Content-Type: text/html; charset=UTF-8
C'est à elles à le prendre
- "Mon cœur est à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour, et à le garder tant qu'elles le pourront."
- Don Juan ou le Festin de pierre, III, 5
La même déclaration est faite dans les stances intitulées "L'Inconstant" du recueil Amitiés, amours et amourettes (1664) de René Le Pays :
- Philis, n'accusez point mon coeur d'être volage,
- Il était tout à vous, vous ne l'ignorez pas :
- Vous l'avez mal gardé, qu'en puis-je davantage ?
- Pourquoi vous prendre à moi de vos faibles appas ?
- Si Doris l'a contraint de vous être infidèle,
- Si ses charmes plus doux ont volé votre bien,
- Pour moi qui n'y prétends plus rien,
- Je vous laisse entre vous vider cette querelle,:
- Arrachez-lui mon coeur, par force et par adresse,
- Tâches de le ravoir, pour moi je le permets ;
- Vengez-vous fièrement de cette larronnesse,
- Mais pour m'en quereller ne m'en parlez jamais.
- Si l'on vous l'a ravi, vous le deviez défendre,
- Il fallait vaillamment s'opposer à Doris ;
- Car enfin, si l'on vous l'a pris,
- Faible Philis, pourquoi l'avez-vous laissé prendre ?
- Si vous aviez voulu garder votre conquête,
- Il fallait l'attacher avec quelque faveur :
- Un coeur comme le mien facilement s'arrête,
- Mais pour le retenir il faut de la douceur ;
- Il faut à son amour quelque justice :
- Car comme dans le monde il n'est pas apprenti
- A qui lui fait meilleur parti,
- Il consacre bientôt ses soins et son service.
- Doris le traitant mieux s'en est fait la maîtresse,
- Il ne le cèle point, son bel air, ses yeux doux
- Ont moins charmé mon cœur, que sa douce tendresse,
- Par la votre rivale a triomphé de vous.
- Pour venger cet affront, Philis,je vous conseille
- D'enchérir sur Doris à force de douceur,
- Et puis vous verrez que mon cœur,
- S'il a pu, vous quitter, lui rendra la pareille.
- Voilà le vrai moyen d'une juste vengeance,
- Vous reprendrez ainsi ce cœur intéressé,
- Mais l'ayant regagné, quittez l'indifférence
- Vous le perdrez encor, s'il n'est pas caressé.
- Il n'est point de beauté qu'enfin il n'abandonne,
- Alors que sous ses lois il faut vivre en langueur ;
- Et pour vous dire son humeur,
- Il se donne toujours à qui le plus lui donne.
- Mais si pour son malheur parmi toutes les belles,
- Il trouve du mépris pour ses soins et sa foi,
- Sans en prendre d'ennui, sans les nommer cruelles,
- Il les quitte aussitôt, et s'en revient chez moi,
- Et là sans savoir bien, où s'il hait, ou s'il aime,
- Il attend d'autre amour d'une autre occasion,
- Qu'il embrasse sans passion,
- Et qu'il peut, quand il veut, abandonner de même.
- Il ne se pique point d'une extrême constance,
- Il aime autant de temps qu'il trouve des plaisirs.
- Un chagrin, un dédain, la moindre résistance,
- Dans son plus grand transport éteint tous ses désirs,
- Son obstination n'est jamais importune,
- Car aussitôt qu'il voit deux jours de temps perdu,
- Sans tant faire le morfondu,
- Il retire ses soins, et cherche ailleurs fortune.
- Il est vrai que souvent avec cette méthode,
- On fait bien du chemin, et l'on n'attrape rien,
- Cependant depuis peu chacun fuit cette mode,
- Chacun en fait métier, et l'on s'en trouve bien.
- (éd. de 1668, p. 275-276)
(voir également "de justes balances")
.
Sommaire | Index | Accès rédacteurs