qu’ils ont de la représenter. On demande donc si on doit leur refuser l’absolution à tous jusqu’à ce qu’ils se corrigent, et promettent non seulement de faire leurs efforts pour ne la plus jouer, mais jusqu’à ce qu’ils l’aient obtenu de leurs Maîtres : mais s’ils promettaient seulement de leur en parler, et de faire tout ce qui dépend d’eux pour s’en abstenir, leur pourrait-on donner l’absolution ?

3° Leurs Confesseurs ordinaires n’ayant point d’égard à ces promesses qui presque toujours n’aboutissent à rien, ont exigé qu’avant de leur donner l’absolution ils se fissent donner par leurs Maîtres une parole positive de ne les plus obliger à représenter cette Comédie. Mais d’autres Confesseurs sans avoir égard aux raisons ci-dessus alléguées, peuvent-ils les absoudre, sous prétexte qu’on la joue à Paris, à Rome, et ailleurs ?

4° Un Evêque, un Vicaire Apostolique, peut-il malgré tout ce qu’on vient de dire, recevoir aux Sacrements ces Comédiens, ou ordonner aux Confesseurs de les y admettre ? ne condamnerait-il pas par cette conduite celle des Confesseurs qui les en ont exclus, et ne ferait-il pas aux Comédiens une espèce de réparation de l’affront dont ils se plaignent ?

5° On demande si ces Comédiens peuvent s’engager au service d’un Prince hérétique par avarice ou par ambition, quoiqu’ils y passent plusieurs mois sans faire aucun exercice de la Religion Catholique, sans y recevoir les Sacrements, sinon en péril de mort, et sans entendre la Messe que rarement et en cachette ?

