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Ce que fit Alexandre


"J'ai lu, je ne sais où, qu'Apelle peignit, autrefois, une maîtresse d'Alexandre; d'une merveilleuse beauté, et qu'il en devint, la peignant, si éperdument amoureux, qu'il fut près d'en perdre la vie : de sorte qu'Alexandre, par générosité, lui céda l'objet de ses vœux. Il parle à Dom Pèdre. Je pourrais faire, ici, ce qu'Apelle fit autrefois; mais vous ne feriez pas, peut-être, ce que fit Alexandre."
Le Sicilien ou l'Amour peintre, sc. XI

Dans l'"Histoire d'Abénamin et de Lindarache", contenue au sein du tome III, 1 de l'Almahide (1663) des Scudéry, la même anecdote avait également été utilisée dans un contexte similaire (1).

On la retrouve également narrée dans l'Histoire de Celimaure et de Felismene (1665), roman attribué à Jean Rou (2).

Elle est mentionnée aussi


(1)

[Il] se contenta de dire en riant à Tamaras qu’il paraissait bien qu’il ne se connaissait guère en peinture, puisqu’il estimait si peu les peintres et qu’il n’eût garde de lui donner sa maîtresse comme Alexandre donna la sienne au fameux Apelle, puisqu’il ne pouvait pas seulement endurer qu’il la louât.
(p. 626)

(2)

[le héros joue le rôle d'Apelle dans une pièce de théâtre ; la femme qu'il aime tient celui de Campaspe]

Les flambeaux étaient allumés et le peuple prêtait un paisible silence lorsque, sortant tous trois sur la scène, je pris place au milieu du théâtre, mes pinceaux à la main et une toile devant moi. A l’un des côtés était Célimaure qui, tant il est magnanime, ne différait d’Alexandre que du nom, et de l’autre Felismène, sous l’habit de Campaspe, mais avec une beauté que je ne pense pas que celle-ci ait jamais eue : quel était son éclat et sa majesté, c’est ce dont je puis bien me souvenir, mais ce que je ne peux pas exprimer. Je me contenterai seulement de vous dire que, si dans la vérité Campaspe parut alors si admirable à Apelle, Alexandre donna à Apelle en la personne de Campaspe le véritable prix de cette pluralité de mondes qu’il souhaitait. Enfin, je mets la main à l’ouvrage, mais elle me tremblait si fort qu’elle était en cet état bien plus propre à représenter ma peur qu’à peindre autrui. Et bien qu’il soit de la coutume de tous ceux qui font un portrait de partager leurs regards entre l’original et lui, je les tenais pourtant si fixes sur celui-là seul que, changé de peintre en tableau, je n’étais plus bon qu’à recevoir les traits et non pas à les donner. Ma main, cependant, ne laissait pas, mais sans l’aide de mes yeux, de coucher les couleurs, et le peuple admirant en cette action comme je représentais naïvement le personnage d’un Apelle qui commençait à devenir amoureux, applaudissait plus à mes brouilleries qu’il n’eût fait à cette ligne si fameuse d’Apelle même. Quelquefois, pour lui chercher l’air le plus avantageux, je l’exhortais à me regarder d’un oeil riant. A proprement parler, ce n’était qu’un effet du désir que j’avais de lui voir un visage à mieux faire espérer sa pitié et l’importance est que, pour lui montrer comment il fallait faire, j’accommodais ma bouche au rire et à la gaité dans le même temps que mes yeux étaient tout prêts de pleurer de douleur. Suivant mon avis, donc, tantôt elle se tenait droite, tantôt penchée sur le côté, tantôt elle montrait un air doux, tantôt un fier, mais de quelque façon que son visage changeât en mon endroit, mon coeur ne changeait jamais au sien. Quelquefois, je feignais qu’une de ses boucles était trop indiscrètement tombée sur ses joues, afin qu’y portant la main je visse plus à mon aise une si belle nudité, et m’étendant ensuite sur les louanges de tant de beauté, j’y mêlais adroitement des flatteries pour Célimaure en me plaignant de n’avoir pas pour imiter la vivacité des lèvres de cette Campaspe, la pourpre vermeille des victoires de cet Alexandre et pour atteindre à la véritable couleur des cheveux de celles-là, l’or du Pérou que celui-ci avait dompté. Mais ma raison au milieu de tous ces égarements enfin se réveilla et, me reprochant mon infidélité, me fit rougir de mon action, de sorte que tout hors de moi je me levai brusquement de mon siège avec un transport qui convenait aussi bien à Apelle qu’à Ergilde, après avoir jeté par la place toile, palette et pinceaux, me tournant vers Celimaure : « – Ah ! M’écriai-je tout en fureur, qu’un Caucase et un vautour sont peu de choses pour moi et si metttre la main au feu seul fut un crime si puni, que doit-on faire à celui qui la pose au Soleil ? Ah ! Alexandre, si Campaspe est toute foudre, il n’y a que vous qui en soyez digne, vous qui êtes fils du foudroyant, faites donc foi de votre origine en terrassant un audacieux comme moi, ouvrez mon estomac et m’arrachez les entrailles ! Quoi donc ? Ne voulez-vous pas le portrait de Campaspe ? Eh bien, je l’ai dans le coeur.
(Paris, Sommaville, 1665, p. 27sq)

(3)

Alexandre n'avait pas de plus sensible plaisir, que lorsqu'il était dans l'atelier d'Apelle, où on le trouvait presque toujours ; et ce peintre reçut un jour une marque très sensible de son amitié et de la complaisance qu'il avait pour lui : car, lui ayant fait peindre toute nue (à cause de son admirable beauté) l'une de ses concubines que l'on appelait Campaspe, et celle de toutes ils autres à qui il avait donné plus de part dans son coeur, et s'étant aperçu qu'elle avait frappé d'un même trait celui d'Apelle, il lui en fit présent.
(p. 63-64)

(4)

Il ne faut point douter que les peintres ne jugent ordinairement mieux que le reste des hommes de la beauté humaine, tant à cause des règles qu'ils ont à l'égard de la proportion des membres et des couleurs qui leur conviennent, que parce qu'ils exercent incessamment leur imagination à former des idées les plus accomplies qui se puissent concevoir. C'est pourquoi l'on a soutenu avec beaucoup de raison qu'Apelle fut autrement touché qu'Alexandre, en voyant Campaspe dans sa nudité, parce qu'il en reconnaissait mieux le véritable mérite, et que peut-être ce prince, qui n'avait pas moins de philosophie que de générosité, ne la lui céda que sur cette seule considération
(VI, 1, p. 90)




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