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Encore vingt ou trente ans de cette vie-ci


"Sganarelle, il faut songer à s'amender pourtant. - Oui-da. - Oui, ma foi, il faut s'amender, encore vingt ou trente ans de cette vie-ci, et puis nous songerons à nous."
Don Juan ou le Festin de pierre, IV, 7

La nécessité de s'amender sans délai est un lieu commun de sermons qui trouve son origine dans un passage du livre biblique de l'Ecclésiastique :

Ne tarde pas à revenir au Seigneur et ne remets pas jour après jour, car soudain éclate la colère du Seigneur et au jour du châtiment tu serais anéanti.
(5, 7)

On le retrouve entre autres dans


(1)

CX
N’attendre pas la mort pour faire pénitence
Si tu veux de ton juge éprouver la clémence,
Et vaincre dans ton coeur ces amours criminels
Qui te font mériter des tourments éternels,
N'attends pas à la mort à faire Pénitence.
Pour être des élus de ce Grand Souverain
Il faut toujours veiller ; et la lampe à la main
Luire par nos vertus, et nos saintes pensées :
C'est bien tard implorer le secours du Très-haut,
Lors que réduits au sort des vierges insensées,
Notre lampe s'éteint, et notre huile défaut.
(p. 58)

(2)

il n'est plus question de délibérer, mes Frères, il faut agir : il faut, par une salutaire violence, vous tirer, ou plutôt vous arracher de cette triste servitude ; et je viens aujourd'hui vous dire ce que l'ange dit à saint Pierre dans la prison : "Surge velociter ; Levez-vous et ne tardez pas". Je sais quelle illusion vous séduit, et par quels prétextes la passion vous trompe et vous joue. Pour calmer les remords intérieurs de votre âme, vous ne renoncez pas absolument à la pénitence, mais vous la différez ; vous ne dites pas : Je ne me convertirai jamais ; ce désespoir fait horreur ; mais vous dites : Je ne me convertirai pas encore si tôt ; et moi je veux vous faire voir les suites malheureuses de ce retardement, et l'affreux danger où il vous expose.
[...]
Que fait donc le pécheur qui diffère, et qui ne se détermine jamais à prendre pour sa conversion ce jour si important ; qui, dans l'indispensable nécessité, où il est de réformer sa vie, se repose toujours sur le lendemain ; qui voulant, en quelque sorte, composer avec Dieu, par le partage le plus injuste, donne toujours à Dieu le temps à venir, et use du présent pour soi, c'est-à-dire donne toujours à Dieu ce qu'il n'a pas et ce qu'il ne peut lui donner, et ne lui donne jamais ce qu'il a et le temps dont il pourrait disposer pour lui en faire un sacrifice agréable ; qui dans l'intérieur de son âme, semble ainsi s'expliquer à lui : "Seigneur, ne me demandez pas encore cette année, dont je veux jouir tranquillement ; et je vous en promets d'autres, auxquelles je ne sais si je parviendrai jamais". Que fait-il, encore une fois, ce pécheur ? Il raisonne, répond saint Grégoire de Nazianze, et il parle en insensé, puisque, outre l'injustice qu'il commet envers Dieu, il trahit ses propres intérêts et se contredit lui-même. Comment cela ? Parce qu'il ne veut jamais se convertir dans le temps où il peut toujours, qui est l'heure présente ; et qu'il le veut toujours pour le temps où il ne peut jamais, qui est le lendemain. Car le lendemain, selon l'ingénieuse remarque de saint Augustin, dont je vous ai déjà fait part, ne doit ni ne peut être le temps de sa conversion.
[...]
Il n'y a rien de certain, mes Frères, dans le futur, que son incertitude même. Il n'y a rien de certain, sinon que nous y serons surpris ; car, le Sauveur du monde nous l'a dit en ces termes formels : "Qua hora non putatis ?" Après une parole si positive, mais si terrible, ajouterais-je encore au désordre de mon péché le désordre de la plus criminelle et de la plus insensée témérité, remettant toujours ma conversion, demandant toujours trêve jusqu'au jour suivant : Inducias usque mane ? Et pourquoi cette trêve qui ne peut être, si je l'obtiens, qu'une continuation affectée de mon iniquité, et si je ne l'obtiens pas, que la cause de mon impénitence finale ?
[...]
Ah ! mes chers Auditeurs, voilà le grand scandale du christianisme. Si nous sommes attaqués d'une maladie, nous étudions tous les temps, nous les observons avec exactitude, nous ne remettons point à demain ce qui se peut faire aujourd'hui, et tout notre soin est de bien profiter, dans le cours du mal, de certains moments critiques et décisifs : ainsi en usons-nous pour le salut du corps. Mais s'agit-il de notre âme frappée de la maladie la plus mortelle, qui est le péché, et infectée de la contagion d'une habitude vicieuse dont il faut la guérir ? nous vivons tranquilles et sans inquiétude : "J'y mettrai ordre, disons-nous, mais rien ne me presse ; je ne suis pas encore en état, et je trouverai toujours le temps d'y penser". Vous le trouverez, Chrétiens ; mais qui vous l'a dit ? Je veux qu'il vous reste encore des années, et même plusieurs années de vie : qui sait si dans ces années qui vous restent, il y aura pour vous un jour de salut ?
[...]
Enfin, mes Frères, nous voulons nous convertir quand nous ne pourrons plus nous en défendre, quand le glaive de Dieu nous poursuivra, quand une violente maladie nous aura conduits aux portes de la mort, quand, par le nombre des années, nous ne serons plus maîtres de réparer le passé et de travailler au présent, quand la faiblesse de la nature servira de prétexte à nos lâchetés et de voile à notre impénitence, quand nous n'aurons plus rien à offrir à Dieu, et que nous serons presquedans une impuissance absolue de faire quelque chose pour lui ; car ne sont-ce pas là les projets de la prudence humaine ? Et sans rien dire ici des risques terribles que nous courons par là, n'ayons égard qu'au seul intérêt de Dieu et au mépris que nous faisons de sa grâce : en vérité, mes chers Auditeurs, ,ces projets de conversion conviennent-ils à une créature qui n'a pas tout à fait perdu l'idée de Dieu ? est-ce traiter Dieu en Dieu ? se contentera-t-il que nous lui donnions les restes du monde ? qu'après nous être lassés dans la voie du libertinage opiniâtre, nous venions à lui présenter un cœur infecté de vices et de passions, un corps usé de débauches, un esprit corrompu de fausses maximes ?
(éd. de 1707, p. 242sq)