REPONSE

Les Docteurs en Théologie de Paris qui ont vu l’exposé ci-dessus , sont d’avis qu’on ne peut accorder les sacrements à ceux qui jouent, ou qui font jouer la Comédie intitulée Le Festin de Pierre, ils les en croient indignes, comme gens qui servent à entretenir le crime ; car ç’a toujours été une doctrine constante dans l’Eglise, que nul Chrétien ne peut ni représenter, ni même assister comme simple spectateur à la représentation des Pièces de Théâtre qui sont remplies d’intrigues amoureuses et d’impiété. C’est ce que Saint Antonin enseigne clairement, part. 2.tit. 13 c. 7ss.5. "Si la pièce renferme, dit-il, des choses déshonnêtes et lascives, les Auteurs et les spectateurs pèchent mortellement, parce que c’est prendre plaisir dans les choses déshonnêtes, et s’exposer volontairement à une chose très dangereuse". Saint Thomas avait déjà dit la même chose, et l’avait appuyée par l’autorité de Saint Jean Chrysostome. Tous les Pères ont expliqué avec tant de force les périls auxquels s’exposent ceux qui vont aux spectacles, qu’il est impossible, quand on cherche sincèrement la vérité, de former le moindre doute sur leur sentiment.
Tertullien en a fait l’unique sujet de son livre des Spectacles. Saint Clément d’Alexandrie le suit l. 3 de son Pédagogue ch. 12. Saint Cyprien dans son Epître à Donat, et dans son traité des Spectacles. Minutius Félix et Saint Chrysostome en plusieurs endroits, et surtout dans l’Homélie 16. sur Saint Matthieu. Saint Augustin l. 3 de ses Confessions, et l. 2 du Symbole adressé aux Catéchumènes. Saint Grégoire de Naziance dans son Poème à Nicobule. En un mot, il n’y a pas un Père qui n’ait cru et enseigné la même chose. De sorte qu’on ne saurait trop s’étonner qu’il se trouve dans notre siècle des Auteurs qui osent s’élever contre une tradition si ancienne, si constante et si uniforme, et qui entreprennent d’affaiblir une doctrine si bien établie, par de petites distinctions aussi faibles que ridicules. Mais il ne sera pas inutile de choisir entre tous les passages des Saints Pères quelques endroits qui expliquent clairement et en termes forts les périls où s’exposent ceux qui fréquentent les Théâtres. En voici un tiré de l’Epître de Saint Cyprien à Donat : "C’est là, dit-il, qu’on apprend les adultères en les voyant représenter, et que par la contagion d’un mal publiquement autorisé une Dame qui était chaste quand elle est entrée au spectacle, en revient impudique et corrompue ; car combien le geste et l’action du comédien sont-ils capables de souiller le cœur, d’inspirer la débauche, de nourrir les vices et le libertinage ? y a-t-il rien qu’une vue si dangereuse ne puisse émouvoir ; les sens, les passions, la vertu même des plus forts s’y trouvent ébranlées, et souvent renversées ?" Le même Saint Cyprien ajoute dans son livre des Spectacles : "Que peut faire un vrai fidèle dans ces tristes occasions, lui à qui il n’est pas même permis de souffrir les mauvaises pensées ? comment peut-il prendre plaisir à voir les impuretés du Théâtre ? est-ce afin qu’en y perdant la pudeur, il devienne plus hardi pour commettre le crime dont il voit avec plaisir l’image et la représentation ?" Lactance s’explique en mêmes termes dans son livre du Véritable Culte : "Que dirai-je des Comédiens, dont la profession est de corrompre les mœurs, qui apprennent aux hommes à commettre les adultères qu’ils représentent ? en quelle situation peut être une vierge ou un jeune homme qui voient tout un peuple ardent et attentif à regarder sans pudeur des actions si infâmes ?n’y apprennent-ils pas ce qu’ils devraient toujours ignorer ? n’est-ce pas là que s’allume une passion que la vue et les regards enflamment de plus en plus ; car chacun y voit de quoi il est capable, chacun approuve et désire de faire ce qu’il voit devant les yeux, il n’y a personne qui ne sorte de là tout en feu ; je n’en excepte ni les enfants à qui on ne devrait pas donner ces leçons prématurées, ni les vieillards que la seule bienséance devrait détourner de semblables désordres".
Ajoutons à ces autorités celle du troisième Concile de Milan dans la quatrième partie des Actes de l’Eglise de Milan, page 485, qui s’exprime en ces termes : "Que le prédicateur ne cesse de reprendre ces assemblées qui servent d’amorce aux péchés publics, et que les hommes accoutumés au mal comptent pour rien ; qu’il tâche d’en inspirer la plus grande horreur ; qu’il fasse voir combien Dieu y est offensé, combien de maux, de calamités publiques, et de dommages ils attirent sur les Royaumes ; qu’il témoigne en toute occasion combien on doit détester les spectacles, les Comédies, les jeux publics qui tirent leur origine des païens, et qui sont entièrement opposés à l’Evangile et aux règles de la discipline chrétienne ; qu’il représente souvent les châtiments publics que ces désordres attirent sur le peuple chrétien ; et pour fortifier les fidèles dans une doctrine si importante, qu’il emploie l’autorité très respectable des Pères, tels que sont Tertullien, Saint Cyprien, Salvien, Saint Chrysostome". Le Concile a ajouté : "Le Prédicateur fera voir que les Comédies et les autres spectacles sont la source de presque tous les désordres qui déshonorent le Christianisme ; il fera voir combien ils y sont contraires, combien ils sont conformes aux maximes des Païens, et avec combien de ruse et d’artifice le démon les a inventés ; ce qui suffit pour montrer qu’on les doit entièrement exterminer".
