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Je le suis, ma Psyché, de toute la nature


"- Des tendresses du sang peut-on être jaloux?
- Je le suis, ma Psyché, de toute la nature.
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent,
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent,
Dès qu'il les flatte, j'en murmure;
L'air même que vous respirez
Avec trop de plaisir passe par votre bouche,
Votre habit de trop près vous touche,
Et sitôt que vous soupirez,
Je ne sais quoi qui m'effarouche
Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés."
Psyché, acte III, scène 3, vv. 1188-1198.

La jalousie à l'égard du monde et des choses inanimées est un motif pétrarquiste présent chez:


(1)

Je veux un mal de mort à ceux qui s'en approchent
Pour regarder ses yeux, qui mille amours décochent,
A ce qui parle à celle et à ce qui la suit;
Le soleil me déplaît, sa lumière est trop grande,
Je crains que pour la voir tant de rais il épande,

Mais si n'aimais-je point les ombres de la nuit.
Je ne saurais aimer la terre où elle touche,
Je hais l'air qu'elle tire et qui sort de sa bouche,
Je suis jaloux de l'eau qui lui lave les mains,
Je n'aime point sa chambre, et j'aime moins encore
L'amoureux miroir qui voit les beautés que j'adore,
Et si n'endure pas mes tourments inhumains.

Je hais le doux sommeil qui lui clôt la paupière,
Car il est (s'ai-je peur) jaloux de la lumière
Des beaux yeux que je vois, dont il est amoureux ;
Las! il en est jaloux et retient sa pensée,
Et sa mémoire aussi, de ses charmes pressée,
Pour lui faire oublier mon souci rigoureux.

Je n'aime point ce vent qui, folâtre, se joue :
Parmi ses beaux cheveux et lui baise sa joue,
Si grande privauté ne me peut contenter.
Je couve au fond du cœur une ardeur ennemie
Contre ce fâcheux lit qui la tient endormie,
Pour la voir toute nue et pour la supporter.

Je voudrais que le ciel l'eût fait devenir telle,
Que nul autre que moi ne la pût trouver belle :
Mais ce serait en vain que j'en prierais les dieux,
Ils en sont amoureux ; et le ciel qui l'a faite
Se plaît en la voyant si belle et si parfaite,
Et prend tant de clarté pour mieux voir ses beaux yeux.
(édition de 1611, p.119-120)

(2)

Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent !
Ils s'ébattent dessus ton front
Et les voyant beaux comme ils sont
Je suis jaloux quand ils te baisent.

[…]

D'un air plein d'amoureuse flamme,
Aux accents de ta douce voix
Je vois les fleuves et les bois
S'embraser comme a fait mon âme.

[…]

Présente-lui ta face nue,
Tes yeux avecques l'eau riront,
Et dans ce miroir écriront
Que Vénus est ici venue.

Si bien elle y sera dépeinte
Que les Faunes s'enflammeront,
Et de tes yeux, qu'ils aimeront,
Ne sauront découvrir la feinte.

Entends ce Dieu qui te convie
A passer dans son élément ;
Ouïs qu'il soupire bellement
Sa liberté déjà ravie.

Trouble-lui cette fantaisie
Détourne-toi de ce miroir,
Tu le mettras au désespoir
Et m'ôteras la jalousie.

Vois-tu ce tronc et cette pierre !
Je crois qu'ils prennent garde à nous,
Et mon amour devient jaloux
De ce myrthe et de ce lierre.
(Œuvres, édition de 1662, pp.151-152)

(3)

Mais je me sens jaloux de tout ce qui te touche,
De l'air qui si souvent entre et sort par ta bouche ;
Je crois qu'à ton sujet le soleil fait le jour
Avecque des flambeaux et d'envie et d'amour ;
Les fleurs que sous tes pas tous les chemins produisent
Dans l'honneur qu'elles ont de te plaire me nuisent ;
Si je pouvais complaire à mon jaloux dessein,
J'empêcherais tes yeux de regarder ton sein ;
Ton ombre suit ton corps de trop près, ce me semble,
Car nous deux seulement devons aller ensemble.
Bref, un si rare objet m'est si doux et si cher,
Que ta main seulement me nuit de te toucher.
(IV, 1, vv. 753-764)

(4)

Ah mon cher Lisicrate, s'écria-t-il, que vous me faites une grande pitié de me parler de cette sorte, et qu'il est aisé de juger que vous n’avez jamais connu que la simple écorce de l’amour puisque vous pénétrez si peu ses délicatesses. La jalousie que j’ai pour les arbres et les fontaines est une certaine envie douce et passionnée que je porte à tout ce qui touche et divertit ma maîtresse : je voudrais causer toute sa joie et je porte envie à tout ce qui lui donne un plaisir auquel je ne participe point.
(partie I, livre III, Œuvres, édition de 1721, p.268-269)




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