(3)

Une lumière soudaine et pénétrante brille aux yeux de Madeleine ; une flamme toute pure et toute céleste commence à s'allumer dans son cœur; une voix s'élève au fond de son âme, qui l'appelle par plusieurs cris redoublés aux larmes, aux regrets, à la pénitence. Elle est troublée et inquiète : sa vie passée lui déplaît, mais elle a peine à changer si tôt. Sa jeunesse vigoureuse lui demande encore quelques années. Ses anciens attachements lui reviennent et semblent se plaindre en secret d'une rupture si prompte ; son entreprise l'étonné elle-même; enfin toute la nature conclut à remettre et à prendre un peu de temps pour se résoudre. Tel est, Messieurs, l'état du pécheur, lorsque Dieu l'invite à se convertir : il trouve toujours de nouveaux prétextes, afin de retarder l'œuvre de la grâce.
(p. 467)

(4)

Aurai-je la consolation qu’eut le divin Précurseur, lorsqu’il voyait ses auditeurs, touché des grandes vérités qu’il leur annonçait, réfrormer leur vie et retourner à Dieu par une sincère conversion ? On a toujours des prétextes pour s’en dispenser. Les uns disent : « il est encore trop tôt » ; et les autres disent « Il est désormais trop tard ». Les premiers nous montrent qu’ils sont jeunes et que rien ne presse ; que la pénitence aura son temps, mais qu’il n’est pas encore venu, et qu’il serait bien fâcheux de se priver des douceurs d’un si bel âge, et de renoncer si vite aux plaisirs du monde.
[…]
En effet, de sortir de l’état du péché, et d’en sortir sans retardement, de prendre une de ces fortes résolutions que prit un saint Paul, que prit une Madeleine, qu'ont pris tant d'autres pénitents, lorsque tout à coup, inspirés de Dieu, ils ont suivi l'inspiration divine qui les transportait, qu'ils ont brisé leurs fers, et triomphé, comme dit l'Apôtre, de la chair et du sang : Continuo non acquievi carni et sanguini [Galat. I) ; c'est un parti qui étonne un cœur corrompu et sensuel. Il n'est pas en disposition de commencer de si bonne heure à s'interdire des plaisirs qui le charment, et à étouffer de flatteuses inclinations qui le dominent. Cependant, de vouloir conserver son péché jusqu'à la fin, de le vouloir emporter au tombeau, de ne se point mettre en peine des jugements de Dieu; c'est d'ailleurs un parti qui alarme la conscience, dès qu'elle n'est pas encore tout à fait endurcie, et l'on n'en vient pas aisément à un tel excès. Que faire donc pour demeurer dans le péché, et pour se mettre au même temps à couvert, ce semble, des châtiments de Dieu ? C'est de se promettre qu'on fera pénitence dans un âge plus avancé; car alors, par la plus bizarre contradiction, l'on fait servir la pénitence de l'avenir à nous confirmer dans le péché présent. D'une part, on se tranquillise sur le salut, parce qu'on compte que le péché ne durera pas toujours ; d'autre part, on goûte en repos les douceurs du péché, parce qu'on compte que la pénitence ne viendra pas si tôt.
(Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés publiés par l'abbé Migne, 1844-1866, t. XIII, p. 132-134)

