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Il n'en a plus que faire


"Ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passé durant sa vie d'une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire."
Don Juan ou le Festin de pierre, III, 5

La vanité des monuments funéraires est condamnée par La Mothe le Vayer

L'indifférence à l'égard de la sépulture est une opinion formulée par Sénèque dans


(1)

Pour ce qui touche ce superbe Tombeau, dont vous me faites une belle description, ç'a été l'opinion des Egyptiens, que nos demeures ordinaires n'étaient que des hôtelleries, où l'on ne faisait que passer ; c'est pourquoi ils négligeaient d'y faire beaucoup de dépense. Mais à l'égard des Sépulcres, vous savez quelles ont été leurs Pyramides, élevées pour loger des Momies, et le même Diodore Sicilien, dont je viens de vous parler, nous apprend, qu'ils nommaient les Tombeaux αιδιους οιχους, des maisons éternelles. Mon opinion est, que vous ne m'avez ni proposé cette matière, ni recherché là-dessus mon sentiment, qu'à cause qu'elle est une de celles, dont la Sceptique se prévaut le mieux, comme l'on peut voir dans Sextus au vingt-quatrième chapitre du 3. livre de ses hypothèses Pyrrhoniennes.
(éd. des Oeuvres de 1756, VI, 1, p. 204-205)

Sénèque soutient qu'une belle âme ne se soucie non plus de son corps, quand elle le quitte, que nous nous embarrassons peu de ce que deviennent les rognures de notre barbe, ou de nos cheveux, après qu'on nous a fait le poil. Que la terre ou le feu, les loups ou les oiseaux se rendent les maître de l'habitation qu'elle laisse, [en marge : De rem. fort.] non magis ad se judicat pertinere, quam secundas ad editum infantem. Une Tombe, dit-il ailleurs, ne fait que charger ce qui a du sentiment, et elle est inutile à ce qui n'en a plus. Si vous n'êtes couvert de la Terre, vous le serez du Ciel. Epicure et Diogène ont été de la même opinion, sepelit natura relictos : et quand le dernier pria, qu'on laissât son bâton auprès de lui pour défendre son cadavre des bêtes, il montra bien par cette raillerie le mépris qu'il faisait de la sépulture. Pour remonter jusqu'au Père commun de tous ceux, dont nous parlons, je ne trouve rien de plus digne de Socrate dans toute sa vie, que le reproche qu'il fit à Criton un peu avant la fin, d'avoir perdu son temps, et sa peine à l'instruire, puisqu'il lui faisait encore cette impertinente demande : Où il voulait être mis après sa mort ; sans se soucier de ce qu'il lui avait répété tant de fois, que nous partions tout entiers de ce monde, n'y laissant rien, qui nous fût propre.
(ibid., p. 220-221)

(2)

Comme il s'est trouvé des personnes qui ont mis à un si haut point l'honneur des Sépulcres, qu'ils ont osé prendre le Ciel à partie s'il n'était pas déféré à ceux, qui le méritaient :
Marmoreo Licinu tumulo jacet, at Cato parvo,
Pompeius nullo ; credimus esse Deos ?

Il y en eut d'autres aussi, qui s'en sont absolument moqués, et sans parler des Philosophes, l'on a vu des Nations entières, qui ont fait gloire d'exposer leurs cadavres tantôt aux animaux féroces des bois, tantôt aux oiseaux carnassiers, ou même aux poissons, si ces Nations étaient Ichthyophages, comme pour rendre à leur tour la nourriture à ceux, qui les avaient alimentés, et faire, que leurs corps privés de vie ne fussent pas absolument inutiles
(éd. des Oeuvres de 1756, VII, 2, p. 109)

En effet, il n'y a point de fin aux dépenses des tombeaux et des pompes funèbres, quand l'on est une fois persuadé que cela donne de la satisfaction à ceux, dont la mémoire nous est chère. Les Mausolées, les Pyramides, les Sphinx même, et les Obélisques, puisque Bélon prend leurs entaillements [sic.] pour des marques du sépulcre de quelque Rois d'Egypte, ne contentent jamais la vaine passion de ceux, qui en sont touchés.
(ibid., p. 111-112)

(3)

