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Demeurer court à si peu de choses


"N'as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose? Que diable, te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires? Fi. Peste soit du butor. Je voudrais bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper; je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe; et je n'étais pas plus grand que cela, que je me signalais déjà par cent tours d'adresse jolis."
Les Fourberies de Scapin, I, 2

Les qualités dont se targue Scapin correspondent à celles de l'homme vertueux que vantait le Traité de la providence de Dieu de Sénèque :

Ces naturels languissants qui sont toujours endormis, ou de qui les veilles ressemblent au sommeil, sont composés d'éléments lourds et pesants, mais afin de former un homme qui montrera de la vertu, il est besoin d'un destin et plus fort, et plus vigoureux. Il ne trouvera pas un chemin uni, il faudra qu'il marche tantôt parmi des précipices, et tantôt sur des rochers. II faudra qu'il flotte sur une mer incertaine, et qu'il conduise son vaisseau dans le vent et dans la tempête. Il faudra qu'il règle fa course pour aller malgré la fortune. II trouvera quantité de difficultés qu'il faudra qu'il aplanisse ; mais le feu éprouve l'or, et la misère les grands hommes. Voyez jusqu'où la vertu doit monter, et vous reconnaîtrez que les chemins qu'elle tient sont difficiles et dangereux.
(éd. de 1669, p. 70)

Dans ses Considérations politiques sur les coups d'état (1667), Gabriel Naudé défend l'idée que l'homme vertueux est celui qui est capable de solliciter la fortune :

Il faut éviter les grandes charges, ou les administrer avec une force et générosité d'esprit si relevée par dessus le commun qu'elle soit capable de donner envie à la Fortune de la seconder, et favoriser en toutes les entreprises : la maxime étant très assurée que quiconque apporte ce principe et fondement, qu'il faut bien souvent avoir de la nature (bona etiam mens, nec emitur, nec comparatur, dit Sénèque) à la conduite de son bonheur, il ne peut manquer d'être le propre ouvrier et créateur de sa fortune Sapiens pol ipse fingit Fortunam sibi. (Plaut.in Trinum.)(1) . Alexandre se propose-t-il, quoique jeune et très mal fourni d'argent et de soldats, de subjuguer les Perses, et de passer jusques aux Indes, il en vient à bout. César entreprend-il de gouverner seul cette grande république qui commandait à toutes les autres, il en trouve le moyen. Deux pâtres Romulus et Tamerlan ont-ils volonté de fonder deux puissants Empires, ils l'exécutent ; Mahomet se veut-il faire de marchand prophète, et de prophète souverain d'une troisième partie du monde, il lui réussit. Et quel pensez-vous, Monseigneur, avoir été le principal ressort qui a causé tous ces merveilleux effets, nul autre en vérité, sinon celui que Juvénal nous enseigne de toujours mettre et placer entre les premiers de nos souhaits avec son fortem posse animum. (Satyr. 10.).
(1) En vérité l'homme sage se fabrique sa fortune lui-même.
(p. 30-31)




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