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A Monsieur Mignard
Paul Scarron, "A Monsieur Mignard, le plus grand peintre de notre siècle", Dernières Oeuvres, 1663, t. II
- A MONSIEUR M I G N A R T,
- LE PLUS GRAND PEINTRE
- de notre siècle.
- Inimitable MIGNART,
- Qui même dans l'Italie ,
- As fait admirer ton art
- Malgré la haine et l'envie :
- Depuis que loin de ces lieux
- Qu'embellissaient tes ouvrages,
- Tu charmes ici nos yeux ,
- Et mérites nos hommages ,
- Mille Peintres forcenés
- De voir où ta gloire monte
- Contre toi sont déchaînés ,
- Et ne le sont qu'à leur honte.
- Mais laisse les peindre mal,
- Et même chanter victoire;
- Pousse toujours ton cheval
- Dans le chemin de la gloire.
- S'il poursuit de mieux en mieux
- Le train que tu lui fais prendre,
- Tous ces lâches envieux
- N'auront bientôt qu'à se pendre.
- Les plus insolents d'entre eux,
- Les plus hardis à te mordre.
- Se trouveront bienheureux:
- De travailler sous ton ordre.
- N'ayant plus à travailler,
- Si ce n'est avec des brosses,
- Nous leur verrons barbouiller
- Des tripots et des carrosses.
- Tandis qu'estimé de tous,
- Des rois, princes et satrapes,
- Tu boiras parfois chez nous
- La liqueur qui vient des grappes.
- Près d'un feu qui sera bon ,
- Quoique le feu d'un pauvre homme,
- Nous ferons le parangon
- De Paris et de ta Rome.
- De succulentes perdrix,
- Et des chapons gras du Maine,
- Te donneront du mépris
- Pour tes mets à la romaine.
- Les nôtres bien apprêtés
- Usurpaient les veaux monganes ,
- Comme nos rares beautés
- Effacent ses courtisanes.
- Tu te lasseras un jour
- De vivre à la pittoresque ,
- Et croiras que notre cour
- Vaut bien la cour romanesque.
- Tu la mettras en oubli,
- Ou tu n'y songeras guère ,
- Quand tu seras établi,
- Et riche à la financière.
- Une autrefois à loisir
- Je t'en dirai davantage ;
- Cependant j'ai grand désir
- De te donner un potage.
- Tu sais bien que le crayon
- Qui se gâte à la poussière,
- N'est encore qu'un rayon
- De la future lumière.
- Viens, viens donc demain chez moi
- Finir cet ouvrage rare;
- Pour te remener chez toi,
- Un convoi je te prépare.
- Ce seront des hommes forts,
- Armés de bonnes bombardes,
- Qui répondront corps pour corps
- De Mignard et de ses hardes.
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