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Je crains cent accidents


"En quel gouffre de soins et de perplexité
Nous jette une action faite sans équité !
D'un enfant supposé par mon trop d'avarice
Mon cœur depuis longtemps souffre bien le supplice,
Et quand je vois les maux où je me suis plongé,
Je voudrais à ce bien n'avoir jamais songé.
Tantôt je crains de voir par la fourbe éventée
Ma famille en opprobre et misère jetée ;
Tantôt pour ce fils-là, qu'il me faut conserver,
Je crains cent accidents qui peuvent arriver.
S'il advient que dehors quelque affaire m'appelle,
J'appréhende au retour cette triste nouvelle :
"Las! vous ne savez pas? vous l'a-t-on annoncé ?
Votre fils a la fièvre, ou jambe, ou bras cassé."
Enfin, à tous moments, sur quoi que je m'arrête,
Cent sortes de chagrins me roulent par la tête."
Dépit amoureux, II, 5 (v. 653-668)

La fin du monologue est inspirée d'une réplique de Ricciardo à la fin de la scène IV, 2 de L'interesse, également mise à contribution pour les scènes III, 3 ("ô juste Ciel, je tremble") et III, 5 ("je lis dedans son âme") du Dépit amoureux (1).

Elle reprend également un célèbre passage des Adelphes de Térence, dont Michel de Marolles et Lemaître de Sacy avaient récemment publié des traductions (2).


(1)

Qual’è quel padre, per ubidiente ch’egli habbi il figliuolo, che s’egli stà alquanto più del ordinario fuori di casa la sera, non sta con l’animo sospeso, e che subito non pensi che gli siì qualche male accaduto, la qual sospettione tant più cresce, quanto più il figliuolo tarda a venire.
(L'interesse, IV, 2)

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(2)

Ego quia non rediit filius quae cogito, et
Quibus nunc sollicitor rebus ! ne aut ille alserit,
Aut uspiam ceciderit, aut perfregerit
Aliquid.
(Térence, Les Adelphes, I, 10-13)

Mais pour moi, à cause seulement que mon fils n'est pas de retour, que ne vient-il point en l'esprit ? De combien d'inquiétudes ne suis-je point agité, craignant, ou que le pauvre enfant n'ait froid, ou qu'il ne soit tombé quelque part, ou qu'il ne se soit rompu bras ou jambe.
(trad. de Michel Marolles dans Les Six comédies de Térence, en latin et en françois, de la traduction de M. de Marolles, abbé de Villeloin, Paris, P. Lamy, 1659)

Mais moi, à cause seulement que mon fils n'est pas revenu, que ne me vient-il point dans l'esprit ? En quelle peine et en quelle inquiétude me trouvai-je dans la crainte que j'ai qu'il n'ait eu froid, ou qu'il ne soit tombé quelque part, et qu'il ne se soit rompu quelque bras ou quelque jambe ?
(trad. d'Isaac Le Maître de Sacy dans Comédies de Térence traduites en français, avec le latin à côté et rendues très honnêtes en y changeant fort peu de chose [...] , Paris, Vve de M. Durand, 1647)




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