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De justes balances


"Mais les gens de mon air, Marquis, ne sont pas faits,
Pour aimer à crédit, et faire tous les frais.
Quelque rare que soit le mérite des belles,
Je pense, Dieu merci, qu'on vaut son prix, comme elles ;
Que pour se faire honneur d'un cœur comme le mien,
Ce n'est pas la raison qu'il ne leur coûte rien ;
Et qu'au moins, à tout mettre en de justes balances,
Il faut, qu'à frais communs, se fassent les avances."
Le Misanthrope, III, 1, v. 817-822

L'exigence d'Acaste est formulée

Au livre II (1655) de la Clélie des Scudéry, une conversation s'engageait sur la question de la réciprocité dans l'obéissance amoureuse (7).

La soumission amoureuse masculine (voir, dans L'Etourdi, "tout ce qu'il vous plaira") sera également mise en cause dans Le Sicilien ("jamais les âmes bien saines ne se paient de rigueur").


(1)

Je sais ce qui vous gâte et ce qui fait ma peine,
La Cassandre et Cyrus vous rendent un peu vaine,
Vous vous imaginez pour être votre amant,
Qu'il faut être parfait comme ceux d'un roman,
Et qu'on doit vous servir comme on sert une reine,
Jugez de vous plus sainement;

Ne vous arrêtez pas au premier qui vous loue,
Je ne suis point héros, pour cela je l'avoue,
Mais mettez-moi à la raison,

Vous n'êtes point non plus merveille incomparable,
Vous êtes une fille aimable
Que l'on appelle Louison.
(Oeuvres, 1666, p. 528)

--

(2)

Rupture d’amour.
Ode, indifférente.

[…]
Que si la reine des beautés
Se venait rendre à mes côtés,
Avec la qualité d’amante,
Au mépris de tous ses appas
Si je la voyais inconstante,
Ma foi je ne l’aimerais pas.
[…]
Mais me veut-on fidèle amant,
J’entends qu’on m’aime constamment,
Qu’avec moi seul on s’arrête ?
Ou je me sais bien dégager,
Car mon cœur jamais ne regrette
Un cœur qui se peut partager.

Ni pour amant, ni pour ami,
Je ne puis point l’être à demi
Et dans quelque gloire où j’aspire,
Il faut que je sois tout, ou rien ;
Qui peut partager son empire
N’est pas digne d’avoir du bien.

Si j’aime jusqu’au dernier point,
Qui peut ne me rebuter point
Alors que j’offre ma franchise ?
Je puis encore plus aisément
Mépriser, quand on me méprise,
Et sortir d’un engagement.

Mon cœur n’a point encore appris
Comme il faut souffrir des mépris
Et n’en aura jamais le blâme ;
Dans les sentiments où je suis
Monsieur, vaut toujours bien Madame
Aussi bien ailleurs qu’à Paris.

Ce n’est pas qu’il ne faille un peu,
Quand on veut déclarer son feu,
Aux froideurs, s’exposer en butte :
Mais par opiniâtreté
Suivre, qui toujours nous rebute,
Ce serait trop de lâcheté.
(La Muse coquette, Première partie, Paris, J.-B. Loyson, 1659, p. 97-100)

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(3)

On ne se lasse jamais d’aimer, mais on se lasse de n’être point aimé.
(Maximes d’amour, C. Barbin, 1666, section « constance », max. 2, p. 34)

C’est être injuste et privé de raison que d’aimer qui ne nous aime point.
(Ibid., max. 16, p. 36)

On peut être constant sans aucune espérance.
(Ibid, max. 23)

Le véritable amant est celui que les rigueurs d’une maîtresse ne rebutent point.
(Ibid, max. 24, p. 37)

Il faut mépriser qui nous méprise.
(Ibid, section « mépris », max. 8, p. 110)

Perdre l’amour d’une coquette n’est pas une perte.
(Ibid, section "perte", max. 7, p. 137)

C’est une bassesse à un amant de se tourmenter pour la perte du cœur d’une coquette.
(Ibid.)