Cum se in hanc sublimitatem tulit, corporis quoque ut oneris necessarii non amator sed procurator est, nec se illi cui inpositus est subicit. Nemo liber est qui corpori servit; nam ut alios dominos quos nimia pro illo sollicitudo invenit transeas, ipsius morosum imperium delicatumque est. Ab hoc modo aequo animo exit, modo magno prosilit, nec quis deinde relicti eius futurus sit exitus quaerit; sed ut ex barba capilloque tonsa neglegimus, ita ille divinus animus egressurus hominem, quo receptaculum suum conferatur, ignis illud ~excludat~ an terra contegat an ferae distrahant, non magis ad se iudicat pertinere quam secundas ad editum infantem. Utrum proiectum aves differant an consumatur

canibus data praeda marinis,

quid ad illum qui nullus ? Sed tunc quoque cum inter homines est, timet ullas post mortem minas eorum quibus usque ad mortem timeri parum est. 'Non conterret' inquit 'me nec uncus nec proiecti ad contumeliam cadaveris laceratio foeda visuris. Neminem de supremo officio rogo, nulli reliquias meas commendo. Ne quis insepultus esset rerum natura prospexit: quem saevitia proiecerit dies condet.' Diserte Maecenas ait,

nec tumulum curo: sepelit natura relictos.

Alte cinctum putes dixisse; habuit enim ingenium et grande et virile, nisi illud secunda discinxissent

Quand l’esprit se sera élevé si haut, il ne considèrera plus son corps comme l’objet de ses tendresses, mais comme un fardeau nécessaire dont il doit avoir quelque soin, et ne s’assujettira pas à cette masse à laquelle il doit commander. Quiconque obéit à son corps ne peut être estimé libre. Car pour ne point parler des autres maîtres, dont le trop grand soin que nous avons de notre corps nous a déjà rendus les esclaves, son empire est trop fâcheux et trop effeminé. Quelquefois l’âme s’en retire doucement, et quelquefois par un effort de son courage ; et ne se met pas en peine de ce que deviendront ses dépouilles. Comme nous ne nous soucions plus du poil qu’on nous a coupé, ainsi quand l’âme qui est divine veut enfin sortir de l’homme, qu’on jette son corps au feu, que les bêtes le déchirent, ou qu’on le mette dans la terre, elle n’estime pas s’en devoir plus soucier que l’enfant qui vient de naître, des peaux où il était enveloppé dans le ventre de sa mère. En effet soit qu’un corps soit impitoyablement abandonné aux corbeaux,
Ou qu’on le donne en proie aux monstres de la mer
Tout cela ne regarde point l’esprit. Si même quand il était parmi les hommes il n’a pas appréhendé leurs menaces, les redouterait-il après la mort ? Non, non, dit-il, je ne suis point épouvanté ni par l’appareil des bourreaux, ni par le déchirement du corps abandonné aux opprobres ; Toutes ces choses ne paraîtront horribles qu’à ceux qui en seront les témoins. Je ne prie point mes amis de me rendre les derniers devoirs, je ne leur recommande point mon corps, la Nature a donné ordre, que personne ne demeurât sans sépulture. Le temps enterre les hommes que l’inhumanité des Tyrans a fait jeter dans les campagnes ; Et Mecenas disait fort bien,
Il n’importe pas à mon corps
Qu’on lui donne une sépulture ;
La Nature enterre les morts
Qu’on a laissés à l’aventure.
Vous croyez sans doute, que celui qui a prononcé cette parole, était un homme généreux. :En effet il avait l’esprit grand et digne d’un homme, s’il ne l’eût point énervé lui-même, et qu’il ne se fût point laissé corrompre par les flatteries de la fortune.
(Sénèque, Epître XCII, dans Les Œuvres de Sénèque […] continuées par Pierre Du Ryer, t. I, Paris, Sommaville, 1659, p. 576-577)

(4)

Insepultus jacebis. Quid aliud respondeam, quam illud Maronis ?

...Facilis jactura sepulcri.

Si nihil sentio, non pertinet ad me jactura corporis insepulti. Si sentio, omnis sepultura tormentum est. Insepultus jacebis.

...Caelo tegitur, iiui non habet urnam.

Quid interest, ignis me an fera consumat, an tellus omnium sepultura ? Istud non sentienti supervacuum est, sentienti onus. Insepultus jacebis. At tu combustus, at tu obrutus, at tu inclusus, at tu putridus, at tu evisceratus et constrictus, ac traditus lapidi, qui te paulatim edat et exsiccet. Nulla est sepultura ; non sepelimur, sed projicimur. Non sepelieris. Quid inter tutissima trepidas ? Ultra poenarum omnium terminum iste locus est. Vitae multa debemus, morti nihil. Non defunctorum causa, sed vivorum, inventa est sepultura, ut corpora et visu et odore foeda amoverentur ; alios terra obruit, alios flamma consumpsit, alios lapis ossa redditurus inclusit. Non defunctis, sed nostris oculis parcimus.
(éd. des Oeuvres de 1829, p. 443)




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