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Du savoir sans vouloir qu'on le sache


"Mon cœur n'a jamais pu, tant il est né sincère,
Même dans votre sœur flatter leur caractère,
Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.
Je consens qu'une femme ait des clartés de tout,
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante afin d'être savante;
Et j'aime que souvent aux questions qu'on fait,
Elle sache ignorer les choses qu'elle sait;
De son étude enfin je veux qu'elle se cache,
Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos."
Les Femmes savantes, I, 3, v. 213-224

Le comportement que préconise Cléante avait été vanté ou décrit à plusieurs reprises dans les romans de Madeleine et Georges de Scudéry :

Les mêmes idées étaient formulées au livre II, 8 de Tarsis et Zélie (1665) de Le Vayer de Boutigny (3), ainsi que dans le Roman bourgeois (1666) de Furetière (4) et dans la nouvelle de L'Amour échappé (1669) de Donneau de Visé (5).

Précédemment cette conception avait été développée dans une lettre du Nouveau Recueil de lettres des dames de ce temps (1635) de Du Bosc.


(1)

Ce qu’il y a d’admirable, c’est que cette personne qui sait tant de choses différentes les sait sans faire la savante, sans en avoir aucun orgueil et sans mépriser celles qui ne les savent pas. En effet, sa conversation est si naturelle, si aisée et si galante qu’on ne lui entend jamais dire en une conversation générale que des choses qu’on peut croire qu’une personne de grand esprit pourrait dire sans avoir appris tout ce qu’elle sait.
(p. 6906)

Je veux donc bien qu’on puisse dire d’une personne de mon sexe qu’elle sait cent choses dont elle ne se vante pas, qu’elle a l’esprit fort éclairé, qu’elle connaît finement les beaux ouvrages, qu’elle parle bien, qu’elle écrit juste et qu’elle sait le monde, mais je ne veux pas qu’on puisse dire d’elle : « c’est une femme savante », car ces deux caractères sont si différents qu’ils ne se ressemblent point. Ce n’est pas que celle qu’on n’appellera point savante ne puisse savoir autant et plus de choses que celle à qui on donnera ce terrible nom, mais c’est qu’elle se sait mieux servir de son esprit et qu’elle sait cacher adroitement ce que l’autre montre mal à propos.
(p. 6973)

A ce que je vois, dit alors Phylire, il y a donc des choses ou qu'il ne faut pas savoir, ou qu'il ne faut pas montrer quand on les sait : il est constamment vrai, répliqua Sapho, qu'il y a certaines sciences que les femmes ne doivent jamais apprendre : et qu'il y en a d'autres qu'elles peuvent savoir, mais qu'elles ne doivent pourtant jamais avouer qu'elles sachent, quoiqu'elles puissent souffrir qu'on le devine. – Mais à quoi leur sert de savoir ce qu'elles n'oseraient montrer ? reprit Phylire. - Il leur sert, répliqua Sapho, à entendre ce que de plus savants qu'elles disent, et à en parler même à propos, sans en parler pourtant comme les livres en parlent, mais seulement comme si le simple sens naturel, leur faisait comprendre les choses dont il s'agit. Joint qu'il y a mille agréables connaissances, dont il n'est pas nécessaire de faire un si grand secret : en effet on peut savoir quelques langues étrangères, on peut avouer qu'on a lu Homère, Hésiode, et les excellents ouvrages de l'illustre Aristhée, sans faire trop la savante ; on peut même en dire son avis d'une manière si modeste, et si peu affirmative, que sans choquer la bienséance de son sexe, on ne laisse pas de faire voir qu'on a de l'esprit, de la connaissance, et du jugement.
(p. 6974)

Je pense Madame, que vous vous souvenez bien que je vous ai dit qu'encore que Sapho sache presque tout ce qu’on peut savoir, elle ne fait pourtant point la savante et que sa conversation est naturelle, galante, et commode.
(p. 6922)

