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Jeter mon âge au nez


"Cela sent son vieillard, qui, pour en faire accroire,
Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire.
- C'est un étrange fait du soin que vous prenez
A me venir toujours jeter mon âge au nez."
L'Ecole des Maris, I, 1 (v. 55-58)

Les reproches que formule Sganarelle à l'endroit de la tenue vestimentaire d'Ariste, qu'il juge inappropriée à son âge, correspondent au point de vue qu'illustrent plusieurs textes destinés au public mondain :

La question de savoir s'"il vaut mieux de prendre un vieux mari" fait l'objet d'un débat dans la seconde partie de l'Almahide (1661) des Scudéry (4).

Dans La Dévotion aisée (1652), le P. le Moyne condamnait la coquetterie excessive chez les vieillards (5).


(1)

Il est vrai que les Français, c'est-à-dire les jeunes gens de la Cour et des grandes villes (car les vieux, non plus que les villageois, et tout le peuple rustique n’y prennent point de part) paraissent avoir un peu plus d’inclination que les autres nations de l’Europe à suivre des modes différentes.
(Michel de Marolles, Mémoires, Paris, Sommaville, 1657, p.33)

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(2)

Le personnage de la Mode, dans le Dialogue de la Mode et de la Nature (anonyme, 1662), est encore plus explicite. A propos des vieillards, elle annonce :

...m’étant toujours fort peu mêlée de leurs affaires, dont je suis résolue de me fatiguer encore moins dorénavant, et de rompre hautement avec eux, quand ils ne découdront pas doucement avec moi. C’est assez vous prouver que je ne proposerai jamais pour modèle des Barbons, par lesquels je ne puis souffrir d’être copiée.
(Dialogue de la Mode et de la Nature, s.l., 1662, p. 21-22).

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(3)

Antoine Courtin, dans son Traité de civilité (1671), fait aussi de l'âge un critère décisif pour juger de la bienséance de l'habillement:

Nous avons dit que les habits doivent avoir rapport à la condition des personnes ; […] C’est la même chose pour l’âge ; une vieille femme, par exemple, ou un vieillard vêtu en jeunes gens, sont des personnes qui semblent ne se parer, étant proche du tombeau comme ils sont, que pour aller eux-mêmes en pompe à leurs funérailles.
(Nouveau Traité de civilité, p.127-128)

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(4)

il est certain que lorsque l’on n’est plus aimable, il est temps de ne plus aimer, puisque l’on ne saurait plus être aimé. En effet, la laideur de la vieillesse a trop peu de rapport avec la beauté d’une jeune personne pour les assembler : et un homme qui laisse tous les soirs ses cheveux et ses dents sous sa toilette ; qui n’est blond que par de la poudre ; ou qui n’est noir que par la teinture de son poil, est une mauvaise figure de galant […]. Car quelques jolies choses que dit une dame, un amant décrépit n’en oserait rire, de peur de montrer ses dents noires en riant : c’est un spectacle ridicule, de ne pouvoir lire sans lunettes, les billets doux d’une maîtresse : et de ne lui en pouvoir écrire que par ces yeux empruntés. Tout de même un amant goutteux n’a garde de la divertir au bal : puisque bien loin de pouvoir danser, il ne marche qu’avec peine : puisqu’au lieu de lui donner la main, il a besoin qu’elle la lui donne : et qu’elle soit son bâton de vieillesse, au lieu qu’il devrait être son écuyer. […] Au reste, ce vieux galant est toujours malpropre : ou s’il arrive qu’il ne le soit pas, sa propreté est d’une autre cour, et d’un autre siècle : et son ajustement à l’antique le rend le ridicule de notre siècle et de notre cour. En effet, sa manière de parler n’est plus la nôtre ; son éloquence est aussi vieille que lui, et que la mode de ses habits.
(Almahide, Suite de la 2e partie, tome 2, 1661, p. 1753-1756)

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(5)

À la bienséance des conditions il faut ajouter la bienséance des âges, qui ont leurs diversités et leurs convenances. Sur quoi on peut prendre pour les ornements du corps les mêmes règles que j’ai données pour les divertissements de l’esprit. La joie et la propreté peuvent être de tous les âges ; l’enjouement et les atours n’en peuvent être ; et ce qui serait réforme et sévérité à vingt ans serait extravagance et coquetterie à soixante.
(La Dévotion aisée, Livre II, chap. 10, "Que l’habillement, le logis et les meubles doivent être proportionnés aux conditions ; que la jeunesse de droit naturel peut être parée ; que la vieillesse se doit contenter d’être propre")

Mais il en faut demeurer là et il se faut garder de vouloir mêler la fleur à la lie et la verdure à la sècheresse ; il se faut garder de confondre le printemps avec l’hiver et le soir avec la matinée. Il ne faut plus parler de bouquets quand les feuilles tombent, et le contretemps serait étrange, de chercher des roses sur la neige. Il serait encore plus étrange, d’ajuster une tête chauve et de parfumer des cheveux gris. Mais ce ne serait plus un contretemps, ce serait un prodige, de peindre et d’ajuster un squelette, de se parer et de se farder sur le bord de sa fosse, de se couvrir de mouches et de poudre, quand on commence à sentir les vers et la pourriture.
(Ibid., p. 164-165)




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