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Avec vos grands mots


"Quoi, Monsieur, la protase, l'épitase, et la péripétie ?... - Ah! Monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paraissez point si savant, de grâce ; humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons ? Et ne trouveriez-vous pas qu'il fût aussi beau de dire, l'exposition du sujet, que la protase ; le nœud, que l'épitase ; et le dénouement, que la péripétie ?"
La Critique de L'Ecole des femmes, sc. VI

Les termes en question sont employés par les théoriciens contemporains, en particulier Pierre Corneille (1).

La pratique qui consiste à glisser dans la conversation des termes grecs et latins est un objet de suspicion dans La Précieuse de l'abbé de Pure (2) ainsi que dans le traité Du bon et du mauvais usage (1693) (3) de F. de Callières.

Charles Sorel, dans La Maison des jeux (1642), avait souligné également l'inadéquation des grands mots avec la pratique théâtrale concrète (4).

Voir aussi Les Fâcheux ("ce placet est fort long") et Les Femmes savantes ("il sait du grec, ma soeur").


(1)

[Aristote] préfère la partie du poème qui regarde le sujet à celle qui regarde les moeurs, parce que cette première contient ce qui agrée le plus, comme les agnitions et les péripéties.
(Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique [1660], dans Trois discours sur le poème dramatique, éd. GF Flammarion, 1999, p. 66)

[Térence] a introduit une nouvelle sorte de personnages, qu'on a appelés protatiques, parce qu'ils ne paraissaient que dans la protase, où s'en doit faire la proposition.
(Ibid., p. 90)

les unes et les autres doivent avoir une telle liaison ensemble, que les dernières soient produites par celles qui les précèdent, et que toutes ayent leur source dans la protase que doit fermer le premier acte.
(Discours des trois unités [1660] dans Trois discours sur le poème dramatique, éd. GF Flammarion, 1999, p.135)

Je ne dis pas la même chose des songes, qui peuvent faire encore un grand ornement dans la protase, pourvu qu'on ne s'en serve pas souvent.
(Examen [1660] d'Horace)

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(2)

N'avez-vous jamais remarqué l'autorité que se donnent la plupart des jolies femmes, de juger en dernier ressort de la pédanterie et de la hâblerie assassinante des doctes, qui se trouvent dans leurs conversations et dans leurs ruelles ? n'y avez-vous jamais vu berner un mot latin, échappé par mégarde, et qu'un juste propos avait dérobé à l'imagination ?
(de Pure, La Précieuse, éd. Magne, 1930, t. II, p. 314).

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(3)

Les mots savants qui sentent le grec et le latin doivent être suspects à tous les gens du monde, et ils attirent sur ceux qui les disent un air pédant, quand il y en a d'autres plus simples et plus connus pour exprimer les mêmes choses.
(F. de Callières, Du bon et du mauvais usage dans les manières de s'exprimer, 1693, p. 140)

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(4)

A propos d’une comédie de village, un personnage de La Maison des jeux de Sorel commente :

Je vous assure qu’en tout cela il y avait de quoi faire enrager le Castelvetro, avec Scaliger et Aristote, d’avoir pris tant de peine à nous forger des lois, pour rendre les poèmes conformes à la raison et capables de plaire autant que d’instruire, et de voir que ces piffres donnaient tant de plaisir sans qu’il y eût rien dans leur pièce qui fut fort propre au style dramatique, ni que ceux qui les avaient faites sussent ce qu’était de prologie, d’épisode et péripétie.
(Sorel, La Maison des jeux, 1642, I, p. 470-471)




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