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Des souliers qui me blessent


"Vous m’avez envoyé des bas de soie si étroits, que j’ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a déjà deux mailles de rompues. - Ils ne s’élargiront que trop. - Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement."
Le Bourgeois gentilhomme, II, 5

De même que les "bas de soie", les chaussures qui blessent avaient été condamnées dans le "petit traité" "Des habits et de leurs modes différentes" (Opuscules ou Petits Traités, 1643) de La Mothe le Vayer comme l'exemple de ce que l'honnête homme doit éviter :

Or comme je tombe d'accord qu'il y a beaucoup de modes auxquelles nous nous devons accommoder, aux unes pour le tout, aux autres en partie, et petit à petit feulement, parce qu'elles ne font pas également honnêtes ni utiles, aussi suis-je dans cette ferme opinion qu'il s'en présente quelquefois qu'un homme d'honneur est obligé de rejeter entièrement et sans exception pour être si déraisonnables qu'on ne les peut recevoir sans se faire trop de tort. Je mets en ce rang toutes celles qui sont extraordinairement incommodes ou qui préjudicient notablement à la santé. Car il s'invente des façons d'habits qui mettent tellement le corps à la gêne qu'il faut être tout à fait ennemi de son aise pour les suivre et s'y assujettir. Et d'autant que mon dessein n'est pas d'examiner cela par le menu, je me contenterai de parler de deux abus où l'on est aujourd'hui, qui regardent notre chaussure et qui nous feront aller reconnaître ce qu'on doit éviter en tout ce qui concerne l'ajustement de notre personne.
[...]
Que des hommes nés à l'action se jettent de gaieté de coeur dans la même disgrâce et mettent la gentillesse du pied à l'avoir ou le faire paraître d'un quart plus long que nature ne l'a fait, comme si elle n'avait pas su prendre assez bien ses mesures pour ce regard, c'est ce que je ne me serais jamais persuadé, si nous n'en avions la preuve tous les jours devant les yeux. Ne nous étonnons plus de ce que dit l'Histoire du Pérou des peuples de certaines provinces, qui se pressent la tête avec des pièces de bois, afin d'acquérir une largesse de front prodigieuse, où ils constituent néanmoins le plus haut point de la bonne mine, puisqu'il y a des personnes en France qui ne trouvent rien de plus galant qu'un pied de longueur monstrueuse ou qu'un pied de marais pour nous servir de leurs propres termes ; ni rien de plus séant qu'un soulier quatre doigts plus long qu'il ne faut, avec un vide qui joint à la difformité une peine au marcher qu'on ne saurait trop éviter. Je pardonne aux petits hommes de chercher quelque avantage dans le liège de leur chaussure : Auguste le faisait bien, au rapport de Suétone, pour paraître un peu plus grand qu'il n'était. Les jeunes gens font aussi excusables s'ils ont quelque curiosité semblable à celle d'Alcibiade, qui fit donner son nom à une certaine sorte de souliers dont parle Athénée, parce qu'ils étaient de son invention. Mais d'introduire des modes qui nous mettent les membres à la torture et qui veulent corriger les proportions de la nature en la structure du corps humain, c'est ce qu'on ne saurait trop rejeter ni trop condamner tout ensemble.
(éd. des Oeuvres de 1669, t. VIII, p. 91-93)




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