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Heureux petit moineau


"Et qui des rois, hélas, heureux petit moineau,
Ne voudrait être en votre place?"
Mélicerte, I, 4 (v. 239-240)

Le jeune héros amoureux de l'"Histoire de Sésostris et Timarète", narrée dans la VIe partie du Grand Cyrus (1649-1653) des Scudéry, tire un parallèle entre sa situation amoureuse et celle des oiseaux de sa bien-aimée, auxquels le philosophe Pythagore a rendu leur liberté (1).

L'évocation de la femme aimée au travers des faveurs qu'elle accorde aux moineaux est un lieu commun de la poésie amoureuse mondaine, qui trouve son origine chez Catulle.


(1)

Sésostris, entretenant donc Timarète après la perte de ses oiseaux, l'assurait, pour la consoler, que du moins lui promettait-il que Pythagore, tout pitoyable qu'il était, ne le pourrait pas mettre en liberté, comme il les y avait mis. Mais Timarète lui répliqua que, pour elle, elle n'en répondait pas :
– Et en effet, ajouta-t-elle, je trouve qu'il est plus juste de délivrer des hommes que des oiseaux.
– Mais, lui dit Sésostris, il y a une notable différence à faire en cette occasion ; car ceux qu'il a délivrés ont été ravis de l'être ; et je serais au désespoir si on voulait rompre mes chaînes. Ainsi comme il n'a dessein que de faire du bien à tout ce qui respire en toute la nature, quand il saurait que je serais votre captif, il ne me délivrerait pas. Mais pour vous, belle Timarète, ajouta Sésostris, que n'apprenez vous, par l'exemple de ce grand homme, à devenir pitoyable ?
– Est-ce que vous voulez que je vous mette en liberté, reprit elle, comme il y a mis mes oiseaux ?
– Nullement, répliqua-t- il, mais je voudrais que vous me rendissiez heureux dans ma prison.
– Et que faudrait-il faire pour cela ? repartit Timarète.
– Il faudrait, répondit-il, que votre belle main prît la peine de serrer encore plus étroitement les liens qui m'attachent à vous ; il faudrait charmer mes souffrances par mille faveurs innocentes ; il faudrait avoir plus de joie de voir augmenter mon amour, que toute l'Egypte n'en a lorsqu'elle voit croître le Nil ; et si je l'ose dire sans vous fâcher, il faudrait pour me rendre heureux dans ma captivité, que vous m'aidassiez à porter une partie de mes chaînes.
– Ah Sésostris, s'écria-t-elle en riant, vous voulez que je sois pitoyable, et vous avez l'inhumanité de me vouloir enchaîner ! non non, ajouta-t-elle, cela ne serait pas juste : c'est pourquoi tout ce que je puis pour vous est de vous dire qu'il ne tiendra pas à moi que vous ne soyez libre.
– Vous ne m'aimez donc point du tout ? répliqua-t-il en la regardant fixement.
– Je ne vois pas, reprit elle, que vous ayez raison de tirer cette conséquence de ce que je dis : car quel plus grand bien peut on faire, que de mettre un prisonnier en liberté ?
– Vous n'y auriez pourtant jamais mis ces aimables oiseaux dont le chant vous divertissait ? reprit Sésostris.
– Je l'avoue, dit elle, car leur prison me donnait plus de plaisir que leur liberté ne m'en donne.
– Et pourquoi, répliqua Sésostris, ma captivité ne vous plaît-elle pas, puisque je ne porte des chaînes que pour être éternellement esclave de votre beauté ?"
(p. 3879-3880)




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