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Cette grande faim


"Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose,
Un plat seul de huit vers me semble peu de chose,
Et je pense qu'ici je ne ferai pas mal,
De joindre à l'épigramme, ou bien au madrigal,
Le ragoût d'un sonnet, qui chez une princesse
A passé pour avoir quelque délicatesse.
Il est de sel attique assaisonné partout,
Et vous le trouverez, je crois, d'assez bon goût."
Les Femmes savantes, III, 1 (v. 746-752)

La métaphore du repas avait été utilisée pour évoquer la création littéraire dans


(1)

La sage Sophronisbe, la gaie Eulalie et la malicieuse Galathis s' y trouvèrent, et furent toutes fort surprises de voir avec quelle ardeur, et quelle complaisance Didascalie lisait ces vers. [...] Galathis ne lui pardonna pas cette surprise, et comme elle était autant malicieuse qu'enjouée, elle ne manqua point de lui dire : "Madame, de grâce, voudriez-vous bien prendre la peine de les relire encore une fois ?" Didascalie reçut cette prière avec civilité et bonté, et se piquant d' une pure complaisance, les relut depuis un bout jusques à l'autre. "– Ce n'est pas assez, Madame, reprit-elle, il faut que vous me permettiez de les lire, et que mon admiration se saoûle, puisque ma curiosité est affamée".
(éd. Magne, Paris, Droz, 1938, t. II, p. 283-284)

Il ne se fait rien de joli, de galant, de spirituel, dont on ne fasse le rapport et dont on en voie quelque chose parmi elles. Elles se repaissent de cela et, pour voir un nouveau mot ou entendre une stance nouvelle, toutes ou chacune d'elles renonceraient à la passion la plus forte du monde.
(t. II, p. 122-123)

Je suis prêt à jouer avec mon hôte et accompagner d'un peu de complaisance et de belle humeur la chère que je lui ai pu faire. Je ne serai pas moins ton ami ; au contraire tu aurais sujet d'être moins le mien si je te refusais les morceaux de ton gout, et ce qui répond à ton appétit. Tu as ici de quoi faire un grand repas : la sottise, l'égarement, le désordre, la négligence, la paresse, et mille autres défauts cachés à mon aveuglement, ou à mon ignorance, sont servis en pyramide et à plats renforcés. Gobe, gobe, mon cher lecteur, à ton aise ! Qu'il ne te reste ni faim ni appétit, puisque tu peux satisfaire l'un et l'autre.
("Aux plus malins critiques", t. II, p. 193)


(2)
Festin poétique

Vous voulez, Madame, que je vous traite, et je veux bien vous traiter ; mais comme les amants déifient ordinairement tout ce qu’ils aiment, je vous traiterai en déesse. Je vous ferai servir de l’ambrosie [sic] ; je vous ferai verser du nectar, l’un et l’autre dignes des tables immortelles. Après quelques parfums, et un peu d’encens, c’est à dire après des remerciements, le premier service sera de raisonnements forts, et solides. Le second, de sentiments épurés avec quelques pointes d’épigrammes pour ragoûts, et quelques entremets de parenthèses, et de pensées. Vous verrez briller en des coupes de cristal l’eau de la fontaine des neufs Sœurs, laquelle pour peu que vous l’exposiez aux yeux d’Apollon, vous paraîtra, Madame, avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Vous jugez bien qu’un bel esprit, comme vous me nommez par honneur, ne vous doit pas traiter autrement. Pour le nombre des conviés, et de ces agréables ombres qui vous suivent quand il vous plaît, je ne vous limite rien, Madame. Il y a eu des jours que j’en ai traité mille à la fois, sans qu’il m’en ait coûté un double de plus. Je vous prie seulement de mener avec vous des gens de la belle force, dignes du cabinet de nos déesses héliconoises, et de la table des dieux poétiques. N’oubliez pas surtout celui que vous appelez l’homme de toutes les heures ; ce qui est un grand talent pour les dames, cet homme d’impromptu et de rare esprit. Quoiqu’il soit un peu malin, cela ne m’importe ; j’ai toujours mieux aimé la malice ingénieuse, que la bonté stupide de ces gens qui sont les meilleures personnes du monde, et de la plus mauvaise compagnie.
Cependant, Madame, je vous remercie de vos belles roses du mois de novembre, elles sont si vives, et si parfumées, qu’elles ne peuvent céder qu’à cette belle bouche où l’on craint de se brûler quand on vous salue, et au doux parfum de cette haleine, qui m’est un souffle plus agréable, que celui des zéphyrs ne le fut jamais aux parterres. Enfin, Madame,

En esprit, en beauté, vous êtes la première,
Et le don de vos fleurs, est un don sans pareil,
Ayant reçu votre lumière,
Elles ont eu tout leur soleil.

(p. 431-432)




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