Sur ces règles si saintement établies pour l’utilité des Chrétiens, par la tradition de tous les siècles, il est aisé de voir quel jugement on doit faire de la Comédie qui a pour titre Le Festin de Pierre ; comme il n’y en a point qui soit plus remplie d’obscénité, d’impureté et d’impiété, on peut dire qu’elle porte sur le front sa condamnation. La Religion y est partout insultée, quoiqu’on y introduise pour la défendre un misérable Valet, qui détruit par ses fades plaisanteries tout ce qu’il dit en sa faveur, afin de répandre un ridicule sur les choses les plus saintes. Cette Pièce ne saurait donc être trop censurée, et il est indubitable qu’on ne peut sans un très grand péché jouer en public pour divertir les spectateurs une Pièce qui afflige tous ceux qui ont de la piété et qui aiment Dieu. Disons donc avec Tertullien au liv. des Spectacles, ch. 16 : "Si nous devons détester l’impudicité, comment nous serait-il permis d’entendre des discours qu’il ne nous est pas permis de répéter ? car Saint Paul défend jusqu’aux bouffonneries et aux paroles inutiles. Comment serait-il permis de voir ce qu’il n’est pas permis de faire ? nous trouvons donc l’interdiction du Théâtre dans celle de l’impudicité". Ajoutons, dans le cas dont il s’agit, dans l’interdiction de l’impiété de cette Pièce, qui semble n’avoir été composée que pour déshonorer la Religion.
Ainsi les Confesseurs qui se souvenant qu’ils sont les dispensateurs des Mystères de Dieu, ont refusé l’absolution, ont très bien fait, puisqu’ils ont suivi les règles de l’Eglise, qui n’admet point à la participation de ses Sacrements les gens de cette Profession, comme on le voit dans le Corps du Droit Canon, chap. Pro dilectione, distinct. 2. L’Eglise ne leur accorde pas même cette grâce à l’heure de la mort, à moins qu’ils ne fussent convertis, et ne promissent de ne plus remonter sur le Théâtre, comme on peut le voir dans le chap. Scenicis au même endroit.
Les Comédiens ne sont pas justifiés en disant que cette comédie se joue à Paris et à Rome ; comme si on ne savait pas que l’Eglise condamne bien des choses qui se font publiquement par un usage, ou plutôt par un abus qu’elle ne saurait empêcher : comme si de semblables abus pouvaient changer la loi de Dieu, et rendre innocent et licite ce qui est mauvais de sa nature. Toute l’antiquité a condamné les Théâtres et les spectacles, les Conciles des derniers siècles les ont pareillement condamnés. Ils commandent aux Prédicateurs d’enseigner aux peuples que ces divertissements sont de l’invention du diable, et qu’on les doit entièrement exterminer et proscrire du Christianisme ; ils s’appuient sur l’autorité des Pères qui les ont combattus, il n’y a personne qui ne voie clairement la conformité des derniers temps avec les premiers. Il est donc indubitable que ces sortes de Comédies étant mauvaises, ne sauraient être représentées sans péché, et qu’il n’y ait point d’autorité qui puisse justifier devant Dieu ce que toute la tradition condamne, parce qu’il n’y a point en lui acception de personnes, et qu’il pèsera et jugera toutes choses au poids du Sanctuaire.
Mais pour examiner le cas dont il s’agit par ce qui se fait à Paris, il est étonnant que ces Comédiens veuillent s’autoriser par ce qui s’y fait, puisque dans Paris on ne reçoit aucun Comédien aux Sacrements qu’après avoir quitté sa Profession, comme il est expressément marqué dans le Rituel, où les Comédiens et les autres pécheurs publics sont exclus de la Communion. En voici les paroles : Tous les fidèles doivent être reçus à la Communion, excepté ceux qu’un empêchement manifeste en rend indignes. Il en faut donc exclure ceux qui de notoriété publique en sont indignes, c’est-à-dire, ceux qui sont nommément excommuniés ou interdits, ceux qui sont notoirement infâmes, comme les femmes de mauvaise vie, les concubinaires, les Comédiens, les usuriers, à moins qu’on ne soit assuré de leur conversion, et qu’ils n’aient réparé publiquement le scandale public qu’ils ont donné. Ceux donc qui consultent, trouvent dans cette règle du Rituel de Paris la conduite qu’ils doivent garder, et de quoi remercier Dieu de la grâce qu’il leur a faite de ne s’être point écartés de la règle de l’Eglise. Qu’ils s’en tiennent à cette règle qui est celle de toute l’Eglise, puisque le Rituel de Paris ne fait qu’exécuter ce qui est dit dans les chapitres que nous avons cités, Pro dilectione, et Scenicis.
Que ces Confesseurs avertissent sérieusement les Comédiens qui se sont adressés à eux, qu’il n’est pas en leur pouvoir de leur donner les Sacrements, à moins qu’ils ne renoncent entièrement à leur Profession, et aux péchés publics dont ils sont les instruments, pour se délivrer par là de l’infamie publique que le Droit leur inflige. S’ils se plaignent de ce terme d’infâmes, les Confesseurs doivent répondre qu’ils ne parlent qu’après l’Eglise qui emploie le même terme dans le chap. Pro dilectione, sur quoi la glose dit en parlant des Comédiens, ces gens là sont infâmes ; et elle ajoute, qu’ils l’étaient déjà par les anciennes Lois des Romains, comme on le voit dans Saint Augustin, c 20 de la Cité de Dieu, qui le dit sur l’autorité de Cicéron.
On voit par tout ce qui vient d’être dit, combien est frivole et mauvaise l’excuse que les Comédiens en question apportent pour justifier leur long séjour parmi les hérétiques, où ils sont privés du culte que l’Eglise Catholique rend à Dieu, et qu’elle ordonne de lui rendre les Dimanches et Fêtes ; car ils n’allèguent point d’autre raison que leur Profession qu’ils exercent en ce Pays-là, et le gain considérable qu’ils y font : comme si une Profession que l’Eglise réprouve pouvait rendre un tel gain légitime, et excuser devant Dieu le violement qu’ils font du précepte de l’Eglise, qui leur ordonne d’entendre la Messe les jours de Dimanches et Fêtes, sans considérer que volontairement ils se sont jetés dans cette nécessité et qu’il ne tient qu’à eux d’en sortir. Ils ne peuvent donc se disculper qu’auprès de ceux qui cherchent des excuses à leurs péchés.

Délibéré en Sorbonne le 13. Déc. 1678

G. FROMAGEAU
DE LAMET




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