Concluons, mes frères, par l'avis important que vous donne le Sage, et comprenons-en bien les conséquences : Non tardes converti ad Dominum (Eccl. XV). Quelque jeune que vous soyez, ne différez point votre conversion, et n'appuyez point votre espérance sur un avenir si incertain : Non tardes. Ne remettez point d'une année à une autre année, que dis-je? ne remettez pas même d'un mois à un autre mois, pas même d'une semaine à une autre semaine, pas même d'un jour à un autre jour : Et ne differas de die in diem (ibid.). Il la faut faire cette pénitence que je vous demande, ou plutôt que Dieu vous demande; mais il la faut faire dès aujourd'hui, dès maintenant : Non tardes. Il la faut faire comme David, lorsque tout à coup il s'écria : "J'ai péché contre le Seigneur". Il la faut faire comme Madeleine, lorsque tout à coup elle fendit la presse pour aller pleurer aux pieds de Jésus-Christ, il la faut faire comme saint Paul, lorsque tout à coup il répondit à Dieu : "Seigneur, que voulez-vous que je fasse" : Non tardes converti ad Dominum, et ne differas de die in diem. Si cette résolution vous étonne, pensez à quel péril vous expose un plus long délai : Subito enim veniet ira illius (ibid.).Car bientôt peut-être le bras de Dieu s'appesantira sur vous ; bientôt peut-être sa colère éclatera. contre vous. Comment ? En vous frappant du coup mortel, et vous enlevant au milieu même de votre course. Comment? En vous livrant à vous-même et à vos désirs les plus déréglés. Comment? En vous laissant endurcir dans vos habitudes criminelles, et vieillir dans vos passions honteuses. Comment? En vous abandonnant aux illusions d'une volonté trompeuse et chimérique, qui délibère toujours, qui promet toujours, qui forme toujours de spécieux desseins, mais qui jamais n'exécute rien. De là, quelle suite : Et in tempore vindictœ disperdet te (ibid.). Ah mon cher frère, quel trouble ! quel désespoir ! quand vous vous trouverez dans les mains de Dieu, et qu'à ce jour de la vengeance, il lancera sur vous ses anathèmes.
(ibid., p. 139)

(5)

Outre tout cela, ne considérez-vous point encore que vous choisissez mal votre temps que de réserver celui de votre vieillesse pour la pénitence, ayant laissé passer inutiliement la fleur de votre jeunesse ? […] Cette faute est si grande que saint Grégoire la tient pour une insigne infidélité, comme il témoigne par ces paroles : « Celui, dit-i, qui attend le temps de sa vieillesse pour faire pénitence est bien éloigné de la fidélité qu’il doit à Dieu ; et il a grand sujet de tomber entre les mains de la justice pour avoir trop indiscrètement présumé de sa miséricorde.
(trad. G. Girard, 1664, p. 411)

Il est aisé de juger par là que le sauveur savait tous les desseins des méchants et les détours qu’ils cherchent pour punir leurs crimes. C’est pour cela qu’il va au devant, leur remontrant ce qui leur en arrivera et quelle sera l’issue de leur vaine confiance. Que faisons-nous autre chose que cela, et que dis-je, sinon ce que le Sauveur a lui-même dit ? Vous êtes ce mauvais serviteur qui faites dans votre cœur tous ces projets, prétendant de tirer avantage de la longueur du temps pour boire, pour manger et pour persévérer dans vos crimes. Est-il possible que vous ne vouliez point vous laisser toucher aux menaces rigoureuses qui vous sont faites par celui qui a autant de pouvoir de les exécuter, comme de les dire ? Il parle à vous, il traite de votre affaire, c’est à vous-même qu’il adresse sa voix, réveillez-vous, malheureux, relevez-vous de bonne heure, afin que vous ne soyez pas mis en pièces à l’heure de cet épouvantable jugement.
(p. 433)

(6)

Tu dis qu'il n'est pas temps mondain que tu t'amendes
Mais Dieu hait le pécheur qui au péché croupit;
Sa clémence paraît aux offenses plus grandes,
En vain l'attend celui qui forfait par dépit.
(II, 21)




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