Je ne pense pas qu'il y ait jamais eu une personne dont la conversation ait été plus charmante que la sienne ; car enfin elle agit de sorte qu'elle dit toujours précisément tout ce qu'il faut dire pour divertir ceux qu'elle entretient. Elle parle également bien de toutes choses et demeure pourtant si admirablement dans les justes bornes que la coutume et la bienséance prescrivent aux Dames pour ne paraître point trop savantes que l'on dirait à l'entendre parler des choses les plus relevées, que ce n'est que par le simple sens commun qu'elle en a quelque connaissance.
(p. 1998)

(2)

Ce n'est pas par le seul agrément de sa personne que je prétends louer Amalthée, car son grand esprit, son grand coeur et sa grande vertu la distinguent bien mieux de tout le reste des femmes. Pour le premier, elle a une chose qui est une marque indubitable de sa grandeur, car elle a une curiosité universelle de tout ce qu'elle croit être bon ou beau, depuis les plus petites choses jusqu'aux plus grandes, soit pour les choses que la bienséance permet aux dames de savoir, soit pour les beaux-arts, pour les ouvrages, pour les bâtiments, pour la peinture, pour les jardins, pour les secrets particuliers et pour mille autres agréables curiosités qui seraient trop longues à vous dire. Au reste, elle ne fait ni la savante, ni le bel esprit, elle fait même un secret de sa curiosité, et l’on ne voit dans sa chambre que les ouvrages qui sont ordinaires aux personnes de son sexe
(p. 816-817)

(3)

Après les avoir tous blâmés en détail, il se mit en général à parler contre les filles qui voulaient passer pour savantes, et particulièrement contre Cillésie, quoiqu’il ne la connût encore que de nom.
— Ce n’est pas, dit-il, qu’il ne soit très louable qu’une fille et une femme cultivent leur esprit et qu’elles sachent quelque chose de plus que le commun de leur sexe, mais il faut que ce soit pour leur satisfaction particulière, et non pas pour en faire ouvertement une espèce de commerce avec le public. Il faut qu’elles apprennent pour se rendre seulement capables d’entendre, et non pas pour débiter ; qu’elles affectent quasi de cacher ce qu’elles savent, bien loin d’en faire parade ; et comme il est louable dans un homme d’être beau, mais honteux de se piquer de l’être, il est honnête à une femme de savoir, mais honteux de se piquer d’être savante. Les vertus, continua-t-il, sont partagées entre les sexes. Il y en a de communes à tous les deux, et il y en a qui ne sont que pour un seul. Celles-ci sont des vices dans celui pour lequel elles n’ont pas été faites, et comme elles sont quasi opposées, qui recherche les vertus d’un sexe étranger néglige ordinairement celles du sien. Les Dieux ne donnent jamais tout à un seul : il faut être ou homme ou femme, et c’est un monstre d’être tous les deux. Il n’appartient d’entreprendre sur le métier des hommes qu’à ces personnes extraordinaires que l’excellence de leur génie élève au-dessus des deux sexe, comme à l’incomparable Sapho et à quelques autres, qui sont plus rares que les siècles.
(éd. de 1720, p. 435)

(4)

Elle [Angélique] avait appris quelques langues et lu toutes sortes de livres ; mais elle s'en cachait comme d'un crime.
(Livre I)

(5)

Elle [Almérie] avait infiniment de l'esprit, écrivait juste en prose et en vers ; mais elle écrivait rarement, et parlait peu de ses ouvrages. Elle ne ressemblait point à la plupart de celles de son sexe, que le trop d'esprit gâte.
(t. III, p. 181-182)

Elle [Diphilie] a autant de savoir que de beauté, ses sentiments sont les plus beaux du monde et ce qu'elle écrit est digne d'admiration. Elle fait très bien des vers, mais elle s'en cache comme d'un crime. Elle parle bien de toutes choses, mais le titre de savante lui déplaît. Elle ne s'en pique point, et l'on ne vit jamais tant d'esprit avec si peu de présomption.
(t. III, p. 203)




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