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(4)

Ah qu’il est doux d’aimer ainsi,

Alors que l’humeur inconstante
D’une maîtresse nous tourmente,
On peut être inconstant aussi,
Est-elle bizarre, inhumaine,
A t’elle pour nous de la haine,
De l’orgueil ou bien du mépris,
On peut porter ailleurs sa flamme,
Sans crainte d’acquérir du blâme,
Ni même d’en être repris.
(L’Ecole d’amour ou les héros docteurs, par M.D.L.C [Jacques Alluis], Grenoble, Robert Philippes, 1665, p. 40)

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(5)

En effet quel plaisir nous donne une inhumaine,
Qui dans deux ou trois jours ne nous rend pas contents ?
Quel plaisir d'aimer si longtemps ?
Et quel plaisir enfin de prolonger sa peine ?

Pour moi je n'attends rien de la persévérance;
Si l'on veut me donner, qu'on me donne aujourd'hui ;
On passe mal son temps, quand on vit d'espérance ;
Le plaisir n'est pas doux, s'il coûte de l'ennui ;
Et lorsque plus d'un jour on me le fait attendre,
Mon amour se pourvoit ailleurs le lendemain,
Et cherchant un cœur plus humain ,
Il cherche des plaisirs, que d'abord on peut prendre.

C'est en aimant ainsi qu'on peut dompter les fières ;
Car si tous les Amants en usaient comme moi,
Les plus fières bientôt en viendraient aux prières,
Et pourraient à leur tour vivre sous notre loi.
Elles auraient pour nous des soins et des caresses ;
Nous ne souffririons plus leurs injustes rigueurs :
Et l'on verrait les serviteurs,
Par un destin nouveau, commander aux maîtresses.
(éd. de 1668, p. 276-277)

(voir également "c'est à elles à le prendre")

(6)

Dispensez-moi, belle Arthénice,
De languir à votre service,
Et de soupirer nuit et jour,
Je crains trop les effets d'amour,
Puisqu'après vous avoir servie,
Les plus constants ne gagnent rien,
Je veux servir toute ma vie
Quelque Cloris qui paie bien.

C'est le destin des misérables,
D'adorer des objets aimables,
Et de les servir à crédit.
Pour moi je sers pour le profit.
(p. 122)

(7)

Mais quand je conclus qu'il faut toujours obéir à sa maîtresse, ajouta-t-il [le Prince d'Agrigente], je dis en même temps qu'il n'en faut point avoir qui n'ait le coeur généreux.
- Mais seigneur, reprit Térille, qui avait l'esprit irrité, si un homme est obligé d'obéir aveuglément, que devient l'amour réciproque ? Et pensez-vous qu'il soit juste qu'une femme vous dise éternellement pour vous refuser les plus petites faveurs, que la gloire ne lui permet pas de vous les accorder, et qu'un homme ne puisse pas dire à une femme que son honneur ne veut pas qu'il lui obéisse ? [...]
- De grâce, reprit Philonice [...], ne vous allez pas imaginer que quand il serait vrai qu'une femme put aimer autant qu'elle serait aimée, elle fut obligée aux mêmes choses ; car il y a des affections réciproques, dont les témoignages doivent être bien différés.
- Il est vrai, dit le Prince d'Agrigente, car les rois doivent aimer leurs sujets et les sujets doivent aimer leurs rois : cependant leurs obligations sont bien différentes ; car les uns ont pouvoir de commander, et les autres doivent toujours obéir. Les pères et les enfants doivent aussi avoir une affection mutuelle ; il y en doit avoir même entre les maîtres et les esclaves, quoi que leurs devoirs ne se ressemblent point : ainsi quoi qu'il doive y avoir de l'amour dans le coeur d'une amante, aussi bien que dans le coeur d'un amant, les témoignages n'en doivent pas toujours être semblables : et il ne s'est jamais entendu dire qu'un amant ait dit à sa maîtresse, je vous commande de m'obéir. [...] C'est pourquoi je le redis encore, il faut qu'un amant obéisse, ou qu'il cesse d'être amant.
(Clélie, II, 2, p. 704-707)




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