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J'ai conçu, pour vous, une estime incroyable


"J'ai monté, pour vous dire, et d'un cœur véritable,
Que j'ai conçu pour vous, une estime incroyable ;
Et que, depuis longtemps, cette estime m'a mis
Dans un ardent désir d'être de vos amis.
Oui, mon cœur, au mérite, aime à rendre justice,
Et je brûle qu'un nœud d'amitié nous unisse :
Je crois qu'un ami chaud, et de ma qualité,
N'est pas, assurément, pour être rejeté.
C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse.
- À moi, Monsieur ?
- À vous. Trouvez-vous qu'il vous blesse ?
- Non pas, mais la surprise est fort grande pour moi,
Et je n'attendais pas l'honneur que je reçois."
Le Misanthrope, I, 2, v. 253-264

Dans l'une des ses "homélies académiques" (1664), La Mothe le Vayer met en garde contre l'inflation en matière de louanges (1).

Dans son "problème sceptique" intitulé "Une louange médiocre est-elle à estimer ?", il envisage successivement deux réponses opposées, l'une négative, l'autre positive. La réponse positive est une attaque contre les "louanges hyperboliques" (2).

Plus haut, Alceste s'emportait contre "ces grands faiseurs de protestations". Il regrettera plus bas que l'"on loue aujourd'hui tout le monde".

Ce thème était déjà abordé dans La Critique de l'Ecole des femmes ("les louanges qui lui ont été données").


(1)

disons ingénuement la vérité, qui est-ce qui se contente aujourd'hui de louanges raisonnables, qui ne le peuvent être, si elles ne sont modérées ? Les veut-on recevoir si elles ne donnent bien avant dans la flatterie ? et cette flatterie même ne passe-t-elle pas bien souvent pour une injure, si elle n'est extrême ? [...] En effet l'on prend à présent une louange modeste pour quelque chose de pire qu'une injure, parce que cette dernière se reproche d'elle-même, comme partant d'une bouche ennemie [...] au lieu qu'une louange médiocre semble être d'un ami qui aurait honte d'en distribuer quelque autre plus relevée. [...]
Si est-ce qu'on peut soutenir [...] que comme il se débite des louanges qui sont à condamner dans leur excès, de même qu'il y a de l'encens qui pour être trop fort entête, l'on n'est pas d'ailleurs répréhensible si l'on en donne quelquefois à ceux qui les méritent le moins, lorsque la coutume, ou des occasions fort pressantes nous y obligent. [...] J'avoue pourtant que les louanges ne sauraient être trop balancées devant que de les adresser, et que l'honneur qu'elles portent doit être proportionné le plus qu'il se peut au mérite des personnes [...].
("Des louanges", Discours ou homilies académiques VI, dans Oeuvres, III, 2, 1756, p. 71-74)

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(2)

il n'y a rien de plus préjudiciable aux bonnes moeurs que ces louanges hyperboliques, qui partent de lieux communs, et qui se distribuent presque indifféremment à toutes sortes de personnes. [...] Mais quoi, si c'était un vice autrefois d'être excessif en louanges, c'est aujourd'hui pratique si ordinaire qu'on peut dire plus à propos encore qu'autrefois disait Labérius, Vitium fuit, nunc mos est adsentatio. Cette flatterie de propos obligeants est une glu, où les plus modestes se laissent assez souvent attraper.
(Problèmes sceptiques, 1666, éd. des Oeuvres de 1756, V, 1, p. 269-271)




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