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Il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit


"J'ai un certain valet nommé Mascarille, qui passe au sentiment de beaucoup de gens pour une manière de bel esprit, car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant"
Les Précieuses ridicules, sc. I

A partir des années 1650, il est devenu commun de se plaindre du discrédit dans lequel est tombée la qualité de bel esprit.

Madeleine de Scudéry le déplore :

J'ai pourtant à vous dire que la Seine, malgré vos avis, n'a pas laissé de nous envoyer ce matin un grand brouillard [...]. Priez-la aussi, je vous en conjure, s'il arrive qu'elle entende encore parler de moi dans les coches et dans les corbillards, comme si j'étais un bel esprit,

De faire entendre en son murmure,
Que bel esprit est une injure,
Et que j'aimerais mieux être carpe ou merlan,
Que d'être bel esprit seulement pour un an.

Tout de bon, c'est le plus fâcheux métier du monde; et si la Seine savoit combien c'est une chose importune, elle ne s'amuserait pas tant à gazouiller, de peur de devenir elle-même un bel esprit.
("Lettre de Mlle de Scudéry à Pellisson", 10 octobre 1656).

Vous ne savez guère ce que vous désirez, quand vous souhaitez d’être bel esprit; il n’y a rien de plus décrié dans le monde maintenant , et j’aimerais mieux être esclave que bel esprit. Ceux qui le sont avec raison le cachent, ceux qui n’ont pas de quoi soutenir cette qualité-là le sont si mal à propos qu’excepté ceux qui s’en moquent, personne ne veut de leur conversation […]il ne faudra seulement que nous faire savoir de quelle nature de bel esprit vous voulez être, car il y en a du premier ordre, il y en a de subalternes, il y en a de la cour, de la ville, de la campagne, et il y a même de beaux esprits du bas peuple.
(V, 2, p. 1168)

En 1671, le Père Bouhours déclarera encore, dans ses Entretiens d'Ariste et d'Eugène, que

la réputation de bel esprit est assez commune; il n'y a point de louange qu'on donne plus aisément dans le monde; il me semble même qu'il n'y a point de qualité qui coûte moins à acquérir; on en est quitte pour savoir l'art de faire agréablement un conte, ou de bien tourner un vers; une folie dite de bonne grâce, un madrigal, un couplet de chanson est assez souvent le mérite par lequel on s'érige en bel esprit; et vous m'avouerez que ce n'est guère que de ces diseurs et de ces faiseurs de jolies choses dont on a coutume de dire " Il est bel esprit".
("Le Bel esprit", p. 191).

On comprend, par conséquent, que, pour les contemporains de Molière, selon une formule de La Précieuse (1656-1658),

il y a grand plaisir à entendre railler les beaux esprits
(éd. Magne, Paris, Droz, 1938, t. I, p. 61)




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