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Je vous enverrai les marchands


"Adieu, il me tarde déjà que je n'aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut; et je vous enverrai les marchands."
Le Mariage forcé, sc. II

La jeune femme à laquelle le pédant Gastrimargue faisait sa cour dans le Polyandre (1648) de Charles Sorel se révélait dépensière à outrance (voir également "qu'on tienne bien ma queue") (1).

Les dépenses inconsidérées auxquelles se laisse entraîner une épouse avaient fait l'objet de traits d'humour dans le dialogue "Du Mariage" (Cinq dialogues à l'imitation des Anciens (s. d.) de La Mothe le Vayer (2)


(1)

Vraiment, lui dit-elle, il faut que je vous avoue que l'on me ferait plaisir de me traiter magnifiquement comme vous avez proposé. Je crois que vous savez quelque chose de mon humeur ; je ne voudrais guère porter une robe plus de huit ou neuf jours, et je désirerais changer d'emmeublement tous les mois ; et pour ce qui est des collets, rubans, gants, et autres petites choses nécessaires, ou d'ornement, c'est assez à mon avis de les porter un jour seulement, et de les donner après à ses demoiselles et femmes de chambre.
Gastrimargue fut surpris alors d'entendre qu'elle était effectivement de l'humeur dépensière dont il avait ouï parler, car s'il n'avait pas envie d'exécuter les propositions de sa magnificence, quant à elle son intention suivait ses paroles, et il n'y avait que le manque de pouvoir qui s'y opposât : néanmoins continuant le même langage, il lui dit, que comme elle avait une mine de reine, elle en avait aussi les pensées, et qu'il s'efforcerait toujours de s'accorder à ses sentiments, et de les effectuer.
Ayant pris congé en suite de cette première conférence, Hermotin sut depuis de Chrysante tout ce qu'il lui avait dit, et pour éprouver la libéralité de Gastrimargue, il se donna le plaisir de faire accroire à plus de trente marchands, que cet homme se mariait, et qu'il désirait qu'ils lui portassent ce qu'ils avaient de plus beau en leurs boutiques. Les uns lui apportaient du tabis, les autres du satin, les autres des tentures de tapisserie ; mais il les renvoyait tous, disant qu'il n'était pas encore si avancé dans son mariage, et qu'il les irait bien chercher lorsqu'il aurait affaire d'eux.
(p. 552-555)

(2)

Or cette telle quelle possession que nous croyons avoir faite pour le soulagement de notre vie et l'accommodement de notre famille, se trouve enfin, selon que nous vivons, à son incommodité, voire à sa ruine, tant par le mépris que font aujourd'hui les femmes des soins domestiques que par les grandes dépenses auxquelles elles nous engagement insensiblement, ou elles nous contraignent forcément. Car encore que Vénus ait été peinte les pieds sur cette tortue, qui dit si bien dans Esope domus amica, domus optima, pour leur apprendre la demeure sédentaire et continuelle qu'elles doivent faire au logis qui est commis à leur vigilance et conduite, si est-ce qu'avec toutes les persécutions de ces orientaux qui leur mutilent les jambes et leur rendent les pieds inhabiles à marcher, nous ne les empêcherions pas de courir les rues, se faire traîner aux cours et vaquer depuis le matin jusques au soir, sous mille prétextes d'autant plus spécieux que notre sottise les a laissés introduire [...] De là procède en partie la grande dépense où vous constitue le seul luxe de leur personne, pour ne rien dire du reste de leurs profusions. Car, pour paraître superbement dans toutes ces promenades, et porter la tête altièrement levée comme des Andromaques [cit lat], il leur faut des parements et des habits, dont les reines du temps passé eussent fait conscience de se servir hors de leurs entrées solennelles.
(éd. de 1716, p. 415)




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