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Il me semble


"Vous ne devez pas dire "Je suis venu"; mais "Il me semble que je suis venu."[...] Je n'en sais rien.[...]Il se peut faire.[...]Il n'est pas impossible. [...]L'un, ou l'autre.[...]Selon la rencontre.[...]Par aventure.[...] Cela peut être.[...] Il se pourrait. [...]La chose est faisable. [...]Il n'y a pas d'impossibilité. [...]Je ne sais. [...] Il en sera ce qui pourra."
Le Mariage forcé, sc. V

L'usage que fait Marphurius d'expressions prenant en compte l'incertitude correspond à ce que recommande Sextus Empiricus dans ses Hypotyposes pyrrhioniennes (1)

La consultation d'un philosophe pyrrhonien avait été entreprise par Panurge au chapitre XXXV du Tiers Livre de Rabelais (2)


(1)

Chap. XVIII. Des expressions des sceptiques

Dans l'usage que nous faisons de nos moyens d'époque, nous employons de certains termes et de certaines expressions, qui marquent tellement les dispositions ou les affections, où se trouve le philosophe sceptique, ou, pour ainsi dire, son état passif.
(traduction française de 1725, p. 91)

Chap. XIX. De cette expression, pas plus.

[...] Lorsque nous disons pas plus, cela veut dire pas plus ceci que cela. Il y a aussi des sceptiques qui, au lieu de dire, pas plus ceci que cela disent pourquoi plutôt ceci que cela, ce qui revient au même sens.
(p. 92)

Chap. XXI. De ce que nous entendons par ces termes, peut-être, cela est permis, cela se peut faire, etc.

Quand nous nous servons de ces termes, peut-être que oui, peut-être que non, cela est permis, cela n'est pas permis, cela se peut faire, cela ne se peut faire, ces expressions veulent dire selon nous : peut-être cela est-il, peut-être cela n'est-il pas, rien n'empêche que cela ne soit, rien n'empêche que cela ne soit pas (licet esse et licet non esse) [...] Il est évident, ce me semble, que ces expressions sont des marques d'aphasie, c'est-à-dire de cette disposition qui nous empêche de prononcer dogmatiquement sur des choses douteuses.
(p. 95-96)

Chap. XXIII. De cette expression, je ne détermine rien (nihil definio).
(p. 97)

Chap. XXIV. De cette expression, toutes choses sont indéterminables, c'est-à-dire, on ne peut juger déterminément de rien.
(p. 97)

(2)

Or ça de par Dieu me dois-je marier ? TROUILLOGAN. Il y a de l'apparence. PANURGE. Et si je ne me marie point ? TR. Je n'y voy inconvenient aucun. PA. Vous n'y en voyez point ? TR. Nul, ou la vûë me deçoit. PA. J'y en trouve plus de cinq cens. TR. Comptez les. PA. Je dis improprement parlant : & prenant nombre certain, pour incertain : déterminé, pour indéterminé : c'est-à-dire, beaucoup. TR. J'écoute. PA. Je ne me peux passer de femme, de par tous les diables. TR. Otez ces vilaines bêtes. PA. De par Dieu soit, car mes Salmigondinois disent, coucher seul, ou sans femme, être vie brutalle, & telle la disoit Dido en ses lamentations. TR. A vôtre commandement. PA. Pe le quau Dé j'en suis bien. Donques me marieray-je ? TR. Par avanture. PA. M'en trouveray-je bien ? TR. Selon la rencontre. PA. Aussi si je rencontre bien, comme j'espere, seray-je heureux ? TR. Assez. PA. Tournons à contre poil. Et si je rencontre mal ? TR. Je m'en excuse. PA. Mais conseillez-moy de grace : que dois-je faire ? TR. Ce que voudrez. PA. Tarabin tarabas. TR. N'invoquez rien, je vous prie. PA. Au nom de Dieu soit. Je ne veux sinon ce que me conseillez. Que m'en conseillez-vous? TR. Rien. PA. Me dois-je marier ? TR. Je n'y étois pas. PA. Je ne me marieray donc point ? TR. Je n'en peux mais. PA. Si je ne suis marié, ne seray-je jamais coquu ? TR. J'y pensois. PA. Mettons le cas, que je sois marié. TR. Je suis d'ailleurs empêché. PA. Merde en mon nez, Dea si j'osasse jurer quelque petit coup en robbe, cela me soulageroit d'autant. Or bien, Patience, Et donques, si je suis marié, je seray coquu ? TR. On le disoit. PA. Si ma femme est prude & chaste, ne serai-je jamais coquu ? TR. Vous me semblez parler correct. PA. Ecoutez. TR. Tant que voudrez. PA. Sera-elle prude & chaste ? reste seulement ce point. TR. J'en doute. PA. Vous ne la vîtes iamais. TR. Que ie sache. PA. Pourquoi donques doutez-vous d'une chose que ne connoissez ? TR. Pour cause. PA. Et si la connoissez ? TR. Encores plus. PA. Page mon mignon, tien ici mon bonnet, je te le donne sauve les lunettes, & va en la basse cour jurer, une petite demie heure pour moy. Je jureray pour toy, quand tu voudras. Mais qui me fera coquu ? TR. Quelqu'un. PA. Par le ventre beuf de bois ie vous frotteray bien, Monsieur le quelqu'un. TR. Vous le dites. PA. Le diantre celuy qui n'a point de blanc en l'oeil m'emporte donques ensemble, si je ne boucle ma femme à la Bergamasque, quand je partiray hors de mon serrail. TR. Discourez mieux. PA. C'est bien chien chié chanté, pour les discours. Faisons quelque résolution. TR. Je n'y contredy. PA. Attendez. Puisque de cettuy endroict ne peus sang de vous tirer, je vous saignerai d'autre veine. Etes-vous marié ou non ? TR. Ne l'un ne l'autre, & tous les deux ensemble. PA. Dieu nous soit en ayde. Je suë par la mort boeuf d'ahan : & sens ma digestion interrompuë. Toutes mes phrenes, metaphrenes, & diaphragmes sont suspendus & tendus pour incornifistibuler en la gibbessière de mon entendement, ce que dites & répondez. TR. Je ne m'en empêche. P. Trut avant, nôtre feal êtes-vous marié ? TR. Il me l'est avis. PA. Vous l'aviez été une autre fois ? TR. Possible est. PA. Vous en trouvâtes-vous bien la première fois ? TR. Il n'est pas impossible. PA. A cette seconde fois comment vous en trouvez-vous? TR. Comme porte mon sort fatal. PA. Mais quoy à bon éciant, vous en trouvez-vous bien? TR. Il est vray semblable. PA. Or ça de par Dieu. J'aymerois par le fardeau de Saint Christofle autant entreprendre tirer un pet d'un ane mort, que de vous une resolution. Si vous auray-je à ce coup. Nôtre feal, faisons honte au diable d'enfer, confessons verité. Fustes vous iamais coquu ? Je dy vous qui êtes ici : ie ne dy pas vous qui êtes là-bas au jeu de paume. TR. Non, s'il n'étoit predestiné. PA. Par la chair, je renie, je renonce. Il m'échappe.

(Les Oeuvres de M. François Rabelais, Bruxelles, 1659, p. 431-434)
(éd. originale, p. 252-256)




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